21 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [U avril 1793.) 8* Qu’il soit établi dans chaque district un hospice destiné à recevoir les incurables et les vieillards absolument abandonnés, que toutes les paroisses du district aient un droit égal à y obtenir des places; 9° Qu’il soit conservé ou établi dans chaque département une maison de correction pour y renfermer les vagabonds, gens sans aveu, mendiants obstinés, pauvres indociles, les fainéants et débauchés qui dérobent la subsistance du vrai pauvre; 10° Qu’il soit formé un comité de six membres, chargé de proposer un règlement général pour tous ces établissements, et pour parvenir à détruire la mendicité; 11° Aussitôt que les bureaux de charité seront organisés, qu’il soit promulgué une loi pour interdire la mendicité, et que l’Assemblée nationale invite, au nom de la patrie, tous les bons citoyens à concourir, de tous leurs moyens et de toute leur volonté, au succès de ces établissements qu’elle doit considérer comme une des bases de la prospérité de l’Empire. 6* ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 14 avril 1790. Réflexions sur le projet du comité des dîmes , adressées à l’Assemblée nationale par M. Pellerln de I�a Buxière, député du bailliage d’Orléans (1). Messieurs, votre comité des dîmes vous a fait, par l’organe de M. Ghasset, un rapport qui paraît avoir captivé les suffrages d’une grande partie des membres qui composent cette auguste Assemblée; cependant, Messieurs, comme dans un plan d’une si grande étendue, et qui renferme tant de branches différentes dont chacune est essentielle à l’harmonie du tout, il n'est pas étonnant qu’il se soit glissé quelques inadvertances, des erreurs même très importantes : vous me permettrez, sans doute, d’attaquer celles que j’ai cru y apercevoir, et de proposer les moyens propres à rectifier’ Je plan qu’on vous a présenté. Et d’abord, votre comité, dans le préambule de son rapport, dit que, pénétré d’un saint respect pour la religion, il s’est fait un devoir d'assigner à cette partie des dépenses publiques tout ce qu’il * a cru être nécessaire pour conserver au service divin une majesté simple , et pour donner une uisance honnête aux ministres des autels. Mais j’observe que le respect pour la religion, quand il est bien réglé, ne doit pas seulement se borner à assurer la majesté simple du culte et la subsistance des ministres des autels, mais qu’il doit surtout contribuer à fournir aux peuples tous les moyens nécessaires pour remplir facilement et habituellement tous les devoirs de la religion. Or, je prétends que non seulement le projet du comité n’offre pas à tous les fidèles les moyens de remplir les devoirs de la religion, mais qu’il en met un très grand nombre dans l’irn possibilité d’y satisfaire, et même que, contre le désir du comité, il prépare insensiblement la ruine de la religion en France, en ruinant presque tous les appuis qui en consolident l’existence; d’où je conclus que le projet du comité est totalement manqué. Il est manqué dans son premier objet, parce que la trop grande réduction des curés et autres ministres de la religion sera un obstacle presque insurmontable à l’accomplissement des devoirs qu’elle prescrit. Il est également manqué dans le second, parce que le traitement qu’on se propose de faire aux ministres des autels, et qu’on regarde comme une aisance honnête , sera absolument insuffisant pour la plupart d’entre eux ; il est manqué même dans sa presque totalité, parce que les articles oubliés dans le projet sont si essentiels, que la religion, l’éducation, le bien public se trouveraient inévitablement dans le plus grand danger, si on ne s’empressait de les rétablir et de les proposer comme articles fondamentaux et constitutionnels. 1° La réduction des ministres, telle qu’elle a été imaginée par le comité, offre une source intarissable de difficultés à tous ceux qui voudraient s’occuper fidèlement des exercices de la religion, de cette religion qui seule peut les rendre justes et heureux, selon l’expression même de votre comité des dîmes. Je ne parlerai point ici de la réduction des évêchés : c’est aux évêques chargés par leur place de l’inspection générale de l’Eglise de France, à examiner si le plan du comité peut s’accorder avec l’importance et la multiplicité de leurs fonctions, et quelles seraient d’ailleurs les formalités que la religion exigerait dans une pareille circonstance. Je me bornerai uniquement à ce qui concerne la réduction générale des ministres de la religion à celle des curés en particulier. Et d’abord, Messieurs, n’est-il pas étonnant qu’on propose une réduction de douze à quinze mille ministres essentiels de la religion, dans un temps, surtout, où le vide effrayant que va causer dans l’église la suppression 'des chapitres et monastères, semblerait exiger qu’on en augmentât considérablement le nornbre. Malgré la prévention contraire si généralement répandue, nous ne craignons pas d’avancer que, dans ces différentes sociétés, dont la proscription est déjà prononcée, ou va bientôt l’être, il est une infinité d’hommes laborieux et infatigables qui se font un devoir sacré de voler continuellement au secours de l’Eglise et de ses pasteurs : l’Eglise s’est toujours plu à les regarder comme ses trompes auxiliaires, et toujours ils ont accepté avec empressement cette glorieuse qualité. La chaire, les tribunaux, les malades, les hôpitaux, lesmissions,lesarmées,les mers, les nations lespluséloignées.touteslesparties du monde ont été etsont encore tous les jours les témoins de leur zèle et de leurs travaux. Dans le nouvel ordre de choses qui va éclore, cette foule innombrable d’ouvriers va s’évanouir pour ne plus jamais reparaître; les pasteurs et leurs vicaires vont être abandonnés à leur seule force; et c’est précisément dans ce moment de détresse qu’on vous propose d’en diminuer si prodigieusement le nombre I N’est-il donc pas évident, Messieurs, que le ministère évangélique, qui est sans contredit le plus utile, le plus important de tous les ministères aux yeux de la religion, aux yeux même de la saine politique; n’est-il pas, dis-je, évident ou que ce ministère honorable va devenir le plus triste, le plus pénible, le plus accablant de touts les états, (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. 22 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U avril 1790.) ou que les ministres des autels se verront dans l’impossibilité de remplir la plupart des fonctions qui leursont confiées, et que, par conséquent, le but que vous vous proposez sera infailliblement manqué. Après avoir jeté un coup d’œil sur la réduction générale des ministres, passons maintenant à la réduction particulière des cures. Les uns font monter le nombre des curés du royaume à 44,000, les autres à 42,000, compris les annexes. Votre comité n’en compte que 41,029; mettons au plus bas et admettons le calcul de votre comité. Or, comme il y a actuellement environ 3,000 cures dans les villes, selon le même comité, et que, par son projet, le nombre des cures de campagnes va être réduit à 15,000, voilà donc, d’un seul coup, plus de 18,000 cures, sans peut-être les annexes dont on ne parle pas, qui vont disparaître de dessus la surface des campagnes. Or, je demande à votre comité s’il a bien prévu les suites funestes d’une si étonnante destruction? Si vous considérez d’abord les motifs de la saine et vraie politique, une pareille opération serait-elle bien prudente dans les circonstances effrayantes où nous nous trouvons maintenant? Les habitants de la campagne et votre comité ne le sait peut-être pas, Messieurs, les habitants de la campagne ont un si prodigieux attachement à leur religion, au clocher de leurs pères, à leurs usages, leurs habitudes chrétiennes, qu’ils consentiraient plutôt à la perte d’une partie de leurs possessions, que d’être témoins de la destruction de leurs temples, ou devoir qu’on leur arrachât ce qui a fait l’objet de leur culte dès leur première enfance; et si, dans un temps où toutes les lois se taisent, où l’autorité est sans vigueur, où tous les liens delà subordination sont brisés, la fermentation allait s’emparer de leurs esprits, et opposer de la résistance, qui pourrait jamais calculer les suites terribles d’une pareille insurrection? Si vous considérez maintenant la religion et l’intluence qu’elle peut avoir sur les mœurs, la conduite et le bonheur de ceux qui la pratiquent, quel surcroît incroyable de travail n’allez-vous pas donner aux pasteurs; ou plutôt quel obstacle insurmontable n’allez-vous pas opposer à leurs travaux ? Vous connaissez, sans doute, les rapports indispensables et continuels que les curés de la campagne sont obligés d’avoir avec leurs paroissiens, quand ils veulent remplir fidèlement les devoirs deleurétat. Les enfants, les malades, les infirmes, les familles divisées, les âmes empressées de recevoir les secours de l’Eglise, réclament tous les jours ou la sensibilité de leur cœur, ou les fonctions de leur ministère; comme ils sont les seuls conseils, la seule consolation, les seuls protecteurs de leurs paroissiens, les relations queleur prescrivent l’humanité et la religion renaissent, pour ainsidire,àchaque instant; ni l’obscurité de la nuit, ni la rigueur des saisons, ni l’aspérité des chemins, ni la distance des lieux, rien en un mot ne doit arrêter leur zèle, ou ils cessent d’être pasteurs. Les pauvres, surtout, dont le nombre est si prodigieux, et dont les ressources sont si rares dans les campagnes; oui, les pauvres seront plus que jamais pour eux une source intarissable de peines , d’inquiétudes, de démarches, de travaux, qui mettront sans cesse leur âme en activité, et absorberont une très grande partie de leur temps; car si, en vous emparant de leurs biens, vous les déchargez par là de l’obligation de donner aux pauvres deg secours pécuniaires, au moins vous ne leur ôterez pas celle de porter dans leurs chaumières les consolations dont ils ont besoin, et de solliciter pour eux des ressources qu’ils ne pourront plus leur procurer par eux-mêmes. Ils seront sans cesse obligés d’aller mendier aux municipalités, aux départements, dans les villes éloignées de leur presbytère, les secours nécessaires qu’ils trouvaient auparavant dans la surabondance de leur revenu. Enfin, Messieurs, outre ces détails si essentiels et si multipliés, il faut encore qu’ils s’appliquent sans relâche à l’étude approfondie de 1a. religion, pour pouvoir l’annoncer dignement et la défendre avec force, surtout dans un temps où elle est si peu connue, si mal pratiquée, si hardiment attaquée. Que dis-je, cette étude si indispensable à tous égards, ne deviendra-t-elle pas plus nécessaire encore quand la révolution que vous avez opérée aura fait rentrer dans le néant toutes ces sociétés savantes qui, jusqu’ici, ont donné tant d’illustres défenseurs à l'église et à la religion? Or si, à tous ces soins, ces inquiétudes, ces travaux, ces détails si multipliés, dont l’expérience seule peut faire connaître l’immensité, et qui, à raison des nouvelles circonstances, vont être plus pénibles que jamais, vous allez donner aux pasteurs et uq peuple plus nombreux à conduire, et une nouvelle étendue de terrain à parcourir, il faut donc encore une fois, Messieurs, ou qu’ils succombent sous le poids de leurs travaux, ou qu’ils négligent les intérêts de la religion, ceux de leurs paroissiens, et j’ose le dire, ceux de l’Etat même; puisque l’expérience démontre invinciblement que les meilleurs chrétiens ont toujours été, sont et doivent nécessairemeet être les meilleurs citoyens. S’il y a moins de curés, direz-vous, il y aura un plus grand nombre de vicaires. Mais d’abord, serons-nous bien sûrs d’en avoir ? Et la rareté, et la modicité des titres qui ne pourront être désormais que larécompense d’un très grand travail, et d’un grand nombre d’années de travail, n’entraîneront-elles pas les parents à épargner les frais d’une longue et dispendieuse éducation dont ils n’auront pas l’espoir, un jour, d’être dédommagés, et à chercher à leurs enfants des ressources plus promptes, moins coûteuses et plus certaines? D’ailleurs, Messieurs, je le demande à tous ceux qui sont initiés dans le saint ministère, à ceux qui connaissent la variété et l’étendue de ses fonctions, l’importance et la difficulté des devoirs qu’il impose; je leur demande si, dans les paroisses, surtout un peu étendues, et qui, pour être bien gouvernées, exigentuneorganisation parfaitement combinée ; je leur demande, dis-je, si tous Jes détails et l’ensemble de cette organisation, ne tombent pas immédiatement sur le curé ; s’il lui est permis, possible même de la perdre un instant de vue, sans risquer de la voir se détraquer entièrement; si toutes les parties qui la composent, la solennité du culte, le gouvernement extérieur, le soin desenfants, des malades, des infirmes, l’instruction, l’administration de tous les secours spirituels, les besoins des pauvres publics et honteux, les services qu’attendent et exigent à tout moment de sa bienfaisance les peuples qui lui sont confiés, la vigilance môme sur ses prêtres, si tous ces détails immenses, et continuellement répétés, ne peuvent échapper un instant à l’attention du pasteur, et ne forment pas sans cesse une masse énorme de travail qu’il ne peut ni ne doit partager également avec ses coopérateurs? Sans doute, Messieurs, que ces dignes et fidèles coopérateurs qu’on nous promet nous seconderont 23 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] de tous leurs efforts...; mais la confiance que nous aurons dans leur zèle ne pourra nous enlever celle que nos paroissiens auront nécessairement dans notre place, notre âge, notre expérience, la con-naissanceintimede leurs besoins, etpar conséquent diminuer sensiblement leur travail que nécessitera cette confiance. La multiplicité des vicaires, en soulageant les curés d’une partie des fonctions extérieures qui ne sont certainement pas l’essentiel du ministère, ne sera donc qu’un faible adoucissement à leurs inquiétudes pastorales, et n’offrira pas aux habitants des campagnes les mêmes avantages que la multiplicité des titres. • Il sera cependant, et nous en convenons sans peine, il sera indispensable d’en diminuer le nombre par des réunions sagement con binées; mais la prudence seule, et non une sordide fiscalité, doit présider à cette grande opération, et la subordonner entièrement aux besoins des localités, aux intérêts de la religion, à l’utilité des paroissiens. Passons maintenant aux cures des villes. Votre comité veut qu’elles soient désormais composées de douze mille âmes au moins. Mais outre les raisons ci-dessus exposées, et qui militent avec tant de force contre l’existence des paroisses d’une aussi grande population, votre comité n’a pas fait attention que, dans la plupart des villes, presque toutes les églises, excepté les cathédrales, ne sont pas assez vastes pour contenir la dixième partie d’un pareil nombre d’habitants; il faudrait donc alors ou construire de nouveauxédifices (et nous ne croyons pas que ce soit l’intention de l’Assemblée), ou exposer le plus grand nombre des paroissiens à être privés d'instructions, et à manquer aux devoirs les plus indispensables et les plus sacrés de la religion. 11 est vrai qu’il existe maintenant des paroisses d’une étendue pareille et même supérieure à celle que votre comité se propose de donner à toutes celles des villes, mais, outre que c’est là un de ces grands abus qu’ont amenés quelques circonstances particulières, dont ceux qui sont à la tête de ces nombreuses paroisses sentent les inconvénients, et dont l’Eglise elle-même ne cesse depuis longtemps de demander la réforme, ne sait-on pas que dans le régime actuel de l’Eglise, il existe dans toutes les villes de France un grand nombre de chapitres et de communautés où la solennité des offices, la fréquence des instructions, toutes les ressources de la piété, offrent aux habitants de ces villes un dédommagement continuel de secours qu’ils ne peuvent trouver dans le sein de leur paroisse. Nous croyons donc, Messieurs, qu’en comptant sur un assez grand nombre de réunions de cures, soit dans les villes, soit dans les campagnes, il est absolument nécessaire de s’en rapporter au jugement des évêques, des municipalités et des districts, pour savoir celles qu’il faudra conserver dans l’étendue de leur juridiction. Cette augmentation de titres (qui pourrait devenir moins onéreuse par la diminution du nombre de vicaires, proposé par le plan du comité) occasionnerait, il est vrai, un surcroît de dépenses pour la nation ; mais, 1° outre qu’elle paraît indispensable à tous égards, nous ne croyons pas qu’u'ne nation aussi grande, aussi généreuse et aussi chrétienne que celle des Français, veuille assujettir à toutes les opérations delà fiscalité les frais du culte dû à l’Etre suprême, et économiser une somme qu’elle ne pourra s’empêcher de considérer comme bien modique en comparaison des ressources que lui fourniront les biens du clergé ; surtout lorsqu’il s’agit de faciliter aux peuples la pratique des devoirs d'une religion qui seule peut les rendre justes et heureux, et assurer, par conséquent, la prospérité de l’Etat, inséparablement unie avec le bonheur de ses membres. Considérons maintenant la dotation que votre comité a bien voulu assigner aux curés, et voyons si l 'aisance qu’il leur promet est aussi honnête qu’il a voulu nous le persuader. Je ne parle point ici des curés des villes, et je conviendrai sans peine que le traitement que leur assigne votre comité sera suffisant, s’il est exactement payé, pour des hommes honnêtes et modérés, et ne doit point, par conséquent, exciter de réclamations de leur part. Je ne parle ici qu’en faveur des curés de la campagne, et je parle avec d’autant plus d’assurance que je suis entièrement étranger à la cause que je défends en ce moment. Votre comité borne à 1,200 livres la dotation des curés dont les paroisses sont au-dessous de 1,000 âmes. Mais, 1° comme l’intention du comité est que les pauvres ne soient plus maintenant à la charge des curés, nous ne voyons point pourquoi les besoins des curés, dont les paroisses sont au-dessous de 1,000 âmes, ne seraient pas aussi considérables que ceux des paroisses supérieures en nombre. La population de chaque cure de ville n’a pas servi de base à sa dotation : il me semble qu’il en aurait dû être de même pour les cures de campagne. On objectera peut-être que cette différence ne pouvait avoir lieu pour les premières, puisqu’on a posé, comme règle générale, que les cures des villes n’auraient pas moins de douze mille âmes; mais je dis que cette règle n’aura pas lieu dans plus de la moitié des villes de France, puisqu’il y en a plus de la moitié qui ne sont point composées de douze mille âmes ; 2° Si on a cru devoir faire une si grande différence entre la dotation des cures de campagne, à raison de leur population, on aurait dû en faire une bien plus grande en raison des localités où elles sont situées. Je conviens que, dans plusieurs provinces de France, un revenu de 1,200 livres peut offrir une aisance assurée et honnête ; mais je sais aussi qu’il en est beaucoup d’autres où il suffirait à peine aux besoins les plus urgents et les plu3 indispensables de la vie. L’énorme différence qu’offre de pays à pays le prix des denrées, aurait donc dû engager le comité à en mettre également dans l’honoraire et le traitement des ministres des autels. Ne croyez pas, d’ailleurs, Messieurs, que les dépenses auxquelles sont et seront toujours assujettis les curés des campagnes, soient de beaucoup inférieures à celles des curés des villes; il en est même plusieurs qui pèsent d’une manière plus sensible, et même uniquement sur les premiers. Permettez-moi, Messieurs, d’entrer ici dans un détail qui ne doit jamais paraître inutile et minutieux quand il s’agit de parler en laveur de la religion et de l’humanité. Dans les maladies, les secours sont bien plus dispendieux dans les campagnes, parce qu’il faut les envoyer chercher dans les villes qui sont quelquefois très éloignées ; les délassements de la société, si nécessaires pour se préserver des dangers de la solitude et en adoucir les rigueurs, les devoirs de l’hospitalité, les avances qu’il faut faire aux cultivateurs affligés par l’inclémence des saisons, les besoins sans cesse renaissants des pauvres si multipliés et si peu secourus dans les campagnes (car, malgré toutes les mesures que vous allez prendre pour subvenir à leurs besoins U [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (14 avril 1790.] et pour décharger les curés d’un soin si pénible, mais si cher à leur cœur, jamais vous n’empêcherez, par exemple, ni le voyageur indigent d’aller chercher des secours au presbytère, ni le paroissien malade, infirme ou sans travail, de réclamer des charités qu’un pasteur ne pourrait refuser sans perdre une considération qui lui est si utile pour exercer avec fruit son ministère, ni le pauvre honteux, surtout, de s’accoutumer à regarder son curé comme l’unique dépositaire de ses peines, et son consolateur dans sa misère secrète, qu’il rougira toujours d’exposer à la publicité des bureaux de charité). Toutes ces dépenses, dont plusieurs atteignent d’une manière particulière les curés des campagnes, pourront-ellesêtre suffisammentcompenséesfpar le modique traitement de 1,200 livres? D’ailleurs, Messieurs, comme au moyen de la réduction qne vous vous proposez, chaque paroisse va renfermer et un peuple nombreux et une étendue considérable (1), ne se trouvera-t-il pas beaucoup de curés à qui la ressource d’un cheval sera indispensablement nécessaire pour remplir assidûment les fonctions du ministère? Gomme les églises ne seront pas toujours placées au centre des paroisses, il se trouvera nécessairement des endroits très éloignés du presbytère; la difficulté des chemins, l’âge, les infirmités des pasteurs, seront encore de nouveaux obstacles qui les forceraient, s’ils n’avaient pas l’avantage d’un cheval, à suspendre leurs visites, et par conséquent à rompre tous les liens de consolation, de bienfaisance, de religion qui doivent les attacher constamment à leurs paroissiens. Or, comment voulez-vous, encore une fois, qu'avec une somme de 12 à 1,500 livres, ils subviennent à toutes ces dépenses indispensables, surtout dans les provinces où la cherté des vivres se fait sentir d’un manière si frappante? Nous croyons, donc, Messieurs, qu’en déclarant que la dotation des curés ne pourra être moins forte que celle que vous avez fixée, il est en même temps nécessaire que vous laissiez aux départements et districts la liberté d’augmenter cette dotation, selon la circonstance des lieux, qu’ils seraient bien plus à portée de connaître que votre comité ecclésiastique ou des dîmes. Par les mêmes motifs d’humanité, qui doivent diriger toutes vos opérations, Messieurs, nous espérons aussi que vous voudrez bien agir envers les curés des campagnes comme vous l’avez fait envers les religieux qui resteront dans leurs monastères, c’est-à-dire leur laisser les jardins et clos qui dépendent de leurs bénéfices, jusqu’à la concurrence de deux arpents. Si je ne craignais maintenant de sortir de l’ordre du jour, et que l’on ne m’opposât un décret déjà prononcé, j'oserais vous prier aussi de laisser aux départements et aux districts la liberté d’exa-rniner s’il est utile ou non de doter en fonds territoriaux les cures de leurs ressorts. 11 me reste maintenant, Messieurs, quelques observations importantes à faire sur plusieurs articles omis ou insérés dans le projet de votre comité : 1° Messieurs, votre comité fait monter les dépenses à venir du culte et des ministres nécessaires à 65 millions, savoir, 53,000,000 francs pour les curés et vicaires, et 12,000,000 pour l’entretien de bâtiments, des églises et frais du (1) Par le projet du comité, la plupart des curés aura à peu près trois quarts de lieue de rayon ; c’est-à-dire environ quatre lieues et demie de circonférence. culte; et il ne parle point, dans ces dépenses à venir, des séminaires : il suppose, il est vrai, que les dépenses nécessaires pour les séminaires, collèges, hôpitaux, pourront monter à 12 millions, ce qui ferait alors pour les dépenses à venir 77,000,000 francs. Maisvotre comité dit, quelques pages après, qu’il viendra un temps où, au moyen des extinctions, les frais du culte et des ministres nécessaires , ne seront que de 76,000,000 ; et même que dans V organisation future du clergé , il n’en coûtera que 65,000,000. Or, comme selon votre comité, la dépense même à venir des curés, vicaires, entretien des bâtiments et frais du culte, montera à plus de 65,000,000, que deviendront donc, dans l’organisation future, tes séminaires ? je pourrais même ajouter les collèges et hôpitaux? car, quoiqu’ils n’entrent pas dans l’organisation du clergé, M. Ghasset les met aujourd’hui au nombre des dépenses du clergé, et il calcule le gain que la nation doit faire, dans la suite, sur l’excédent des 65 millions, à quoi montera l’organisation future du clergé. Tout le reste, selon lui, sera en gain pour la nation. Donc, selon lui, il ne doit plus être question un jour de séminaires, collèges et hôpitaux; sinon il aurait dû prélever les dépenses de ces établissements sur le gain que ferait la nation dans la suite. Serait-il donc entré dans l’esprit de votre comité de frapper d’anathème ces établissements si précieux, et de les envelopper dans la proscription générale prononcée contre toutes les sociétés religieuses? Il ne balance pas à les regarder lui-même comme nécessaires aujourd’hui. (Voyez page 14 du rapport de M. Ghasset); et pourquoi ne le seraient-ils donc plus à l’avenir ? Nous ignorons, au reste, de quel œil la nation regarderait une si étonnante opération. Mais nous ne ferons pas d’autres réflexions sur un pareil système, parce qu’il est juste d’attendre les explications que voudra bien nous donner votre comité, et qui, sans doute, rassureront les consciences effrayées. Nous nous contenterons d’ajouter ici qu’ayant entendu un orateur de cette Assemblée avancer qu’il fallait se borner à un seul séminaire dans chaque département, nous n’avons pu nous empêcher de former des vœux ardents pour qu’on voulût bien faire au moins une exception en faveur du séminaire des missions étrangères, de celui de Saint-Lazare et de celui du Saint-Esprit. Ges sortes d’établissements n’ont presque rien de commun avec les autres séminaires ; et personne n’ignore de quelle utilité ils sont aux yeux de la religion et de l’humanité, puisque tous les jours ils fournissent des hommes remplis de zèle apostolique, qui sacrifient leur repos, leur patrie, leur santé, leur vie même.pour porter aux nations les plus éloignées l’évangile-du salut et du bonheur. 11 est d’autant plus indispensable de soutenir, de protéger ces sortes d’établissements, que, par la suppression des corps religieux, iis sont devenus l’unique moyeu de conserver et de propager la foi dans les pays étrangers. 2° Un article non moins essentiel qui a échappé aux yeux de votre comité, Messieurs, c’est celui des pauvres. Malgré les inquiétudes, les outrages, les amertumes de toute espèce dont nous sommes sans cesse environnés, nous ne devons point oublier cette portion si précieuse de notre troupeau, et la plus chère à notre cœur, parce qu’elle est la plus souffrante. Elle a toujours été l’objet de vos sollicitudes pastorales, et elle le sera encore dans le nouvel ordre de choses qui se présente à nos regards ; les circonstances change- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (14 avril 1790. J ront, nos facultés ne seront plus les mômes, mais nos sentiments ne pourront jamais varier. Nous suppléerons par nos désirs, par nos paroles, par nos efforts, à l’impuissance qui nous menace, et qui va bientôt nous frapper. Nous ne craindrons pas même de dire, avec un illustre prélat de l’Assemblée: « Qu’on nous enlève nos biens, nos privilèges, la considération même dont nous avons joui jusqu’ici, pourvu que la religion n’en souffre pas et que les pauvres soient plus abondamment soulagés, nous serons bien dédommagés des sacrifices qu’on exige de nous, et nous ne nous repentirons jamais de les avoir faits. » C’est pour cela que, lorsqu’il a été question, dans l’Assemblée nationale, de décider si la disposition des biens ecclésiastiques appartiendrait à la nation, nous n’avons cessé de demander ce que deviendraient les pauvres. On nous répondit, sans balancer, que nous n’en serions plus chargés , et que la nation en prendrait soin. Mais puisque la nation consentait à s’imposer une pareille charge, le comité, en faisant la répartition des revenus ecclésiastiques, et en nous mettant sous les yeux le détail circonstancié de toutes les dépenses qu’occasionnerait Je Douvel ordre de choses qu’il proposait, aurait donc dû aussi faire mention de la somme que l’on destinait aux pauvres pendant ce même état actuel. On ne devait pas se contenter de leur préparer des secours pour l’avenir, c’est-à-dire pour le temps qui suivrait l;extinction d’uue partie des charges présentés; mais il fallait encore leur en préparer, leur en présenter pour le moment actuel; car, malgré les injustes et odieuses préven tions que l’im piété, l’envie. l’intérêt, toutes les passions combinées se sont plu à répandre contre le clergé, il n’est personne dans la France qui ne sache de quelle ressource infinie ont été dans tous les temps, pour les pauvres, les biens du clergé. Qu’on interroge toutes les familles indigentes des villes et des campagnes, et qu’on leur demande si elles n’ont pas toujours regardé les presbytères, les communautés, les chapitres comme leur principal asile et la source de leur consolation ; si, dans ces années désastreuses qui viennent de désoler toute la Fran ce, elles n’ont pas toujours trouvé chez eux des secours très abondants et continuellement répétés? Que les pauvres honteux, surtout, que toutes les âmes honnêtes, dont les ministres du Seigneur ont été secrètement secourir la misère et apaiser la douleur, veuillent bien rendre un témoignage éclatant à la vérité, et l’on verra alors, si, pour quelques membres infects dont nul corps n’est exempt sur la terre, le clergé ne renferme pas encore dans son sein des milliers d'hommes généreux et bienfaisants, qui font consister leur bonheur à être l’appui du pauvre, et les consolations de l’humanité souffrante (1)! (1) Il n’est personne dans la France qui n’ait entendu parler des sommes immenses que M. de Beaumont, archevêque de Paris, répandait continuellement dans la capitale et ses environs ; nous savons, de science certaine, queM. l’archevêque actuel a donné au moins 400,000 livres aux pauvres pendant le cours de l’année dernière. Nous connaissons, en outre, plusieurs prélats, membres de l’Assemblée nationale et autres, qui ont nourri, presque seuls, leur diocèse pendant la même année, et qui, ayant distribué plus de 100,000 livres en secours extraordinaires et publics, ont été obligésde s’endetter considérablement pour subvenir à celte augmentation d’aumônes. Nous en connaissons d’autres, encore vivants, qui ont cessé de tenir maison, et ont été se renfermer dans leur séminaire, afin de pouvoir donner plus abondamment aux pauvres. Tout Paris a été témoin des secours consi-Eh bien, Messieurs, voilà donc des pertes, et de; grandes pertes, que les pauvres vont essuyer parle nouveau régime ; ils vont les ressentir dès ce-moment, et ils les ont même ressenties tous les. jours depuis le décret du 2 novembre. C’est donc; à la nation de les réparer ; et comme ces pertes. sont actuelles et toujours renaissantes, il faut donc; les réparer dès aujourd'hui, c’est-à-dire, présenter-aux pauvres un dédommagement actuel et des. ressources présentes, et c’est ce que le comité n’â. point pensé à faire dans son rapport; et c’est, contre cet oubli si essentiel que nous réclamons tout le zèle que doit nous inspirer la qualité de; pasteurs, c’est-à-dire de pères des pauvres. Le comité répondra, peut-être, que ce projet ne pouvait. entrer dans son plan, puisqu’il ne s’agissait que d’exposer à l’Assemblée l’état des dépenses que nécessiteraient les frais du culte, le traitement des ministres de la religion, les pensions des religieux, et de montrer quel serait le gain que pourrait faire actuellement la nation en s’emparant des biens du clergé... ; qu’il viendra un temps où l’Assemblée s’occupera d’un objet si intéressant et si cher à son cœur.... Mais je répondrai : 1* que le comité, enlevant aux pauvres, par son plan d’opérations, des ressources actuelles, journalières et abondantes, devait donc leur offrir un dédommagement dont ils pussent jouir dès le moment même où ces ressources leur seraient enlevées ; 2° je dis que si, dans l’or�arasaftott/n-twe,oudansquelqueautrepian inconnu, ildoit être question des pauvres, il n’en est, ni ne peut même en être question pour Y état actuel (c’est-à-dire pour bien des années encore), si on s’en tieDt. au plan du comité. En effet, le comité dit que les charges actuelles du culte, traitement des ministres, pensions, etc., monteront à la somme de 133,000,000 livres, et que, cette somme prélevée, il restera encore, sur les biens du clergé, un excédent de 48,000,000 livres qui sera en gain pour la nation, et employé à liquider les dettes de l’État. Or, dans ces 133,000,000 livres de dépenses, il n’est pas fait mention des pauvres ; on ne leur destine rien non plus sur la somme de 48,000,000 livres qui forme le reste des revenus du clergé, puisque le comité dit expressément que cette somme seraemployée à liquider les dettes de l’État , et plus bas, à rembourser les rentes à 5, 6 et 7 0/0. Donc, par le projet du comité, il paraît évident que les pauvres n’obtiendront ni ne peuvent obtenir aucun dédommagement actuel des ressources qu'ils trouvaient auparavant dans les biens du clergé. Nous prions doue très instamment l’Assemblée nationale de vouloir bien réparer un oubli si dangereux, et de fixer dès ce moment la somme qui sera prise sur la partie des revenus ecclésiastiques, et versée dans la caisse de chaque département pour être employée aux besoins actuels et très urgents des pauvres. 3° Nous ignorons aussi par quel motif on a négligé l’article si essentiel des fondations. Un dérables et journaliers que toutes les communautés de cette ville n’ont cessé de prodiguer à l’énorme quantité de pauvres qui assiégeaient continuellement leurs maisons. Nous ne rappelerons pas à ceux d’Orléans, de quelle ressource leur ont été les corps séculiers et réguliers, et généralement tous les ecclésiastiques de cette ville, les remises considérables et les avances qu’ils ont faites aux cultivateurs affligés, les secours en tout genre qu’ils ont prodigués à l’occasion des malheurs qui se sont accumulés depuis quelques années sur toute la province. Nous pensons que les cœurs reconnaissants n’ont pas encore oublié de si importants services. 26 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.' orateur a dit dans cette Assemblée que le nombre des fondations anciennes et nouvelles était si grand, que si on voulait les acquitter entièrement, tous les ministres de la religion seraient obligés d’être nuit et jour au pied des autels. Mais que faudrait-il conclure de cette assertion, quand même elle serait vraie ? Qu’il serait nécessaire de réduire les fondations, et ceserait uniquement à la puissance ecclésiastique à le faire; mais non les anéantir toutes, car ni la nation, ni l’Eglise même n’auraient certainement pas le droit de prononcer une pareille loi. Plusieurs fois l’Église a cru pouvoir procéder à la réduction ou à la suppression des fondations ; mais elle ne l’a fait que lorsque les titres de fondations étaient perdus, ou lorsque les biens donnés pour l'acquit de ces fondations n’existaient plus, ou enfin lorsque ces biens étaient devenus insuffisants et disproportionnés aux charges des fondations. Excepté ces trois motifs de suppression ou de réduction qui ont toujours dirigé la conduite de l’Église, nous ne voyons pas sur quelles raisons on pourrait s’appuyer pour anéantir les dispositions des fondateurs, ni quelle puissance dans l’univers aurait droit de procéder à une pareille opération. Lorsqu’un fondateur a donné son bien à telle ou telle condition, ou cet acte a été valide, ou il ne l’a pas été : il est donc censé nul, il est donc comme non avenu ; toutes les opérations respectives sont donc anéanties : celui quia fondé n’a pu donner ; et s’il n’a pu donner, il peut donc légitimement reprendre ce qu’il a donné. Si l’acte a été valide, il a donc obligé, et il oblige encore les deux contractants ; si l’un des deux manque à l’obligation qu’il a acceptée, l’autre n’est plus obligé de remplir la sienne ; il peut donc dire avec justice : je ne vous ai donné qu’à cette condition, j’ai pu le faire selon la loi, j’ai voulu le faire, je ne l’aurais pas fait sans cela, vous y avez consenti ; aujourd’hui vous refusez de remplir la condition à laquelle je vous ai donné, à laquelle vous avez souscrite ; il m’est donc également libre de ne plus remplir la mienne, de retirer mes dons et de rentrer dans mes possessions. La nation s’est emparée des biens du clergé, elle n’a donc pu le faire qu’en prenant pour elle-même toutes les charges dont ils étaient grevés, elle est donc indispensablement obligée, par toutes les lois de la morale, de la ‘ustice, de la religion, de faire en sorte que toutes es fondations, dont les titres et les biens subsistent, soient fidèlement acquittés, sauf à engager la puissance ecclésiastique à faire toutes les réductions qu’elle croira convenables dans les circonstances actuelles. Or, comme au moyen de la réduction ues ministres des autels, et du surcroît de travail auquel ils vont être assujettis, il sera de toute impossibilité que les curés soient chargés de ces fondations, il s’ensuit donc qu’il est indispensablement-nécessaire de conserver quelques sociétés religieuses à qui la nation confiera cette obligation sacrée; et c’est là un des grands motifs qui militent pour l’existence des cathédrales en faveur desquelles j’ai encore quelques réflexions à vous présenter. Par ce moyen, Messieurs, vous tranquilliserez des milliers de familles justement alarmées, et vous éviterez les réclamations sans nombre qui ne manqueraient pas de vous faire ou les successeurs de ceux qui ont fondé, ou les fondateurs eux-mêmes qui existent encore. 4° Votre comité vous propose de supprimer généralement tous les bénéfices différents des cures : il est singulièrement étonnant qu’il n’ait pas excepté de cette proscription universelle au moins les chapitres des cathédrales. Les raisons politiques et religieuses qui militent eu leur faveur vous ont été parfaitement développées dans plusieurs écrits, il serait donc superflu de vous les remettre sous les yeux ; mais je ne crains pas de vous dire qu’il n’est presque aucune province, aucune ville (1) qui ne souhaite avec empressement leur existence, aucun cahier qui ne demande, au moins implicitement, leur conservation, puisqu’il n’en est presque pas un seul qui ne désire de les voir servir de retraite et d’asile aux pasteurs qui ont blanchi sous le fardeau du saint ministère. Vous entrerez donc dans les vues de toute la France en conservant ces monuments respectables de la piété de nos ancêtres, qui nous retracent si sensiblement l’ancien régime del’Eglise, et qui, par leur nouvelle organisation, seront en même temps et un objet d’édification pour tous les chrétiens, et un motif d’encouragement pour les pasteurs, eu leur offrant sur le déclin de leurs jours une retraite honorable et conforme à leurs désirs. 11 est vrai, Messieurs, que votre comité leur eu offre une autre dans leur cure eu leur donnant des vicaires stipendiés par la nation. Mais peut-on sérieusement présenter aux curés une pareille perspective? Quoi, un homme qui a consenti à se priver les trois quarts de sa vie des agréments de la ville et des douceurs de la société, a rompu tous les liens qui l’attachaient à sa famille et à sa patrie, pour se consacrer, sans relâche, au ministère le plus pénible et le plus important; cet homme, accablé sous le poids des infirmités et des ans, se verrait encore forcé de passer l’hiver de ses jours dans le fond d’une campagne isolée, dans la tristesse de Ja solitude où il n’aurait ni secours dans ses maladies, ni consolation de la part de ses parents, ni aucun moyen pour adoucir l’ennui de la vieillesse et la rigueur de ses souffrances. Son sort, bien loin d’être adouci par la révolution présente, serait donc bien plus triste et bien plus affreux qu’au-paravant ; car jusqu’ici personne ne pouvait lui arracher une triste ressource que daigne lui offrir votre comité, personue ne pouvait le forcer à quitter son presbytère et sa cure. Le régime ecclésiastique se faisait un devoir de lui donner un vicaire quand ses infirmités lui ôtaient la faculté de remplir ses fonctions ; il s’empressait même, quand sa cure était modique de venir à son secours, en lui donnant une pension sur la caisse des décimes; mais déplus, tout curé pouvait alors résigner sa cure en se réservant le tiers de son revenu, et venir dans le sein de sa famille, attendre avec tranquillité l’effet de ses grades, et se consoler par l’espérance d’un cano-nicat ou de quelque autre bénéfice simple. Votre comité lui enlève donc toutes ces ressources, et ne lui offre aucune espèce de dédommagement. Nous espérons, Messieurs, que vous voudrez bien suivre un. système plus digne de votre humanité et plus consolant pour les pasteurs. D’ailleurs, Messieurs, il est facile de vous prou-(1) Il y en a même qui ont fait les plus pressantes réclamations en faveur de quelques collégiales, et notamment la ville d’Orléans. La municipalité a appuyé de toutes ses forces la requête éloquente présentée dernièrement à l’Assemblée nationale pour obtenir la conservation du chapitre royal de Saint-Aignan de cette ville. Cette ville, ainsi que bien d’autres, n’a encore réclamé qu’en faveur des collégiales, parce qu’il n’était venu jusqu’ici dans l’esprit de personne de croire qu’on pût jamais proposer la suppression des cathédrales. (Assemblée nationale.] 27 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (14 avril 1790.] ver que ces retraites si intéressantes et si précieuses ne seraient pas aussi onéreuses à la nation qu’on pourrait se l’imaginer. Par le projet de votre comité, le nombre des cures doit se monter à celui de 17,000. Supposons qu’il s’élèvera à celui de 20,000 (car il est absolument impossible d’en conserver un moindre nombre); supposons maintenant la quinzième partie des curés assez âgés ou infirmes pour avoir besoin de retraite, ce sera d’abord 1,333 canonicats destinés aux curés qui ne pourront desservir leurs cures, c’est-à-dire quinze chanoines par chapitre, en en plaçant un dans chaque département. Elevons maintenant le nombre des prébendes de chaque chapitre à celui de vingt. Il y aurait donc encore dans chaque chapitre de département, environ quatre autres places qui pourraient servir de récompense à ceux qui se seraient distingués par leurs services , ou qui auraient consacré une partie de leur vie aux pénibles fonctions de l’éducation publique (ce nombre de vingt chanoines pourrait diminuer ou augmenter selon la population des départements). La totalité des canonicats, dans cette supposition, ne monterait donc qu’à 1,660. Bornons le revenu de chaque prébende à 2,400 livres (je prends ici un terme moyen qu’on pourrait également varier selon les différentes localités). Ajoutons la somme de 6,000 livres pour les frais du culte divin dans chaque chapitre (1). La dépense de chaque cathédrale ne monterait, pour les quatre-vingt-trois départements, qu’à la somme de 4,482,000 livres. Mais sur cette somme, il faut diminuer celle qu’occasionneraient les vicaires qu’on serait obligé de donner aux curés infirmes ou âgés par le projet du comité. On peut en supposer, comme nous l’avons dit ci-dessus, la quinzième partie hors d’état de remplir les fonctions du saint ministère, ce serait donc environ 1,333 vicaires de moins à payer, c’est-à-dire environ 1,066,400 livres de charge pour la nation; ainsi la dépense totale des chapitres, pour toute la France, ne monterait environ qu’à 3,415,600 livres; et au moyen de cette somme, vraiment modique pour une nation aussi riche que la nôtre, vous aurez secondé les désirs de toutes les villes et provinces du royaume, vous aurez conservé un conseil permanent aux évêques; aux fidèles, un objet continuel d’édification; aux fondateurs, la certitude de voir remplir les conditions sacrées auxquelles ils ont donné les biens dont vous allez prendre possession, et une retraite honorable et assurée à ces bienfaisants pasteurs que vous regardez vous-mêmes comme les ministres essentiels de l’Etat et de la religion. Il est vrai, Messieurs, que la totalité des dépenses, pour tous les objets ci-dessus mentionnés, pourrait s’élever à la somme de 10 à 12 millions. Mais regretteriez-vous une pareille somme, dans un temps surtout où, pour le nouveau régime du clergé, la nation va gagner annuellement plus de 36 millions (2), dès ce moment même, sans compter peut être 300 millions de fonds morts des biens du clergé qui vont être mis incessamment en vente, et où elle a encore i’espé-(1) Cette somme pourrait absolument suffire, puisque’ par le projet du comité, les cathédrales étant formées en paroisse, il faudrait toujours entretenir ces édifices et fournir aux frais du culte divin de ces nouvelles paroisses. (2) Le gain actuel se porterait à 48 millions, par le calcul du comité des dîmes ; mais je suis obligé de le réduire à environ 36 millions d'augmentation que je réclame pour les objets ci-dessus exposés, rance, ou plutôt la certitude d’en gagner tous les ans plus de 70 dans la suite, par l’extinction des charges ou l’augmentation progressive des revenus? Devez-vous la regretter, puisque vous vous emparez des biens dont la plupart n’ont été donnés qu’à la condition expresse de remplir les obligations que je vous ai présentées? Pouvez-vous la regretter, puisque toutes les lois de la morale, de la société, de la justice, de l’humanité, de la religion, et par conséquent, la prospérité de l’Etat, réclament en faveur des grands objets sur lesquels vous allez prononcer ? Serait-il même prudent de le faire, puisque vous vous exposeriez infailliblement aux réclamations de la plupart des provinces, et qu’au moyen de cette légère augmentation, vous êtes sûrs et d’anéantir toutes ces réclamations, et de seconder les désirs de toute la France? Enfin, Messieurs, quoique l’intérêt de la religion doive être ici le grand et le principal objet de nos demandes et de vos opérations, permeltez-moi d’ajouter qu’il ne doit pas vous être indifférent de protéger d’une manière distinguée le corps respectable des curés. Les curés, dans tous les temps, ont toujours élé les plus fermes défenseurs de ses lois, et les plus zélés à en prêcher la soumission aux peuples; et c’est là ce qui leur a mérité cette marque de confiance si flatteuse dont daigna les honorer notre auguste monarque dans ces temps désastreux qui affligèrent, il y a quelques années, nos provinces. Sous l’ancien régime, ils obéissaient aux lois du monarque, et recommandaient sans cesse aux peuples le devoir de la 1 soumission qui lui était due, parce que, comme les autres Français, ils ne connaissaient point alors d’autre législateur que le monarque ; sous le nouveau régime, ils obéiront avec le même zèle aux vôtres, à toutes celles de l’autorité légitime et connue; ils annonceront à leurs ouailles la fidélité qu’ils doivent à la loi, à la nation et au roi, parce que, comme vous, ils connaissent maintenant les droits respectifs de la loi, de la nation et du roi. Par leurs paroles et leurs exemples, ils protégeront donc la sainteté de vos décrets; ils entretiendront dans la société les avantages si précieux de la paix et de l’union; ils enseigneront à respecter les propriétés, à payer religieusement les subsides, à voler au secours des malheureux, et, par des services si essentiels, ils vous offriront un dédommagement continuel et toujours renaissant de la légère dépense que vous occasionneront l’augmentation des titres et la conservation des autres établissements qu’ils attendent de votre justice et de votre religion. J’ai donc l’honneur de vous prier de vouloir bien mettre les amendements suivants au projet de votre comité : 1° Que le consentement des évêques et des municipalités sera nécessaire pour procéder à la suppression ou réunion des cures; 2° Que l’Assemblée, en déclarant que la portion congrue des curés ne pourra être moindre de 1,200 livres pour les paroisses au-dessous de 1,000 âmes, de 1,500 pour celles au-dessous de 2,000, et de 1,800 pour les cures au-dessus de 2,000 âmes, laisse aux départements et districts la liberté d’augmenter cette dotation selon le prix des vivres des différents pays où sont situées ces cures; 3* Que les départements ou districts pourront aussi doter les cures, ou eu argent, ou en fonds territoriaux, selon qu’ils le trouveront avauta� geu* à la chose publique; 28 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790. 4° Que dans le cas où la dotation serait en argent, Ja pension des curés, vicaires et autres bénéficiers sera regardée comme la première dette -de l’Etat, et payée d’avance, de six mois en six mois, sans aucun délai, et avant toute autre charge, de quelque nature qu’elle puisse être; 5° Que, dans le susdit cas, les curés resteront en possession des jardins, potagers, clos et vignes dépendant de leur bénéfice, jusqu’à la concurrence de deux arpents; 6° Que tous les bénéficiers seront exempts de toute contribution réelle et personnelle, excepté d’un trentième de leur revenu, qui sera mis en réserve pour faire des pensions aux vicaires et aux prêtres infirmes du département, au moyen de laquelle contribution ils auront tous les droits de citoyens actifs ; 7° Que dans chaque ville épiscopale il y aura un chapitre dont le nombre moyen sera de vingt chanoines, et la dotation moyenne de prébendes de 2,400 livres; que ce nombre de chanoines, ainsi que leur dotation, pourra varier selon la population des villes; qu’on donnera pareillementà chaque chapitre la somme annuelle de 6,000 livres pour fournir aux frais du culte divin; qu’en-fin les fondations des autres chapitres, maisons religieuses et autres établissements supprimés, réduites, autant qu’il sera possible, par la puissance ecclésiastique, seront acquittées par le chapitre qui subsistera dans chaque département; 8° Que la dotation en argent des bénéfices sera vérifiée tous les quinze ans, et rétablie à cette époque sur le prix moyen du blé, pendant l’espace des dix dernières années. 7 e ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du iiavrillldO. Observations sur la proposition de convertir la dîme ecclésiastique en impôt par M. Amollit, député du bailliage de Dijon (1). Deux motifs ont engagé l’Assemblée nationale à supprimer la dîme ecclésiastique : elle était une charge excessivement onéreuse, puisqu’elle emportait le quart du produit net des terres; cette charge ou cet impôt, destiné à l’entretien du culte public, était réparti avec une inégalité odieuse, quoique tous les citoyens soient obligés de contribuer à cette dépense dans la même proportion. Que la dîme fut un impôt établi en faveur des ministres de la religion, il n’est personne qui puisse contester raisonnablement cette vérité. Cet impôt, dans son institution et dans ses progrès, n’affectait pas seulement les productions de la terre, il s’étendait jusqu’au croît des bestiaux, jusqu’à la tonte des troupeaux, jusqu’au travail même des artisans et des journaliers. On sait qu’il existe encore, même aujourd’hui, des dîmes de laine, de charriage, etc. Les recherches sur ce point de fait seraient peu convenables dans ce moment où le clergé de France se livre volontairement aux plus grands sacrifices. Ce n’est donc pas sans étonnement que l’on entend des hommes d’Etat supposer que la dîme est une véritable propriété, que l’abandon qui a été fait par le clergé est une grande munificence de sa part, un présent prodigieux fait aux propriétaires. Ceux qui s’expriment ainsi, oublient tout à la fois l’origine de la dîme, sa destination et les droits de la République. L’Assemblée nationale a-t-elle pu supprimer cet impôt? Qui peut douter de cette vérité, quand il est avoué que les contributions des citoyens ne peuvent être établies que de leur consentement, et que cette maxime ne fait qu’énoncer un des premiers droits de toute société politique ? Doit-elle le rétablir, après l’avoir supprimé, et en appliquer le produit au profit du trésor public ? Telle est Ja question que l’on propose à l’Assemblée nationale, en l’invitant à la décider pour l’affirmative. Si la conversion que l’on conseille pouvait se faire sans contredire les principes qui ont fait décréter la suppression, il ne s’agirait que d’examiner si on peut l’ordonner sans de grands inconvénients. Peut-être en trouverait-on un très considérable à rétablir cette charge cruelle, après avoir annoncé aux peuples qu’elle est définitivement supprimée ; car dans un temps où tous les esprits sont agités, où tout le monde est en état de juger ce qu’on lui propose, il ne faut plus ni compter sur la crédulité des peuples, ni se hasarder à les tromper. Mais ce n’est pas sous ce point de vue que je veux examiner la proposition faite aux représentants de la nation ; c’est d’après les principes de justice distributive qui doivent présider à toute espèce de contribution publique. L’établissement général de la dîme, en France, n'a pas eu d’autres motifs que l’entretien du culte public et le soulagement des pauvres. On doit le dire, puisque c’est la vérité, ni l’un ni l’autre de ces deux objets n’ont été exactement remplis. La nation a été forcée d’établir partout des hôpitaux et de former des bureaux decharité, pour satisfaire au dernier objet. Quant à l’entretien des ministres de la religion, l’inégalité prodigieuse qui règne entre les revenus des curés, la modicité de la part que le haut clergé leur a également accordée dans le subside voté principalement pour eux, a encore trompé sur ce point l’ordre et la volonté précise du peuple qui bientôt s’est trouvé surchargé par l’établissement du casuel et par l’entretien des églises et des presbytères. Mais cette contravention formelle à la loi de l’établissement de la dîme, n’est pas le seul abus que l’on ait à reprocher à cet impôt. Il en existe un beaucoup plus considérable : c’est l’inégalité de la répartition. Personne ne contestera sans doute que l’entretien des ministres du culte public est une charge publique. Personne aussi ne niera la conséquence du principe, que cette charge doit être supportée par tous les citoyens proportionnellement à leurs revenus. S’il s’agissait aujourd’hui d’adopter un culte nouveau, oserait-on proposer d’en fixer uniquement la dépense sur les terres, et même sur certaines espèces de fruits, et d’en affranchir tous les autres revenus? Le clergé raisonnait conséquemment au principe lorsqu’il assujettit à la dîme non seulement toutes les productions de la terre, mais même les fruits de la chasse, de la pêche, les productions des animaux, la tonsure des troupeaux et jusqu’au travail des journaliers. Dans la supposition que je viens de faire, de quel doit celui qui posséderait un revenu de dix mille livres en rentes pécuniaires, serait-il exempt de la contribution, tandis qu’un père de famille qui n’aurait d’autre ressource que la culture de ses (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur .