[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j � décembre *1793 533 ANNALES DU CIVISME ET DE LA VERTU. 27 frimaire, an II de la République, une et indivisible. I. Lors de la séance du 23 juin 1789 (de cette séance si bien appelée royale, puisque dans les intentions perfides de la cour, elle devait faire échouer la révolution), les gardes françaises de service à Versailles, sont commandés pour agir offensivement contre le peuple; promesses, me¬ naces, offres d’argent, tout est successivement employé pour obtenir d’eux l’assurance qu’ils serviront les profits sanguinaires du Tyran. Tous les moyens de séduction sont inutiles. Ces braves défenseurs de la patrie, qui dès lors ne reconnaissaient d’autre souverain que le peuple, déclarent hautement qu’ils ne trempe¬ ront pas leurs mains dans le sang de leurs frères. Cette sainte résistance aux ordres infâmes du despotisme, excite la rage des vils esclaves qui les commandent. Les plus zélés d’entr’eux sont précipités nuitamment dans les cachots de l’Ab¬ baye . Cet acte de tyrannie transpire, il provoque l’indignation publique Le 30 juin, sur les 6 heures du soir, un jeune homme monte sur une table au ci-devant Palais-Royal, et s’écrie : « Citoyens, ces généreux soldats qui, le 23 à Versailles, ont refusé de faire feu sur le peuple, sont maintenant chargés de chaînes; ils gémis¬ sent dans les cachots. Souffrirons -nous qu’ils y restent plus longtemps? Non, mes amis, nous irons les délivrer... marchons à l’abbaye. » A peine eut -il terminé cette courte harangua, qu’il s’élance vers la porte du jardin : une foule de citoyens se précipite sur ses pas; ils arrivent à l’Abbaye; les gardes françaises sont rendus à la liberté; on les porte en triomphe au jardin de l’égalité. Après y avoir reçu les expressions de la reconnaissance publique, ils sont conduits à la maison de Genève, où l’affluence du peuple, em¬ pressé de jouir de leur vue, les retient plusieurs jours. Les citoyens leur apportent des vivres en abondance, et se disputent le plaisir de pourvoir à leurs besoins. Tous sont jaloux de leur offrir le produit de leurs travaux. Ces offrandes civiques, partagées entre ces généreux ennemis de la tyrannie, pro¬ duisent une somme de plus de 800 livres à cha¬ cun d’eux; et ils étaient 11. Telle fut l’aurore des beaux jours de la liberté. II. Deux voitures de fourrage, destinées pour l’ar¬ mée du Rhin, sont arrêtées à Saussure, district de Remiremont, département des Vosges, par le manque de chevaux. 36 braves sans-culottes, la plupart pères de famille, abandonnent leurs travaux et se présentent pour y suppléer. 8 d’entre eux s’attèlent à chacune des deux voitures. Ni la difficulté des chemins presqu’en-tièrement rompus, ni les rochers qu’il faut gra¬ vir, ni la pluie qui ne cesse de tomber, ne peu¬ vent arrêter leur marche ; ils conduisent les deux charriots, dans l’espace de quatre jours, à Col¬ mar, distant de 22 lieues de Saussure. Les repré¬ sentants du peuple délégués dans le département vont au-devant de ces braves républicains, les serrent dans leurs bras et veulent leur faire re« ce voir la juste indemnité de leur travail. Ça ne se paie pas, répondent -ils unanimement, nos fils versent leur sang à la frontière ; ne sommes-nous pas trop heureux de travailler en même temps pour eux et pour la République f Les noms de ces hommes libres recueilleront les hommages de la postérité. Première voiture : Nicolas Romari; Adam • Jean-Nicolas et Jean-Baptiste-Dominique Lam¬ bert, Joseph Laharte, le vieux; Joseph-Jean La - harte le jeune; Bernard Trichelieu; Jean-Nicolas Laharte, et Jean-Nicolas Noël. Seconde voiture : Nicolas Antoine; Joseph et François Mathieu; Nicolas Guérin et Sébastien Grandemange; Fran¬ çois et Marin Lambert. III. Dandurand, du département du Cantal, ma¬ réchal -des -Logis du 14e régiment de chasseurs, reçoit dan 3 une seule affaire à la Vendée, 31 coups de feu et 12 coups de sabre, il tombe entre les mains des rebelles. Répète avec nous, s’écrient les brigands, vive Louis XVII, ou bien la mort... Vive la République! répond avec vivacité Dan¬ durand. L’énergie de ce héros étonne les brigands; il recueille toutes ses forces et, le sabre à la main, il se fait jour au milieu d’eux et parvient à échapper à leur rage. IV. Un colonel de hussards marchait à la décou¬ verte à la tête d’un escadron; il rencontre un corps de cavalerie supérieur en nombre; l’Au¬ trichien qui commande ce corps s’avance en criant aux Français : Allons enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé. Etonné d’entendre ces mots sacrés dans la bouche d’un esclave, le colonel s’arrête. Tu as donc peur, enfant de la patrie, dit le chef ennemi, tu n'oses avancer ? Le Français frémit d’indigna¬ tion ; pour toute réponse il pique des deux, ajuste l’insolent Autrichien et lui fait mordre la pous¬ sière. V. Le régiment ci-devant Royal-Cravattes cava¬ lerie était en quartier à Melun vers la fin de 1798; sa bonne conduite, son exacte discipline et son zèle à protéger le transport des subsis¬ tances, lui avaient assuré l’estime et la recon¬ naissance de tous les citoyens. Dans une assemblée générale, il fut arrêté qu’on députerait six commissaires vers ces bra¬ ves militaires, pour leur remettre une expédition de l’acte qui contenait le récit de leurs services. Les commissaires étaient chargés en même temps de leur délivrer une somme d’argent au nom de tous les citoyens, comme un témoignage de la gratitude publique et une indemnité des fatigues qu’ils avaient essuyées. Un brigadier sort des rangs : « Nous remer¬ cions la ville des marques qu’elle veut bien nous donner de sa reconnaissance; la nation nous paie pour faire son service; si vous êtes contents de notre conduite et de notre zèle, nous sommes trop heureux; nous n’avons fait que ce que nous devions faire; nous ne pouvons aocepter vos 534 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. » dons : je parle au nom de tous mes camarades. » Les commissaires insistent : « Puisque vous l’exigez absolument, reprend le brigadier, nous les acceptons : mais veuillez engager le maire à venir au quartier à l’heure de la parade, nous lui remettrons cette somme, et il voudra bien en disposer en faveur des indigents. » Le maire se rend aux vœux de ces généreux militaires, il est chargé de la distribution. VI. La ville de Thionville était assiégée depuis plusieurs mois; la garnison affaiblie était hors d’état de soutenir un assaut. Le commandant veut adresser des ordres à Metz, pour obtenir un renfort ; mais les troupes autrichiennes entourent la place de toutes parts ! mais toutes les issues sont occupées ! Qui osera tenter le passage? qui pourra le faire avec suc¬ cès? 3 hussards se présentent. Ce sont eux qui porteront à Metz la nouvelle de la détresse dans laquelle est Thionville. Les portes de la ville sont ouvertes; les hussards sortent au grand ga¬ lop. Une sentinelle tire sur eux, les manque et est tuée. Ils passent au travers de plusieurs postes sans être blessés. Us tombent dans une embuscade, ils la franchissent à travers mille coups de fusils et de sabres ; ils arrivent à Metz couverts de gloires et de blessures. Les ordres sont remis, fidèlement exécutés, et les Autri¬ chiens sont forcés de lever honteusement le siège. Vil. Une citoyenne de la section du faubourg du Temple réduite à la plus affreuse misère, ren trait chez elle sans avoir pu ss procurer de l’ouvrage; elle trouve sur sa route un assignat de 25 livres ; malgré sa détresse elle le regarde comme un dé¬ pôt inviolable. Le lendemain elle va aux en¬ quêtes, et elle découvre celui auquel l’assignat appartient; elle le lui remet : « Je suis bien fâché, dit cet homme, de ne pouvoir le partager avec vous ; mais vous voyez mes enfants, je ne possède que cet assignat pour pourvoir à leurs besoins. » Cette femme vertueuse se retire avec la satisfaction d’une âme pure. VIII. Une patrouille de 8 dragons du 3e régiment, commandée par le brigadier Ooquülon, se porte à Languyes près Beaumont. A peine sortis de cette commune et arrivés sur la hauteur, ils aperçoivent 5 hussards hon¬ grois escortant un troupeau de moutons et 3 che¬ vaux qu’ils avaient volés; nos dragons fondent sur ces brigands et les forcent d’abandonner leur proie. Us se disposent à la conduire vers Gau - drieux où leur corps est en cantonnement, lors¬ qu’ils découvrent de loin 40 autres esclaves du régiment de Beru, qui courent à leur poursuite. A la vue d’un parti si supérieur en force, la pru¬ dence semblait commander la retraite; mais des Français fuir devant des Autrichiens ! abandon¬ ner leur enquête ! mais des Français céder au nombre ! Coquillon qui a déjà éprouvé la bra¬ voure de ses compagnons, Coquillon qui voit leur bonne contenance, les dispose en tirailleurs. Fier de sa supériorité, l’ennemi s’avance à grands pas. Les dragons serrés se précipitent comme l’éclair, leurs chevaux touchent à peine la terre; ils enfoncent les Autrichiens; ils met¬ tent le désordre dans leur troupe : la victoire n’est pas longtemps incertaine; plusieurs escla¬ ves mordent la poussière, les autres fuient à toute bride; les 8 vainqueurs les poursuivent, et dédaignent de faire des prisonniers. Us étaient parvenus aux avant-postes autrichiens, lorsque Coquillon, aussi prudent que brave, sonne la retraite et les ramène à leurs moutons. IX. Un lieutenant de la compagnie des vétérans nationaux, âgé de 56 ans, et son fils, âgé de 25, se présentent à la barre de la Convention natio¬ nale. Le père compte quarante-une années de service militaire; le fils depuis l’âge de 9 ans, combat auprès de son père; tous deux sont cou¬ verts de cicatrices glorieuses des blessures qu’ils ont reçues à Francfort, à Mayence, à la Vendée. Us ne viennent point solliciter des pensions ou des grades. « Nous demandons pour tonte récom¬ pense de nos services passé", et de ceux que nous espérons rendre encore à la patrie, que la Con¬ vention nous autorise à changer de nom. » Us s’appelaient Leroi. X. U existe à Nîmes un menuisier, natif de Paris, qui a été élevé dans les principes du culte pro¬ testant. Tous les moments que son travail lui laissait libres, il s’était habitué de bonne heure à les employer à la lecture des meilleurs traités de politique et de morale : aussi, lorsque la ré¬ volution arriva, elle trouva son esprit et son cœur disposés à en sentir les avantages et à la servir avec un zèle et un dévouement peu com¬ muns. U avait un voisin qui exerçait la même pro¬ fession que lui : celui-ci, d’un génie borné, d’un caractère difficile, habitué à la crapule avide de gain, avait sucé avec le lait la haine et le mé¬ pris qu’inspire pour tout autre culte l’intolérant culte romain. Les relations d’affaires, la jalousie de métier, la différence des cultes, l’estime universelle dont jouissait le Parisien lui avaient attiré l’inimitié et l’avaient mis en but aux persécutions de son voisin. Celui-ci cherchait sans cesse les occasions de le décrier; sans cesse il portait contre lui des dé¬ nonciations sans fondement : menaces, injures, provocations, sa haine jalouse mettait tout en usage pour désoler et perdre son voisin. La diversité des opinions religieuses, dans le département du Gard, était un levain de guerre civile que les ennemis de la révolution s’empres¬ sèrent de mettre en fermentation. Tandis que d’un côté, une multitude égarée, habilement conduite par les contre-révolutionnaires, en croyant défendre la cause de Dieu sappait les fondements de la liberté; de l’autre ses véritables amis, quelque fût leur culte, se pressaient autour de son berceau, réunissaient leurs efforts pour détourner les orages prêts à fondre sur lui, et pour sauver leurs aveugles concitoyens de leurs mutuelles fureurs. Le Parisien était du petit nombre de ceux-ci. Enfin, on en vint aux mains le 13 juin 1790, et cette fatale journée fut signalée par toutes les horreurs de la guerre civile. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { J® Sé”mbre 1793 Il y eut pendant plusieurs jours de funestes représailles. Notre menuisier rencontre pendant la nuit, son ennemi errant et fugitif, craignant de tomber entre les mains de ceux qu’il persécutait la veille. Suis-moi, lui dit-il, en le prenant par le bras, et il le conduit hors de la ville. La confiance que malgré ses injustes vexations, le malheureux avait dans la vertu de son voisin, fait qu’il s’a¬ bandonne entièrement à lui. Ils s’éloignent du grand chemin, ils marchent en silence au travers la campagne, après six heures d’une route pé¬ nible, ils arrivent au village de Compos. Le Pa¬ risien réveille le maire, et fait assembler la mu¬ nicipalité qui estimait son patriotisme et sa vertu. Je vous confie, leur dit ce généreux citoyen, un homme qui ne m'aime pas, mais qui apprendra à m'estimer ;Jsa vie était en danger ; fai eu le bonheur de le sauver, je le mets sous votre sauve¬ garde, . ■ SI, Traullé, natif d’Abbeville, est nommé làfla fleur de son âge, par ses frères d’armes, capitaine dans l’un des bataillons de la Somme. Un boulet a emporté l’une de ses mains; il a reçu un coup de sabre qui le prive de l’usage de l’autre; il tomba au pouvoir des ennemis,' forcé d’emprunter une main étrangère pour écrire à sa mère et la rassurer sur son sort, il dicte cette lettre : « Ma mère, j’ai une main qui ne peut plus me servir; je ne te parle pas de l’autre, elle est restée sur le champ de bataille; du reste, je me porte assez bien, fais-en de même, et aime-moi toujours. & XII. Oletta, propriétaire 'd’une tuilerie, en Corse doit être compté honorablement parmi les pa¬ triotes qui n’ont pas voulu courber la tête sous le joug du traître Paoli, et qui ont empêché la liberté d’être entièrement bannie de cette île. Les connaissances qu’il avait dans le service de mer, et son ardent amour pour la République, déterminèrent les représentants du peuple à lui donner le commandement d’une felouque, mon¬ tée de 20 hommes d’équipage et de 2 canons de 4. Entré dans le port d’Ajaccio pour y porter des dépêches, il reçoit l’ordre de la municipalité contre-révolutionnaire et du lâche d’Alkérion, commandant des forces de mer, de tirer à terre sa felouque. Oletta conçoit de justes inquiétudes de cet ordre; il renvoie dans son canot 3 hommes dont la fidélité lui était suspecte, il lève son ancre et fait route pour sortir du port ; il s’échappe au tra¬ vers des boulets, qu’on lançait sur lui de toutes parts, et par l’intrépidité de son petit équi¬ page et la justesse de sa manœuvre il rejoint heureusement les représentants du peuple qui étaient à l’entrée du golfe. Oletta était dans le port de Toulon au mo¬ ment où cette commune infâme ouvrait ses portes aux féroces anglais. Oletta appareille sur-le-champ; il traverse avec intrépidité ies flottes combinées de l’An¬ gleterre et de l’Espagne, et va porter à l’armée d’Italie la nouvelle de cette trahison. Olelta poursuivait glorieusement sa carrière, et la marquait chaque jour par de nouveaux 535 services. Il avait fait une prise importante; poursuivi par une frégate anglaise, il se réfugie dans une petite anse du cap Corse; il débarque ses deux canons, il se bat pendant quatre heures, un boulet renverse le pavillon national; Oletta veut le relever, un coup mortel l’atteint dans la poitrine. XIIL Crosse, aide-major du bataillon des Théatins, rentrant chez lui, trouve dans la rue un enfant de six ans, abandonné, pleurant et presque nu. Crosse le conduit à son épouse qui le caresse, le réchauffe et lui donne des vêtements. Le lendemain, ils apprennent que le père et la mère de ce petit infortuné sont réduits à la plus affreuse indigence, et qu’ils ont fait, quoi¬ que sans succès, des efforts pour lui procurer l’entrée dans une maison de charité. Ces ren¬ seignements indiquent à Crosse et à sa femme ce qu’ils ont à faire : le produit médiocre d’un bureau de tabac et d’une petite loterie sont leurs seules ressources pour pourvoir à l’entre¬ tien et à l’éducation d’une famille nombreuse : ces considérations ne peuvent arrêter l’impul¬ sion de ces cœurs sensibles; ils n’avaient que sept enfants la veille, ils en ont acquis un hui¬ tième. p XIV-j • Michau, canonnier du V département de l’Yonne, est blessé mortellement dans un com¬ bat ; son frère qui servait dans la même compa¬ gnie, vole à son secours : Laisse-moi lui dit Mi¬ chau, retourne à ta pièce et venge ma mort; il expire. fXVi Un capitaine de vaisseau portant un nom voué à l’infamie (il s’appelait Barbaroux), mouillait dans le port de Toulon. Ce perfide offre aux Anglais de s’emparer de la redoute des sans -culottes, si 15 hommes de bonne vo¬ lonté veulent le suivre; 15 braves se présentent aussitôt, moitié Irlandais, moitié Français : ils s’embarquent dans un canot. A peine hors de la portée de la voix, ces citoyens fidèles à ieur patrie environnent le traître Barbaroux : « Nous voulons, s’écrient -ils d’une voix unanime, nous voulons retourner en France. — Mais, vous n'y pensez pas, mes amis, et ma tête... » A l’instant, le capitaine est mis aux fers et conduit au général Cartaux. Ces braves répu¬ blicains sont accueillis avec des transports de joie; on leur prodigue les caresses et les marques d’estime dont ils sont dignes, et le traître est fusillé au milieu des cris mille fois répétés : Vive la JRépublique! XVI. Les armes de la République sont victorieuses dans la Vendée : voici la huitième victoire que nous remportons sur les brigands vers la rive gauche de la Loire. L’armée de Charette, après avoir été battue à Beauvais, à l’üe de Bouin, dans la forêt de Cenai, s’est ralliée au nombre de 7 à 8,000 hommes, et est veuue attaquer le 536 [Conrentioa nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, f frimaire an II ( lo décembre 1793 poste défendu par le général Guillot. Le feu a duré deux heures avec la plus grande activité : enfin, après avoir lancé aux brigands plus de 200 boulets, le bataillon de la Charente et plu¬ sieurs autres corps de troupes ont fondu sur eux à pas de charge. Les brigands n’ont pu résis¬ ter à l’intrépidité des républicains; ils ont fui en désordre dans les forêts, laissant la campagne couverte de cadavres. Les défenseurs de la République qui étaient retenus dans les casernes, faute de Bouliers, se sont enveloppés les pieds avec des linges, et ont été seconder le courage de leurs frères. Avec de tels hommes, les destinées de la Ré¬ publique seront éternelles. XVII. P Dans une des actions qui, en dernier lieu, ont été si fatales aux Piémontais, un forgeron quitta son enclume pour voler au combat. Accoutumé à battre le fer avec son marteau, il ne croit pas pouvoir employer une meilleure arme pour battre les satellites du despote sarde : il ajuste à son marteau un long manche, et se jette dans la mêlée. Après la victoire, il a rap¬ porté son marteau teint de sang, et le manche écaillé de coups de sabre : c’était Hercule portant sa massue fumante encore du sang des monstres qu’il venait d’écraser. XVIIL r' Toute l’armée a vu avec étonnement Joseph Barra, équipé en hussard, à peine âgé de 13 ans, affronter tous les dangers, charger toujours, à la tête de la cavalerie; elle a vu une fois ce jeune héros terrasser et faire prisonnier deux brigands qui avaient osé l’attaquer. Ce généreux enfant, entouré par les rebelles, a mieux aimé périr que de se rendre, et de leur livrer deux chevaux qu’il conduisait. Pendant tout le temps qu’il a servi dans les troupes de la République, se bornant aux dé¬ penses d’une absolue nécessité, il faisait passer a sa famille nombreuse et indigente tout ce qu’il pouvait économiser. m ■ ■ xix. Deux régiments français étaient prêts à en venir aux mains l’un contre l’autre; ils étaient en présence. Après avoir employé les motifs les plus tou¬ chants pour désarmer ces furieux, le maire d’Aix, voyant que ses paroles sont inutiles, se précipite au milieu d’eux : « Citoyens, tirez sur moi, foulez-moi aux pieds, et sauvez-moi de l’horreur de voir mes amis et mes frères s’entr’égorger sous mes yeux. » Le dévouement héroïque du magistrat du peuple désarma des citoyens égarés; iis ou¬ blièrent leurs querelles dans des embrassements mutuels. XX. : Le second bataillon du Tarn, fameux dans l’armée des Pyrénées-Occidentaies, est com¬ mandé pour aller attaquer une redoute espa¬ gnole : Leyrac et Liberté Barrau son épouse, tous deux grenadiers, marchent à l’ennemi à côté l’un de l’autre. Le frère de Liberté Barrau est aussi dans les rangs; le combat s’engage, l’artillerie tonne de toutes parts. Barrau voit expirer son frère ; elle reste à son poste. Leyrac, son époux chéri, tombe auprès d’elle, la poitrine percée d’une balle. La vertu républicaine triomphe de l’amour comme elle venait de triompher de la nature. Barrau presse sa marche, elle entre la troisième dans les retranchements, et la redoute est em¬ portée. 19 cartouches qu’on lui avait remises avant le combat sont épuisées; elle s’empare de la giberne d’un ennemi qu’elle venait d’abattre à ses pieds, et poursuit avec ses camarades les Espagnols fuyant de toutes parts devant les troupes de la République. Enfin, le bataillon s’arrête, et le champ de bataille ne retentit plus que des cris de victoire , vive la République ! Alors Liberté Barrau retourne auprès de son époux, bande sa plaie, le presse dans ses bras, et le porte avec ses frères d’armes à l’hospice militaire; là, en lui prodiguant les soins de la tendresse conjugale, elle prouve qu’elle n’a pas renoncé aux vertus de son sexe, quoiqu’elle ait déployé toutes celles qui ne semblent devoir être l’apanage que de l’autre. Compte rendu du Journal des Débats et des Décrets (1). Léonard Bourdon présente le premier numéro des Annales républicaines. Les membres, char¬ gés de la rédaction, ont eu pour but un choix scrupuleux d’un trait qu’ils devaient oiter, une grande simplicité dans la narration et l’emploi des expressions les plus convenables, afin d’être à la portée de tous les esprits. Chaque numéro contiendra le récit des pre¬ miers événements de la Révolution. Les traités seront variés, car la monotonie est ce qu’il faut le plus éviter dans les livres élémentaires. On a recueilli les actions vertueuses des corps, des individus, des vieillards, des femmes, des enfants et cela servira a mettre de la variété dans le récit .« Parmi les traits que nous cite¬ rons, dit Bourdon, il en est plusieurs dont les noms des auteurs nous sont inconnus. Quand on a cité de belles actions guerrières, le nom de l’officier a été conservé, et non celui des sol¬ dats. Vos commissaires ont décidé que, dans ce cas, ils ne nommeraient personne, avant qu’ils pussent nommer tous ceux qui s’étaient illus¬ trés. Une autre marche eût eu trop de rapports avec l’ancien régime. » A la fin de chaque numéro, il y aura une table alphabétique des noms de ceux qui occuperont une place dans Recueil. Bourdon lit le premier numéro. Jullien (de la Drôme) demande qu’on ne nomme, dans ce Recueil, aucun homme vivant. Bomme est d’avis de nommer l’auteur d’une belle action à la fin du récit. Il y voit un moyen de censure au cas que ce citoyen ait démenti sa première conduite, parce qu’on pourrait alors ( 1 ) Journal des Débats et des Décrets (frimaire an II, n» 454, p. 364).