316 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |l°r août 1789.] mise en délibération que le lendemain, excepté dans les cas urgents. M. le comte de Mirabeau demande la lecture du règlement: on la donne. On décide que le cas est urgent, et cependant la discussion recommence. On répète les distinctions de députations d’honneur et de députations d’affaires. On rappelle ensuite les différentes motions contraires à celles de M. Pison. On élève même une seconde difficulté : le règlement porte que toute motion qui renferme deux objets sera divisée. On réclame l’exécution du règlement sur ce point. M. Bfiuzot appuie cette réclamation; il dit que l’on a reçu jusqu’ici les députations, qu’on doit en recevoir encore; Que sans le courage des Parisiens, l’Assemblée n’existerait peut-être pas, et que c’est au moins unedéférence que l’Assemblée doit leur témoigner. la matière est mise en délibération. Premier amendement : L’Assemblée veut-elle diviser la motion? Cet amendement est rejeté. On propose un second amendementainsi conçu: Que les députations d’honneur seront reçues deux fois par semaines, et celles d’affaires renvoyées au comité des rapports. Ce second amendement est également rejeté. La motion de M. Pison du Galland passe à la majorité, en ces termes : « L’Assemblée nationale, attendu l’importance de ses travaux qui exigent tous ses moments, a arrêtéque les députations présentes seront admises ainsi que celles qui se présenteront jusqu’au 8 du présent mois seulement ; en conséquence, elle invite les bourgs, villes et villages, les municipalités et autres corps, à lui donner connaissance de leurs vœux et des affaires qu’ils croiront devoir lui communiquer, par la voie du comité des rapports, qui en référera à l’Assemblée. » Après cet arrêté, la députation des représentants de la commune de Paris est introduite. M Muguet de Sémouville, député suppléant de la noblesse, portant la parole, dit: Messeigneurs, nommés par les représentants de la commune de Paris, pour avoir l’honneur de paraître devant cette auguste Assemblée, ce n’est qu’avec crainte que nous venons y remplir la mission qui nous est confiée. Déjà depuis plusieurs jours une partie de nos délibérations a eu pour objet les divers événements qui ont troublé la ville de Paris; et si nous ne savions pas combien ses intérêts vous sont chers, combien ils importent à l’ordre universel du royaume, nous gémirions en silence sur notre position, et n’oserions pas vous détourner plus longtemps de la constitution que la France entière attend de l’Assemblée nationale. Mais, Messieurs, pouvons-nous espérer que, nous accordant encore quelques instants, vous achèverez ce que vous avez commencé avec tant de succès pour la capitale? Le jour où vous avez sauvé notre liberté par votre courage, celui où votre présence nous a fait oublier nos malheurs, celui où enfin nos concitoyens ont revu les ministres dont vous aviez demandé le retour, devaient être le signal de la paix et de la tranquillité publique. Et cependant, Messieurs, peu s’en est fallu que la nuit d’avant-hier ne fût encore marquée par des désastres. Le peuple redoutait l’évasion de M. de Bezenval ; vous l’avez rassuré par votre arrêté qui lui promet justice; la personne de cet officier général est détenue, quant à présent, àBrie-Comte-Piobert. Vous déclarez que vous allez établir un tribunal. Mais, Messieurs, les représentants de la commune de Paris osent vous supplier de ne pas tarder à remplir cette promesse; ils sont persuadés que cette mesure seule mettra fin à des excès dont les suites et l’habitude peuvent devenir si funestes; ils nous ont chargés de la solliciter de votre sagesse. M. le Président. Les communes de Paris ont pu, avec tout le royaume, voir dans les décrets émanés de la sagesse de l’Assemblée nationale l’esprit de justice qui, voulant soustraire à des condamnations précipitées les personnes soupçonnées de crimes de lèse-nation, les soumet avec nécessité au jugement régulier d’un tribunal qu’elle doit indiquer, et qui fera partie intégrante de la constitution française. L’Assemblée nationale croyait à présent ne pas pouvoir contribuer plus efficacement au retour du calme et de la paix, qu’en donnant sans interruption tous ses moments au travail de cette constitution tant désirée par le royaume enlier ; et que rendant à chacune des parties de ce grand corps politique l’exercice de pouvoirs qui lui appartiennent pour le bon heur de tous, elleassurerait promptement la tranquillité et la prospérité de l’Etat. Cependant, Messieurs, toujours occupée des moyens qui peuvent être jugés propres à ramener cette tranquillité et cet ordre, et pensant que la ville de Paris doit en donner l’exemple, elle prendra en considération la question que les représentants de ses communes viennent lui soumettre. On demande que la requête des représentants de la commune de Paris soit renvoyée au comité des rapports. L’Assemblée en ordonne le renvoi. Entre ensuite la députation des citoyens d’Orléans. M. Percheron porte la parole: Nosseigneurs, les citoyens d’Orléans, au milieu des malheurs particuliers qui les affligent, n’ont pu perdre de vue qu’ils devaient à cette auguste Assemblée leurs respectueux hommages et l’expression de leur profonde reconnaissance. Chaque jour, Nosseigneurs, couronnant par de nouveaux succès les efforts de votre courage et de votre patriotisme, ajoutait à notre impatience: et nous vous rendrions difficilement combien il nous coûtait de ne pouvoir satisfaire assez tôt le besoin le plus pressant de nos cœurs. C’est par vos soins généreux que la France, délivrée pour toujours de la crainte du despotisme, gouvernée par des lois sages sous l’autorité du meilleur et du plus juste des rois, va devenir ia plus respectable, la plus heureuse monarchie. Qui pourrait, Nosseigneurs, prendre un intérêt plus vif à vos glorieux travaux, qu’une ville attachée à l’empire français dès son berceau, et dont les citoyens se glorifieront à jamais d’avoir sauvé le royaume que vous régénérez aujourd’hui? Pour prix de leur service et du sang qu’iis ver- ARCHIVES PA RLEM ENTAI R ES. 317 [Assemblée nationale.} sèrent pour l’État, nos pères obtinrent alors des exemptions, des privilèges. Un ministre oppresseur nous les a ravis dans ces derniers temps; et jamais cette injustice ne nous fut plus sensible que dans un moment où elle nous prive de la douce satifaction d’en faire à la patrie le sacrifice libre et volontaire. Lorsque ce moyen particulier nous manque, lorsque nous n’avons à cet égard que des regrets à vous offrir, nous n’en sommes que plus jaloux, Nosseigneurs, de rendre cette auguste Assemblée dépositaire de notre adhésion à ses serments et à ses décrets; de lui protester que, dans tous les temps et dans toutes les circonstance, nos concitoyens ont été et seront constamment dans la plus ferme résolution d’en maintenir toute l’autorité, et d’en assurer la plus parfaite exécution. Si ces sentiments, Nosseigneurs, avaient besoin d’ètre garantis, ils le seraient par ceux du prince citoyen dont les bienfaits sont notre consolation, et dont le patriotisme seconde si heureusement celui de cette auguste asemblée. M. le Président. L’Assemblée nationale reçoit avec satisfaction l’expression des hommages et du respect de la ville d’Orléans. Est entrée la députation de la ville de Sens. Un des membres, portant la parole, a dit : Nosseigneurs, faire revivre les droits constitutionnels de la nation française ; concilier avec prudence et sagesse les pouvoirs qui fixent l’étendue de l’autorité; prescrire en même temps l’empire de l’obéissance due au souverain; resserrer les liensqui rapprochent le Roi de ses sujets; rendre impossible le moindre mouvement d’erreur de la part du peuple envers son Roi; prévenir les effels de toute calamité préparée par la cupidité, encouragée par l’impunité; mettre des bornes à la licence d’une liberté trop étendue, et souvent nuisible à la douceur de nos moeurs; substituer une jurisprudence sage et humaine à des lois trop sévères et trop compliquées; encourager le commerce; quel sublime travail! quelles augustes fonctions ! c’est en raccourci, Nosseigneurs, ce que la nation doit et devra à vos lumières, à votre courage, et à vos infatigables travaux. Déjà vos noms immortels et vos importantes opérations sont gravées au temple de mémoire. La ville de Sens, dans une circonstance aussi glorieuse pour vous, et si' avantageuse à la nation, s’empresse de vous faire parvenir, par ses députés, le tribut de la vive reconnaissance qu’elle voue à des hommes si précieux à l’Etat; elle nous charge spécialement d’adhérer de la manière la plus formelle à tous les arrêtés de cette auguste Assemblée; elle vous supplie en même temps d’agréer l’hommage de sa vénération, et de son profond respect. M. Ic Président répond : L’Assemblée nationale voit avec plaisir que la ville de Sens, de concert avec toutes les villes du royaume, rend justice à ses décrets ; elle me charge de vous en témoigner sa satisfaction. Une députation de l'amirauté de France est entrée. M. Prousteau de Mont-Louis, lieutenant général de l’amirauté de France , a dit : Monseigneur et Messeigneurs, l’amirauté de France, persuadée combien il est au-dessus de [ I f>r août 17S9-1 ses forces de pouvoir rendre à cette auguste Assemblée un hommage digne de lui être offert, se serait renfermée dans les bornes d’une respectueuse admiration, si l’intérêt du commerce maritime ne l’avait encouragée. La navigation est la plus grande preuve du courage des hommes; elle est le lien des nations; c’est elle qui nous amène avec abondance les richesses de l’univers : rien ne mérite autant d’une Assemblée qui, par la magnanimité de son courage, a semé le germe du bonheur de la France, que de protéger un commerce qui en fait l’éclat et la splendeur. La félicité de nos concitoyens va naître désormais de vos lumières et de vos vertus. Et la vôtre consistera à faire respecter les décrets de votre justice. M. le Président a répondu: Chargée de régénérer toutes les branches de l'administration du royaume, l’Assemblée nationale prendra en considération celle qui vous a été confiée, et portera ses soins sur la liberté, la sûreté et l’extension du commerce. Elle agrée avec satisfaction les hommages que l’amirauté de France lui présente. Ces diverses députations sont reconduites au milieu des applaudissements de l’Assemblée. On reprend la discussion sur la constitution, par la question de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle est ainsi posée. Mettra - t-on ou ne mettra-t-on pas une déclaration des droits de l'homme et du citoyen à la tête de la constitution ? Plusieurs membres demandent la parole: le nom de chacun est inscrit sur une liste, suivant le rang de sa demande; il s’en trouve 56 inscrits. M. Durand de Maillane. Je suis chargé, par mon bailliage, de réclamer une déclaration des droits de l’h'ommc, qui serve de base à la constitution et de guide pour tous les travaux de l’Assemblée; cette déclaration, qui devrait être affichée dans les villes, dans les tribunaux, dans les églises même, serait la première porte par laquelle on doit entrer dans l’édifice de la constitution nationale. Un peuple qui a perdu ses droits, et qui les réclame, doit connaître les principes sur lesquels ils sont fondés, et les publier. Ce sont des vérités premières absolument nécessaires pour établir une constitution ; c’est de là, comme d’une source, que doivent découler les lois positives. Quelques personnes semblent redouter la publication de ces principes ; mais ne sait-on pas que la vérité n’a pas de plus grand ennemi que les ténèbres? Le peuple sera plus soumis aux lois lorsqu’il connaîtra leur origine et leurs principes. M. Crénière, député de Vendôme (1). Les Français demandent, les Français veulent une constitution libre ; mais avant de* faire une constitution, il est nécessaire de déterminer le sens qu’il faut donner à ce mot, qui, comme tant d’autres, est devenu presque insignifiant, à force d’acceptions dont la plupart sont absolument différentes, et quelques-unes même contradictoires. Il me semble que la constitution d’un peuple n’est pas une loi ni un code de lois, dites improprement constitutionnelles; car l’établissement d’une loi ou d'un code de lois suppose nécessairement quelque chose d’antérieur : il faut qu’un (1) Le discours de M. Crénière est incomplet au Moniteur.