236 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1789.) blée d’aller à Paris porter la nouvelle de l’éloi-nement des forces militaires, consolider l'éta-lissement des gardes bourgeoises, et essayer de rappeler le bon ordre en rassurant le peuple sur ses craintes et ses alarmes. Ce parti est adopté à l'unanimité. Il est arrêté qu’une députation de vingt-quatre personnes ira sur-le-champ vers le Roi, pour lui porter les vœux de l’Assemblée. Les députés sont : M. de Lafayette, M. de Liancourt, M. d’Avarev, M. de Marguerites, M. le duc de Mortemart, M. le duc de Luynes, M. l’archevêque de Reims, M. l’évêque de Coutances, M. l’abbé de Villeneuve, M.Forestde Masmoury, M. Gombert, M. Thomas, M. Jaillanl, M. Pruche, M. Gérard, M. Hanoteau, M. Roussillon, M. Douehet, M. Bourgeois, M. Le Clerc, M. Poulain de Gerlières, M. Bouron, M. Fil-leau, M. Alquier. M. le comte de Mirabeau. Eh bien! dites auRoi queles hordes étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites, et leurs caresses, et leurs exhortations, et leurs présents ; dites-lui que toute la nuit ces satellites étrangers, gorgés d’or et de vin, ont prédit dans leurs chants impies l’asservissement de la France, et que leurs vœux brutaux invoquaient la destruction de l’Assemblée nationale ; dites-lui que, dans son palais même, des courtisans ont mêlé leurs danses au son de cette musique barbare, et que telle fut l’avant-scène de la Saint-Barthélemy. Dites-lui que ce Henri dont l’univers bénit la mémoire, celui de ses aïeux qu’il voulait prendre pour modèle, faisait passer des vivres dans Paris révolté qu’il assiégeait en personne, et que ses conseillers féroces font rebrousser les farines que le commerce apporte dans Paris fidèle et affamé. M. le marquis de Lafayette, vice-président, est chargé de présider la députation. L’Assemblée déclare qu’elle se repose entièrement sur lui du soin d’exprimer à Sa Majesté tous les sentiments de douleur et d’inquiétude dont tous ses membres sont pénétrés. Les membres de la députation se disposaient à sortir, lorsque M.de Liancourt demande la parole. 11 dit qu’il est autorisé à annoncer à l’Assemblée que le Roi, de son propre mouvement, s’est déterminé à venir au milieu des représentants de la nation, et que M. le grand maître des cérémonies va paraître pour l’annoncer ofliciellement. Aces paroles de M. de Liancourt, la majeure partie des membres de l’Assemblée fait retentir la salie d’applaudissements réitérés. M. le comte de Mirabeau. Attendez que le Roi nous ait fait connaître les bonnes dispositions qu’on nous annonce de sa part -, qu’un morne respect soit le premier accueil fait au monarque dans ce moment de douleur... Le silence du peuple est la leçon des rois. On suspend toute délibération. — La députation reste dans la salle. En attendant l’arrivée du Roi, on fait lecture des adresses de quelques villes et communautés du royaume, des villes de Strasbourg, Marseille, Nîmes, Gallois, Guingamp, La Roche-Bernard, Paimpol, Seurre, du bourg de Ressons en Picardie et de la commune de Beaune. Toutes ces adresses contiennent l’adhésion la plus formelle à tous les arrêtés de l’Assemblée nationale, qui en ordonne le dépôt et l’enregistrement. A la lin de ces diverses lectures, le grand-maître des cérémonies est annoncé. Entré dans la salle, il dit : « Messieurs, Sa Majesté m’a chargé de vous dire qu’elle allait venir au milieu de vous. » La députation déjà nommée pour porter au Roi la réclamation de l’Assemblée nationale est chargée d’aller dans la cour qui précède la salle, recevoir Sa Majesté. La députation sort, et l’Assemblée entend la lecture d’une délibération de la noblesse de Vil-lers-Gotterets, qui révoque les pouvoirs limités qu’elle avait donnés à ses députés, et leur en donne d’illimités. L’Assemblée applaudit à cet acte et en ordonne le dépôt. I�e Roi paraît à l’entrée de la salle, sans gardes, accompagné seulement de ses deux frères. Il fait quelques pas dans la salle; debout, en face de l’Assemblée, il prononce d’une voix ferme et assurée le discours suivant : Messieurs, je vous ai assemblés pour vous consulter sur les affaires les plus importantes de l’Etat. Il n’en est pas de plus instante, et qui affecte plus sensiblement mon cœur, que les désordres affreux qui régnent dans la capitale. Le chef de la nation vient avec confiance au milieu de ses représentants, leur témoigner sa peine, et les inviter à trouver les moyens de ramener l’ordre et le calme. Je sais qu’on a donné d’injustes préventions ; je sais qu'on a osé publier que vos personnes n’étaient pas en sûreté. Serait-il donc nécessaire de vous rassurer sur des bruits aussi coupables, démentis d’avance par mon caractère connu? Eh bien! c’est moi, qui ne suis qu’un avec ma nation, c’est moi qui me fie à vous I Aidez-moi, dans cette circonstance, à assurer le salut de l’Etat ; je l’attends de l’Assemblée nationale ; le zèle des représentants de mon peuple, réunis pour le salut commun, m’en est un sûr garant; et comptant sur la fidélité de mes sujets, j’ai donné ordre aux troupes de s’éloigner de Paris et de Versailles. Je vous autorise, et je vous invite même à faire connaître mes dispositions à la capitale. Ge discours du Roi est interrompu à diverses reprises par les applaudissements les plus vifs. M. le Président s’avance vers le Roi et répond : Sire, l’amour de vos sujets pour votre personne sacrée semble contredire, dans ce moment, le profond respect dû à votre présence, si pourtant un souverain peut être mieux respecté que par l’amour de ses sujets. L’Assemblée nationale reçoit avec la plus vive sensibilité les assurances que Votre Majesté lui donne de l’éloignement des troupes rassemblées par ses ordres dans les murs et autour de la capitale et-dans le voisinage de Versailles; elle suppose que ce n’est pas un éloignement à quelque distance, mais un renvoi dans les garnisons ou quartiers d’où elles étaient sorties, que Votre Majesté accorde à ses désirs. L’Assemblée nationale m’a ordonné de rappeler dans ce moment quelques-uns de ses derniers arrêtés, auxquels elle attache la plus grande importance. Elle supplie Votre Majesté de rétablir dans ce moment la communication libre entre Paris et Versailles, et dans tous les temps une communication libre et immédiate entre elle et Votre Majesté. Elle sollicite avec instance l’approbation de Votre Majesté pour une députation qu’elle désire envoyer à Paris, dans la vue et avec l’espérance qu’elle contribuera beaucoup à ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 287 [Assemblée nationale.] ramener l’ordre et Je calme dans votre capitale. Enfin, elle renouvelle ses représentations auprès de Votre Majesté, sur les changements survenus dans la composition de votre conseil. Ces changements sont une des principales causes des troubles funestes qui nous affligent, et qui ont déchiré le cœur de Votre Majesté. Te Roi reprend la parole. 11 dit que, sur la députation de l’Assemblée nationale à Paris, on connaît ses intentions et ses désirs, et qu’il ne refusera jamais de communiquer avec l’Assemblée nationale toutes les fois qu’elle le croira nécessaire. M. le Président ajoute que l’Assemblée demande depuis longtemps un libre accès auprès de Sa Majesté; que les voies intermédiaires ne conviennent ni à la majesté du trône ni à celle de la nation. Le Roi se retire avec ses frères, et retourne à pied au château. L’Assemblée entière se lève et se précipite à sa suite. Tous les députés, sans observer aucun rang, les trois ordres mêlés, l’accompagnent; ceux qui sont près de lui forment une chaîne qui le préserve de la trop grande affluence. Souvent elle est rompue par le trop grand nombre de spectateurs qui tous veulent jouir de son aspect. Une femme se jette à ses genoux et les embrasse. Les cris de vive le Roi! retentissent de tous côtés. Arrivé à la cour des ministres, les cris d'allégresse et la foule redoublent, les musiciens contribuent à l’enthousiasme par une idée trés-beu-reuse; ils jouent l’air: Où, peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? Les députés devaient accompagner le Roi jusque dans son appartement, passer devant lui et sortir par l’œil-de-bœuf; mais le monarque était tout en sueur et couvert de poussière : les flots du peuple qui se précipitait sur lui l’avaient extrêmement fatigué. Le Roi parvenu à l’escalier de la cour de marbre, les députés se retirent. Mais la foule devenait de plus en plus considérable ; les gardes du corps sans armes, sans ordre, égarés comme les autres par le délire général, croient cependant qu’ils doivent fermer les portes du petit escalier. Le Roi se retourne et les fait ouvrir. Le Roi, la reine, M. le dauphin, Madame Royale paraissent un instant après sur le balcon: les applaudissements, les cris de vive le Roi! redoublent. L’Assemblée étant rentrée dans la salle, M. le duc d’Orléans, qui avait également formé la chaîne autour du Roi, reçoit des applaudissements universels. On invite les membres de la députation vers Paris, de se rendre au plus tôt dans la capitale. Leur nombre est de quatre-vingt-huit. Ils sont chargés de faire tous leurs efforts, d’employer tous leurs moyens pour ramener le calme, pour consolider la garde bourgeoise, et de faire publier dans tous les quartiers l’assurance donnée par le Roi, que les troupes vont s’éloigner de Paris et de Versailles. La députation part avec promptitude afin d’arriver à temps pour demander la grâce et prévenir le supplice de trois officiers soupçonnés d’avoir voulu empoisonner les gardes françaises. M. Barnave fait ensuite une motion tendant au renvoi des ministres, comme ne méritant pas la confiance du peuple, et en étant absolument [18 juillet 1789.] indignes ; il expose que les citoyens de Paris ne tarderont pas sans doute à demander leur éloignement, et qu’il faut les prévenir, parce qu’il est de la dignité de l’Assemblée de ne pas paraître se laisser entraîner par l’influence du peuple. M. le comte de Mirabeau appuie cette motion avec l’éloquence et le génie qui le distinguent. M. le comte de Clermont-Tonnerre pense autrement. Après avoir demandé la permission de combattre l’opinion des préopinants, il convient de tous les principes, mais il dit que, dans une aussi belle journée, il faut laisser le Roi dans la joie et goûter en silence le bonheur d’être Roi d’une nation aussi fidèle; qu’il faut au moins lui laisser vingt-quatre heures. A Dieu ne plaise, dit-il, que je veuille prendre la défense de pareils ministres; à Dieu ne plaise ue je veuille empêcher leur dénonciation; mais, ans un aussi beau jour, il n’est pas de la dignité de l’Assemblée de s’occuper d’un ministère aussi avili. Cette dernière opinion l’emporte. Un membre de l'Assemblée donne lecture d’un arrêté pris par les électeurs de la ville de Paris. Ils supplient l'Assemblée de prendre la capitale sous sa protection et sa sauvegarde. Un des membres de V Assemblée dit que MM. les gardes du Roi le chargent d’offrir, en leur nom, un détachement pour accompagner la députation qui va à Paris, non pas qu’elle ait besoin d’être défendue, mais pour qu’elle ait une garde d’honneur L’Assemblée reconnaît à cette proposition l’esprit qui jusqu’à présent caractérise MM. les gardes du corps, mais elle considère qu’une députation nationale, allant pour remettre le calme dans une ville menacée des plus grands malheurs, doit y entrer sans aucune apparence de forces militaires. Elle arrête que MM. les gardes du Roi seront remerciés d’une offre qui augmente pour eux l’estime de tous les Français, et charge son président et ses secrétaires de leur écrire, pour les féliciter sur leur acte de patriotisme, et les assurer des sentiments de l’Assemblée nationale. On se sépare pendant quelques heures, et on convient de rentrer dans la salle à huit heures du soir pour recevoir des nouvelles de la députation, si elle envoie des courriers. L’Assemblée se forme à l’heure indiquée. M. le President annonce, que M. Le Blanc, député de Besançon, est mort, et q_ue sa perte doit être d’autant plus sensible à l'Assemblée, u’elle a été hâtée par la joie qu’a éprouvée ce éputé, aussi instruit que sensible, en apprenant que le Roi est détrompé. 11 est arrêté que l’Assemblée ira au convoi de M. Le Blanc. Plusieurs particuliers ayant assuré qu’ils avaient personnellement connaissance que la tranquillité régnait dans Paris, et la députation n’ayant envoyé aucun courrier, M. le président remet l’Assemblée à demain, huit heures du matin.