ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mai 1789.] [États généraux.] On recueille les voix, et la motion est rejetée à la presque unanimité des suffrages. M. Aubrv du Bochet lit un plan d’ordre sur lequel on ne juge pas à propos de délibérer. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du samedi 23 mai 1789. CLERGÉ. Il n’a pris aucune délibération. NOBLESSE. Il ne s’est rien passé d’intéressant dans la séance de la noblesse. communes. M. Target. Je demande qu’on nomme au scrutin deux secrétaires chargés de rédiger tout ce qui s’est passé dans les Etats depuis leur ouverture, et d’en faire un procès-verbal clair, simple et précis. Cette motion excite de nouveaux débats. fS K Un membre. J’expose que si le procès-verbal est sec et net, il est de peu d’utilité ; si l’on se permet des réflexions, les rédacteurs deviennent les censeurs de l’Assemblée ; cela aigrira les esprits ; ainsi je crois que le meilleur parti est le silence. Un membre . J’appuie la motion, parce que le silence des députés des communes répand des alarmes dans les provinces. M. Populus. Si ces alarmes existent, et quelle qu’en soit la cause, de simples notes ne les diminueront certainement pas. Un compte motivé de notre inaction pourrait y ajouter ; cette inaction a été résolue sur des connaissances locales de l’Assemblée, du pays de l’intrigue : en un mot, sur l’observation d’une foule de circonstances positives qu’il serait long, pénible et délicat de développer en un instant à nos commettants, qui ont pour gage de notre conduite leur confiance même et nos relations particulières auxquelles seules nous sommes tenus, tant que nous ne sommes pas une Assemblée constituée. D’ailleurs, les conférences que nous avons arrêtées, qui s’ouvrent aujourd’hui, dont nos envoyés nous donneront des relations écrites, et ensuite desquelles il faudra sans doute prendre un parti , ces conférences ne suspendent-elles pas toute démarche ultérieure ? Pourquoi anticiper de deux ou trois jours, par une délibération irrégulière, sur celle que nous prendrons avec maturité, légalement et munis de tous les moyens et de tous les pouvoirs nécessaires pour exécuter ce que nous avons résolu ? La motion est rejetée à la pluralité de 389 voix contre 28. On lit une adresse de M. Pankoucke aux Etats généraux, dans laquelle il sollicite l’impression du journal de l’Assemblée nationale, comme supplément naturel du Mercure de France , le plus ancien des journaux, dépôt, en 1614, des principaux actes des Etats généraux, consulté encore 45 aujourd’hui à cause de l’authenticité de ses rapports; il représente d’ailleurs que cent mille écus de redevance qu’il paye au gouvernement ou aux auteurs méritent quelques égards. Plusieurs membres observent que cette adresse se lie à la motion qui vient d’être rejetée; en conséquence elle n’a pas de suite. Un des adjoints lit à l’Assemblée la lettre suivante de M. le marquis de Brézé. Versailles, 23 mai 1789. Le Roi voulant, Monsieur, admettre à l’honneur de lui être présentés , dimanche prochain 24 mai, ceux de MM. les députés qui n’étaient point encore arrivés le 2, j’ai celui de vous en prévenir, et de vouloir bien engager ces Messieurs à donner leurs noms, en indiquant de quels bailliages ils sont. Voulez-vous bien, Monsieur, le leur dire, *et les prier de se rassembler dans le salon d’HercuIe, en habit de cérémonie, un peu avant six heures du soir ? J’ai l’honneur d’être, avec un sincère attachement, Monsieur, votre, etc. Le marquis de Brézè. M. de Mirabeau l’aîné. A qui s’adresse ce sincère attachement? Le même membre qui a fait lecture de la lettre. Il est écrit au bas de la lettre : M. le doyen de l’ordre du tiers. M. de Mirabeau. Il ne convient à personne dans le royaume d’écrire ainsi au doyen des communes. L’Assemblée partage ce sentiment, et charge le doyen de le faire parvenir à l’auteur de la lettre. Conférences sur la vérification des pouvoirs. Les commissaires nommés par les trois ordres se réunissent à six heures du soir en une salle adjacente à la salle des Etats. Ges commissaires sont: Pour MM. du clergé. MM. l’archevêque d’Arles, l’archevêque de Bordeaux, l’évêque de Clermont, l’abbé Gosier, chanoine et archidiacre de Verdun ; Dillon, curé du Vieux-Pouzange ; Richard, curé de Plisson; Thibault, curé de Souppes, et Lecesve, curé de Sainte-Triaise. Pour MM. de la noblesse. MM. le marquis de Bouthilier, le duc de Luxembourg, le marquis de la Queuille, de Bressant, le baron de Pouilly, le comte d’Entraigues, le duc de Mortemart et de Gazalès. Pour MM. des communes. MM. Rabaud de Saint-Etienne, Target, Chapelier, Mounier, d’Ailly, Thouret, Milscent, Dupont, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 40 ] Étals généraux.] Chassebœuf deVolney, Legrand, Redon, Viguier, Salomon de Saugerie, Bergasse et Barnave. M. Dulau, archevêque d'Arles, prend la parole ; il annonce, au nom du clergé, le désir de contribuer au rétablissement de l’harmonie entre les ordres, son intention de supporter tous les impôts et toutes les charges de l’Etat dans la même proportion et de la même manière que tous les autres citoyens. U ajoute que le clergé n'a pas cru devoir prendre de résolution sur l’objet de la vérili cation des pouvoirs, lorsqu’il a été instruit que les deux autres ordres ont, sur celte matière, des opinions différentes. M. le «lue de Luxembourg expose que le vœu de contribuer également à toutes les impositions est exprimé dans les cahiers de la noblesse, et que ce vœu est aussi certain qu’irrévocable. Il manifeste aussi le désir de voir une paix fraternelle régner entre les ordres. M. Target dit que les communes sont animées du même esprit et qu’elles forment les vœux les plus ardents pour l’établissement de la concorde. Passant ensuite à l’objet de la conférence, il observe que les membres qui y sont envoyés n’ont à s’occuper que delà question relative à la vérification des pouvoirs en commun, et que la nécessité de cette vérification commune est fondée sur ce que les pouvoirs des députés de toutes les classes ayant pour but l’établissement et la défense des droits et des intérêts de la nation, il est évident que ces pouvoirs doivent être examinés, reconnus et jugés par les représentants de la nation entière. Il invite MM. du clergé et de la noblesse à faire connaître les objections qu’ils croient pouvoir opposer à une vérité aussi claire. Les commissaires de la noblesse disent que, simples mandataires, ils ont cru devoir suivre les usages pratiqués dans les derniers Etats généraux. Ils rappellent qu’en 1614 la vérification des pouvoirs s’est exécutée par ordres, et ils montrent la crainte que la vérification des pouvoirs en commun n’entraîne l’établissement du vote par tête en Assemblée générale. Les membres des communes répondent que c’est en Assemblée générale qu’il faut examiner si les formes des derniers Etats généraux sont bonnes, et si leur observation est applicable aux circonstances actuelles ; que les raisons qui établissent la nécessité de faire la vérification des pouvoirs en commun sont décisives par elles-mêmes, et indépendamment de la forme d’opiner qui sera adoptée par les Etats généraux. Entrant ensuite dans l’examen des usages, ils font remarquer que si en 1614 les pouvoirs ont été vérifiés séparément, ce n’a été qu’un examen provisoire; mais que sur tous les pouvoirs contestés, la décision définitive avait été renvoyée au conseil du Roi; que sans doute il n’est pas dans l’intention de MM. de la noblesse de porter au conseil la connaissance de ces contestations. MM. de la noblesse en conviennent sans difficulté; ils reconnaissent que les Etats de 1614 sont tombés, à cet égard, dans une erreur. MM. des communes observent que, puisqu’on est réduit à reconnaître qu’il y a au moins une erreur dans les anciens usages, on peut bien reconnaître qu’il y en a deux, et que la vérification séparée des pouvoirs en est une. Puisqu’on s’est trompé en allant au conseil du Roi, il s’ensuit qu’il faut y substituer un tribunal qui soit un ; or, ce tribunal ne peut se trouver que dans la [23 mai 1789.] représentation nationale assemblée tout entière. MM. de la noblesse objectent qu’en 1588 la vérification des pouvoirs s’est faite aussi séparément, et qu’on ne voit point qu’à cette époque le conseil du Roi ait jugé les contestations sur les pouvoirs. MM. des communes font sentir l’impossibilité de se prévaloir de ce qui s’est fait en 1588, au milieu des orages civils; ils se réservent au surplus de vérifier le procès-verbal de ces Etats ; ensuite ils disent que, puisque MM. de la noblesse leur donnent l’exemple de remonter des derniers Etats à ceux de 1588, ils se croient autorisés eux-mêmes à s’élever plus haut encore et à examiner ce qui s’est pratiqué dans les Etats de Tours en 1483. On y voit que toutes les opérations s’y sont faites en commun : d’abord en six bureaux, composés des députés des trois ordres qui préparaient et discutaient les objets de délibération ; ensuite, pour les résolutions définitives, par des Assemblées générales. Ces Etats n’ont eu qu’un seul orateur et un seul cahier ; donc il est évident que la vérification des pouvoirs n’a pu être faite qu’en commun. La division des ordres, continuent-ils, n’a commencé qu’en 1560, époque où la fermentation des esprits, les haines et les partis régnaient déjà dans une grande force. Cependant il est douteux si la vérification des pouvoirs s’est faite séparément ; il n’en existe aucun procès-verbal ; l’on voit môme que le clergé a protesté contre la séparation des Chambres. Un membre de la noblesse prétend qu’en 1356 les pouvoirs ont ôté vérifiés séparément. Il lui est répondu que dans les Etats de 1536 les ordres se sont tantôt réunis et tantôt séparés ; que cette Assemblée ne s’étant fixée à aucun principe établi de délibération, et le procès-verbal n’existant pas, il est impossible de savoir quelle a été la forme des vérifications. D’après cette discussion qui prouve combien l’autorité des faits est peu concluante sur ce point, MM. des communes invitent MM. delà noblesse à vouloir bien consulter les règles de la raison. La raison dit à tout le monde que les représentants d’une nation, chargés de concourir à l’œuvre commune de la régénération publique, doivent se connaître les uns les autres et juger leurs titres respectifs ; que les députations faites parles trois ordres réunis dans les baillages (et il y en a plusieurs de ce genre) doivent bien évidemment être jugées par l’Assemblée générale des députés de l’Eglise, de la noblesse et des communes. D’ailleurs l’état des choses est entièrement différent de ce qu’il était en 1614. Alors chaque ordre se bornait à faire et à présenter des doléances particulières qui pouvaient ne pas exiger un travail commun, et pour lesquelles la connaissance des pouvoirs des députés de chaque classe était indifférente aux autres. Aujourd’hui tous les députés sont chargés par leurs cahiers de l’honorable fonction de concilier tous les droits de la nation avec la puissance royale. A des travaux si différents, il est impossible d’appliquer l’observation de mêmes formes ; il est impossible que la nation soit indifférente à la validité du titre de ceux qui vont exercer pour elle une portion de la puissance législative. MM. de la noblesse se retranchent encore derrière l’autorité des usages. L’un d’eux déclare qu’il faut consulter également et la raison et le dernier état. Sur le dernier état, il soutient tou-