153 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [H février 1791.] reau est unanime; mais comme des membres des différentes parties de la salle ont des doutes, je vais renouveler l’épreuve. Plusieurs membres : L’appel nominal 1 (Une seconde épreuve a lieu). M. le Président déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer. ( Applaudissements à gauche. — Protestations à droite. — Tumulte.) Voix nombreuses à droite : Il y a doute ! L’appel nominal ! M. le Président. On demande l’appel nominal ; il va se faire sur cette question : Le premier article du comté sera t-il décrété le dernier ? M. Regnand (de Saint-Jean-d’ Angély). M. le Président pose mal la question (Bruit). MM. Charles de lameth et Regnand (de Saint-Jean-d’ Angély) parlent ensemble dans le bruit. ... M. Charles de lameth. Monsieur le Président, auquel de nous deux avez-vous donné la parole ? M. le Président. J’ai donné la parole au silence. M. Charles de lameth. Il est impossible de décréter les mesures qui doivent suivre la reconnaissance du principe avant que le principe ait été reconnu. Plusieurs membres : Vous ouvrez la discussion. M. Charles de lameth. Je dirai d’abord comment je pense qu’il faut poser la question. Je ferai ensuite de très courtes réflexions sur les circonstances qui vous environnent. La manière de poser la question est d’abord de déclarer le principe qui est dans l’esprit de tous les membres qui ont concouru à la Constitution : ce principe est la liberté de la culture. L’Assemblée décrétera ensuite les moyens d’imposer le tabac. 11 est impossible de suivre un autre mode de délibération. J’observe, quant à l’acharnement avec lequel une partie de l’Assemblée appuie une manière insidieuse de faire adopter un ajournement déguisé, mais certain ..... M. de Cazalès. Il serait facile de prouver que les mouvements de l’Alsace ont été causés pour déterminer la question ; mais je me résume et je demande que la question soit posée, ainsi que M. de Delley l’a proposée, parce que c’est là l'ordre naturel de la délibération, ordre conforme à l’usage constant de décréter les amendements avant le principe. M. Rœderer, rapporteur , fait une nouvelle lecture du projet de décret du comité dans son entier, et propose par amendement d’ajouter au premier article ces mots : sauf les modifications ci-après décrétées. (La priorité est demandée sur cette rédaction.) M. le Président. L’Assemblée veut-elle que je mette aux voix la question dans les termes suivants : La culture du tabac sera-t-elle libre ou non ? M. La Poule. Je demande que la question soit posée comme suit : L’article premier sera-t-il mis aux voix avant les derniers ? (La motion de M. La Poule est adoptée.) M. le Président. L’article 1er sera-t-il mis aux voix avant les derniers? Telle est la question sur laquelle, sous votre bon plaisir et si l’on veut faire silence, on va procéder à l’appel nominal; il est tmnps que cette situation tumultueuse tinisse. Ceux qui voudront que l’article lor soit décrété le premier, diront oui, ceux qui voudront qu’il soit décrété le dernier, diront non. (L’appel nominal a lieu.) M. le Président. Le résultat de l’appel nominal donne, sur 732 votants, 372 voix pour oui et 360 voix pour non. En conséquence, l’Assemblée décrète que l’article 1er sera le premier mis aux voix. Un grand nombre de membres demandent à aller aux voix sur cet article. L’article l8r du projet de décret du comité est mis aux voix et adopté en ces termes: Article premier. « L'Assemblée nationale décrète qu’à compter de la promulgation du présent décret, il sera libre à toutes personnes de cultiver, fabriquer et débiter du tabac dans le royaume, sauf les modifications qui seront ci-après décrétées. » (Vifs applaudissements.) M. le Président prévient l’Assemblée qu’il n’y aura pas de séance ce soir et annonce l’ordre du jour de demain. La séance est levée à cinq heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 12 FÉVRIER 1791. Appui de l'opinion de M. la Yille-leroux contre tout système prohibitif de la culture , fabrication et vente libre du tabac, par M. Rou-chette, député du département du Nord. On peut regretter un impôt de 30 millions, on peut désirer de le rétablir ; jusque-là, rien de plus raisonnable. Reste à savoir s’il y a quelque juste moyen pour en effectuer la perception. Sans doute, avec des forces, on viendra facilement à bout d’empêcher la culture du tabac dans les départements frontières. Mais la force, la violence, sont-ce des moyens bien justes? Les habitants des départements frontières sont les premiers exposés aux incursions et au fer des ennemis ; et, dès lors, il semble qu’ils devraient mériter le plus de ménagements de la part de l’administration. S’ils ont une plus grande popu ation; si leurs terres sont mieux cultivées, s’ils payent plus d’impôts que partout ailleurs, de si précieux avantages doivent être encouragés, et rien ne doit être entrepris qui puisse les anéantir ou diminuer. Or, c’est la libre culture du tabac qui jusqu’à présent a été la grande et principale cause de 154 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, ces précieux avantages. Je parle de la Flandre en particulier : que l’on y supprime la culture du tabac, bientôt on y verra languir les campagnes; les habitants manqueront de subsistances et les impôts cesseront d’y être fournis avec promptitude et facilité. C’est au moyen de la culture du tabac qu’en Flandre les terres ne reposent jamais. Cela prouve que le tabac n’est point un'* plante nuisible et vorace, qui épuise les terres <n peu d’années, ainsi qu’on ne cesse de le dire et répéter de toutes parts (1). L’expérience goule peut en parler avec certitude : elle écarte et détruit toutes les vaines suppositions. Et voici ce que l’expérience apprend constamment : Une terre est épuisée ou, par la malice d’un fermier sortant, elle est tellement empoisonnée qu’elle ne pro luirait plus que des plantes nuisibles, sauvages et inutiles : on prépare celte terre par de forts labours, on lui donne de bon fumier et on la plante en tabac. Si la saison est bien favorable, le cultivateur se trouve largement remboursé par soo tabac de toutes les avances et frais de culture, des impositions dont son champ est chargé, ainsi que du prix de son fermage ; mais sa terre est améliorée pour 4 à 5 années. Après la dépouille du tabac, le cultivateur sème du blé froment, qui ne manque jamais de lui donner une récolte des plus abondantes ; ensuite il a de beau lin, et après le lin du trèfle; après quoi il peut remettre sa terre en blé et avoir encore une très bonne récolte. Demandez au cultivateur pourquoi il ne fume point sa terre après le tabac; il vous dira que la racine de cette plante est du fumier, et u’elle opère le miracle de produire deux épis e blé au lieu d’un. Et c’est cette plante qu’on voudrait bannir de nos contrées (2) ! Le tabac est donc favorable pour les cultures les plus précieuses (3), le blé froment et le lin. Bien plu-, lorsque le lin vient à manquer, on le remplace par le tabac. 11 en est de même lorsque (1) Sans doute, le même champ ne donnerait pas du tabac plusieurs années de suite, tout de même, comme le froment épuise son terrain par 2 récoltes successives. C’est ia raison pourquoi en Amérique la culture du tabac diminue considérablement, et qu’elle diminuera toujours en proportion qu’il y aura moins de terres nouvellement défrichées. 11 faut des engrais aux terres anciennes pour produire du tabac; les terres vierges n’exigent que d’être remuées par des labours. Le tabac d'Amérique doit donc renchérir; et bieniôt, au lieu de 10 à 12 millions, il en coûterait 20 à 25 par an, pour approvisionner le royaume. Et puis, que malheureusement il survienne une guerre, à quoi en sera-t-on ? (2) On objecte que le tabac de Flandre est mauvais; à toute force cela peut être. Lorsqu’on n’est ni marchand, ni renifleur de tabac, on n’en saurait beaucoup juger. Ce qui est certain, c’est que, durant la dernière guerre, le tabac de Flandre s’est vendu jusqu’à 60 et à 70 livres le quintal. Apparemment, en cas de besoin, il y a un secret pour rendre le tabac flamand aussi bon que tel autre. Au reste, tout le tabac américain n’est pas d’égale qualité, pui-que, assez ordinairement, il s’en trouve de 5 à 6 sortes dans un même boucaut, et que, pour en avoir d’excellent, il faut le trier avec attcnlion. (3) C’est dans cette partie de la Flandre qu’on récolte ces beaux blés froments blancs si connus, qu'il n’y en a pas de plus beaux en Europe. Ils y sont si abondants, qu’en 1778 et 1779, il en fut embarqué 90,000 sacs au port de Bergue, qui ensuite passèrent par celui de Dunkerque. Cette abondance est due à la supériorité de la culture, laquelle n’est soutenue que par la production du tabac : on ne doit donc pas craindre la disette par }a liberté de cette plantation, 112 février 1791.] le colza vient à être gelé, soit par un rude hiver, soit dans sa fleuraison. Si l’on n’avaitpas le tabac, on n’aurait de ressource que dans la chétive culture du sarrazin ou blé noir qui ne fait qu’appauvrir et refroidir le sol pour les cultures qui suivent. Mais si chez nous la culture du tabac est interdite, elle en sera d’autant plus encouragée chez nos voisins du territoire étranger. Gomment en empêcher l’introduction dans un pays où il y a mille et mille communications? Il faudra donc y caserner des légions de commis, qui seront continuellement sur pied pour veiller sur la fraude. Et quel fardeau sur l’Etat qu’une double ligne de ces satellites du lise ! Mais la fraude ne sera pas alors plus retenue qu’elle ne l’est à présent que des bandes de 50, de 100 et de 150 fraudeurs fran-chissenltoute espèce d’obstacles, opposent la force à la force, et mettent en déroute les gardes qui voudraient les arrêter. Eh quoi ! une double ligne de gardes sur la frontière ! Déjà nos concitoyens, habitants de la Flandre, frémissent en apprenant cette nouvelle. Fs regardent un pareil établissement comme un Oôau dévastateur. Est-ce là, disent-ils, l'effet de dite liberté conquise? Gomment serons-nous égaux en droits avec nos frères de l’intérieur du royaume? Ceux-là seront libres, tranquilles, tandis que nous, plus esclaves que jamais, nous ne pourrons taire deux pas sans être arrêtés, molestés, visités, soit que nous allions à nos affaires ou que nous en revenions, et de quelque côté que nous regardions. Après cela, doit-on être étonné de la répugnance qui s’y fait voir pour l’acquisition des biens nationaux ? Quelle justice, d’ailleurs, d’aller faire payer 48 sous la livre une drogue qui, aujourd’hui, ne leur coûle pas deux sous? Car à la campagne chacun cultive du tabac, soit dans son potager, soit ailleurs, pour sa provision à fumer. Et quand chaque ouvrier ne consommerait que 12 livres de tabac par an, quel effroyable impôt qu>- celui que vous mettez sur cette jouissance de ce pauvre malheureux ! Vous dites que c’est une fantaisie dont il pourrait se passer: moi, je vous dis que c’est pour lui un besoin, une nécessite ; que c’est un remède et un préservatif contre les maux dont ce pauvre ouvrier serait bientôt accablé, s’il était réduit à devoir s’abstenir de l’usage du tabac. Non ; que l’on pose tant de barrières que l’on voudra, jamais la fraude ne sera empêchée, si la vente du tabac est mise en régie ou en ferme, et la culture prohibée. Eli ! quel appât pour la fraude que 48 sous la livre! C’est plus que dix fois la valeur de la denrée : impôt unique et outrageant, s’il en fût jamais. Vous ne voulez lus de peines afflictives pour fait de contre-ande: et, bientôt vous ferez planter des potences pour punir les nombreux massacres que votre prohibition du tabac aura occasionnés. Il est impossible que cela soit autrement: la culture du tabac doit être libre ..... Mais il faudra toujours du tabac étranger pour mélanger le tabac, indigène : mettons donc un droit considérable sur celui qui sera importé de l’étranger (1), et seulement sur celui en feuilles, et (1) Il est de fait que, pour frauder 100 livres de tabac de Dunkerque à Saint-Omer, le marchand paye 10 écus au contrebandier : on ignore ce qu’il en coûte pour le frauder depuis Saint-Omer jusqu’en Picardie ; mais on 155 JAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 février 1791.] que l’importation du tabac fabriqué soit prohibée, ou bien qu’il soit soumis à un triple droit, et en outre une amende du décuple à la charge des contrevenants qui pourront la payer. C’est le seul et unique moyen d’assurer la perception d’un impôt juste et utile, puisque, de cette façon, il n’exigera point de frais de gardes extraordinaires. Les habitants des frontières seront eux-mêmes les premiers intéressés à surveiller la fraude, s’il pouvait y en avoir, comme faisant tort à leurs cultures. On pourrait encore les y engager davantage, en assignant une part dans les captures au profit de la communauté, dont le garde aura fait ou concouru à faire l’arrestation. Et pourquoi ces citoyens s’y refuseraient-ils, puisque désormais la" contrebande ne pourra être envisagée que comme un crime, un vol fait à la patrie, une spoliation des revenus publics, contre laquelle tous les particuliers ne pourront qu’être vivement animés et toujours prêts à l’empêcher? ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. RIQUETTI DE MIRABEAU L’AÎNÉ. Séance du dimanche 13 février 1791 (1). La séance est ouverte à onze heures et demie du matin. M. le Président. M. Monneron, que vous avez admis h i < r comme député de l’ile de France et des Indes orientales, en remplacement de M. Colin, décédé, demande à prêter le serment. M. Monneron monte à la tribune, prête le serment et dit : Messieurs, quelques lettres jetées sur le bord de la mer, lors du naufrage de l'Amphitrite , ont confirmé les dispositions tranquilles que les habitants de l’Ile de France vous ont manifestées dans l’adresse dont j’ai eu l’honneur de vous faire part. Leur respect pour les lois qui ne sont pas abrogées, un attachement inviolable aux décrets de l’Assemblée nationale sanctionnés parle roi, voilà leur catéchisme et leurs lois. Vous jetterez sans doute les yeux sur ce qui sYst passé avant la réception de la loi du 8 mars sur le régime des colonies. Alors la liberté naissante était aux prises avec les abus que vous avez frappés d’une mort éternelle; les doux partis étaient prêts à se déchirer, lorsque cette loi leur est parvenue et les a réunis sous les mêmes drapeaux. S’il m’était permis de vous exprimer leurs sentiments, vous les entendriez jurer par mon organe, à la France libre, un attachement éternel. J’arrive, Messieurs, au milieu de vous, sans avoir reçu aucune instruction de la colonie que je représente; mais je n’en suis pas moins fort, puisque vous n’êtes ici que pour le bien commun et que vous avez juré de ne point vous séparer peut compter sur encore 10 écus. Voilà donc 20 écus sur chaque 100 livres de tabac fraudé, et encore de très mauvais tabac, dit-on ; d’où je conclus qu’on peut m< tire au moins un droit de 50 livres par quintal de tabac étranger. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. sans avoir assuré à toutes les parties de l’Empire les bienfaits de la Constitution que vous avez créée. Je finis, Messieurs, en priant l’Assemblée de décréter que tous les papiers échappés an naufrage de l'Amphitrite et concernant la députation de l’I le de France seront remis au comité colonial, et en demandant à être personnellement autorisé à les prendre en communication. (Cette motion est décrétée.) Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté. M. Eofttcial, au nom du comité de judicature présente le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de judicature, « Décrète que les officiers municipaux supprimés, qui sont dans le cas de faire liquider la finance de leurs offices, seront incessamment payés de leurs gages et autres émoluments arriérés, jusques et y compris le 31 décembre 1790 inclusivement, comme par le passé, par les caisses qui étaient ci-devant chargées de les payer. » (Ce décret est adopté). M. Rabaud-Saint-Ellenne, au nom des comités de Constitution et militaire. Messieurs, j’ai rhonneurde vous proposer un projet de décret qui ne doit pas entraîner une longue discussion, mais qui devient extrêmement instant par les circonstances. Vous avie z décrété dans le titre 4 du décret du traitement de la gendarmerie nationale � , que les traitements et appointements de la gendarmerie nationale seront fixés et payés mois par mois par le mmistrede l’intérieur chargé désormais de payer ce traitement; par l’article 12 du titre 7, vous avez dit que les officiers, sous-officiers et cavaliers de la gendarmerie nationale continueront à être payés, du 1er janvier 1791, suivant la nouvelle division des compagnies, sur le pied fixé par Je décret du 23 septembre dernier; en conséquence de ces décrets, MM. les commis de l’ancienne administration de la guerre dans les provinces, ont remis des ordres de ne plus rien payer à la cavalerie de maréchaussée, à compter du 1er janvier 1791, conformé lient à l’organisation du corps de la gendarmerie nationale. Si les divisions de cette troupe ne sont pas encore faites dans les départements et qu’il faille trois ou quatre mois pour y parvenir, il en résulterait, Messieurs, que de trois ou quatre mois les officiers et gendarmes ne seraient pas payés. Ce corps souffrirait prodigieusement et tomberait incontestablement en dissolution. C’est en conséquence de ces réflexions que j'ai l’honneur de vous proposer le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que l’article 4 du titre IV et l’article 12 du titre VI des décrets rendus les 23 décembre et 16 janvier derniers, par rapport à l'organisation du corps de la gendarmerie nationale, ne recevront leur exécution que lorsque les divisions des ci-devant compagnies de maréchaussée, même des compagnies supprimées, seront faites par département; et jusqu’à ce, les officiers, grefliers, sous-officiers, cavaliers et trompettes seront payés, de mois en mois, dans les ILmx actuels de leurs différentes résidences, de tous leurs traitements et �ratifications, sous quelque dénomination qu’ils soient affectés à leurs différentes places, t par les mêmes mains et sur le même pied quq