[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 janvier 1790.) i71 Ces obstacles ne sont pas levés par les légères et très-légères raisons du comité. Les Béarnais et les Basques ont le même évêque; mais de tous les administrateurs, ceux qui voient le moins en détail sont les évêques ; le même parlement ; c’était un vice de l’ancien ordre judiciaire, et vous ne le consacrerez pas. Je ne sais si, quand un peuple a conservé pendant des siècles un caractère excellent et des mœurs patriarcales, il peut être bon, et en morale et en politique, de le mêler avec des peuples policés. M. Darnaudat représente que beaucoup de Basques entendent le français et le béarnais; que ces peuples s’unissent par des rapports journaliers de commerce; que la différence de l’idiome peut être présentée comme une considération, mais non comme un moyen : qu’elle est au contraire une raison politique de réunir les deux peuples. M. Garai le jeune. Je ne vous présenterais pas d’observations, s’il était possible de suivre l’avis du comité; mais je dois vous en offrir quand il y a une impossibilité absolue, quand on veut faire le malheur de cent et quelques mille individus. Un des membres du comité de constitution, M. Target, a parcouru ce pays; il vous dira si l’on y parle une autre langue que celle des Basques. M. Target. Les Basques ne m’entendaient pas, je n’entendais pas les Basques; mais je ne puis en conclure que les Basques et les Béarnais ne s’entendaient pas entre eux. M. Garat le jeune. C’est une vérité coùnue dans les pays gascons et français, voisins de cette contrée, qu’il est impossible d’apprendre le basque, si l’on n’habite très-jeune avec les habitants de cette province. Aussi dit-on proverbialement que le diable est venu chez les Basques pour apprendre leur langue, et qu’il n’a pu en venir à bout. Ce proverbe vient de vous faire rire; cependant il renferme une vérité profonde. Les proverbes sont la sagesse des hommes. Aucunes langues ne présentent entre elles autant de difficultés que le basque et le béarnais. L’italien, l’allemand et l’anglais ont leur source commune dans le latin et dans les langues du Nord. Le basque est la véritable langue attique... Les Basques n’ont pas de métayers, pas de valets; ils cultivent eux-mêmes. S’ils allaient ailleurs faire leurs affaires ils ruineraient leurs affaires. Le vingtième de leur pays est cultivé; le reste n’est pas cultivable. Us sont très-forts, et ne pourraient jamais vivre ailleurs... A peine trouvera-t-on dans ces contrées des familles assez aisées pour fournir des éligibles à l’Assemblée nationale. Le Béarn, par cette réunion, nommera tous les représentants; le pays desjBasques n’en aura jamais. M. de Rochebrune. Les Basques ont une très-grande facilité naturelle pour l’étude des langues; beaucoup d’entre eux savent le béarnais et le français et c’est surtout en Béarn qu'ils vendent leurs laines. Le Béarn n’a ni-demandé ni désiré que les Basques lui fussent réunis; l’intention qnelui suppose le préopinant n’est donc pas juste. M. le vicomte de Alacaye. Tout ce que vous ont dit MM. Garat, mes collègues, est très-juste : l’impossibilité résultant de la différence d’idiome est évidente. Voulez-vous en juger? Ordonnez des conférences entre les députés basques et béarnais ; qu’ils parlent chacun leur langage, qui rédigera le procès-verbal de ces conférences ?... L’Assemblée, en suivant ravis du comité, décrète la réunion du pays des Basques et du Béarn. M. Garat le jeune. Il me reste un devoir à remplir; il m’est prescrit par mes commettants, par ma raison, par ma conscience : nulle chose au monde ne pourrait me le faire oublier; Dans une délibération unanime, ma province proteste. ( Violents murmures .) On interrompt l’opinant, en le rappelant à l’ordre. M. Démennier, ancien président, fait lecture à l’Assemblée de la lettre suivante qu’il a reçue ; a Monseigneur, « Les volontaires de la ville de Dunkerque se sont empressés de témoigner leur respect, leur adhésion, leur obéissance aux décrets de votre auguste Assemblée. Ils persistent plus que jamais dans ces sentiments. Us vous promettent de nouveau, ils jurent qu’ils sont prêts à soutenir, au péril de leur vie, une constitution qui convient vraiment à des hommes libres. « Us vous remettent, Monseigneur, deux libelles qui se répandent dans nos provinces j et dont votis avez peut-être intérêt de rechercher les vils auteurs. N’en concevez cependant nulle alarme : nous ne doutons pas de la fidélité d’un peuple qui s'estime heureux de faire partie de la nation française; nous vous conjurons du moins d’être persuadé que rien n’égale la nôtre, et qu on ne peut être àvee des sentiments plus respectueux. « Signé : nominativement par les membres du conseil d’administration de la garde bourgeoise de Dunkerque pour ses volontaires. « P. S. Le libelle a été adressé à notre comité, sous le timbre de la ville de Cambrai; et nombre d’exemplaires ont été répandus avec profusion dans cette province. » A cette lettre étaient joints les deux libelles, l’un intitulé : « Adresse aux provinces, parM. Démeunier, député, président de l’Assemblée. A Paris, chez Baudouin, imprimeur de l’Assemblée nationale; commençant par ces mots : tous vos députés vous assurent deux fois par semaine, et finissant par ceux-ci: susceptibles de quelques modifications ». L’autre intitulé : « Le génie des « Belges ou Flamands aux provinces Belgico-Fran-« çaises, commençant par ces mots : Les citoyens « étaient assemblés, et finissant par ceux-ci: t offre d’union et d’alliance avec toutes les pro-« vinces belgiqües. » M. Rémeunier remet le tout sur le bureau en y joignant son désaveu. M. Charles de Tamelh. On connaît mon opinion sur les libelles quand ils ne concernent que des particuliers. Lorsqu’ils tiennent à l’ordre public, ils ont vraiment quelque importance. Un libraire de Paris est venu s’accuser à moi que, ne gagnant rien à imprimer de bons ouvrages, il s’était déterminé à publier des libelles, et qu’il en sortait de ses presses vingt mille exemplaires par semaine. II y a très-peu d’impriraeufs à Paris qui n’en fassent autant. Ces libelles sont envoyés dans les provinces belgiqües et frontières. 172 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 janvier 1790.] Le libraire dont je viens de parler m’a dit que ces vingt mille exemplaires étaient pour l’Alsace et pour la Lorraine. Metz est un entrepôt considérable de ce commerce atroce. Je n’ai préparé aucun décret qui puisse concilier la liberté nationale; mais j’ai cru devoir indiquer un objet intéressant pour les amis de la révolution. M. Merlin observe que depuis longtemps on cherche à ébranler la fidélité des provinces bel-giques. Des libelles revêtus de signatures authentiques ont été remis au comité des recherches. M.Emmery a été chargé d’en’prendre connaissance, sur la dénonciation de deux mille citoyens, les plus notables de la ville de Lille. On n’en a cependant point fait de rapport, et on dit que ces pièces sont perdues . L’Assemblée doit prendre connaissance de ces faits... M. Leclerc représente que le préopinant, quia dit que beaucoup d’imprimeurs de Paris publiaient des libelles , aurait pu restreindre son assertion aux particuliers très-nombreux qui viennent d’élever des imprimeries. Il assure que pas un des trentes-six imprimeurs de Paris n’imprime des libelles. M. Kmmery. Voici ce qui est à ma connaissance : on a envoyé au comité des recherches un ouvrage contre les décrets de l’Assemblée, signé Lefèvre, avocat à Lille. Cet homme s’est rétracté dans une adresse imprimée et dans les Affiches de Flandre. Un autre libelle a été arrêté à Ypres, ainsi qu’une délibération du bureau renforcé du Gambrésis. Une autre pièce, de la même orthographe que l’écrit de l’avocat de Lille, m’a aussi été remise. Elle contient une protestation contre les pouvoirs des députés qui ont concouru à vos décrets, et elle est signée des commissaires nobles et ecclésiastiques du Gambrésis. J’ai fait le rapport de ces pièces au comité des recherches; je n’ai eu que mon opinion particulière, et je ne dois pas m’occuper ici de celle de ce comité. On a ait ensuite que ces pièces étaient perdues. Les membres du nouveau comité m’ont appelé, et ces pièces se sont retrouvées dans le carton où elles avaient été placées. J’ai fait part à ces messieurs d’une lettre originale, écrite par un homme de Villeneuve-de-Berg, au comité municipal de Metz, pour demander un nouvel envoi des libelles dont cette dernière ville est l’entrepôt. Ce particulier croyait que le comité municipal en était le distributeur. Le comité des recherches vous fera bientôt sans doute un rapport aü sujet de toutes ces pièces. Mais je crois qu’il importe au salut public de prendre des précautions efficaces, et je demande que le comité de constitution soit chargé de présenter incessamment une loi sur la liberté de la presse. M. d’Estourmel appuie la motion; ses cahiers lui ordonnent d’exiger la garantie des auteurs, libraires et imprimeurs. M. de Montlosicr dit que l’Assemblée ne peut se dispenser de prendre un parti sur la réclamation faite par le régiment du Maine. M. Salicetti. Je demande que l’Assemblée prenne le parti de renvoyer cette affaire au comité des recherches. Si les faits énoncés par les citoyens de Bastia sont faux, les calomniateurs doivent être punis. S’ils sont vrais, le régiment du Maine ne doit pas rester sans punition. M. Duport représente la nécessité de faire une adresse aux commettants, dans laquelle serait développé l’esprit des décrets, afin de les prémunir contre les suggestions perfides des ennemis de la patrie et de la liberté. Deux députés annoncent que l’adresse aux provinces a été condamnée au feu par les officiers municipaux de Romans et de Nantes. M. Dufraisse-Duchey dénonce le Journal de Paris, le Journal des Révolutions et le journal de M. Marat, intitulé l'Ami du peuple, et demande qu’il soit défendu à tout membre de l’Assemblée de faire un journal. L’Assemblée nationale décrète : 1° Que le récit de M. Démeunier sera inséré dans le procès-verbal ; 2" Que le comité de constitution sera chargé de présenter incessamment un projet de règlement sur la liberté de la presse. 3° Qu’il sera rédigé une adresse aux commettants, conformément à la motion de M. Duport. M. Dufraisse-Dnchey fait une motion ainsi conçue : « L’Assemblée nationale décrète qu’il sera nommé un comité de quatre personnes, chargé d’examiner tous les journaux, nommément l'Ami du peuple , les Révolutions et le Journal de Paris. Il fera à l’Assemblée le rapport de ces écrits qui seront envoyés au procureur du roi du Châtelet. « Enfin, il sera défendu à tous membres de l’Assemblée de faire directement ou indirectement aucuns journaux. M. Fos de Laborde. Je propose de faire lire la déclaration des droits à l’opinant et je demande la question préalable sur sa motion. L’Assemblée cousultée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le projet du décret de M. Dufraisse-Duchey. M. le Président propose et l’Assemblée décide qu’attendu la nécessité de finir promptement le travail des départements, il n’y aura pas de séance le soir. La séance est levée et renvoyée à demain neuf heures du matin. PREMIÈRE ANNEXE. A la séance de V Assemblée nationale du 12 janvier 1790. M. Dcvoislns, député de la sénéchaussée de Toulouse. Motion (1) concernant la liberté de conscience à accorder aux enfants nés des mariages mixtes, ou contracté s entre des catholiques et des non-catholiques, et autres objets sollicités par ses commettants (2). (1) Cette motion n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Si l’Assemblée craint de perdre un temps précieux à la discussion de l’entier contenu en la motion louchant les enfants issus de mariages mixtes, elle est suppliée de fixer au moins le sort de ceux de l’un et de l’autre sexe qui ont des asiles en vertu de précédents ordres et de les soustraire à la cruelle tyrannie des marâtres. ( Note de M. Devoisins).