85 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 janvier 1791.) M. de Follevi Ile le désire, le méditer, elle exprimera son sentiment. (On demande la lecture du rapport.) M-Rœderer, rapporteur (1). Messieurs, le comité de l’imposition vous apporte le projet du droit du timbre qui, joint à la partie très réduite des droits d’entrée des villes dont il croit la conservation inévitable, doit complet' r le svs-tème de contribution nécessaire pour l’année où nous entrons. Le droit de timbre a été en quelque sorte demandé par l’opinion publique, nui a toujours peine à se dé larer pour un impôt ; cependant la faveur accordée à celui-ci n’a pas levé les difficultés de sm opération. On s’accorde également à demander un droit de timbre; mais on attache des idées fort différentes à ce droit. Les uns entendent qu’il embrassera telles parties, et d’autres qu’il les laissera à l’écart. Les uns le veulent fixe, les autres le veulent graduel suivant les actes; les uns en espèrent 15 millions, les autres 50, 60, 80 millions. Plusieurs s’attendent au timbre des Anglais, plusieurs aussi au timbre des Hollandais, d’autres au timbre proposé aux notables et accepté par eux en 1787. Il est peut-être aus�i, dans le public, des personnes qui se passionnent nour ce genre d’impôt, sans en avoir aucune idée; uniquement parce qu’il remplacera ce qu’ils connaissent trop bien et dont ils croient que li rigueur ne peut être surpassée par aucune autre, uniquement pour changer d’impôt, comme on peut croire qu’on trouve quelquefois du délassement à changer de travaux. L’accord général en faveur du droit de timbre repose donc sur le mode de sa perception, qui parait généralement susceptible de dooceur et d’écnomie compatible avec les principes de la Constitution. L’opinion publique ne nous a donc donné de sécurité que sur la possibilité de bien faire: elle vous a laissé, Messieurs, le choix des moyens. Pour juger le plan que nous vous présentons, il faut d’abord que vous vouliez bien fixer votre attention sur la nature du droit de timbre, et sur les effets qu’il peut produire. Lfi timbre dans lui-même n’est pas, corn e on le croit assez ordinairement un impôt, particulier; c’est seulement une manière de percevoir plusieurs impôts d’une nature différente; elle produit donc des effets divers, suivant les objets auxquels elle s’applique. Le timbre peut être un impôt direct sur les propriétés foncières, sur les propriétés mobilières, ou sur les salaires publics, ou sur les consommations : il peut être l’un et l’autre, il peut être la réunion de tous. En Angleterre il est la réunion de tous : les Anglais ne connaissent point de droit d’enregistrement pour les conventions; ils lèvent un droit de timbre sur le papier destiné aux actes de cette nature. Il est fixe à un certain taux, et au-dessous il varie, non suivant la nature de l’objet, mais suivant la nature de l’acte. Cette première partie d’impôt frappe sur toute espèce de propriété foncière et mobilière ; la seconde partie du même impôt, en Angleterre, se réduit à un droit de levée sur les patentes expédiées pour certaines occasions par la couronne, et sur certains actes judiciaires. On timbre aussi des permissions nécessaires pour l’exercice de certaines facultés ou professions. On vend ces permissions un prix (1) Nous empruntons ce document au Journal logo-graphique, tome XIX, page 405. déterminé. On paye un droit de timbre pour la permission de chasser, de vendre de-5 liqueurs, du vin, de la bière, et cela indépendamment des droits établis sur la fabrication de ces différentes boissons; car on fabrique jusiu’au vin, et le gouvernement retire de cette fabrication malfaisante environ 3 millions, qu’il trouverait aisément sur l’entrée des vins français, s’il laissait les droits auxquels ils sont soumis. Enfin, en Angleterre on timbre les cartes, les dés, les gants, les chapeaux, les gazettes, les pamphlets. Eu Hollande ce droit n’est pas poussé si Imn, même sur les propriétés : on y perçoit un droit s ir les successions, qui n’a rien de commun avec le timbre, à peu près dans la même forme que le droit sur l<*s succesHons chez les Romains. Il y a un autre dr it sur toutes les ve tes et obligations, semblable à notre droit d’enr gistrement, si ce n’est qo’il ne hausse pas comme le nôtre, à proportion de la valeur de l’objet. Point de droit do timbre sur les actes judiciaires, mais il y en a sur les testaments, qui doivent être écrits sur le papier timbré, dont le prix est proportionné à la valeur de l’objet légué. D’après cet exposé, vous voyez déjà par les dispositions de vos décrets sur les droits d’enregistrement, que vous avez fait beaucoup mieux nue nus voi-ins. En effet, en assujettissant au droit d’enregistrement les actes judiciaires et tous les actes civils passés en forme authentique, vous avez rendu à la fois ce droit et plus ju te pour les redevables, et plus profitable pour lu Trésor public; car nous croyons bien qu’on entendra, par droit de timbre, le droit d’enregistrement que vous avez décrété. Ce droit a cela d’avantageux, que la perception en est économique, sans vexation, le produit assuré et hors de toute atteinte. Il est vrai que, d’un autre côté, il a di s inconvénients, les voici : il attaque les propriétés d’une manière très inégale, puisque la fréquence des mutations est très différente et très accidentelle. De plus, il embarrasse la vente des propriétés, par conséquent la division, qu’il est si important de favoriser. 11 détruit les capitaux, et par là les moyens de reproductions et de richesses nationales. Il est donc essentiel de laisser ce droit au point où l’Assemblée nationale a cru nécessaire de s’arrêter. On nous permettra de redresser un compte. En Angleterre, nous a-t-on dit, le timbre produit 30 à 40 millions, pourquoi borner votre droit à 27? Vous en pouvez retirer 50 ou 60. Les Anglais ont mis sous un même nom deux impô s que nous établissons sous deux dénominations et deux formes différentes. Séparez de leur droit de timbre ce que nous appelons droit d’enregistrement, leur timbre au lieu d’être porté à 30 ou 40 millions, se réduira à 15, et le nôtre sera du double ; ou bien ajoutez 27 ou 30 millions résultant de notre timbre, 20 ou 40 millions résultant du droit d’enregistrement, vous aurez 67 à 70 millions. Notre rapport se borne à ce qui regarde les actes civils authentiques judiciaires, les actes sous seing privé, les effets de commerce. La première question qui s’est présentée à nous est relative au timbre des actes sous seing privé : Les droits seront-ils proportionnés aux sommes, ou seront-ils uniques et uniformes? Le droit progressif pour les ac;es sous seing privé nous a paru une inju-tice, parce qu’en général il n'est pas, comme le droit d’enregistrement, le prix d’un salaire public; et que d’ailleurs le droit du timbre progressif sur les actes privés est déjà 86 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [8 janvier 1791.] assuré par la loi même de l’enregistrement qui les soumet au droit progressif dans tous les cas cù il faudrait les traduire en justice. Nous avons pensé que le moyen d’éviter la fraude était la modiciîé du droit sur ces sortes d’actes. D’ailleurs la manutention et les frais de perception augmenteraient singulièrement si on était obligé d’augmenter les timbres suivant la très grande diversûé des actes. En effet, pour assurer la perception du timbre, il faudrait obliger, non pas à faire timbrer tous les actes, mais à écrire tous les actes sur du papier timbré antérieurement; ce qui est ridicule. Une dernière raison nous a décidé pour le timbre unique et uniforme pour les actes sous seing privé, c’est que s'il est quelquefois difticile aux ofticiers publics de classer ces différentes espèces d’actes pour y appliquer les différentes espèces de droit, cette opération doit être impossible à la plupart des citoyens : ce serait donc placer sous leurs pas un piège inévitable. Les lettres de change et quittances des comptables sont assujetties à un droit progressif, mais modique, dont le maximum est de 20 sous. Les droits de lettres de change doivent être considérés comme des frais de commerce autres que ceux à la charge du consommateur. Quant aux droits sur les quittances des rentes, nous avons pensé qu’ils nous fourniraient, à l’égard des comptables, un m< yen de récupérer ce qu’ils payaient à l’Etat par la gabelle. Nous avons cru devoir mettre une différence de droit de timbre imposé sur les minutes des actes publics et judiciaires, ainsi que des actes privés. Nous avons proposé un timbre particulier sur les expéditions, et nous croyons convenable de vendre un papier plus cher que l’autre. Sous l’ancien système, le droit sur les expéditions était plus fort que celui sur les minutes ; ainsi nous ne changeons rien à cet égard, si ce n’est en bien. A la vérité, on fournissait du parchemin pour les expéditions; mais le parchemin, dont le prix est tout au plus quadruple de celui du papier, se vendait vingt fois plus cher. Le parchemin n’était donc qu’un motif de perception plus forte, et au fond il serait difficile d’y voir autre chose. Convaincus que, quand les représentants du peuple votent des impositions, il leur siérait mal de déguiser un impôt sous des prétextes hyjo-crites, comme l’ancien gouvernement quand il dérobait des tributs au peuple, nous vous proposons de supprimer l’usage forcé du parchemin, de mettre à découvert la volonté do rendre pio-ductive la partie des expéditions en doublant le prix du papier qui y sera employé. En Angleterre on écrit sur papier timbré les factures, lettres de voiture, mémoires d’ouvrier. Nous avons cru devoir laisser la liberté sur cet objet, et ne soumettre tes actes au timbre que dans le cas où il faudrait les produire en justice. Deux considérations nous ont déterminé à ce parti. D’abord l’impossibilité de constater les contraventions à l’obligation d’écrire de semblables actes; 2° c’est que le négociant en détail sera plus chargé que le négociant en gros, parce qu’un petit négoce exige pi s de factures, plus de mémoires, etc., qu’un gros négoce. En cela nous avons eu en vue riniérêt du consommateur, surtout du pauvre, qui se confond avec celui du détaillant, car ce n’est que par ta concurrence des détaillants que les denrées se soutiennent à bas prix. Ceci exposé, voici les moyens principaux que mous avons cru devoir adopter pour faire réussir motre plan. C'est dans Je choix de ces moyens que nous avons trouvé plus de difficulté. Assurer la perception sans blesser la propriété ou la liberté, c’est faire un projet plus embarrassant qu’on ne croit au premier coup d’œil. Le projet de timbre proposé aux notables nous offrait la ressource de prononcer la nullité des actes écrits en contravention avec les droiis du timbre , comme le seul moyen d’en assurer la perception. Ds gens du métier, des percepteurs nous ont entretenu dans cette idée. Nous avons résisté, persuadés qu’il n’était pas dans la puissance des lois d’établir la peine de nullité pour des formalités purement fiscales. Nous avons pensé que cette nullité ne dégageant pas les consciences, l’honnête homme ne s’en prévaudrait jamais et quelle serait une arme meurtrière entre les mains des fripons. Il est une providence qui vient à l’appui des bons principes ; les moyens d’exécution ne leur manquent jamais, si l’on est constant dans la recherche des moyens. Il s’en est présenté à nous d’efficaces que nous développerons dans le cours delà discussion, s’il est nécessaire, Quant à présent nous nous contenterons de présenter les précautions que nous avons renfermées dans l’article concernant les lettres de change. Elles sont de nature à préserver votre code de la souillure de porter une peine contraire à toute morale et à toute justice. Nous vous proposons de constituer tout porteur de lettre de ctiaoge en blanc dans l’obligation delà faire timbrer avant de l’endosser, sous peine d’une amende. Le résultat de ce moyen fort simple sera certainement de prévenir la fraude, car il n’y aura pas de tireur qui ne craigne qu’il ne se présente au moins un endosseur qui veuille encourir les risques de l’amende; et cette crainte déterminera les tireurs à se servir du papier prescrit. Notre projet impose quelques assujettissements, mais ils sont inévitables, comme il paraîtra dans la discussion. D’ailleurs ils paraîtront tiès supporiables aux bons citoyens lorsqu’ils considéreront que l’impôt du timbre remplace eu partie les aides et la gabelle. En conséquence , nous avons l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant : PROJET DE DÉCRET. Première partie. Art. 1er. A compter du 1er avril, prochain, la formule sera abolie, les timbres maintenant en usage seront supprimés, les papiers ou parchemins qui s’en trouveraient marqués De pourront être employés qu’après avoir été contre-timbrés du timbre qui sera ci-après établi, et il sera libre à tout particulier qui s’en trouverait pourvu, de les rapporter dans trois mois, à compter du jour de la publication du présent décret, à la régie, qui lui en rendra le prix. Art 2. A compter de la même époque, et dans toute l’étendue du royaume, la régie de la formalité de l’enregistrement fournira exclusivement, et au profit du Trésor public, pour tous les actes qui seront ci-après indiqués, des papiers marqués de nouveaux timbres, et dont les prix seront déterminés par le tarif annexé au présent décret. Art. 3. Seront écrites sur papier timbré : 1° Toutes les minutes et les expéditions d’actes qui, soit eu minute, soit en expédition, dans tous les cas, ou dans quelques cas seulement,