700 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 juillet 1790.] ment de la Charente-Inférieure dénoncent à l’Assemblée nationale des violences dont ils ont été menacés vers la fin de leur mission. Cette adresse est renvoyée au comité des rapports. En voici un extrait : « Les commissaires du roi du département de la Charente-Inférieure n’avaient éprouvé aucune défaveur; ils croyaient avoir atteint la fin de leurs travaux, puisque l’Assemblée doit clore demain ses séances, lorsqu’un événement dont les suites pourraient devenir fâcheuses, a troublé leurs opérations. Les commissaires du roi s’étaient partagé leursdistricts pour accélérer leur formation ;M. Go-Î[ué, l’un d’eux, était chargé de celui de Saint-ean-d’Angély ; il a cherché à se concerter avec les électeurs de ce district, pour fixer le jour auquel il conviendra de se réunir dans le chef-lieu. Un très grand nombre lui demandèrent le dimanche 4 juillet; il se prêta d’autant plus volontiers à cet arrangement, qu’il était convenu avec M. Valentin que le mardi 6, on procéderait à la nomination des officiers municipaux, ainsi qu’il est ordonné par l’Assemblée nationale. Mais M. Valentin , à qui cette disposition sans doute ne convenait pas, et qui voulait faire organiser la municipalité avant le district, voulut ensuite, par de sollicitations, et bientôt par des menaces, le déterminer à changer le jour marqué. Comme M. Goqué fut inébranlable, une trentaine de volontaires de Saint-Jean-d’Angély, qui se trouvaient ici, imaginèrent sans doute qu’on lui en imposerait. Ils s’oublièrent jusqu’à le menacer de le massacrer, lui et les électeurs, s’ils se présentaient au jour indiqué. Si les circonstances l’exigent, les commisssaires prendront les ordres de l’Assemblée nationale. » M. lie Pelletier, président , annonce que le résultat du second tour de scrutin élèveM. de Bonnay à la présidence : les voix se sont réparties de la manière suivante : M. de Bonnay ............... 307 M. de Menou ................ 101 M. de La Rochefoucauld ..... 82 M. de Gazalès ............... 47 M. lie Pelletier, avant de quitter le fauteuil, dit : « Messieurs, « Lorsque j’ai accepté le pénible honneur auquel m’ont appelé vos suffrages, pénétré de mon insuffisance, je n’ai pu que vous offrir l’hommage de mon zèle et de mon dévouement à vos ordres. « Aujourd’hui, je dois vous exprimer un nouveau sentiment : vos bontés ont accueilli mes efforts; et ce qui me manquait, j’ose le dire, vous avez daigné , Messieurs, y suppléer par votre indulgence. « Une époque à jamais célèbre dans les annales de la liberté appelle toute la France à la plus touchante cérémonie : en vain quelque nuages rassemblés et grossis par des souffles malfaisants obscurcissent au loin l’horizon de cette fête civique... Non, ils ne se formeront point en orage, et les premiers rayons de ce beau jour les disperseront aisément. « Dans un moment où la nation et le roi resserreront encore le lien qui les unit, où les souvenirs les plus amers vont se perdre dans le bonheur d’une allégresse fraternelle ; dans un moment enfin, où il n’y aura plus qu’un parti, vous avez voulu, Messieurs, qu’on revît à votre tête un de nos collègues qui toujours a su tempérer ce que chaque parti pouvait avoir d’extrême et d’exagéré : constamment distingué par un esprit de maturité, de sagesse et de conciliation, il vous a paru digne de cette place et de cette circonstance; et, sous tous les rapports, il devait vous inspirer le désir de mettre à cette seconde épreuve des talents si avantageusement connus par un premier succès. » M. de Bonnay prend place au fauteuil et s’exprime en ces termes : « Messieurs, « La nouvelle marque de confiance dont vous m’honorez ne m’inspirera point une présomption déplacée; et l’éclat de la circonstance, en ajoutant à ma reconnaissance pour vos bontés, ne m’aveuglera point sur vos véritables motifs. « J’ai peut-être eu le bonheur de vous donner quelques preuves de zèle ; et vous avez voulu les récompenser. « Je vous ai montré une exactitude rigide à faire observer les lois de votre police intérieure ; et vous avez senti qu’au moment où vous alliez paraître, j’oserai dire aux yeux de la France entière, il était plus nécessaire que jamais de respecter avec scrupule des règlements que vous avez faits, et que vous ne pouvez enfreindre qu’au détriment de vos travaux et de votre gloire. « Enfin, Messieurs, vous avez peut-être espéré que parmi les fautes que vous aurez encore à me pardonner, je pourrais, à l’aide de mon premier essai, éviter au moins celles de l’inexpérience. « Tels sont les titres sans doute auxquels je dois vos suffrages; mais si l’honneur que j’ai déjà eu de les obtenir, si l’indulgence que vous avez alors daigné m’accorder me donnent aujourd’hui le droit de vous parler avec quelque franchise, j’oserai vous dire, Messieurs, que jamais l’Assemblée nationale n’est si auguste, qu’elle n’obtient jamais mieux le respect et la confiance, que, lorsqu’attentive et recueillie, elle écoute froidement les discussions, permet les opinions les plus opposées, et que du sein d’une délibération réfléchie, elle fait sortir ces décrets dont la sagesse persuade tous les esprits. « Qu’il me soit permis, Messieurs, de vous inviter, au nom du bien public qui souffre de nos moindres fautes, de nos moindres pertes de temps, au nom de la nation qui attend de vous son bonheur, au nom de la liberté que vous êtes venus établir, de vous inviter, dis-je, à l’ordre et à la paix . « Les circonstances exigent impérieusement le sacrifice de toutes les rivalités, et la réunion de tous les bons esprits. Il est temps, il est nécessaire que tous les membres de l’Assemblée se rapprochent, qu’ils marchent tous au même but; et ce but doit être le bien général. « J’y concourrai moi-même, Messieurs, en m’efforçant constamment de diriger vers lui la marche de vos délibérations. Je serai secondé par vous; et cette pensée peut seule me donner la confiance que j’ai besoin pour parcourir de nouveau une carrière difficile. Mais si, dans quelques moments orageux, le choc des passions se faisait encore entendre, s’il allait jusqu’à troubler l’ordre que vous désirez tous, et que vous m’ordonnez de maintenir, si des volontés du moment et passagères s’opposaient à l’exécution de vos volontés réfléchies et constantes, alors, Messieurs, fort de vos propres lois, fort de ma conscience et des intentions que je vous connais, je saurais en appeler de l’Assemblée nationale à elle-même, et [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [J> juillet 1790.] 7Q1 je ne craindrais point d'encourir sa défaveur d’un moment pour mériter à jamais son estime. » (Ges deux discours sont fort applaudis.) L’Assemblée vote des remerciements unanimes à M. Le Pelletier pour sa présidence. M. le Président. Le premier objet à l’ordre du jour est la discusssion du nouveau projet du comité de Constitution sur l’ordre judiciaire (1). M. Thouret, rapporteur. Messieurs, l’ordre judiciaire était si dénaturé en France que le comité a cru devoir faire précéder son travail d’un titre qui pût convenir à tous les tribunaux, à tous les juges. C’est ainsi que vous avez placé en tête de la Constitution la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Je vais vous donner lecture de l’article 1er. TITRE PREMIER. Des juges en général. Art. 1er. La justice sera rendue au nom du roi. M. Pétion. Il n’est pas dans les principes de dire que la justice est rendue au noin du roi ; c’est au nom de la société entière, et même sous l’ancien régime, le nom du roi n’intervenait que lorsqu’il s’agissait de rendre les jugements exécutoires. M. Fréteau. Votre sagesse a prévenu les inconvénients de cette expression trop vague. D’après les décrets rendus, il ne reste aucun doute sur son véritable sens; vous avez statué que ni l’Assemblée nationale, ni le roi ne pourraient rendre aucun jugement. H y a une seconde maxime; c’est qu’il n’existera plus déjugés seigneuriaux : d’après cette explication, il ne reste plus de difficulté, et je demande qu’on aille aux Yoix. M. Chahroud. Je demande au rapporteur : 1° si, en conséquence de cette disposition, les jugements seront intitulés, comme ci-devant, au nom du roi; 2° si, à côté de chaque tribunal, il y aura comme ci-devant, une chancellerie, dont l’inutilité me paraît démontrée ; 3° si, en conservant le principe, on ne pourrait pas inscrire en tête des jugements les noms des juges qui les auraient rendus? M. Thouret. Le comité s’est borné, à cet égard, à transcrire les dispositions déjà décrétées par l’Assemblée. M. Dufraisse-Duchey. Je ne connais pas de monarchie dans laquelle la justice ne soit pas rendue au nom du roi. (L’article 1er est adopté sans changement.) M. Thouret, rapporteur. Vous avez déjà adopté les articles 2, 3 et 4. J’en donne lecture: « Art. 2. La vénalité des offices de judicature est abolie; les juges rendront gratuitement la justice, et seront salariés par l’Etat. « Art. 3. Les juges seront élus par les justiciables. (1) Voyez le texte de caprojet inséré dans le tome X des Archives parlementaires, page 735. « Art. 4. Ils seront élus pour six années : à l’expiration de ce terme, il sera procédé à une élection nouvelle dans laquelle les mêmes juges pourront être réélus. » (Ces articles sont décrétés de nouveau sans discussion). M. Thouret, rapporteur. L’article 5 contient une disposition nouvelle, mais qui est une conséquence des articles précédents. Le comité a pensé que, puisque le peuple nommait ses juges, il convenait qu’il ne fût pas sans cesse convoqué pour des élections nouvelles que la mort, la démission des juges nécessiteraient souvent: Rétablissement des suppléants pare à cette difficulté : il n’a pas plus d’inconvénients dans l’ordre judiciaire que dans l’ordre représentatif. Le comité a pensé que le second avantage de ces suppléants serait de remplacer momentanément les juges qui seraient forcés de s’absenter. Voici l’article tel que nous vous le proposons : « Art. 5. Il sera nommé aussi des suppléants qui, selon l’ordre de leur nomination, remplaceront, jusqu’à la prochaine élection, les juges dont les places viendront à vaquer dans le cours des six années ; une partie sera prise dans la ville même du tribunal, pour servir d’assesseurs en cas d’empêchement momentané de quelques-uns des juges. » M. Cochelet. L’ancien usage des tribunaux était de remplacer les juges forcés de s’absenter par des gradués; je ne vois aucune nécessité de déroger à cet usage. M. Thouret. Le comité a considéré qu’il était préférable que les suppléants fussent revêtus d’une mission du peuple. M. Barrère. Je demande qu’après le mot empêchement on ajoute celui de légitime , afin que les juges ne négligent pas leurs devoirs pour leurs plaisirs. M. Garat l’aîné. Je demande qu’en l’absence des suppléants, les gradués soient appelés comme dans l’usage établi jusqu’à présent. M. Chabroud. Il faut dire dans l’article que tous les suppléants seront pris dans la ville. M. Démeunier. Je considère tous ces amendements comme inutiles et je propose la question préalable. Les amendements sont rejetés. (L’article 5 est adopté sans changement.) M. Thouret, rapporteur. L’article 6 est ainsi conçu : « Les juges élus et les suppléants, lorsqu’ils devront entrer en activité, recevront du roi des lettres patentes, scellées du sceau de l’Etat, lesquelles ne pourront être refusées, et seront expédiées, sans retard et sans frais, sur la seule présentation du procès-verbal d’élection. » M. Voidel. Il faut distinguer deux sortes d’activité que peuvent avoir les suppléants, l’une permanente et l’autre momentanée. L’article du comité ne fait aucune distinction entre deux cas si différents. M. Fréteau. Les parties ont toujours intérêt à connaître le nom des juges, parce que la patente