464 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]25juin 1790.] les uns contre les autres les conquérents de la liberté, c’est-à-dire la garde nationale de Paris et les ci-devant gardes françaises, contre leurs frères d’armes et concitoyens; les vainqueurs de la Bastille, trop glorieux déjà de ce que le 14 juillet, Je jour où ils ont pris la Bastille, a été choisi par l’Assemblée nationale pour l’époque de la liberté conquise et de la fédération générale de toute la grande famille; considérant que l’honneur est dans l’action du 14 juillet, bien plus que dans les récompenses; qu’ils sont assez honorés d’avoir su les mériter, pour pouvoir se passer de distinctions qui n’ajouteraient rien à leur patriotisme, et que le sacrifice qu’ils vont faire doit rétablir la tranquillité publique; considérant que si l’Assemblée nationale doit faire respecter ses décrets, et ne peut souffrir qu’il y soit dérogé, les vainqueurs de la Bastille seuls peuvent consentir à ce qu’il soit porté atteinte à celui qui leur a été accordé : ont unanimement arrêté de charger M. le maire et leurs commissaires de porter à l’Assemblée nationale la déclaration solennelle qu’ils font de renoncer, si l’intérêt de la Constitution l’exige, à tous les honneurs dont ils ont été couverts par le décret du 19 de ce mois, notamment à une place distinguée parmi leurs frères d’armes , lors de la fédération du 14 juillet et lors de la formation des gardes nationales , ce à quoi ils avaient déjà solennellement chargé leurs commissaires de renoncer, et à quoi ceux-ci avaient renoncé en leur nom le jour même du décret. Ils sont bien sûrs que l’on n’accusera pas les vainqueurs de la Bastille de faire cette démarche par la crainte de menaces : le reste de leur sang, qui n’a point coulé sur les murs de la Bastille, ils étaient prêts, s’il l’eût fallu, à le répandre pour le maintien des décrets. » Le vrai sentiment de la gloire et du bien public l’a emporté dans leurs âmes, déjà exercées à tout sacrifice pour la patrie ; et l’on dira : ceux qui ont pris la Bastille l’ont prise pour établir la Constitution; ils ont été comblés d’honneurs nationaux; ils ont su y renoncer pour le maintien de la Constitution, et ce dernier coup abattra la dernière tête de l’hydre. Et à la fin de la délibération, l’un d’eux, M. Hulin, a détaché son ruban et la médaille accordée par la commune aux ci-devant gardes-françaises, et qui lui avait été donnée : il a annoncé qu’il allait la reporter au comité de MM. les gardes, en déclarant que s’il faisait cette démarche, ce n’était pas qu’il ne fût très honoré de porter une marque de patriotisme, mais qu’il ne voulait point une distinction qui n’éiait pas commune à ses frères d’armes, lorsqu’ils renonçaient aux leurs. Au même instant, M. Léonard Bourdon, l’un des commissaires, a fait le recueil de tous les rubans des vainqueurs de la Bastille, dont ils vont faire hommage sur l’autel de la patrie. » (Ces rubans sont présentés par ce commissaire.) M. le Président. Déposer par amour pour la paix publique les palmes de la victoire, c’est un honneur plus beau, plus touchant que de les avoir méritées ; c’est un sacrifice digne des vainqueurs de la Bastille. Le courage et le civisme ne seront jamais séparés dans vos cœurs ; ils seront toujours vos titres à la gloire. L’Assemblée nationale va prendre en considération votre arrêté ; elle ne peut qu’être touchée des sentiments que vous y développez. L’Assemblée vous engage a assister à sa séance. M. Rœderer. Ce n’est pas seulement à l’amour de la paix, le premier de nos besoins, c’est aussi à l’amour de l’égalité, le premier de nos devoirs, que les vainqueurs de la Bastille viennent de faire un noble sacrifice. L’Amérique, qui leur a tracé leur démarche, nous trace aussi le parti que nous devons prendre. L’Amérique avait voulu resserrer par des liens d’une union fraternelle les citoyens qui avaient défendu la patrie avec le plus de succès et de gloire : mais bientôt les chevaliers de Cincinnatus reconnurent que cet ordre chevaleresque introduisait de l’inégalité parmi leurs concitoyens, et ils l’abdiquèrent, L’Amérique a reçu ce sacrifice. Semblables à ces premiers défenseurs de la liberté, les vainqueurs de la Bastille viennent présenter à l’Assemblée nationale un sacrifice de même nature : il me semble devoir être accepté par elle. Je demande que la partie du décret qui accorde des distinctions particulières aux vainqueurs de la Bastille soit rapportée. M. Démeunier. Je demande qu’il soit fait une mention honorable dans le procès-verbal, et qu’on passe à l’ordre du jour. M. Moreau, (ci-devant de Saint-Méry). Si j'avais pu méconnaître ceux que j’ai admirés le 14 juillet, je les aurais bien reconuus à leur langage. Ils ne veulent recevoir de la patrie d’autre honneur que celui de la servir encore. Je demande que l’Assemblée nationale leur donne acte de l’abandon qu’ils viennent de faire, et témoigne sa satisfaction des sentiments qui les a conduits à cette démarche. M. de Menou. Les vainqueurs de la Bastille viennent de nous donner un grand exemple ; il doit être suivi; en conséquence, je demande que le roi soit supplié de détruire tous les ordres... (Il s'élève beaucoup de murmures.) Je n’ai pas prétendu dire qu’il n’en existât pas. . . (Les murmures redoublent.) M. Martineau. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour. On ne peut pas faire une semblable motion. M. de Menou. Je voulais demander qu’il fût créé, à la place des ordres anciens, un ordre national qui serait conféré par le roi. . . (On passe à l’ordre du jour.) La proposition de M. Moreau est adoptée, et le décret est rendu comme il suit : « L’Assemblée nationale , touchée du noble patriotisme des braves citoyens qui ont contribué à la prise de la Bastille le 14 juillet, accepte leur renonciation aux distinctions qui leur avaient été accordées par le décret du 19 de ce mois. Elle décrète, de plus, qu’il sera fait , dans le procès-verbal, une mention honorable de leur généreux sacrifice. » M. le Président. L’Assemblée revient à la suite de la discussion sur l'affaire de M. de Toulouse-Lautrec. M. Moreau, député de Tours. Je demande que les comités de Constitution et des recherches soient chargés de présenter demain matin un projet de décret sur les principes de l’inviolabilité des députés et sur l’affaire de M. de Lautrec. L’Assemblée rend un décret conforme à cette proposition. La séance est levée à quatre heures moins un quart.