[Convention nationale.] ARGHIVES PARLEMENTAIRES, j Jj an II 435 J 1 28 décembre 1 <93 A. Rapport de Bar ère (1). Citoyens, Vous avez appris avec enthousiasme les succès de Toulon, vous apprendrez avec cou¬ rage les revers de Perpignan. Si la Méditer¬ ranée est libre, les Pyrénées -Orientales sont esclaves. C’est au milieu des revers que les âmes républicaines se retrempent. Envahis (sic ) à Villelongue, le 17 frimaire, le courage d’une élite de troupes républicaines avait repris Ville-longue, tous les avantages, des redoutes enne¬ mies et reconquis ses canons. Mais de nouvelles trahisons ont livré des places du département des Pyrénées-Orientales, Perpignan est menacé. Le lâche commandant Dufaux a livré le fort Saint-Eîme, après avoir tiré sur nos braves troupes. Ainsi donc le plus ignare des soldats de l’Europe, le plus supers¬ titieux des peuples du monde a seul des succès sur le sol de la liberté. Mais, citoyens, les ordres sont déjà donnés; tout va être changé dans le moment : repré¬ sentants, généraux, état-major, troupes, tout va être régénéré; le fer de la France domptera l’or du Mexique, et les esclaves de Madrid seront bientôt en présence des vainqueurs de Toulon. Le général victorieux ira attaquer Ricardos et vaincre les brigands. Si la Vendée est détruite, comme je viens vous le confirmer encore par l’organe des repré¬ sentants du peuple et des généraux, si l’intérieur de la République va être balayé des immondices royales et nobiliaires et purgé enfin des hordes contre-révolutionnaires, qu’avons-nous à re¬ douter? Une armée formidable va se former au pied des Pyrénées-Orientales, et le pays, trop fanatisé, trop espagnol (sic) par les moines et surtout par les métaux, reviendra énergique¬ ment au sein de la République. Nous attendons des nouvelles heureuses du Rhin. Le Nord aura son tour et les côtes seront préservées. Voici les nouvelles de Perpignan, je dois commencer par les désastres, je parle à des républicains. Vous recevrez ensuite les derniers restes de la Vendée, les jeunes répu¬ blicains qui se présentent à la barre, vous parle¬ ront des ruines de la contre-révolution royale. B. Lettre de Boisset, datée de Montpellier (2). Boisset, à ses collègues du comité de Salut public, Montpellier, ce 2 nivôse de l’an II de la Répu¬ blique. L’horrible plan de trahisons, citoyens collè¬ gues, s’exécute, se suit toujours avec cette jl) Archives nationales, carton C 287, dossier 851, pièce 19. (De la main de Barère.) (2) Archives du ministère de la guerre: Armée des Pyrénées-Orientales. Aulard : Recueil des actes et de la correspondance du comité de Salut public, t. 9, p. 599. perfidie qui caractérise et nos ennemis et les traîtres. Bagnols, Port-Vendres, Collioure sont au pouvoir des Espagnols, les forts ont été livrés, l’armée est totalement en déroute, je tremble de vous faire paraître mes soupçons, je crains qu’il n’y ait de grands coupables. Onne sait ce qu’est devenu Fabre, et Gaston est renfermé dans Perpignan. J’ai mis toute la célé¬ rité possible pour qu’Aiguesmortes, Cette et Agde soient en état de se défendre. Je me rende moi-même demain à Agde; j’irai à Cette et à Aiguesmortes. Relisez ma dernière lettre et vous frémirez. Je profite du courrier, le citoyen Casimir Dunal, dépêché par Hardy, agent du conseil exécutif, pour vous faire part de mes justes alarmes et de mes sinistres soupçons. Envoyez-moi des fusils, des fusils, et je réponds des côtes. J’ai assez de républicains qui, honteux de tant de trahisons et de lâcheté, se précipiteront au-devant des ennemis pour les chasser de notre territoire, venger l’honneur du nom français, et qui sauront mourir. Pardonnez, j’écris en hâte, mais mon cœur dicte plus vite que mes idées ne viennent et que ma plume ne trace. Union, fermeté. Tout à ' vous, Boisset. C. Lettre des représentants du peuple près l’armée des Pyrénées-Orientales (1). Les représentants du peuple près l’armée des Pyrénées -Orientales, au comité de Salut public de la Convention nationale. « Perpignan, le 1er nivôse de l’an II delà République française. « Citoyens nos collègues, « La République court les plus grands dan¬ gers; jamais la situation de cette armée ne fut plus alarmante; les forces des Espagnols qui la combattent sont au nombre de plus de 40,000 hommes; ils ont reçu de puissants renforts du Portugal; ils ont retiré de nombreuses troupes d’élite de leur armée, destinées à agir sur notre armée des Pyrénées occidentales. Nos batail¬ lons de la masse ne veulent plus combattre; ils fuient à la débandade devant l’ennemi, ils, jettent ou brisent leurs fusils; et, malgré nos pressantes sollicitations, nos vigoureuses me¬ sures, il n’est plus moyen de les rappeler à l’honneur, de les mener au combat. Votre arrêté qui ordonne de réduire cette armée à 15,000 hommes sera exécuté, s’il est possible; nous aurons une confiance aveugle à vos ordres; nous nous ferons immoler pour leur exécution. C’est d’après cet arrêté que le général Doppet a songé à battre en retraite; déjà notre grosse (1) Archives du ministère de la guerre : Armée des Pyrénées-Orientales. Aulard : Recueil des actes et de la correspondance du comité de Salut public, A. 9, p. 577. 436 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I J mvôse an II 1 (28 décembre 1793 artillerie de Banyuls-les-Aspres s’avance vers Perpignan. Il n’eût peut-être pas été prudent d’effectuer cette retraite dans les circonstances cruelles où se trouve cette armée, pressée vive¬ ment par l’ennemi, mais votre arrêté est si pressant, les généraux ont eu peur de compro¬ mettre le salut public; et comment, de notre côté, oser prendre sur nous de suspendre l’exécution de ces mesures. Mais, citoyens nos collègues, ne trouvez pas mauvais si ce projet s’exécute lentement ; il faut concilier vos vœux avec l’intérêt de la chose publique grandement menacé. Apprenez donc que Port-Ven dres est pris, Collioure est à la veille de se rendre, le fort Saint-Elme est au pouvoir de l’ennemi : on assure que le commandant de ce fort s’est vendu lâchement aux Espagnols. O trahison ! ô per¬ fidie ! ce n’est qu’à vous que nous devons prin¬ cipalement imputer les malheurs qui déchirent la Eépublique dans ces contrées. L’Espagnol pourrait bien ne pas s’en tenir là. Déjà Kicardos parle de passer son quartier d’hiver à Perpignan. Rien n’égale l’audace des Espagnols, enflée par les succès. Nous vous envoyons un courrier extraordinaire; le temps presse. Tous les jours il s’engage ici de nouveaux combats: on ne peut guère délibérer, il faut agir. « Transmettez-nous par un autre courrier extraordinaire, votre dernière volonté; la po¬ sition périlleuse où se trouvent les départe¬ ments du midi va vous dicter sans doute les plus sages mesures. « Mais, citoyens nos collègues, nous vous le disons avec franchise, cette armée est perdue; le@ départements du midi tomberont au pou¬ voir des Espagnols si vous n’envoyez en poste des troupes d’élite, des munitions de guerre de toute espèce. « Nous avons fait périr le tyran, vous ne nous soupçonnerez pas sans doute de concevoir l’infâme projet de seconder les vues des brigands couronnés qui cherchent à venger sa mort et à en exterminer les auteurs... Vite, vite, des renforts à cette armée qid est presque désor¬ ganisée; le général Doppet malade au lit, a remis le commandement au brave général Daoust. Cet intrépide guerrier, la veille de notre horrible défaite, avait repris la fameuse position de Ville-longue; il ramena à Banyuls-les-Aspres 18 gros¬ ses pièces de canon, deux mortiers, un obusier de 12 pouces; il fit prendre à nos soldats vain¬ queurs 4,000 paires de souliers appartenant aux Espagnols. S’il avait eu avant d’effectuer sa retraite les charrettes et chevaux nécessaires, il aurait emmené un plus riche butin. L’expé¬ dition qu’il fit sur VillelongUe n’était qu’un coup de main; il l’entreprit avec 2,000 hom¬ mes; les troupes qu’il choisit dans cette affaire firent des prodiges de valeur, on tua à l’ennemi 500 hommes, on lui fit 38 prison¬ niers, et la retraite s’effectua dans le meilleur ordre. « Nous vous faisons passer les lettres que ce général nous a écrites, vous y verrez tous les détails que nous n’avons pas le temps de vous transmettre. Il est des actions d’éclat à récom¬ penser. Nous vous ferons passer les noms de ceux qui les ont laites; nous sommes sûrs que la patrie sera reconnaissante. « Un arrêté de la Commission des subsistances de Paris ordonne de partager les approvision¬ nements de l’armée des Pyrénées-Orientales avec celle de Toulon. Si cet arrêté pouvait s’exécuter, notre armée qui manque déjà de vivres mourrait absolument de faim; tous les genres de réquisition sont épuisés, comme nous vous l’avons dit plusieurs fois. Il est urgent de prier le ministre de l’intérieur de subvenir aux besoins des départements de notre division ; le manque de subsistances où ils se trouvent semble présager des troubles prochains. De toutes parts nous recevons des réclamations à ce sujet, toutes les autorités constituées nous demandent du pain pour-les habitants et nous ne savons où en prendre pour leur en donner. Jamais situation ne fut plus alarmante; voyez, chers collègues, d’apporter un remède à tant de maux. Nous vous en conjurons au nom de la République pour laquelle nous verserons jusqu’à la dernière goutte de notre sang. « Salut et amitié, « Gaston. « P.-8. Au moment où nous allions cacheter cette dépêche, le chef de l’état-major nous annonce que Collioure est pris. Nous n’avons point de nouvelles de notre collègue Fabre, il y a toute apparence qu’il a été tuéjsur la brèche ( 1 ), sa valeur, son intrépidité dans toutes les attaques qui ont eu lieu à Port-Yen dres et à Collioure nous fait ajouter foi à cette affreuse idée. Vous le savez, citoyens nos collègues, nous ne nous ménageons pas; nous avons en mille occasions exposé notre vie, et si nous en avions mille, nous les sacrifierions toutes pour la Répu¬ blique. « Gaston. « Je décachète le paquet pour vous annoncer que notre grande armée à Banyuls-les-Aspres est complètement battue et en déroute. L’enne¬ mi n’a qu’un pas à faire pour s’emparer de la place de Perpignàn. Cette ville pourrait bien tomber en son pouvoir, et c’est apparemment la dernière lettre que je vous écris. Je vais faire mes efforts pour rallier les troupes découragées et en déroute. Puissent-ils être assez puissants pour sauver la place. « Gaston. » D. Extrait de la lettre écrite aux représentants du peuple par le citoyen Daoust, général divi¬ sionnaire (2). « Villelongue, 29 frimaire, l’an II de la Ré¬ publique française. « Je t’ai déjà instruit de notre victoire, elle est bien glorieuse pour notre droite qui, forte de 200 hommes, sans canon, a pris une batterie de 18 pièces retranchées, défendues par 2,000 (I) Fabre (de l’Hérault) avait, en effet, été tué à l’affaire de G-ollioure. (2) Archives du ministère de la guerre : Armée des Pyrénées-Orientales,