BAILLIAGE DE TOUL. CAHIER Des très-respectueuses remontrances , plaintes et doléances du clergé du bailliage de Toul (1). L’ordre du clergé du bailliage de Toul, pénétré de reconnaissance du bienfait signalé que le Roi veut bien accorder à ses peuples en les appelant auprès de lui pour les consulter sur les besoins de l’Etat, et de la déclaration touchante qu’il daigne faire : qu’environné de ses peuples, il se regarde comme un père de famille au milieu de ses enfants, s’empressera de répondre à une confiance aussi honorable, et de porter au pied du trône l’hommage de son respect et l’offre illimitée de ses biens et de ses personnes. Il ne craindra jamais de faire de trop grands sacrifices pour un prince qui sacrifie lui-même au bonheur de son peuple les dépenses qui tiennent plus particulièrement à sa personne, pour un prince qui ne connaît d’autre bonheur que celui de rendre ses sujets heureux, pour un prince qui regarde le plus grand avantage de l’Etal et la plus grande félicité de ses sujets comme le plus bel usage qu’il puisse faire de sa puissance. Sa Majesté aurait été attendrie, si elle avait été témoin de l’effusion de sentiments qu’a fait naître dans tous les cœurs de ses sujets la manifestation de ses bontés paternelles. Il n’en est aucun qui ne se crût heureux de lui offrir corps et biens, et d’acheter par les plus grands sacrifices la paix et le bonheur d’un aussi bon Roi. Mais puisque Sa Majesté appelle à son conseil la nation entière, puisqu’elle veut que la prospérité de l’Etat ne soit due qu’au zèle empressé de tous les ordres du royaume, le clergé ne craindra pas de mettre sous les yeux de Sa Majesté l’expression de ses vœux pour le bien général de l’Etat. Il profite donc de la liberté qui est donnée à tous les ordres pour s’expliquer avec franchise. Il croit qu’avant de s’occuper de l’objet relatif à l’impôt, a l’emprunt, ou à toutes les autres demandes des ministres, il faut que la constitution soit assurée par une déclaration envoyée dans toutes les provinces, et enregistrée dans toutes les cours du royaume, qui arrête irrévocablement : Art. 1er. Qu’aucun impôt ne sera à l’avenir établi ou prorogé, aucun emprunt ouvert, que du consentement des Etats généraux, et que rimpôt sera toujours limité à l’époque où devra se tenir la prochaine assemblée. Art. 2. Que les Etats généraux s’assembleront régulièrement tous les cinq ans, au mois de mai, dans la ville qui sera désignée par l’assemblée récédente avant sa séparation , sans qu'ils, aient esoin d’aucune convocation, sans qu’il puisse y (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire, lrc Série, T. VL être apporté aucun obstacle, et sans que dans l’intervalle on puisse établir aucune commission intermédiaire. Art. 3. Qu’aucun citoyen ne puisse jamais être arrêté par des ordres arbitraires que le temps nécessaire pour être conduit dans une prison légale, et remis aux juges que lui donne la loi. Art. 4. Qu’aucun acte publié ne soit réputé loi, s’il n’est consenti par les Etats généraux avant que d’être muni du sceau de l’autorité royale, et s’il ne contient l’expression de ce consentement; que le Roi néanmoins puisse, dans l’intervalle des Etats, faire toutes les lois provisoires que les circonstances exigeront. Art. 5. Qu’il soit établi dans chaque province des Etats particuliers dans la forme réglée par les Etats généraux, ou consentis par la province. Ces Etats particuliers seront chargés de l’assiette, de la répartition et de la levée de tous les impôts, dans la proportion qui sera fixée par les États pour chaque province, ainsi que de la régie et de l’administration de tous les objets qui concernent les provinces, et de les verser eux-mêmes directement dans le trésor royal. Le désir du clergé est que les Etats généraux commencent par obtenir cette déclaration ; qu’elle soit envoyée dans les provinces, et que ce ne soit qu’après l’avoir obtenue que l’on s’occupe du déficit, des moyens d’y remédier, de consolider la dette de l’Etat, des secours à accorder, des emprunts à ouvrir, et généralement de tout ce qui peut tendre à l’amélioration des finances de l’Etat. Le clergé n’ose se flatter d’obtenir, dans ces premiers Etats généraux, la réforme de tous les abus, des lois civiles et criminelles, de la justice, de la police, de l’administration et des tribunaux. Cependant il croit qu’il est indispensable que la sagesse du monarque et les lumières des Etats généraux s’occupent le plus promptement possible d’y apporter un remède efficace, en établissant des comités composés des hommes les plus instruits dans chacune de ces matières; — que les mémoires qu’ils seront obligés de dresser soient envoyés dans différentes provinces pour y être ensuite rendus publics, portés même au pied du trône, afin d’en obtenir reffet le plus avantageux pour la nation. Mais comme il est des abus que l’on ne peut arrêter trop tôt, et contre lesquels il faut s’élever avec force, il paraît indispensable que les Etats généraux sollicitent de la justice du Roi une loi particulière qui s’oppose à celles qui paraissent favoriser l’usure. Le clergé se contentera donc de composer son cahier de doléances, d’objets qui le touchent de plus près, et qui pèsent d’une manière plus directe sur lui ou sur le peuple avec lequel il vit, et dont il a l’honneur dœtre le premier ordre. Art. 1er. Le clergé ne se considère dans l’Etat que comme citoyen et enfant de la patrie ; il lui 1 2 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Tout.] paraît juste de subvenir selon ses forces et facultés aux besoins deTEtat, et de concourir avec tous les autres citoyens à l’extinction de la dette nationale. Il abandonne toutes les distinctions utiles et pécuniaires, et ne se réserve que celles qui sont purement honorifiques et personnelles, se soumettant, pour la forme dans laquelle sa contribution sera levée, à celle qui sera réglée par les Etats généraux du royaume. Art. 2. Il demande que les lois sur le respect dû aux églises, sur la défense d’imprimer, vendre ou colporter des livres ou autres écrits contraires à la religion, aux bonnes mœurs et à l’ordre public, soient remises en vigueur, et prononcent une peine grave contre les délinquants. Art. 3. Il demande que, pour maintenir et augmenter l’esprit ecclésiastique, l’étude des saints canons et la régularité des mœurs, les conciles provinciaux soient rétablis: que ce soit dans ces assemblées que soient réglés les articles de la discipline, et arrêtés les rituels et autres livres faits pour diriger la conduite que doivent tenir les ecclésiastiques dans toutes les fonctions de leur ministère, de sorte que tout soit marqué et vraiment prononcé par la loi, et qu’il n’y ait rien de laissé à l’arbitraire. Art. 4. Que l’éducation, ayant une influence aussi importante sur les mœurs, et pouvant en quelque façon être regardée comme une seconde nature, soit surveillée avec tout le soin possible; qu’il soit dressé des livres élémentaires qui apprennent les principaux devoirs du citoyen, ainsi que nos catéchismes enseignent ceux de la morale et du christianisme ; qu’il soit travaillé à un plan d’éducation nationale ; que les curés soient maintenus dans la juridiction que leur donne l’édit de 1695 sur les maîtres et maîtresses d’école, et qu’il soit, autant que faire se pourra, établi des instituteurs différents pour les deux sexes. Art. 5. Il demande le rétablissement de la discipline ecclésiastique, et l’exécution des saints canons sur la pluralité des bénéfices; qu’en conséquence, il soit sévèrement prohibé d’en posséder plusieurs lorsqu’un seul peut suffire à un honnête entretien, et que, pour éviter toutes les inquiétudes qu’on pourrait avoir sur ce qu’on doit entendre par un hounête entretien, il soit renvoyé au clergé de statuer clairement et définitivement ce qu'on doit regarder comme suffisant à l’entretien d’un membre du premier ordre, et de celui du second ; — que la décision soit rendue publique, et qû’après qu’elle aura été manifestée, toutes les sommes qui excéderaient celle qui aurait été estimée suffisante, provenant de la pluralité des bénéfices, soient versées dans la caisse de la chambre ecclésiastique dont il sera parlé dans la suite ; l’autoriser même à en percevoir les fruits, en offrant de payer à chaque titulaire le revenu fixé par le clergé. Art. 6. Il demande le rétablissement de la Pragmatique-Sanction, la suppression de tous les concordats et induits par lesquels les souverains pontifes auraient accordé à Sa Majesté la nomination aux places ecclésiastiques. L’Eglise et l’Etat ont gémi longtemps sur rabolition de cette loi. Tous les tribunaux ont réclamé pendant plus d’un siècle sur cette plaie faite à la discipline et aux études. Si leurs plaintes ont cessé, c’est moins parce qu’elles cessaient d’être justes que parce qu’on ôtait convaincu de leur inutilité. Si l’élection est rendue, l’Eglise changera de face. La voix publique appelle aux distinctions, toujours bien plus sûrement que les intrigues des cours. Art. 7. Il demande que les commendes dans les abbayes soient supprimées, que l’élection des pré-latures soit rendue aux maisons religieuses ; mais comme les menses dont jouissaient les abbés sont depuis longtemps hors de la possession àe ces maisons, qu’elles soient versées dans la caisse des deniers de la chambre diocésaine. Art. 8. Que cette chambre soit établie pour y recevoir le produit des menses des abbayes dont l’élection aura été rendue aux maisons religieuses. Ges revenus seront toujours estimés au tiers de celui total de la maison. Il y sera encore versé le produit de l’excédant des bénéfices qui passeront la somme qui aura été jugée par le clergé de France être suffisante pour l’entretien, relativement à ceux qui jouiraient de plusieurs bénéfices, soit pour le premier, soit pour Je second ordre. Sur les revenus ainsi versés dans la caisse de cette chambre, il sera établi des pensions de 500 livres pour servir de retraite aux ecclésiastiques dont l’âge ou les infirmités ne leur permettraient pas de continuer leurs fonctions, ou pour tous autres usages pieux ou d’utilité publique qui seront statués par rassemblée du diocèse. Art. 9. Que cette chambre soit régie par des administrateurs qui seront nommés par le clergé de tout le diocèse ; que les comptes en soient rendus au synode général ; qu’ils soient imprimés et qu’on en remette à chaque doyen des exemplaires en nombre suffisant pour que chaque curé du diocèse puisse avoir sous les yeux l’état de cette chambre ; que cette forme soit aussi pratiquée pour tous les établissements publics quelconques, l’administration des hôpitaux, le séminaire, la fondation de la retraite et tous autres, de sorte que toute régie où le public est intéressé soit toujours publique. Art. 10. Le clergé demande que le droit que les curés sont dans l’usage de percevoir sous le titre de casuel exigible soit supprimé pour toujpurs comme incompatible avec la dignité de leur état et de leurs fonctions et comme un impôt onéreux au peuple, sans cependant que cette demande puisse s’étendre au casuel de leurs clercs ou maîtres d’école auxquels cette ressource est nécessaire pour leur subsistance et pour celle de leur famille, sauf aux Etats provinciaux de suppléer par un autre moyen à la rétribution. Art. 11. Le clergé demande qu’on détermine un revenu annuel fixe pour les curés des villes et des campagnes. Il se confie entièrement en la bonté du Roi pour faire, par les Etats, généraux, fixer une somme qui convienne, et qu’il l’augmente graduellement en raison de la population des paroisses, de ses besoins et de ses charges ; qu’elle soit toujours réglée' sur le taux du numéraire actuel et sur le prix des grains, de sorte que tous les vingt ans elle éprouve une augmentation progressive, si le numéraire ou les grains en ont éprouvé une. Quant aux moyens nécessaires pour opérer cette dotation dans la proportion susdite, le clergé invoque la bonté et la justice du Roi envers la classe du clergé la plus laborieuse et la plus pauvre. Il se repose entièrement du succès de cette demande sur les lumières et la prudence des Etats généraux, le tout néanmoins sans préjudice aux établissements subsistant dans la province, dont le clergé reconnaît l’utilité, et dont il est bien éloigné de demander la suppression. Art. 12. Le clergé demande que les églises paroissiales soient déclarées libres et affranchies pour toujours de toute servitude, et les curés déchargés de toute obligation personnelle jadis ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Tou!.] 3 [États gén. 1789. Cahiers.) imposée par les chapitres et communautés régulières sous le nom des droits des curés primitifs en ce qui ne touche que les droits purement honorifiques et personnels, n’étant pas convenable, d’un côté, que les corps auxquels ces droits appartiennent soient détournés de leurs occupations ordinaires, et de l’autre, que des pasteurs accoutumés à paraître à la tête de leur paroisse en soient exclus les jours les plus solennels, l’exercice de ces droits déplaisant au peuple qui ne le voit qu’avec murmure et chagrin, et ne servant absolument qu’à embarrasser le service divin et à humilier des pasteurs auxquels l’intérêt de l’Eglise et de l’Etat exige qu’on ne retranche rien de la considération due à leur place. Art. 13. Le clergé demande que, pour prévenir les contestations et procès entre les curés et les chapitres tant séculiers que réguliers au sujet de la juridiction pastorale, il soit statué définitivement par une ordonnance, que tout domestique des chanoines, ou autres personnes laïques attachées au service de leurs églises par quelque fonction que ce soit, et domiciliées de fait dans l’étendue des paroisses, soient soumises à la juridiction ordinaire des curés, nonobstant tout titre ou possession à ce contraire, sans néanmoins comprendre dans le présent article les gens demeurant intra septa des maisons religieuses, qui continueront à être paroissiens de ces maisons, sauf tout droit à ce contraire. Art. 14. Le clergé demande que les cures séculières dont la nomination appartient aux abbés commendataires, ne tournent pas à la disposition des maisons religieuses dans le cas où il serait statué que le droit d’élection leur serait rendu, mais qu’elles soient toutes conférées par la voie du concours; — qu’on ne soit plus obligé de recourir 4 Rome après le concours, mais que l’ordinaire des lieux soit autorisé à donner des institutions; — que le concours ne dépende pas de la seule volonté de l’évêque, mais strictement de la pluralité des suffrages des examinateurs synodaux; — que monseigneur l’évêque, dans la présentation qu’il est autorisé de faire au Roi, de trois sujets pour les prébendes ou canonicats de cinq églises collégiales de ce diocèse, soit tenu de choisir les sujets parmi ceux qui travaillent au moins depuis dix ans aux fonctions du saint ministère. Art. 15. Le clergé demande qu’on ne soit plus obligé dans les Trois-Ëvêchés d’obtenir des bulles en cour de Rome pour les collations, résignations et toute autre espèce de provisions de bénéfices ; — qu’il plaise à Sa Majesté faire instance par son ambassadeur auprès de Sa Sainteté pour que les-dites provisions soient dorénavant expédiées et accordées sur simple signature, les bulles étant extrêmement onéreuses aux ecclésiastiques. Art. 16. Le clergé demande que ses membres ne soient plus obligés de se présenter soit au bailliage, soit au parlement pour y prêter serment de fidélité lorsqu’ils sont dans le cas de prendre possession de quelque bénéfice. Cette formalité, inconnue dans le reste du royaume, doit être abolie dans cette province, où il est humiliant pour les ecclésiastiques de prendre ces précautions sur leur fidélité, et injuste de les assujettir à des frais considérables. Art. 17. Le clergé demande qu’il soit permis de remplacer les anciens fonds des fabriques, ceux des hôpitaux , et ceux appartenant aux gens de mainmorte, sans lettres patentes et sans qu’on soit exposé à aucune recherché de la part des administrateurs du domaine ; — que les droits d’amortissement pour les améliorations, embellissements, reconstructions et réparations qui n’auraient été faites que sur des fonds déjà amortis, soient supprimés. Il est intéressant pour le public que les fabriques et hôpitaux ne soient pas exposés à voir leurs revenus diminués, et que les bâtiments appartenant aux gens de mainmorte puissent être rendus plus commodes et plus multipliés pour faciliter le logement des citoyens et en diminuer le prix. Il paraît contraire à la décoration des villes de faire payer des droits à ceux qui veulent les embellir à leurs frais. Art. 18. Il demande aussi que les échanges des biens ecclésiastiques soient affranchis de tous droits, ainsi que les échanges simples des biens amortis avecdes biens non amortis. Les opérations n’augmentent pas le revenu du clergé et contrarient par des frais considérables des arrangements qui conviendraient à des citoyens et qui seraien souvent utiles au public. Art. 19. Le clergé demande que, pour encourager l’étude et le mérite, et ne pas donner l’exclusion à un si grand nombre de bons sujets de ce diocèse, il plaise à Sa Majesté, en interprétant les lettres d’anoblissement des chapitres de la cathédrale et de Bar-le-Duc, ordonner que les ecclésiastiques qui auront exercé les fonctions pastorales en qualité de curé et de vicaire pendant l’espace de quinze années, seront à ce seul titre déclarés habiles à posséder les prébendes de ces chapitres , de même que les nobles ou les gradués, parce que les chapitres nobles sont singulièrement multipliés dans cette province. Le clergé, sensible aux maux immenses qui naissent de la fureur de plaider et qui s’étendent jusqu’aux dernières classes des citoyens, voit avec douleur que la ruine des familles est souvent occasionnée pour des objets peu considérables et qu’il aurait été facile d’apaiser dans leur naissance s’ils avaient passé sous les yeux de gens sages et amis de la paix. En conséquence, il dénonce aux Etats généraux ce fléau, un des plus funestes de ceux qui désolent les campagnes. Il attend de la sagesse des membres qui composeront cette assemblée, qu’ils ne croiront pas indignes d’eux de s’en occuper et de chercher à le prévenir. Le clergé indiquera les moyens qu’il croit capables d’y remédier, bien persuadé qu’à la source des lumières, des connaissances et du patriotisme, il en sera trouvé de plus efficaces. Il croit qu’on pourrait donner aux municipalités des campagnes l’autorité de décider les contestations les plus légères. Ce premier jugement rendu par les chefs de communes, élus par elles et dignes de leur confiance, pourra apaiser bien des querelles dans leur naissance. 11 croit qu’on pourrait établir de distance en distance des bureaux qu’on appellerait de pacification, qui seraient de véritables justices de paix et de charité. On doit attendre de la religion et de la bienfaisance des curés, des seigneurs et des gens les plus aisés