114 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 janvier 1790.] peut arriver que, lorsque la voix du magistrat se fera entendre, les milices nationales se croient obligées de la maintenir à leur manière. M. de Montlosier trouve que M. Robespierre a raison, mais que les gardes nationales pourront se donner un mouvement spontané qui serait dangereux à la constitution : il opine, en conséquence, pour qu’elles ne puissent agir que sous la direction des corps administratifs. M. Target, profitant des diverses observa� fions, fait des changements dans sa rédaction, qui passe en ces termes : « Jusqu’à l’époque où l’Assemblée nationale aura déterminé, par ses décrets, l’organisation définitive des milices et des gardes nationales, les citoyens qui remplissent actuellement les fonctions d’officiers ou de soldats dans les gardes nationales, même ceux qui se sont formés sous la dénomination de volontaires, prêteront par provision, et aussitôt après que les municipalités seront établies, entre les mains du maire et des officiers municipaux, en présence de la commune assemblée, le serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi; de maintenir de tout leur pouvoir, sur la réquisition des corps administratifs et municipaux, la constitution du royaume, et de prêter pareillement, sur les mêmes réquisitions, main-forte à l’exécution des ordonnances de justice, et à celle des décrets de l’Assemblée nationale acceptés ou sanctionnés par le roi ». M. Bailly, député, maire de la ville de Paris, demande ensuite la parole, et dit : « Il nous est revenu, à M. de la Fayette et à moi, que quelques membres de l’ Assemblée ont dit que nous avions conseillé à M. l’archevêque de Paris de sortir du royaume, attendu qu’il n’y était pas en sûreté. J’ai l’honneur d’assurer aux honorables membres qui l’ont dit, qu’ils ont été mal informés, et de déclarer à l’Assemblée que non-seulement, ni M. le commandant général ni moi n’avons donné un pareil conseil à M. l’archevêque, mais que nous ne lui avons jamais rien dit qui puisse y avoir le moindre rapport. » M. Duval d’JEprémesnil demande la parole, et dit : Messieurs, « Ceci me regarde personnellement, et je crois devoir une explication à l'Assemblée. Je la supplie de se rappeler que je n’ai point parlé d’après moi-même. Je n’ai fait que répéter un bruit public. Ce bruit a circulé dans Paris et s’est répandu dans les provinces. Dans un temps où l’on croit pouvoir, sur de simples bruits publics, dénoncer, accuser, faire jeter dans des prisons, y retenir pendant six mois des citoyens évidemment irréprochables, et faire venir à grands frais, des extrémités du royaume, des témoins qui ne servent à rien, j’ai cru qu’il était permis à un membre de la Législation de se prévaloir à son tour des bruits publics pour justifier des citoyens absents. Sur de simples bruits publics, on a signé une dénonciation contre des magistrats vertueux, des militaires sans reproches, contre M. Je garde des sceaux, de Barentin, contre M. le maréchal de Broglie ; et je ne pourrais pas invoquer ces mêmes bruits pour défendre l’innocence et la vertu même dans la personne de M. l’archevêque de Paris 1 Je propose, Messieurs, en finissant, un principe dans lequel il me semble voir de la magnanimité, qu’il est plus permis de défendre que d’accuser par des bruits publics » . M. le Président rend compte que M. le garde des sceaux vient de l’instruire que la chambre des vacations du parlement de Bretagne était arrivée, et qu’elle demandait le jour et l’heure où elle pourrait se rendre à la barre de l’Assemblée. Il est décidé qu’elle y serait reçue demain à deux heures après midi. M. Thonret, membre du comité de constitution, commence la lecture d’une instruction destinée à être envoyée dans les provinces, avec les décrets relatifs à la nouvelle organisation du royaume en départements, en districts et en cantons. Quelques membres interrompent la lecture pour faire remarquer qu’il est tard et qu’il doit y avoir une seconde séance dans la soirée. Cette observation est vivement appuyée. M. le Président lève la séance à cinq heures et fixe à six heures et demie l’ouverture de la séance du soir. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DÉMEUNIER. Séance du jeudi 1 janvier 1790, au soir (1). M. Démeunier, ancien président, dit que M. le président se trouve indisposé et qu’aux termes du règlement, il occupe sa place. M. le Président annonce une lettre de M. le premier ministre des finances, qui apprend à M. Le Couteulx de Canteleu que le roi l’a nommé caissier de la caisse de l’extraordinaire, et une autre lettre de M. Le Couteulx de Canteleu, qui demande les ordres de l’Assemblée. M. Te Blanc ne pense pas que M. Le Coulteux de Canteleu puisse accepter la commission qui lui est offerte. Un député est l’homme de la nation, dit-il; nous sommes douze cents, si l'on offrait à chacun de nous une place dans le gouvernement et si nous étions libres de l’accepter il se trouverait qu’avant peu l'Assemblée serait dis~ soute. M. Camus. M. d’André, quoique député, a été envoyé en Provence pour y maintenir la paix ; cependant il est resté membre de l’Assemblée nationale. M. Grangier. M. d’André avait reçu sa mission de l’Assemblée. Je propose qu’aucun membre n’accepte de place du gouvernement pendant la présente session et même trois ans après. M. le duc d’JLiguillon. L’Assemblée n’a pas à décider si M. Le Couteulx de Canteleu acceptera ou n’acceptera pas, c’est à ia délicatesse de M. Le (1) Celte séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 janvier 1790.] H5 Gouteulx de prononcer si une place de finance est compatible avec ses fonctions de représentant. Je crois qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Le Gouteulx de Canteleu monte à la tribune et dit que, rien n’étant comparable à l’honneur d’être député, il renonce à la commission dont Sa Majesté a bien voulu le revêtir. M. Goupil de Préfeln, membre du comité des recherches, demande la parole et au nom du comité. propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale déclare que, nonobstant l’attribution provisoire donnée au Châtelet de Paris de la connaissance du crime de lèse-nation, les juges des lieux peuvent, comme pour tous les autres crimes, informer, décréter et même interroger les accusés, à la charge de renvoyer ensuite la procédure, et les accusés qui auraient été arrêtés, au Châtelet de Paris ». M. Arthur Dillon. Depuis longtemps on parle du crime de lèse-nation, mais on n’a pas encore défini quel était ce genre de crime. Sans doute l’on veut dire qu’il consiste à s’opposer aux vrais intérêts de la nation, ou à se rendre coupable de conspiration, ou à ourdir d’autres trames ; mais encore une fois on n’a pas défini ce crime; je demande, en conséquence, que la discussion du décret soit ajournée. M. le Président met aux voix l’ajournement qui est prononcé, et la délibération est renvoyée à samedi, à l’ordre du jour de 2 heures. M. l’abbé Gouttes membre du comité des finances, propose de modifier le décret du 2 janvier qui a sursis à l’autorisation de la cotisation demandée par la municipalité (le Rouen, jusqu’à ce qu’il ait été délibéré par la commune. — Au lieu du mot de commune, on substituerait ceux ' de l’ assemblée générale ducorps municipal et électoral, et des notables élus. M. de Robespierre. Les notables sont une espèce d’aristocratie qui n’est point la commune, c’est-à-dire la généralité des citoyens à laquelle appartient le droit de voter l’imposition. L’impossibilité de convoquer la commune qu’on allègue est évidemment chimérique, puisqu’elle a été convoquée pour nommer des députés à l’Assemblée nationale et qu’elle va l’être pour former une nouvelle municipalité. Je demande, au nom du peuple et du droit national, que les municipaux de Rouen soient tenus de convoquer la généralité des habitants pour délibérer sur la contribution nécessaire au soulagement de leurs concitoyens indigents. M. Duport. Le parti le plus simple serait d’attendre la nouvelle formation des municipalités pour pouvoir consulter la commune. M. le Président met aux voix le changement proposé. Il est adopté. M. l’abbé Gouttes, organe du comité des finances, propose un décret sur la manière d'imposer les maisons de campagne, les châteaux et leurs dépendances. En voici la substance : 1° On imposera, pour les six derniers mois de 1789 et l’année 1790, les châteaux et maisons de campagne des ci-devant privilégiés, lorsqu’ils seront joints à une exploitation imposée sur le même pied que l’exploitation. 2° Les jardins et parcs comme les terres des autres propriétaires. 3° Si lesdits châteaux et maisons de campagne sont habités, ils seront imposés à raison du double de l’imposition que supportera la maison louée de la commune. M. de Richier. Messieurs, il serait souverainement injuste qu’une petite maison aux environs de Paris, par exemple, payât le double d’une superbe maison qui serait dans la ville et qui néanmoins serait de la même communauté que la petite maison. Le projet de décret proposé, si on l’adoptait, causerait le plus grand préjudice. Un particulier peu à son aise fera bâtir une espèce de chaumière hors les murs de Paris, mais dans la dépendance d’une paroisse de cette ville, il habitera cette maison ; si vous le forcez de payer le double de ce que paye la terre la mieux louée, la plus belle de la paroisse, vous le ruinez sans ressource. M. Camus propose une rédaction portant : Que les propriétaires ci-devant privilégiés des maisons de campagne, même de celles qui portaient ci-devant le nom de châteaux, seraient imposés sur le même pied que supporte le meilleur terrain de la paroisse. Dans cette rédaction, la dénomination de ci-devant châteaux égaye beaucoup l’Assemblée. — M. le Président la relit plusieurs fois ; il ne peut garder sa gravité et rit comme les autres.) M. Camus supprime enfin la qualification de ci-devant châteaux et la discussion est sérieusement reprise. M. de Foucault. Dans la province du Périgord, il suffit qu’une maison ait une girouette pour qu’on lui donne le nom de château. 11 demande la suppression du mot château; les châteaux ont été abolis comme la féodalité et il ne reste que des ci-devant châteaux. (L’Assemblée rit de nouveau. Néanmoins, elle décide que le mot château restera dans le décret.) M. le baron de JAlenou donne la rédaction suivante : Les propriétaires ou possesseurs ci-devant privilégiés des maisons de campagnes ou châteaux, et tous autres qui n’étaient pas imposés pour leurs maisons, châteaux, enclos, jardins et parcs d’agrément non loués, le seront dans la même proportion que pour les meilleurs terrains de la croisse. Les autres enclos seront imposés dans a même proportion que les autres terrains de même valeur. M. Ramel-Wogaret en propose une autre en ces termes : « Les maisons des ci-devant privilégiés seront imposées dans chaque communauté, dans la même proportion qui a déterminé celle des autres contribuables. » (Il serait bien inutile de rapporter les débats qui ont été faits sur ces deux motions et sur celle du comité qui n’a pas été favorablement accueillie. Il faudra bien les recommencer, puisque rien n’est encore jugé sur cette importante question.) M. Anson observe que, dans le cas où le projet de décret de M. de Menou serait adopté, il