(8 février 1791.] 45 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] Plusieurs membres demandent qu’on statue sur le traitement des évêques. M. le Président. On m’observe que cet objet est décidé par les décrets antérieurs. M. Bouche. Il s’agit de savoir si les curés qui ont été séduits seront punis seuls, tandis que les évêques qui sont les séducteurs, ne le seront pas. (Murmures.) Un membre : Il ne s’agit pas de punition. M. Bouche. Je demande l’ajournement de la question. M. le Président. Est-ce le Gode pénal des évêques que vous demandez? M. Bouche. Oui! M. Votdel. Il faut une loi de justice, et non de colère. La question est jugée par la loi du 26 décembre. Les évêques, qui ne prêtent pas le serment, sont des démissionnaires aussi bien que les curés, et doivent être truités comme tels. L’ajournement ne tend à rien moins qu’à jeter du doute sur les dispositions déjà jugées. M. Buzot. La question est de savoir si les évêques qui refusent le serment, quoique devant être regardés comme renonçant à leurs fonctions, doivent être traités avec la même faveur que ceux qui donnent leur démission pour des causes légitimes de grand âge et de longs services, ou d’infirmités. Cette question n’est pas éclaircie; c’est pour nous donner le temps de l’examiner que je demande l’ajournement. (L’Assemblée consultée décrète l’ajournement.) M. de Menou, au nom du comité d'aliénation présente le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, sur le rapport qui lui a été fait par son comité de l’aliénation des domaines nationaux de la soumission faite par la municipalité de Tours, en conformité du décret du 14 mai 1790, déclare vendre à ladite municipalité les biens mentionnés en l’état annexé à la minute du procès-verbal de ce jour, pour le prix et somme de 366,359 livres, payables de la manière déterminée par ledit décret du 14 mai 1790.» (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est la discussion du projet de décret du comité de Constitution sur la formation de la haute cour nationale (Cour de cassation). M. I�e Chapelier, rapporteur. Messieurs, vous avez mis à l’ordre du jour la constitution de la haute cour nationale. A l’époque à laquelle vous aviez ajourné ce travail, le comité de Constitution, dans son rapport, vous avait présenté les diverses idées qui avaient décidé, et la formation de la haute cour nationale, et le genre de sa composition. Depuis ce temps on a beaucoup réfléchi sur cet établissement ; toutes les idées sont faites à cet égard : il est inutile, ce me semble, que le comité de Constitution commence par employer votre temps à écouter une dissertation sur la question de savoir s’il doit y avoir une haute cour nationale; c’est à sa composition qu’il me semble que la discussion s’attachera davantage. Nous savons que quelques hommes célèbres se sont attachés éprouver que l’établissement d’une haute cour nationale ne devait pas être dans la Constitution. Mais nous avons pensé que nous devions cependant tenir à notre projet pour certains délits et pour certaines personnes qui ne peuvent être accusées que par les représentants de la nation ; certains délits, parce qu’ils intéressent la sûreté de l’Etat; certaines personnes, parce qu’elles seraient perpétuellement troublées dans l’exercice de leurs fonctions, si quelques citoyens pouvaient les accuser à raison de ces mêmes fonctions. Ainsi c’est pour la marche même du gouvernement qu’il faut une haute cour nationale à laquelle soient portées les affaires dans lesquelles le pouvoir législatif se rendra accusateur. On nous a fait encore, à cette époque où vous avez ajourné notre travail après la fin du travail sur les jurés, on nous a fait une objection qu’on nous répétera peut-être; on nous a dit qu’avant d’établir la haute cour nationale il faudrait définir les crimes de lèse-nation, il faudrait savoir quels sont les cas dans lesquels le Corps législatif pourra se rendre accusateur. Nous prévenons cette objection en observant que c’est une autre branche de travail toute séparée; que nous ne faisons ici que ce que nous avons fait pour les jurés : vous n’avez pas encore rédigé votre Gode pénal ; cependant les vices, les faiblesses des hommes, les entraînent à troubler la société par les délits : vous avez cru qu’il fallait établir une manière pour les juger. Vous savez qu’il est possible qu’il y ait des citoyens prévaricateurs qui cherchent à troubler l’Etat; vous savez qu’il est possible et fréquent que les agents du pouvoir exécutif et tous les fonctionnaires publics empiètent sur leurs pouvoirs, les excèdent et s’, n servent pour vexer les citoyens et attenter à la liberlé publique, quand ces mêmes pouvoirs ne lui sont confiés que pour la défen ire. Ainsi, embrassant déjà dans votre pensée les divers délits auxquels peut être exposée la société, vous concevez assez qu’il en est de telle nature qu’ils intéressent la totalité du gouvernement, la sûreté de la Constitution et du royaume, que ces délits ne peuvent pas avoir pour accusateurs chaque citoyen ou un simple fonctionnaire public, parce qu’il n’aurait pas la faculté de rassembler tout ce qu’il lui faudrait, ni la force nécessaire pour faire punir des coupables souvent accrédités. Je vais donc, sans autre discussion, vous donner lecture du projet de décret que nous vous avons du reste déjà lu, en vous demandant de l’adopter. M. Le Chapelier, rapporteur, donne lecture du projet de décret du comité (1). Les 3 premiers articles sont décrétés comme suit : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le nouveau et dernier rapport, au nom du comité de Constitution, sur la formation de la haute cour nationale, décrète ce qui suit : Art. 1er. « La haute cour nationale sera composée d’un haut juré et de quatre grands juges, qui dirigeront l’instruction et qui appliqueront la loi, après la décision du haut juré, sur le fait. » (1) Voyez ce projet de décret, Archives parlementaires, tome XX, page 22, séance du 25 octobre 1790. 46 |Asseml)lée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Art. 2. « Lors des élections pour le renouvellement d’une législature, les électeurs de chaque département, après avoir nommé les représentants au Corps législatif, éliront au scrutin individuel et à la pluralité absolue des suffrages, deux citoyens ayant les qualités nécessaires pour être députés au Corps législatif, lesquels demeureront inscrits sur le tableau du haut juré pendant le cours de cette législature. » Art. 3. « Chaque nouvelle législature, après avoir vérifié les pouvoirs de ses membres, dressera la liste des jurés élus par les départements du royaume, et elle la fera publier. » M. le Chapelier, rapporteur , donne lecture de l’article 4, qui est ainsi conçu : Art. 4. « La haute cour nationale connaîtra de tous les crimes et délits dont le Corps législatif se portera accusateur. » M. de lachèze. On dit bien que la haute cour nationale prononcera sur les délits dont le Corps législatif se sera déclaré l’accusateur; mais on ne dit pas que le Corps législatif ne pourra se porter accusateur que des crimes qui auront été reconnus crimes de lèse-nation. Un membre à gauche : Cela est convenu. M. de lachèze. Je demande donc qu’on ajoute à l’article ces mots : et reconnus par la loi pour crimes de lèse-nation. M. Malouet. Je reproduis la première observation faite lorsqu’il a été question de décréter la haute cour nationale. On a demandé que les délits qui formeraient la compétence de cette haute cour fussent définis. Certes, cette demande était juste, car la réponse qu’a faite M. le rapporteur, à savoir que vous avez décrété les jurés sans décréter un code pénal, n’est point applicable dans la circonstance : Il existe bien, en effet, un code pénal où tous les crimes sont déjà définis, tandis qu’il n’existe aucun code pénal pour les crimes de lèse-nation. Vous décrétez donc ici un article vague, indéfini, qui attribue au Corps législatif le droit de porter à la haute cour nationale tous les délits qu’il jugera à propos. Je soutiens qu’une telle loi ne peut être admise et je propose en amendement une disposition qui ne préjuge rien et qui ne doit pas trouver d’opposition. Je demande qu'on ajoute à l’article que « la haute cour nationale connaîtra des délits dont il sera fait mention dans l'article suivant », et qu’à cet effet on insère un article contenant l’énumération des crimes de lèse-nation. M. Defermon. Messieurs, je demande la question préalable sur les observations du préo-pinant, et voici mon motif : j’ai entendu M. le rapporteur dire que le comité de Constitution s’occupe de la formation d’un code pénal, et que dans la formation de ce code les peines étant définies à raison des délits qui seront de la compétence de la haute cour nationale, ers délits y seront formellement exprimés. Qu’est-ce que vous propose aujourd’hui le comité de Constitution ? [8 février 1191.] Il vous propose que le Corps législatif puisse se rendre accusateur lorsqu’il le jugera convenable. Il en résulte donc que le Corps législatif ne sera pas obligé de se rendre accusateur, même pour des délits qui pourraient être poursuivis devant la haute cour nationale. Mais, quand vous décréterez quels sont les délits qui doivent être de la compétence de la haute cour nationale, vous direz que pour aucun autre délit le Corps législatif ne pourra être accusa-ieur, et l’objet se trouvera rempli par cette disposition. Il ne faut pas dire que le Corps législatif sera obligé d’être accusateur, mais vous pouvez dire, en définitive, qu’il nepourrase rendre accusateur que pour tel ou tel délit. M. Le Chapelier, rapporteur. 11 est impossible que la haute cour nationale soit en activité très promptement. Avant ce moment, vous vous occuperez du code pénal, dont le premier titre aura pour objet les délits que le Corps législatif pourra dénoncer. Je demande la question préalable sur les amendements. M. de Folleville. On pourrait, relativement à la haute cour nationale, dire qu’elle ne pourra se mettre en activité que le code pénal n’ait été décrété. Un membre ; Cela n’est pas nécessaire. (L’Assemblée rejette les amendements et adopte l’article 4.) Art. 5. « La haute cour nationale ne se formera que quand le Corps législatif aura porté un décret d’accusation. » M. loys. Je demanderais qu’on décidât si le roi pourra se porter accusateur. M. le Chapelier, rapporteur . Ceci se rapporte à la seconde partie de notre travail. (L’article 5 est adopté.) Art. 6. « Elle se réunira à une distance de 15 lieues au moins du lieu où la législature tiendra ses séances. Le Corps législatif indiquera la ville où la haute cour nationale s’assemblera. » M. Robespierre. Je crois, Messieurs, qu’au contraire la haute cour nationale devrait siéger dans la même ville que le Corps législatif. (Murmuras.) Par la nature de ses fonctions, la cour nationale aura à prononcer sur le sort de personnages puissants, parce que ce ne sont pas les citoyens faibles qui conspirent contre la liberté. Ce tribunal aura donc besoin d’un grand courage et d’une grande énergie; et pour cela, il faut l’environner d’une grande masse d’opinion publique : or, c’est dans les grandes villes que l’opinion publique exerce tout èon empire; et c’est dans la plus grande ville du royaume que siège le Corps légistatif. Il y a donc une raison sans réplique, puisée dans les fonctions mêmes de la haute cour na-tio, ale, pour placer ses séances près du Corps législatif : remarquez, Messieurs, qu’en la reléguant à 15 lieues, vous ne la mettez pas à l’abri de la corruption des personnages intéressés à la corrompre, puisqu’elle peut l’atteindre partout; mais vous l’éloignez du centre de l’opinion publique, nécessaire pour former le contrepoids à ce