[12 février 1791.] [Assemblée nationale.] rais moi-même toutes ies réflexions du préopinant. Mais de quoi s’agit-il? Il s’agit, non pas d’accorder à l’Alsace un privilège ou la continuation n’un privilège, mais de réclamer, pour tout le royaume et pour l’Alsace qui y est comprise, l’exercice d’un des droits imprescriptibles de l’homme. {Interruptions.) Malgré les interruptions, je dis que la conservation d’un privilège répugne à la Constitution que vous avez donnée à la France. Je disque d'ailleurs le préopinant ne s’est pas aperçu sans doute qu’il manquait de considération pour l’Assemblée en indiquant que son opinion pour la prohibition ou pour la liberté serait influencée par les circonstances. {Murmures à gauche.) Plusieurs membres à droite : C’est vrai ! M. de Broglle. Je dis que, dans quelque circonstance que l’Assemblée nationale délibère, elle jouit de la plus parfaite liberté, et qu’elle prononcera ce que la raison et la justice lui dictera. J’ajoute, M. le Président, qu’il n’est pas question de dire que l’Alsace est révoltée pour la culture du tabac, et qu’il ne faut pas la lui accorder. Plusieurs fois on a demandé des ajournements dans l’espérance de forcer la culture en faveur de la prohibition. Mais maintenant de quoi s’agit-il? De savoir si on jouira, oui ou non, du droit indéfini de liberté pour toute culture. Nous demandons qu’en vertu du décret d’hier on veuille bien discuter définitivement cette matière. M. Roederer. Si quelque chose pouvait dégrader vos décrets, ce serait le discours de M. de Delley qui tend à faire entendre que votre délibération peut être influencée par une partie du royaume que l’on dit en révolte. Il faut le dire, il n’y a en révolte dans la ci-devant province d’Alsace, que ceux qui veulent la prohibition de la culture du tabac, je veux dire les ecclésiastiques et leurs adhérents. {Applaudissements à gauche.) La question n’est nullement relative à l’Alsace particulièrement. Fut-elle effectivement en révolte, votre comité des contributions publiques n’en changerait pas pour cela d’opinion. Si la prohibition doit tomber sous l’effort du principe, qu’on ne vienne pas supposer qu’elle n’a été anéantie que par des considérations particulières. Je demande que, pour repousser cette idée injurieuse, on passe à l'ordre du jour et que l’on discute la question. {Applaudissements.) M. le Président. Au moment où l’Assemblée allait passeràla discussion surletabac,M. de Delley, sous le nom de motion d’ordre, a demandé l’ajournement de la discussion. Maintenant on réclame l’ordre du jour : je vais mettre aux voix celle des deux propositions pour laquelle on réclamera la priorité. Plusieurs membres demandent la priorité pour l’ordre du jour. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. Rœderer, au nom du comité d’imposition. Messieurs, pour terminer enfin la discussion qui s’est élevée depuis six mois relativement au tabac, il est nécessairedemarqueravec précision les points sur lesquels tout le monde paraît s’accorder, et ceux sur lesquels il reste du dissentiment, et qui ont encore besoin d’étre éclaircis. 143 Une des causes de l’incertitude qui est restée dans un grand nombre d’esprits, c’est qu’on a, jusqu’à présent, confondu dans la discussion l’impôt avec ses modes de perception. Plusieurs personnes pensent qu’il serait désirable de continuer à retirer de la consommation du tabac un revenu de 32 millions pour le Trésor public; le comité partage cette opinion. Ce n’est pas qu’il ne trouve une grande injustice à grever d’une charge inégale les citoyens qui consomment du tabac et ceux qui n’en consomment pas ; à soumettre les premiers à une sorte de peine pécuniaire, comme si la société avait le droit de défendre ou de gêner certaines jouissances plutôt que d’autres, quand elles sont toutes licites de leur nature; de mettre au-dessus de la portée du pauvre le seul plaisir que la modicité de ses ressources lui permette; deluifaire acquitter, sous un vain déguisement, une taxe égale à celle du riche pour qui le tabac n’est pas même compté entre les innombrables jouissances que chaque jour lui apporte, que chaque moment diversifie; enfin d’inviter le misérable à la contrebande par l’appât du gain et ensuite de lui infliger des peines pour des délits qui sont l’ouvrage de la loi même, et dont la richesse est préservée comme de bien d’autres maux. Mais, d’un autre côté, le comité reconnaît à la taxe du tabac des avantages, qui, comme l’a dit M. de Mirabeau, la rendent un des meilleurs des mauvais impôts. El le s’acquitte insensiblement jour par jour, heure par heure. Elle n’est exorbitante pour personne. Elle est le prix d’une sensation de plaisir. La perception peut en être assurée sans frais extraordinaire, au moyen des gardes établis pour la perception des droits de traite. Elle n’a pas, comme la gabelle ou tout autre impôt sur des consommations de première nécessité, le double inconvénient de renchérir la main-d’œuvre et de grever les familles en raison du nombre des enfants qui en font partie. Elle n’a pas, comme le droit d’enregistrement, le défaut d’attaquer des capitaux, et de dérober à l’agriculture, à chaque mutation des avances utiles. En un mot, il est impossible d’en trouver de plus douce tant que la terre, ci-devant appauvrie par la féodalité, ne sera pas fécondée par la liberté et par une partie des capitaux innombrables employés maintenant dans l’agiotage des effets publics ou dans l’usure particulière; et enfin, tant que les bénéfices de l’industrie, concentrés par des privilèges exclusifs entre quelques individus et quelques corporations, seront disproportionnés avec la nature et la mesure de travail dont ils sont le prix. Voilà, Messieurs, ce que le comité pense, avec une grande partie de l’Assemblee, sur la taxe du tabac considérée en elle-même. Ecartons donc désormais de la délibération Déluge ou la censure de l’impôt, séparé de ses accessoires, c’est-à-dire de ses moyens de perception. Ce n’est que dans l’examen de ces accessoires que se rencontrent les questions dont nous devons nous occuper. Quels sont donc ces accessoires ? Quelles sont les questions auxquelles ils donnent heu ? Nous séparerons les mo\e.(S de perception en deux classes : les moyens immédiats, les moyens secondaires et médiats. L’impôt du tabac se lève sous le régime actuel par quatre moyens immédiats, savoir ; ARCHIVES PARLEMENTAIRES.