[8 mai 1790.J 427 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, esprit comme séparée de l’esprit de modération et du respect éclairé que doit avoir un bon citoyen pour les autorités légitimes; et certes, vous vous exposeriez à rencontrer rarement ces deux qualités si vous n’obteniez les juges que d’un premier choix populaire. L’opinion publique est, j’en conviens, le plus puissant moteur d’un peuple libre, mais il est deux opinions publiques : l’une précipitée, éphémère, fugitive, ne se compose que de préjugés et de passions; l’autre lente, stable, irrésistible, se compose du temps et de la raison. L’une et l’autre, cependant, sont ce que l’on appelle l’opinion publique, et quand, par une confusion d’idées, on suppose à la première les droits qui n’appartiennent qu’à la seconde, on expose le salut du peuple et l’on fait retomber sur lui le châtiment de ses erreurs. A l’avantage que je vous ai présenté on n’a fait qu’une objection, et cette objection si souvent, si fastueusement répétée, me paraît résolue d’avance. On vous a dit que nous voulions livrer les juges à l’influence ministérielle; à l’influence de la classe la plus vile et la plus corrompue, les ministres , les courtisans et les courtisanes. On n’a pas voulu sentir à quel point il est avisé de rendre favorable cet argument trivial et à quel point il est difficile de lui donner une force réelle. Soyons de bonne foi, Messieurs; quand, en environnant de respect et d’hommages la personne royale, on se plaît à couvrir d’ignominie les dépositaires nécessaires de sa confiance, on ne suit pas une marche franche, et il semble que l’on veuille acheter, par des adulations insignifiantes, le droit de porter des coups certains, et de se permettre des calomnies efficaces. Mais tout cela était parfaitement inutile, et tout homme qui a réfléchi sur la question sera forcé de convenir que l’in fluence, quelque pestilentielle qu’on la suppose, n’aura véritablement à s’exercer qu’entre deux sujets reconnus dignes par ceux qui les ont élus. Et que l’on n’imagine pas, Messieurs, que ce droit que je réclame, que ce droit de régler le choix du peuple, soit plutôt une prérogative qu’un devoir. Toute influence qui se borne à la nomination et à laquelle l’homme nommé échappe ensuite sans retour, est une influence bien faible. Le roi de Pologne nomme toutes les starosties, toutes les places de l’armée, de la magistrature et du clergé. Eh bien! le roi de Pologne ne fait souvent que des ingrats, et n’est point encore despote. Ce n’est donc pas pour le roi, ce n’est pas pour cette prérogative dont on nous dit les partisans, et à laquelle le droit que je demande n’ajoutera rien d’utile ; c’est pour vous, c’est pour les justiciables, c’est pour le maintien de votre Constitution, de la Constitution que j’ai jurée; c’est pour toutes ces raisons, que j’insiste fortement sur une question que vous pouvez résoudre négativement, sans exposer ces grands intérêts. Tels étaient sans doute les motifs de votre comité de Constitution, qui vous a fait, dans son rapport, des propositions conformes à mon système. J’avoue que ce n’est pas sans étonnement que je me vois abandonné dans la discussion de leurs propres principes, par des hommes dont je défends l’opinion connue, articulée, imprimée. J’ignore s’ils ont changé d’avis ; cela est, ou cela n’est pas. Si cela n’est pas, qu’ils me soutiennent; si cela est, qu’ils me combattent. C’est avec eux que je me suis égaré ; iis me doivent les raisons puissantes qui ont anéanti leurs erreurs. Je ne sais si je me trompe, mais je m’étais toujours représenté le comité de Constitution comme un véritable régulateur, placé au milieu de nos opinions diverses, et je ne m’accoutumerai pas facilement à à n’y voir qu’un thermomètre docile qui marque successivement le degré de chaleur des opinions dominantes. Je reviens, et je me résume. Il faut, pour le maintien de votre Constitution, que le roi demeure chef suprême du pouvoir exécutif qui réside exclusivement dans ses mains. Il faut que l’ordre judiciaire soit dans un rapport de dépendance avec le chef suprême du pouvoir exécutif, dont il est une émanation, Il faut que ce rapport soit un rapport de délé-s gation. Vous avez décrété ce rapport tel que je le propose, en décidant que la justice sera rendue au nom du roi. 11 faut que le roi ait une influence réelle sur ses délégués. Il ne faut pas que cette influence se réduise à une investiture forcée et dérisoire. Il ne faut pas qu’elle s’étende à un refus destructif du choix du peuple. Il faut qu’elle se borne à régler le choix du peuple, et à préférer un sujet sur ceux qu’il aura présentés. Ce résultat, Messieurs, est impérieusement commandé par les principes et par l’intérêt du peuple; car votre Constitution ne peut souffrir aucune atteinte sans que la liberté publique, dont elle est la base, ne coure les plus grands dangers. Si vous en violez, si vous en expliquez arbitrairement une seule clause, vous introduisez dans son sein un germe de mort ; si vous prononcez un décret, duquel il résulte que le roi ne soit plus le chef suprême du pouvoir exécutif, vous altérez la Constitution: en vain, vous proposera-t-on d’adopter des dispositions que l’on vous présentera comme plus favorables à l’autorité royale; si, conséquents au principe que l’on veut vous faire poser aujourd’hui, vous le suivez dans ses corollaires, vous détruirez la monarchie : si, entraînés par d’autres considérations, vous faites des inconséquences, vous exposerez la Constitution qui n’esl qu’une suite de principes et de conséquences; tant il est vrai, Messieurs, comme vous le disait votre premier comité de Constitution : « Que le législateur, s'il abandonne un seul instant le fil qui doit le diriger, errant au hasard , et comme égaré dans la région orageuse des intérêts humains, se trouve exposé sans cessé ou à manquer ou à dépasser le but qu’il se propose d'atteindre. » ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES. Séance du samedi 8 mai 1790, au matin. La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. Fegaarze de liervélégan, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. Il ne se produit aucune réclamation. M. le bailly de Fresnay demande à s’ab-