SÉANCE DU 14 FLORÉAL AN II (3 MAI 1794) - Nos 44 ET 45 23 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité des finances, sur le mode d’exécuter les restitutions arrêtées par les corps administratifs envers les citoyens qui ont été trop taxés à la contribution patriotique, ou pour raison de double emploi, qui s’effec-tuoient d’abord par la caisse de l’extraordinaire, et depuis par celle des domaines nationaux; «Décrète que ces restitutions seront faites par la trésorerie nationale sur l’ordonnance des commissaires des revenus nationaux, en suite de l’arrêté des corps administratifs » (1). 44 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BEFFROY, au nom] du Comité des finances, sur la question faite par les corps administratifs, relativement à l’application de l’article V de la loi du 21 mars 1793, portant suppression du droit de patente; » Considérant que le prix d’habitation des boutiques, échoppes ou étaux de marchands, ateliers, hangards, chantiers, magasins, greniers et caves servant de magasins, n’avoit été affranchi de la contribution mobiliaire que parce qu’il étoit représenté par le droit de patente, et que la valeur de ces objets est la seule indicative des revenus d’industrie dont il est question dans l’article V de la loi du 21 mars 1793, portant suppression du droit de patente; » Décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. » Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance » (2) . 45 MERLIN (de Douai) organe du Comité de législation, fait un rapport sur la pétition du Cn PASQUIER : Jean -Baptiste Pasquier, cultivateur à Vente-lay, actuellement détenu en la maison de justice de Châlons, demande [la] cassation d’un jugement du tribunal criminel du département de la Marne. Un innocent condamné à la peine des fers, quoiqu’il n’ait jamais eu l’intention de nuire à autrui, et que dans le fait il n’ait nui à personne, réclame l’appui de la loi et des magistrats. Pourrait-il les invoquer en vain, lorsque le jugement qui le flétrit est rendu sur une procédure irrégulière et qu’il a fait une fausse application de la loi. Faits : Les corps administratifs du département ont fait différentes réquisitions à l’exposant pour conduire des grains tantôt au magasin militaire (1) P.-V., XXXVI, 299. Minute de la main de Befïroy, (C 301, pl. 1069, p. 27). Décret n° 9008. Reproduit dans Mon., XX, 475; C. Eg., n° 624; M.U., XXXIX, 248; Débats, n° 591, p. 173; Feuille Rép., n° 305; J. Matin, n° 682; J. Sablier, n° 1295; J. Mont., n° 172; J. Paris, n° 489; J. Perlet, n° 590. (2) P.-V., XXXVI, 300. Minute de la main de Beffroy (C 301, pl. 1069, p. 28). Décret n° 9017. Reproduit dans Bin, 14 flor. (1er suppl‘) ; Mon., XX, 475; Débats, n° 591, p. 172; M.U., XXXIX, 250; J. Matin, n° 682; Ann. patr., n° 488; J. Paris, n° 489; Feuille Rép., n° 305; J. Sablier, n° 1295; C. Eg., n° 624; Audit, nat., n° 589; J. Perlet, n° 590. de Reims, tantôt au lieu de la ci-devant vicomté. L’exposant a fait tout ce qui dépendait de lui pour remplir les désirs de l’administration et le zèle qu’il y a mis, loin de lui être utile, n’a servi qu’à l’engloutir dans l’abîme où il est plongé. C’est le 6 oct. dernier (vieux style) qu’il lui fut fait une 3e réquisition de fournir du froment le 8 de ce même mois, au lieu de la vicomté. Il fut exact à s’y rendre et à y conduire 3 sacs de froment pesant 77,910 livres. Ce froment fut reçu,, on lui en fournit le bordereau, et quoiqu’il n’ait jamais eu l’intention d’exiger au-delà de ce qui lui était légitimement dû, quoiqu’il ait déclaré à cet égard ses intentions dans l’instant où il ne croyait pas avoir à justifier, le désir mal fondé sans doute d’encourager les autres citoyens à ouvrir leurs greniers et d’obtenir la bienveillance de sa municipalité, le portèrent à faire sur le bordereau un changement peu important en lui-même (1) puisqu’il ne nuisait à personne. Cependant, la malveillance l’a supposé coupable d’une intention criminelle qu’il n’avait pas et qu’il ne pouvait pas avoir. Il a été dénoncé à la municipalité, arrêté arbitrairement, conduit devant le juge de paix, traduit devant le tribunal de police correctionnelle et renvoyé par lui au directeur du juré, accusé, décrété et condamné à la peine de 4 années de fers. Heureusement pour lui, la providence qui prend soin de sa destinée, semble avoir égaré à dessein les officiers publics qui ont voulu le faire trouver coupable, par là même, elle a ménagé à l’exposant les moyens de se justifier. Il n’examinera point dans ce moment s’il existe un délit dans les faits qu’on lui impute, ce sera au nouveau tribunal devant lequel il espère être renvoyé, à juger ce point important; mais il proteste d’avance sur ce qu’il y a de plus sacré qu’il n’eut jamais l’intention de nuire à autrui, qu’il l’a déclaré avant et après l’accusation portée contre lui et qu’il le déclarera tant qu’il aura un souffle de vie. En attendant de pouvoir en convaincre tous les êtres raisonnables qui ne croient au crime que lorsqu’il est constant et qui ne supposent jamais des mauvaises intentions à celui qui n’a point manifesté le dessein, il va démontrer au tribunal de cassation que la procédure instruite contre lui est frappée de plusieurs nullités viscérales qui impriment au jugement dont il s’agit un caractère de réprobation. La lre résulte de la contravention formelle et littérale aux articles 3, 4 et 5 du titre 12 de la loi sur les jurés. L’article 3 porte : l’accusation (en matière de faux) ainsi que l’examen de l’affaire, seront présentés à des jurés spéciaux d’accusation et de jugement. Pour former le juré spécial d’accusation (porte l’art. 4), le procureur syndic, parmi les citoyens elligibles, en choisira 16 ayant les connaissances relatives au genre de délit, sur lesquels il en sera tiré au sort 8 qui composeront le tableau de juré. L’article 5 ajoute : le juré spécial de jugement sera formé par le procureur général syndic lequel à cet effet choisira 26 citoyens ayant les qualités ci-dessus désignées. Ainsi, l’exposant, accusé de faux, devait être entendu et jugé par un juré spécialement com-(1) En marge : changement de trois en quatre. SÉANCE DU 14 FLORÉAL AN II (3 MAI 1794) - Nos 44 ET 45 23 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité des finances, sur le mode d’exécuter les restitutions arrêtées par les corps administratifs envers les citoyens qui ont été trop taxés à la contribution patriotique, ou pour raison de double emploi, qui s’effec-tuoient d’abord par la caisse de l’extraordinaire, et depuis par celle des domaines nationaux; «Décrète que ces restitutions seront faites par la trésorerie nationale sur l’ordonnance des commissaires des revenus nationaux, en suite de l’arrêté des corps administratifs » (1). 44 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BEFFROY, au nom] du Comité des finances, sur la question faite par les corps administratifs, relativement à l’application de l’article V de la loi du 21 mars 1793, portant suppression du droit de patente; » Considérant que le prix d’habitation des boutiques, échoppes ou étaux de marchands, ateliers, hangards, chantiers, magasins, greniers et caves servant de magasins, n’avoit été affranchi de la contribution mobiliaire que parce qu’il étoit représenté par le droit de patente, et que la valeur de ces objets est la seule indicative des revenus d’industrie dont il est question dans l’article V de la loi du 21 mars 1793, portant suppression du droit de patente; » Décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. » Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance » (2) . 45 MERLIN (de Douai) organe du Comité de législation, fait un rapport sur la pétition du Cn PASQUIER : Jean -Baptiste Pasquier, cultivateur à Vente-lay, actuellement détenu en la maison de justice de Châlons, demande [la] cassation d’un jugement du tribunal criminel du département de la Marne. Un innocent condamné à la peine des fers, quoiqu’il n’ait jamais eu l’intention de nuire à autrui, et que dans le fait il n’ait nui à personne, réclame l’appui de la loi et des magistrats. Pourrait-il les invoquer en vain, lorsque le jugement qui le flétrit est rendu sur une procédure irrégulière et qu’il a fait une fausse application de la loi. Faits : Les corps administratifs du département ont fait différentes réquisitions à l’exposant pour conduire des grains tantôt au magasin militaire (1) P.-V., XXXVI, 299. Minute de la main de Befïroy, (C 301, pl. 1069, p. 27). Décret n° 9008. Reproduit dans Mon., XX, 475; C. Eg., n° 624; M.U., XXXIX, 248; Débats, n° 591, p. 173; Feuille Rép., n° 305; J. Matin, n° 682; J. Sablier, n° 1295; J. Mont., n° 172; J. Paris, n° 489; J. Perlet, n° 590. (2) P.-V., XXXVI, 300. Minute de la main de Beffroy (C 301, pl. 1069, p. 28). Décret n° 9017. Reproduit dans Bin, 14 flor. (1er suppl‘) ; Mon., XX, 475; Débats, n° 591, p. 172; M.U., XXXIX, 250; J. Matin, n° 682; Ann. patr., n° 488; J. Paris, n° 489; Feuille Rép., n° 305; J. Sablier, n° 1295; C. Eg., n° 624; Audit, nat., n° 589; J. Perlet, n° 590. de Reims, tantôt au lieu de la ci-devant vicomté. L’exposant a fait tout ce qui dépendait de lui pour remplir les désirs de l’administration et le zèle qu’il y a mis, loin de lui être utile, n’a servi qu’à l’engloutir dans l’abîme où il est plongé. C’est le 6 oct. dernier (vieux style) qu’il lui fut fait une 3e réquisition de fournir du froment le 8 de ce même mois, au lieu de la vicomté. Il fut exact à s’y rendre et à y conduire 3 sacs de froment pesant 77,910 livres. Ce froment fut reçu,, on lui en fournit le bordereau, et quoiqu’il n’ait jamais eu l’intention d’exiger au-delà de ce qui lui était légitimement dû, quoiqu’il ait déclaré à cet égard ses intentions dans l’instant où il ne croyait pas avoir à justifier, le désir mal fondé sans doute d’encourager les autres citoyens à ouvrir leurs greniers et d’obtenir la bienveillance de sa municipalité, le portèrent à faire sur le bordereau un changement peu important en lui-même (1) puisqu’il ne nuisait à personne. Cependant, la malveillance l’a supposé coupable d’une intention criminelle qu’il n’avait pas et qu’il ne pouvait pas avoir. Il a été dénoncé à la municipalité, arrêté arbitrairement, conduit devant le juge de paix, traduit devant le tribunal de police correctionnelle et renvoyé par lui au directeur du juré, accusé, décrété et condamné à la peine de 4 années de fers. Heureusement pour lui, la providence qui prend soin de sa destinée, semble avoir égaré à dessein les officiers publics qui ont voulu le faire trouver coupable, par là même, elle a ménagé à l’exposant les moyens de se justifier. Il n’examinera point dans ce moment s’il existe un délit dans les faits qu’on lui impute, ce sera au nouveau tribunal devant lequel il espère être renvoyé, à juger ce point important; mais il proteste d’avance sur ce qu’il y a de plus sacré qu’il n’eut jamais l’intention de nuire à autrui, qu’il l’a déclaré avant et après l’accusation portée contre lui et qu’il le déclarera tant qu’il aura un souffle de vie. En attendant de pouvoir en convaincre tous les êtres raisonnables qui ne croient au crime que lorsqu’il est constant et qui ne supposent jamais des mauvaises intentions à celui qui n’a point manifesté le dessein, il va démontrer au tribunal de cassation que la procédure instruite contre lui est frappée de plusieurs nullités viscérales qui impriment au jugement dont il s’agit un caractère de réprobation. La lre résulte de la contravention formelle et littérale aux articles 3, 4 et 5 du titre 12 de la loi sur les jurés. L’article 3 porte : l’accusation (en matière de faux) ainsi que l’examen de l’affaire, seront présentés à des jurés spéciaux d’accusation et de jugement. Pour former le juré spécial d’accusation (porte l’art. 4), le procureur syndic, parmi les citoyens elligibles, en choisira 16 ayant les connaissances relatives au genre de délit, sur lesquels il en sera tiré au sort 8 qui composeront le tableau de juré. L’article 5 ajoute : le juré spécial de jugement sera formé par le procureur général syndic lequel à cet effet choisira 26 citoyens ayant les qualités ci-dessus désignées. Ainsi, l’exposant, accusé de faux, devait être entendu et jugé par un juré spécialement com-(1) En marge : changement de trois en quatre. 24 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE posé de jurés ayant les connaissances relatives au genre de délit. Ainsi le voulait la loi. Et qu’a-t-on fait à sa place ? On a par exploit du 14 frimaire signifié et notifié à l’exposant, les noms, qualités et demeures des témoins assignés à la requête de l’accusateur public pour faire devant les jurés de jugement militaire leurs déclarations orales, sur les faits circonstanciés et dépendants à lui imputés. C’est donc devant un juré de jugement militaire que les témoins ont été assignés, c’est devant ce juré qu’ils ont dû comparaître, c’est lui qui a dû recevoir leurs déclarations et qui a entendu l’exposant et décidé le fait dont il était imputé. Mais ce n’était pas un juré de jugement militaire que l’on devait former dans l’affaire dont il s’agit. Le juré militaire n’est destiné que pour les délits militaires et les citoyens qui doivent le composer n’ont pas les connaissances relatives au genre de délit dont était accusé l’exposant et pour lequel il a été si mal à propos puni. Il n’est en effet rien de plus étranger aux jurés militaires que les connaissances que la loi exige dans les jurés qui sont formés pour porter leur jugement sur une accusation de faux contre un laboureur. Et que l’on ne nous dise pas que c’est par erreur que l’on a donné au juré spécial dont il s’agit la dénomination de juré de jugement militaire, mais que dans le fait étant un juré spécial de jugement composé de citoyens ayant les connaissances relatives au crime de faux, car en matière criminelle où il s’agit de l’honneur et de la vie des citoyens, tout doit être de la plus grande rigueur et la moindre violation de la loi doit opérer la nullité de la procédure et du jugement; ce qui est écrit dans les actes de la procédure doit être regardé comme la vérité même et il était permis de dire que c’est par erreur que l’on a donné au juré spécial de jugement le nom de juré spécial militaire, l’exposant pourrait dire avec plus de raison que l’on s’est trompé sur tout le reste et d’erreur en erreur, il faudrait annuler tous les actes de la procédure et le jugement. Cette excuse serait d’ailleurs si peu admissible qu’elle serait parfaitement inutile puis-qu’en l’admettant, il seroit vrai de dire ou que les témoins n’ont pas été assignés devant le juré spécial de jugement qui devait les entendre, ou que l’exposant n’a aucune connaissance légale qu’ils y fussent appelés, et la loi exigeait ces deux formalités de la manière la plus précise. Dans cette supposition même, l’exposant aurait soutenu le débat devant un juré spécial de jugement différent de celui où il avait été averti que les débats auraient lieu, la loi exigeait qu’ils fussent ouverts devant le juré spécial de jugement qui lui aurait été annoncé par l’acte qui lui donnait connaissance du juré devant lequel les témoins qu’on voulait lui imposer devaient faire leurs déclarations orales. En deux mots, la loi voulait impérieusement que le juré de jugement militaire ne pût être formé et ne pût faire sa déclaration que sur les délits militaires et rien n’était plus étranger aux délits militaires que le crime de faux inculpé à l’exposant. Ledit délit dont il était accusé devait donner lieu à la formation d’un juré spécial de jugement composé de citoyens ayant les connaissances relatives au délit imputé et on l’a composé d’un juré militaire qui n’avait pas ces connaissances. On a donc violé un des plus grands principes établis par la loi, celui qui exige avec raison que les jurés qui tiennent dans leurs mains le sort d’un accusé aient les connaissances nécessaires pour connaître la nature du délit, ses circonstances et tout ce qui peut déterminer l’absolution ou la punition de l’accusé. Il est donc impossible que ce moyen n’opère pas la cassation de la déclaration du juré de jugement et le jugement qui en a été la suite. Un second moyen résulte de ce que les 8 citoyens composant le juré spécial de jugement ont prêté serment en présence et sur la réquisition du commissaire du roi. A quelle époque ce prétendu serment a-t-il été requis et prêté ? Le 3e jour du second mois de la seconde année de la République. Ainsi l’on a, au nom d’un roi proscrit et anéanti, exercé la puissance publique. C’est l’organe ou le commissaire de ce roi qui avait cessé d’être qui a exercé des fonctions qui lui étaient interdites par la loi ! Le nom de roi, si odieux aux Français, souille les actes de cette procédure sauvage. Un ci-devant fonctionnaire public supprimé a exercé la fonction la plus importante et le seul officier public, le commissaire national que la loi appelait à cet acte important et hors la présence duquel l’acte ne pouvait être fait, avait disparu pour céder sa place et ses fonctions à un particulier sans caractère et sans mission. Tolérer aujourd’hui l’intervention des ci-devant commissaires du roi dans une procédure criminelle, bientôt on l’admettrait dans toutes, et de cet abus, de cet attentat à la souveraineté nationale, il résulte que l’être moral que la loi écarte de ces sortes de procédures y serait présent, tandis que celui que la loi y appelle en serait exclu. Est-il possible de laisser subsister un pareil désordre et un jugement si terrible lorsque l’un et l’autre reposent sur de pareils actes ? La justice nationale qu’exerce le tribunal de cassation le lui permet-elle ? Non, sans doute. Sa justice, et son attachement aux lois le porteront à prononcer la nullité de cet acte et de tout ce qu’il s’ensuivit et par là il arrachera à l’infâmie et à l’esclavage un cultivateur, père de famille, dont l’innocence sera reconnue, lorsqu’il sera entendu par des jurés ayant les connaissances relatives au délit qui lui est imputé et qu’il sera jugé conformément à la loi (1) . « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [MERLIN (de Douai) au nom de] son Comité de législation, sur la réclamation de Jean-Baptiste Pasquier, cultivateur à Ventelay, contre un jugement du tribunal criminel du département de la Marne du 15 frimaire, confirmé par le tribunal de cassation le 19 nivôse suivant, qui le condamne à quatre années de fers pour crime de faux; » Déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer. » Et néanmoins renvoie la pétition de Jean-Baptiste Pasquier au Comité de sûreté générale, pour prendre des renseignements sur le (1) F7 4431. (Lion, rapporteur du mémoire.) 24 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE posé de jurés ayant les connaissances relatives au genre de délit. Ainsi le voulait la loi. Et qu’a-t-on fait à sa place ? On a par exploit du 14 frimaire signifié et notifié à l’exposant, les noms, qualités et demeures des témoins assignés à la requête de l’accusateur public pour faire devant les jurés de jugement militaire leurs déclarations orales, sur les faits circonstanciés et dépendants à lui imputés. C’est donc devant un juré de jugement militaire que les témoins ont été assignés, c’est devant ce juré qu’ils ont dû comparaître, c’est lui qui a dû recevoir leurs déclarations et qui a entendu l’exposant et décidé le fait dont il était imputé. Mais ce n’était pas un juré de jugement militaire que l’on devait former dans l’affaire dont il s’agit. Le juré militaire n’est destiné que pour les délits militaires et les citoyens qui doivent le composer n’ont pas les connaissances relatives au genre de délit dont était accusé l’exposant et pour lequel il a été si mal à propos puni. Il n’est en effet rien de plus étranger aux jurés militaires que les connaissances que la loi exige dans les jurés qui sont formés pour porter leur jugement sur une accusation de faux contre un laboureur. Et que l’on ne nous dise pas que c’est par erreur que l’on a donné au juré spécial dont il s’agit la dénomination de juré de jugement militaire, mais que dans le fait étant un juré spécial de jugement composé de citoyens ayant les connaissances relatives au crime de faux, car en matière criminelle où il s’agit de l’honneur et de la vie des citoyens, tout doit être de la plus grande rigueur et la moindre violation de la loi doit opérer la nullité de la procédure et du jugement; ce qui est écrit dans les actes de la procédure doit être regardé comme la vérité même et il était permis de dire que c’est par erreur que l’on a donné au juré spécial de jugement le nom de juré spécial militaire, l’exposant pourrait dire avec plus de raison que l’on s’est trompé sur tout le reste et d’erreur en erreur, il faudrait annuler tous les actes de la procédure et le jugement. Cette excuse serait d’ailleurs si peu admissible qu’elle serait parfaitement inutile puis-qu’en l’admettant, il seroit vrai de dire ou que les témoins n’ont pas été assignés devant le juré spécial de jugement qui devait les entendre, ou que l’exposant n’a aucune connaissance légale qu’ils y fussent appelés, et la loi exigeait ces deux formalités de la manière la plus précise. Dans cette supposition même, l’exposant aurait soutenu le débat devant un juré spécial de jugement différent de celui où il avait été averti que les débats auraient lieu, la loi exigeait qu’ils fussent ouverts devant le juré spécial de jugement qui lui aurait été annoncé par l’acte qui lui donnait connaissance du juré devant lequel les témoins qu’on voulait lui imposer devaient faire leurs déclarations orales. En deux mots, la loi voulait impérieusement que le juré de jugement militaire ne pût être formé et ne pût faire sa déclaration que sur les délits militaires et rien n’était plus étranger aux délits militaires que le crime de faux inculpé à l’exposant. Ledit délit dont il était accusé devait donner lieu à la formation d’un juré spécial de jugement composé de citoyens ayant les connaissances relatives au délit imputé et on l’a composé d’un juré militaire qui n’avait pas ces connaissances. On a donc violé un des plus grands principes établis par la loi, celui qui exige avec raison que les jurés qui tiennent dans leurs mains le sort d’un accusé aient les connaissances nécessaires pour connaître la nature du délit, ses circonstances et tout ce qui peut déterminer l’absolution ou la punition de l’accusé. Il est donc impossible que ce moyen n’opère pas la cassation de la déclaration du juré de jugement et le jugement qui en a été la suite. Un second moyen résulte de ce que les 8 citoyens composant le juré spécial de jugement ont prêté serment en présence et sur la réquisition du commissaire du roi. A quelle époque ce prétendu serment a-t-il été requis et prêté ? Le 3e jour du second mois de la seconde année de la République. Ainsi l’on a, au nom d’un roi proscrit et anéanti, exercé la puissance publique. C’est l’organe ou le commissaire de ce roi qui avait cessé d’être qui a exercé des fonctions qui lui étaient interdites par la loi ! Le nom de roi, si odieux aux Français, souille les actes de cette procédure sauvage. Un ci-devant fonctionnaire public supprimé a exercé la fonction la plus importante et le seul officier public, le commissaire national que la loi appelait à cet acte important et hors la présence duquel l’acte ne pouvait être fait, avait disparu pour céder sa place et ses fonctions à un particulier sans caractère et sans mission. Tolérer aujourd’hui l’intervention des ci-devant commissaires du roi dans une procédure criminelle, bientôt on l’admettrait dans toutes, et de cet abus, de cet attentat à la souveraineté nationale, il résulte que l’être moral que la loi écarte de ces sortes de procédures y serait présent, tandis que celui que la loi y appelle en serait exclu. Est-il possible de laisser subsister un pareil désordre et un jugement si terrible lorsque l’un et l’autre reposent sur de pareils actes ? La justice nationale qu’exerce le tribunal de cassation le lui permet-elle ? Non, sans doute. Sa justice, et son attachement aux lois le porteront à prononcer la nullité de cet acte et de tout ce qu’il s’ensuivit et par là il arrachera à l’infâmie et à l’esclavage un cultivateur, père de famille, dont l’innocence sera reconnue, lorsqu’il sera entendu par des jurés ayant les connaissances relatives au délit qui lui est imputé et qu’il sera jugé conformément à la loi (1) . « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [MERLIN (de Douai) au nom de] son Comité de législation, sur la réclamation de Jean-Baptiste Pasquier, cultivateur à Ventelay, contre un jugement du tribunal criminel du département de la Marne du 15 frimaire, confirmé par le tribunal de cassation le 19 nivôse suivant, qui le condamne à quatre années de fers pour crime de faux; » Déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer. » Et néanmoins renvoie la pétition de Jean-Baptiste Pasquier au Comité de sûreté générale, pour prendre des renseignements sur le (1) F7 4431. (Lion, rapporteur du mémoire.)