692 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 février 1790.] ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D’AUTUN. Séance du jeudi 25 février 1790, au soir (1). M. fianltler de Bianzat, secrétaire, donne lecture des adresses ainsi qu’il suit : Adresse des citoyens de la ville de Charroux, convoqués par le conseil général de la commune pour entendre Je discours du roi; ils ont fait éclater les sentiments de l’allégresse la plus vive, de la reconnaissance la plus tendre et ont prêté avec transport le serment civique. Adresse des soldats citoyens du bataillon patriotique de la Rochefoucault ; ils jurent tous de conserver la Constitution, cet auguste monument des vertus de Louis XVI, et de la sagesse des représentants de la nation, ou d’expirer sous ses ruines. Adresse de sept cents habitants d’Auzonville-sur-Ry, généralité de Rouen, qui, assemblés pour chanter le Te Deurn en actions de grâces du discours prononcé par le meilleur des rois, ont en même temps manifesté leur vénération et leur entier dévoilaient à tous les décrets de l’Assemblée nationale. Adresse des officiers municipaux delà communauté de Tilloi-lès-Cambrai; ils consultent l’Assemblée sur une difficulté relative à une réunion de communauté voisine. Adresses des citoyens du district du Gourguil-lon, à Lyon, de la communauté du Broc, en Provence, et de celle de Tancron. Cette dernière fait le don patriotique du produit de la contribution sur les ci-devant privilégiés. Mémoire pour la ville de Manosque, en Provence, ainsi conçu : Jusqu’à présent les communes de la ville de Manosque, en Provence, n’ont eu à présenter à l’Assemblée nationale qu’un juste tribut d’admiration, de reconnaissance et de dévoilaient. Qu’il est pénible pour elles de faire succéder à des sentiments si doux, des plaintes amères ! Mais ces plaintes mêmes seront un nouveau tribut de son respect, puisqu’elles seront l’expression de son intime confiance en l’équité immuable de l’Assemblée. Sous le despotisme ministériel et la dictature aristocratique, les plaintes étaient étouffées ou par le désespoir de les voir réussir, ou par la crainte de les voir punies comme séditieuses : car, lors même qu’on était écrasé par le poids de l’oppression, il n’était jamais permis de crier à l’oppresseur. Aujourd’hui que la voix de la liberté s’élève jusqu’au trône, aujourd’hui qu’elle fait hardiment retentir la salle de l’Assemblée nationale, cette auguste Assemblée pourrait-elle s’offenser d’un langage qu’elle nous a appris à parler? Non, ce serait l’offenser, en effet, que de le craindre. Ainsi, nous n’hésitons pas de lui dire, ingénuement, que, lorsqu’à Manosque, on a appris que, malgré ses justes prétentions, elle avait été oubliée dans la distribution des districts, toute la ville a été dans la surprise, dans la douleur, surtout par l’événement odieux qu’elle a essuyé et qui la jetterait dans le désespoir, si elle ne s’attendait, avec toute la confiance et tout le respect qu’elle (f) Cette séance est incomplète au Moniteur. doit à l’auguste Assemblée nationale, au rétablissement de ses droits naturels. Manosque est, de l'aveu même de ses antagonistes, la ville la plus importante de la Haute-Provence, et une des principales de toute la Provence; importante par sa population, qui excède de plus d’un tiers celle de toutes les villes du département du nord, et de deux tiers, celle de Forcalquier, qui ne compte qu’environ deux mille habitants, tandis que Manosque en renferme plus de six mille; la plus importante encore par son affouagement, qui est le quint de l’affouage-ment de la viguerie de Forcalquier et qui est plus fort que celui de toute autre ville de Provence, à l’exception d’Aix, Toulon, Hyères, Grasse, Tarascon, Draguignan ; cet affouagement de Manosque est plus considérable� lui seul, que celui de plusieurs villes réunies, comme Annot, Colmar et Seyne; il est le double de celui de Forcalquier, affouagé vingt-deux feux, tandis que Manosque l’est quarante-deux, Don compris les biens privilégiés très considérables, et qui augmenteront les impositions, lesquelles s’élèvent annuellement à la somme de près de soixante-dix mille livres: enfin Manosque est la ville la plus importante par sa situation, qui est la plus belle, peut-être, de toute la Provence : elle est sous un climat doux et sain. Les grandes routes du Dauphiné à Aix, Marseille, et dans tout le reste de la Basse-Provence, qui la traversent, sont toujours praticables, même dans la rigoureuse saison*, cette ville est entourée, à la distance d’une et deux lieues, d’une multitude de villes et villages extrêmement peuplés, et dont les habitants fréquentent, ainsi que ceux de Forcalquier, ses marchés établis les jeudi et samedi de chaque semaine; elle possède encore, dans son enceinte, les plus beaux greniers publics de la Provence, après ceux d’Aix ; et un château, appartenant aux anciens seigneurs, dans lequel ou trouverait toutes les commodités possibles, pour la tenue des assemblées du district et du directoire, et pour le siège de l’administration de justice. Malgré tous ces avantages, cette ville, qui n’a pas eu le bonheur d’avoir aucun député a l’Assemblée nationale, fut cependant informée qu’on l’avait jetée, pour ainsi dire, dans le département du nord de la Haute-Provence, quoique toutes ses relations soient avec le département d’Aix ; et qu’elle avait été oubliée dans la distribution des districts. Elle crut alors devoir députer auprès de l’Assemblée nationale, le sieur Raffin, député-suppléant, pour venir réclamer sa justice et obtenir le redressement des torts qu’elle éprouvait dans Je projet de division du département du nord, arrêté par MM. les députés dudit département. C’est à leur justice d’abord que son député a porté ses réclamations ; elles ont été accueillies avec cet esprit d’équité qu’il s’attendait de trouver en eux; et, d’un commun accord, ils furent d’avis de faire alterner entre la ville de Forcalquier et celle de Manosque l’établissement du district. Cet avis fut unanime. Un seul député, habitant de Forcalquier, présent, refusa d’y adhérer. Le député de Manosque proposa alors aux membres assemblés de signer leur avis; ils lui répondirent qu’incessamment ils auraient une assemblée pour présenter au comité de constitution leur travail sur la formation des districts du département, et qu’alors, ils feraient part au comité de leur délibération sur l’alternat convenu entre Forcalquier et Manosque. D’après ces faits, le sieur député dressa un [Assemblée nationale.] ARCHIVES P mémoire, dans lequel il rendait compte de ce qui avait été arrêté par les membres du département. Il eut l’hon neur de le présen ter, le 28 d u mois de janvier à M. Gussin, rapporteur du comité, qui, excédé de travail, ne put en faire qu’une lecture rapide, et lui dit de le remettre au secrétariat, et qu’il s’en occuperait lorsqu'il travaillerait audit département. Par quel événement inconcevable, et comment a-t-il pu se faire que le premier février, avant qu’il s’agît de la distribution des districts du département, et même de la fixation de leur nombre, on ait rapporté une prétendue difficulté existant entre Forcalquier et Manosque? C’est cependant ce qui a été fait; et l’Assemblée nationale, ignorant la détermination des députés du département, prononça en faveur de Forcalquier. On peut juger, par là, jusqu’à quel point on a osé surprendre la religion de M. le rapporteur, et par là même, celle de l’Assemblée nationale. En vain, M. Pochet, député d’Aix, s’empressa, sur ce rapport imprévu, de faire valoir les justes raisons de la ville de Manosque; M. le rapporteur répondit qu’il n’était question, dans le moment que de fixer à Forcalqu ier le chef-lieu du directoire, et que cela n’empêchait pas que le tribunal de district ne fût établi à Manosque ; ce fut à la faveur de cette déclaration faite à l’Assemblée que le décret fut rendu. A cette nouvelle, aussi cruelle qu’inattendue, le sieur député de Manosque en porta ses plaintes à M. Gossin, qui lui avoua avoir été induit à erreur, mais qu'on réservait à Manosque la concurrence pour tous les établissements qui seraient fixés dans le district de Forcalquier, et que ce serait un droit de plus pour avoir l’établissement du tribunal de justice. En effet, dans le rapportdu procès-verbal général, il fut dit par M. le rapporteur que l'établissement du tribunal de justice serait fixé à Manosque : cet énoncé essuya des difficultés de la part d’un député de la sénéchaussée de Forcalquier qui observa que cet article n’avait pas été convenu, sans vouloir reconnaître que tout au moins l’alternat avait été unanimement délibéré. M. le président prononça qu’on s’en tiendrait au décret qui porte que la ville de Manosque pourra concourir pour tous les établissements qui seront fixés dans le district. Cette ville, qui réunit les trois principes de la population, de la contribution, du territoire et de la plus belle localilé, n’a pas, comme celle de Forcalquier, la prétention de se taire attribuer la préférence sur tous les objets, de tout accaparer, de tout envahir ; elle se borne seulement à de-ûiander à partager les établissements du district, et puisque Forcalquier a eu le moyen de se faire attribuer celui du directoire exclusivement, contre la décision et le vœu des députés du département, il est du bon ordre, de toute justice, et dans les Srincipes de l’Assemblée nationale, que la ville de anosque ait la tribunal de justice. Le décret de l’Assemblée nationale, qui admetau concours la ville de Manosque pour tous les établissements, ne peut avoir été rendu en vain ; il doit avoir son effet. Et que pourrait-on lui accorder, si elle n’obtenait le tribunal de justice? il s’ensuivrait que la ville la plus considérable, non-seulement du district, mais du département même, serait entièrement oubliée dans la distribution des établissements, et traitée à l’instar du pluschétif village. Un pareil exemple serait unique dans le royaume, et contraire aux principes qui ont déterminé la division en départements, en districts. � La ville de Manosque n’est ■ 1 dirigée par LEMENTA1RES. [25 février 1790.] 693 l’ambition, mais par les motifs de la plus exacte équité ; sa demande ne peut être que favorablement accueillie ; elle est fondée sur les principes qui guident l’Assemblée nationale, et une suite nécessaire de son décret. Comment pourrait-elle s’y refuser? ou ne peut présumer une pareille contradiction ; et les sentiments de respect et de dévouement envers l’Assemblée nationale, que la ville de Manosque a consignés dans une délibération, ci-après imprimée, et prise depuis l’installation de sa nouvelle municipalité, ne laissent aucun doute sur la pleine et entière confiance qu’elle a dans sa justice; le décret favorable, qui lui attribuera le tribunal de justice qu’elle sollicite, pénétrera ses habitants de ce sentiment consolant qui doit dominer dans tous les cœurs, et fera cesser celui du désespoir qui s’était emparé de tous les esprits; et ils diront alors : « La faveur n’a plus de pou-« voir, la protection plus d’influence, l’arbitraire « plus d’empire : l’équité, la raison, l’intérêt * général, décidant de tout, le règne des in-« justices est passé. » Signé : Raffin, député-suppléant et député extraordinaire de la ville de Manosque. Délibération de la ville de Manosque. Extrait des registres des délibérations de la commune de la ville de Manosque. L’an mil sept cent quatre-vingt-dix, et le vingt-deux février, le conseil général de la commune de cette ville de Manosque, assemblé dans la maison de ville, ont été présents : M. JOSEPH Eyriez, avocat-maire ; MM. les officiers municipaux ; MM. les notables ; M. Richard, notaire royal, procureur de la commune. M. le maire a dit que la nouvelle municipalité, entrant en fonctions, doit principalement s’occuper des objets majeurs qui intéressent la communauté, et rendre hommage aux décrets de l’Assemblée nationale. La communauté a déjà donné son adhésion à tous lies décrets; nous avons prêté un serment solennel de les maintenir, et nous devons par acclamation adhérer à tous les décrets qui ont été antérieurement envoyés et reçus. En entrant dans nos fondions, nous trouvons les déclarations du don patriotique et du quart des revenus, arrêtées depuis quelque temps : le zèle des habitants de cette ville a été ralenti par les assurances qui ont été données que Manosque n’avait point eu de district, quoique, d’après les principes consacrés dans les décrets de l’auguste Assemblée nationale, tout concoure à en placer un dans cette ville. Son point central, relatil aux populations qui l’entourent; la commodité des abords de la ville, et des ressources pour les personnes qui s’y rendent; sa population; l’importance des impôts qu’elle paye; tout concourt à réclamer un district pour la ville de Manosque. Ges considérations ne doivent point arrêter les effets de notre zèle; si la religion de l’auguste Assemblée de la nation a été surprise, nous devons espérer, avec confiance, qu’elle nous rendra justice lorsqu’elle aura connaissance de notre bon droit; lorsqu’elle saura que la principale ville du département du nord de la Provence est traitée