310 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1789.] peut espérer d’une nation hospitalière et généreuse. Et puisque ce serait déjà une grande punition que d’amener à Paris, comme criminel ou suspect, un officier général étranger qui retourne dans son pays avec la permission du Roi, j’ose vous prier de considérer si vous ne pourriez pas vous borner à lui demander à Villenaux les éclaircissements dont vous pourriez avoir besoin, et la communication de ses papiers, s’il en avait. C’est à vous, Messieurs, à considérer si vous devez exposer ce général étranger aux effets d’aucun mouvement dont vous ne pourriez pas répondre. Car, distingués comme vous êtes, Messieurs, par le choix de vos concitoyens, vous voulez sûrement être avant tout les défenseurs des lois et de la justice ; vous ne voulez pas qu’aucun citoyen soit condamné, soit puni, sans avoir eu le temps de se faire entendre, sans avoir eu le temps d’être examiné par des juges intègres et impartiaux. C’est le premier droit de l’homme ; c’est le plus saint devoir des puissants ; c’est l’obligation la plus constamment respectée par toutes les nations. Ah ! Messieurs, non pas devant vous qui, distingués par une éducation généreuse, n’avez besoin que de suivre les lumières de votre esprit et de votre cœur, mais devant le plus inconnu, le plus obscur des citoyens de Paris, je me prosterne, je me jette à genoux pour demander que l’on n’exerce, ni envers M. de Bezenval, ni envers personne, aucune rigueur semblable en aucune manière à celles qu’on m’a récitées. La justice doit être éclairée, et un sentiment de bonté doit encore être sans cesse autour d’elle. Ces principes, ces mouvements" dominent tellement mon âme, que si j’étais témoin d’aucun acte contraire, dans un moment où je serais rapproché par ma place des choses publiques, j’en mourrais de douleur, et toutes mes forces au moins seraient épuisées. « J’ose donc m’appuyer auprès de vous, Messieurs, de la bienveillance dont vous m’honorez. Vous avez daigné mettre quelque intéiêt à mes services, et dans un moment où je vais en demander un haut prix, je me permettrai pour la première, pour la seule fois, de dire qu’en effet mon zèle n’a pas été inutile à la France. Ce haut prix que je vous demande, ce sont des égards pour un général étranger, s’il ne lui faut que cela; c’est de l’indulgence et de la bonté, s’il a besoin de plus. Jeserai heureux par celte insigne faveur, en ne fixant mon attention que sur M. de Bezenval, sur un simple particulier; je le serais bien davantage si cet exemple devenait le signal d’une amnistie qui rendrait le calme à la France, et qui permettrait à tous les habitants de ce royaume, de fixer uniquement leur attention sur l’avenir, afin de jouir de tous les biens que peuvent nous promettre l’union du peuple et du souverain, et l’accord de toutes les forces propres à fonder le bonheur sur la liberté, et la durée de cette liberté sur le bonheur général. Ah! Messieurs, que tous les citoyens, que tous les habitants de la France rentrent pour toujours sous la garde des lois. Cédez, je vous en supplie, à mes vives instances, et que par votre bienfait ce jour devienne le plus heureux de ma vie et l’un des plus glorieux qui puissent vous être réservée. » La lecture du discours de M. Necker est interrompue par de fréquents applaudissements. La discussion s’ouvre sur cet objet. j M. Target. Je crois que les troubles qui agitent la capitale tiennent à l’opinion qu’elle a conçue de l’arrêté des électeurs. Elle a cru qu’elle pardonnait aux ennemis de la France. Mais ce n’est là qu’une erreur dont il faut arrêter la propagation. La ville de Paris n’a fait qu’annoncer qu’elle renonçait à se faire justice elle-même. 11 ne s’agit donc que de donner une explication qui calmera tout Paris. Voici un projet d’arrêté : « L’Assemblée nationale arrête que, quoique la capitale se soit honorée en déclarant que le peuple ne se ferait plus justice à lui-même des coupables de lese-nation, elle persiste dans ses précédents arrêtés ; qu’elle entend poursuivre la punition des coupables devant un tribunal qui sera établi par la commission dont l’Assemblée ne cesse de s’occuper. » On annonce une députation du district des Blancs-Manteaux : elle est introduite. M. Godard, l’un des présidents du district, porte la parole : Messieurs, un événement important nous amène aux pieds de cette auguste Assemblée. La capitale semblait n’avoir plus rien à désirer, et le calme y devait être rétabli à jamais. Elle avait eu le bonheur de vous recevoir ; elle avait reçu son Roi. Hier, le ministre qu’elle attendait si impatiemment était venu mettre le comble à sa joie. Cette troisième journée, si belle, si touchante, a été l’une de celles où les esprits ont été le plus agités. Ils le sont encore; et c’est auprès de vous que nous venons chercher le remède à cette fermentation... Si tout Paris avait entendu M. Necker, avait été témoin de son émotion, avait vu couler ses larmes, tout Paris aurait fait un décret solennel des sentiments de ce grand ministre. Les électeurs, au nom de la cité, ont prononcé une amnistie générale. Leur arrêté a produit l’impression la plus terrible. Des crimes ont été commis ; les lois en réclament la punition ; et tout à coup un pardon général est annoncé ; il l’est au nom de tous les citoyens, par des citoyens sans mission. Ce même peuple qui, dans un jour, est passé de la servitude à la liberté, n’a pu se prêter à la révolution soudaine qu’on voulait opérer sur son esprit... Il n’a pas reconnu, dans cet arrêté des électeurs, le caractère de la loi; il n’y a pas vu l’expression de votre volonté, qui était et qui est que les coupables soient recherchés, jugés et punis. Tel est l’esprit dé vos derniers décrets, et le respect qu’ils inspirent au peuple se joint, dans son esprit, à la haine qu’il conserve encore contre ses ennemis quoique vaincus, et il a fait éclater ses plaintes contre cet arrêté. Alors nous avons pensé que le plus sûr moyen de calmer ses agitations était de nous plaindre nous-mêmes, de lui faire voir qu’il avait des défenseurs, et nous avons pris l’arrêté que nous vous apportons... Nous sommes rassurés par la pureté de nos intentions. Le besoin de la paix, la nécessité de ramener à l’instant la tranquillité publique, l’influence que vous exercez sur la France entière, nous ont déterminés dans nos démarches. Ces députés remettent ensuite sur le bureau un arrêté de leur district, par lequel ils désavouent celui des électeurs, et déclarent s’en rapporter, sur la recherche des coupables et leur punition, à ce qui a déjà été décrété par l’Assemblée nationale. M. le Président, à la députation. L’esprit du bien public et de la justice anime l’Assemblée nationale depuis qu'elle est formée; c’est lui qui a dicté tous ses arrêtés ; et quel autre peut animer les représentants de la nation? C’est celui qui