[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 janvier 1790.] 221 l’on suppose qu’il prononça le mot feu , il passait par dessus la balustrade et se soustrayait à de nouveaux outrages. Et voilà cependant, Messieurs, ce qui résulte des faits, en plaçant M. de Broves dans l’hypothèse la plus favorable à ses accusateurs; hypothèse nullement prouvée, que je n’ai que surabondamment accordée pour un moment, et que je me hâte de quitter pour ne pas diminuer gratuitement les avantages de sa position judiciaire. Enfin, M. Ricard lui-mème, dont on n’accusera point la partialité, convient que M. de Broves n’est pas coupable. Il n’y a de coupables, suivaut lui, que M. d’Albert et M. Uric. Le premier l’est du complot en général; le second, de l’arrêté des bas-officiers canonniers. 11 n’est donc point établi que M. de Broves ait ordonné de faire feu. Le détachement est paisiblement dans sa caserne, et il n’v a, sur ce fait, aucun lieu à inculpation contre lès officiers de la marine : et remarquez , Messieurs, que dans cette cause, où l’on a si soigneusement cherché des coupables, je n’ai environné l’innocence d’aucun des moyens de forme que m’auraient fourni l’époque ües dépositions, la nature des dépositions, les personnes qui les ont faites, et celles qui les ont reçues. Je conclus, relativement à M. d’Albert et aux officiers de la marine, qu’il n’y a lieu à aucune inculpation légale. Examinons maintenant quelle a été la conduite de la municipalité de Toulon et des volontaires nationaux. Je n’entrerai pas dans de longs détails. Autant j’ai cru devoir mettre de soin à défendre l’innocence opprimée, autant j’éprouve de peine à rappeler des erreurs et des imprudences, et je crois être modéré en me bornant à ces expressions. Je ne dirai rien des volontaires : ce corps a constamment bien mérité de la patrie, il a montré du courage et du zèle. Mais on a égaré le patriotisme de plusieurs individus; je n’accuse pas un corps des torts des particuliers et du malheur des circonstances. Je ne ferai de même aucun reproche aux officiers municipaux; j’ai reconnu dans leur conduite un constant amour de la paix, un désir vrai et des efforts suivis, mais impuissants pour la rétablir; je ne m’arrête qu’à un seul fait, et je ne m’y 'arrête que parce qu’il intéresse l’ordre public, et je ne vous présente à ce sujet qu’une simple réflexion. La municipalité a refusé d’exécuter l’ordre d’élargissement envoyé par un ministre responsable. Je rappelle d’abord et surabondamment, que le ministre n’ordonnait que l’exécution de vos précédents décrets, qu’il les invoquait dans sa lettre, que ses principes étaient tellement les vôtres que, par un décret du 24 août, vous avez autorisé votre président à manifester le vœu de l’Assemblée nationale, pour que toute personne arrêtée, sans être prévenue et sans avoir été décrétée, soit mise en liberté. J’ajouterai, Messieurs, que s’il arrive encore une fois que la municipalité nu un corps administratif quelconque se refuse impunément à l’exécution d’un ordre donné par un ministre responsable, tous les principes sont confondus, et vous n’aurez bientôt plus de pouvoir exécutif. Vous êtes appelés à régénérer la France, et non pas à la gouverner. Il faut que vos décisions parviennent dans les provinces par les agents responsables de leur exécution; il n’y a plus ni res-mnsabilité, ni ordre, si le Roi, pour être obéi, a aesoin qu’on vienne vous demander si ce sont véritablement vos décrets qu’il exécute. Cette question est dans l’ordre de la responsabilité; elle peut être faite après que l’on a obéi, mais il faut d’abord obéir. On ne me dira pas sans doute que les circonstances sont tellement impérieuses et difficiles que l’amour d’une liberté que tant d’ennemis menacent, que tant d’intérêts combattent, est tellement une loi suprême, que l’Assemblée nationale ne peut ni ne doit accorder au pouvoir exécutif une influence absolue, même sur les objets qui semblent être exclusivement de son ressort. Je crois, Messieurs, qu’il est temps d’attaquer de front ees défiances exagérées, et d’articuler un principe qui ne peut être contredit que par d’aveugles préjugés ou par les ennemis de l’Etat. Une nation, dans l’état d’insurrection, dans cet état terrible et respectable où elle use du droit naturel de résister à l’oppression, forcée de ne voir que des ennemis et des usurpateurs dans les dépositaires infidèles de l’autorité, renverse toutes les barrières et reprend momentanément tous les pouvoirs ; mais si une première nécessité lui a fait une loi de cette conduite, bientôt une nécessité non moins pressante l’oblige à changer de marche; et si la nation ne veut pas être détruite par une cruelle anarchie, si elle ne veut pas périr dans les convulsions de l’agonie, de la désorganisation politique, elle doit recréer tous les pouvoirs, les replacer dans les limites de la loi, et leur rendre l’énergie sans laquelle ils ne sont que des puissances ennemies ou des rouages inutiles et embarrassants dans la machine politique. Je me résume. Il n’y a pas lieu à délibérer sur les événements passés à Toulon dans la première époque, puisqu’il n’y a eu ni délit ni accusation. Il n’y a pas lieu à inculpation contre M. d’Albert, ni contre les officiers de la marine, au sujet des événements postérieurs, puisqu’il n’y a ni corps de délit, ni accusation motivée. Il y aurait lieu à ordonner une information sur les troubles survenus à Toulon, puisque les dépositions existantes ne donnent pas des lumières complètes, et cette information devrait être renvoyée par devant les juges ordinaires. Je pense cependant que, quels que soient les avantages d’une information, il est de la sagesse de l’Assemblée de ne point l’ordonner, d’accorder à l’amour de la paix, au désir du calme, cette marque de son indulgence. Mais ce que l’Assemblée ne peut pas ajourner c’est la satisfaction due à l’innocence inculpée. Je ne vous rappellerai pas les nombreux outrages qui ont été faits à M. d’Albert : je ne vous peindrai pas le moment où son malheureux père, âgé de plus de quatre-vingts ans, entendit de la bouche d’un homme de Toulon, ces paroles vraiment atroces : Vieillard, tu es bien vieux, mais ton fils est encore plus vieux que toi. Je ne veux pas vous émouvoir; la pitié n’est pas un sentiment que puisse vouloir exciter l’homme qui a seryi pendant plus de quarante ans et sa patrie et son Roi ; je ne parle qu’à votre justice, et je lui propose avec confiance le décret qu’a proposé M. de Champagny. On ferme la discussion. Quinze projets de décrets sont présentés. La priorité est réclamée pour celui de M. de Champagny. M. Charles de Lameth. 11 paraîtrait inconcevable, quand il s’agit, d’une part, de la liberté publique ; de l’autre, de cent quatre-vingts témoins qui déposent d’attentats commis contre cette liberté, que la priorité fût accordée à un 222 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIR ES [16 janvier 1790. décret où il ne s’agit Di du peuple de Toulon, ni des magistrats représentants du peuple. La priorité est refusée au décret de M. de Champagny. Elle est accordée à l’un des décrets nouvellement proposés. Il est conçu en ces termes : « L’Assemblée nationale, présumant favorablement des motifs qui ont animé M. d’Albert, les autres officiers de marine impliqués dans cette affaire, la garde nationale et les officiers municipaux de la ville de Toulon, déclare qu’il D.’y a lieu à aucune inculpation. » M. le marquis de Blacons demande qu’on mette le mot jugeant, au lieu du mot présumant. ' M. Guillaume veut que ce même mot soit remplacé par celui-ci, convaincue, et qu’on ajoute à la fin du décret l’expression respective. M. Charles de Lameth. L’intention de l’Assemblée est sans doute d’approuver la conduite des officiers municipaux de la ville de Toulon, mais aussi de saisir l’occasion de témoigner à M. d'Albert et aux autres officiers de la marine sa satisfaction de leurs services militaires. M. Malouet. J’observe que l’esprit du décret auquel on a accordé la priorité est de n’inculper personne et de ne pas donner de suite à cette affaire. Je propose, en me conformant à cet esprit, un amendement qui, suivant moi, ne peut être rejeté, puisqu'il a pour objet d’appliquer la déclaration des droits. Il consiste à dire que l’Assemblée improuve les excès commis envers le commandant et les officiers de la marine de Toulon. M. Glezen. II y a une légère inexactitude dans le décret proposé. Tout le monde doit être convaincu de la sagesse de la conduite des officiers municipaux dé Toulon. L’Assemblée ne peut donc manquer de leur témoigner sa satisfaction. Dans cette vue, je crois qu’il faut rédiger le décret ainsi qu’il suit, avec un léger changement : L’Assemblée nationale, présumant favorablement des motifs qui ont animé M. d’Albert, les autres officiers de marine et la garde nationale, et applaudissant au zèle des officiers municipaux, déclare, etc. » M. l’abbé de Bonneval insiste sur la nécessité de substituer le mot convaincue à celui d présumant; il demande que tous les officiere soient nominativement indiqués dans le décret, avec une mention honorable de leurs services. On ferme toute discussion de proposition d’a mendement. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur tous les amendements ; elle adopte le décret tel qu’il était rédigé lorsqu’il a obtenu la priorité. M. le Président ayant annoncé que les membres de l’ancienne chambre des vacations du parlement de Rennes étaient prêts à comparaître a la barre, conformément aux ordres de l’Assemblée, et l’Assemblée ayant désiré qu’ils fussent admis, ils ont été introduits, et M. le Président leur a dit : « L’Assemblée nationale a pris, le 11 de ce mois, un décret dont je vais vous faire lecture. » M. lè Président a lu le décret, et les membres de l’ancienne chambre des vacations du parlement de Rennes se sont retirés. M. le Président a invité les membres de l’Assemblée à se retirer dans les bureaux pour y nommer un président et trois secrétaires, et il à levé ensuite la séance. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DÉMEUNIER, EX-PRÉSIDENT. Séance du samedi 16 janvier 1790, au soir (1). M. Démeunier, ex-président, occupe le fau-teil et annonce que la santé de M. l’abbé deMon-tesquiou ne lui permet pas de tenir la séance. M. le Président fait part du don patriotique de 48 marcs 12 onces d’argenterie offerts par l’abbesse et les religieuses d’Origny-Saint-Benoît. M. 1 floudet, député du bailliage de Meaux, dit qu’il a été chargé d’offrir, et qu’il offrait à la caisse patriotique une somme de 800 livres, à lui adressée, savoir 578 livres par la communauté des marchands drapiers, épiciers et merciers de la ville de Meaux ; 1 50 livres par la communauté des limonadiers, cabaretiers, cafetiers et aubergistes ; 24 livres par la communauté des marchands chapeliers, pelletiers et foureurs ; et 48 livres par la communauté des marchands bouchers et charcutiers; Qu’il est aussi chargé par MM. les chanoines réguliers de Notre-Dame de Châge de la ville de Meaux, et par MM. les marguilliers fabriciens de ladite église d’offrir, et qu’il offrait à la patrie vingt -deux marcs six onces d’argent en effets mobiliers, qu’il remettait à M. le trésorier. Qu’enfin, une très grande partie des habitants de la même ville de Meaux, s’estimant heureux de pouvoir donner quelques preuves de leur amour pour la patrie, l’avaient chargé d’offrir 25 marcs 6 onces d’argent, provenant de leurs boucles et de quelques autres effets que leur zèle les avait portés à rassembler. Le même député a dit qu’il laissait sur le bureau une délibération des habitants de Mareuil-lès-Meaux, du 31 décembre dernier, par laquelle ils déclaraient faire don à la patrie de la somme qui pourrait leur revenir dans l’imposition des ci-devant privilégiés pour les six derniers mois de 1789. Enfin, le même député a remis sur le bureau une autre délibération des habitants de Neuf-Moutiers, près de Meaux, du 3 de ce mois, par laquelle ils font la même déclaration. M. le comte de Chastenayde Lanty, dépu de la Montagne, demande la permission de s’ab _ senter pendant quelques jours pour des affaires' urgentes et indispensables. Cette permission est accordée. M. le Président. J’ai reçu de M. le garde des sceaux un mémoire dont je* donne lecture : (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.