[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 juillet 1790.] mes bien loin de nous opposer à cette partie du décret par laquelle on propose de supplier le roi d’envoyer des troupes à Orange : nous désirons qu’elle soit défendue; que le maire, ce citoyen estimable, jouisse des avantages qu’il nous a procurés à nous-mêmes. Mais si l’on donnait plus d’extension à cette disposition, on préjugerait la grande question sur laquelle l’Europe entière aies yeux ouverts, celle desavoir s’il est permis aune ville de changer de domination et de souverain. La ville d’Avignon n’a pas demandé de troupes étrangères. Si de nouveaux troubles nous préparaient de nouveaux malheurs, alors nous aurions Fecours, peut-être, à la protection des Français; mais nous ne leur demanderions pas de protéger la révolte. M. Bouche. Je demande que l’orateur déclare s’il est français ; car, s’il est étranger, il doit descendre à la barre ! M. l’abbé Maury. Je ne regarderais point comme une peine de descendre à la barre. Cet ordre, s’il m’était donné par l’Assemblée, m’honorerait, parce qu’il attesterait mon respect et mon patriotisme. La France est bien maîtresse de disposer de ses troupes à son gré, mais elle ne peut pas s’emparer du territoire d’autrui. Je le répète encore, si l’embarras des circonstances exige de secours étrangers, les Français ne nous abandonneront pas. La ville d’Orange n’a-t-elle pas déjà eu la gloire de faire cesser les meurtres? Elle a, par malheur, été trompée sur ces hommes morts martyrs de la patrie, dont le gibet est devenu un autel patriotique qui immortalisera leurs noms dans cette malheureuse province. Nous vous demanderons que l’Assemblée se borne à accéder aux vœux de la ville d'Orange, mais que le décret qu’elle rendra n’indique, en aucune manière, les secours que l’on peut porter à Avignon. La France a solennellement renoncé à tout esprit de conquête ; elle protégera ses voisins, mais elle n’attentera jamais à leur liberté. M. de Clermont - Lodève. Quand j’ai vu à l’ordre du jour l’affaire d’Orange, j’avais pensé que vous vous occuperiez du sort des Avîgnon-nais détenus; maison s’est emporté, on s’est porté à des invectives contre le comtat Venaissin et Villeneuve. On a voulu vous faire entendre que les troubles d’Avignon étaient liés avec ceux de Nîmes; on n’a pas réfléchi qu’il n’y a à Avignon qu’une seule religion. On vous a dit que la ville de Car-pentras était le cratère , on a voulu dire le foyer du volcan qui avait occasionné une explosion dans cette contrée; elle a le plus grand intérêt à ce que l’ordre y soit maintenu; on a prétendu aussi que c’était la cause de l’aristocratie. Eh bien, parmi les prisonniers détenus, qui, dans ce système, seraient des aristocrates, il y a des portefaix, des artisans, de petits marchands détailleurs; trois seulement appartiennent à la classe de la noblesse ou de la ci-devant noblesse, ils n’ont commis d’autres crimes que ce qui était autrefois une vertu : la fidélité à leur souverain. Je demande qu’on s’occupe du sort des prisonniers. (La discussion est fermée.) (On demande la priorité pour le projet du comité.) M. Malonet. Je demande la parole pour proposer un amendement. Si l’Assemblée acceptait purement et simplement le décret qui lui est présenté par le comité, elle semblerait autoriser la détention des prisonniers d’Orange. Voici comment je propose de rédiger l’article : « L’Assemblée nationale décrète que son président se retirera par-devers le roi, pour le supplier d’interposer ses bons offices et sa protection, afin de rétablir la paix à Avignon ; il sera accordé un asile inviolable, sur le territoire français, à tous ceux qui, pendant les troubles, se sont absentés ou s’absenteraient d’Avignon. « En conséquence, les habitants transférés à Orange auront la liberté et pourront, s’ils le veulent, sortir du territoire français. «Sera aussi suppliée Sa Majesté de faire passer des troupes dans les lieux voisins d’Avignon; elles ne pourront agir qu’à la réquisition des municipalités voisines, seulement pour maintenir la paix. » (Ce décret est écarté par la question préalable.) Le projet de décret du comité est ensuite relu et adopté ainsi qu’il suit : « Le président se retirera dans ta journêepar-de-vers le roi, à l’effet de supplier Sa Majesté de donner les ordres les plus prompts pour qu’il soit envoyé à Orange le nombre de troupes de ligne qui sera jugé nécessaire pour veiller au maintien de la tranquillité publique et de la sûreté de cette ville. » M. l’abbé Maury. Je demande qu’on ajourne à jour fixe la question des prisonniers. M. de Broglîe. Je renouvelle la motion que j’ai déjà faite, et je soutiens qu’il est impossible de faire de rapport des prisonniers, sans entrer dans tous les détails des troubles d’Avignon. Une députation de la municipalité de Paris est admise à la barre. M. l’abbé Fauchet, orateur de la députation, obtient la permission de parler. « Lorsqu’il s’agit de Franklin, dit-il, la commune ne craint pas de vous importuner ; elle a pensé entrer dans vos vues en ordonnant une cérémonie funèbre pour célébrer la mémoire de ce grand homme : il manquerait quelque chose à cette solennité, si vous n’y assistiez pas. La commune est à vos ordres pour le jour et l’heure qu’il vous plaira d’indiquer. » M. le Président. L’Assemblée nationale voit avec intérêt les honneurs rendus à l’homme le plus fameux dans les annales des deux mondes : elle prendra votre demande en considération. M. de Crillon le jeune demande à faire lecture d’une lettre écrite par le maire d’Orange; mais il observe que ce n’est point à lui que la lettre est adressée. On s’oppose à la lecture de cette lettre, dont personne ne peut assurer la garantie. M. de Clermont-Lodève. On .a bien lu la lettre calomnieuse d’un cabaretier dans l’affaire de M. de Lautrec. M. le Président consulte l’Assemblée pour savoir si la lettre sera lue. Deux épreuves successives paraissent douteuses. M. l’abbé Poulie. Et moi aussi, j’ai reçu une lettre de M. le maire d’Orange, puisqu’il est mou [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 juillet 1790. cousin germain : il s’est laissé attendrir, et demande qu’on procure du soulagement aux prisonniers, et même la liberté. Mais comme cette demande, si elle était accordée, pourrait avoir des suites funestes, je demande qu’elle soit regardée comme non-avenue. (L’Assemblée décrété qu’il sera nommé un comité de six personnes, chargé spécialement de l’affaire d’Orange.) Une députation de douze membres est votée pour assister à l'éloge funèbre de Francklin. Les députés désignés, sont : MM. De Mirabeau l’aîné, Moreau de Saint-Méri, De La Rochefoucauld, Guillotin, Massieu, curé de Sergi, L’abbé Latyl, Arthur Dillon, Coroller, De Golbert-Seignelay, évêque de Rodez, L’abbé Sieyès, De Folleville, D’Ambly. M. le Président lève la séance à neuf heures du soir. - ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 17 JUILLET 1790. Protestation de cent cinq curés de laBretagne contre la nouvelle constitution civile du clergé , adressée à l'Assemblée nationale (1). Messieurs, aux jours du pouvoir le plus absolu, jamais Français ne trouva le trône inaccessible à ses plaintes. La voie des remontrances fut toujours le droit du peuple. Dans des temps de liberté, qu’il nous soit permis de déposer dans votre sein les raisons de nos sollicitudes, et de vous adresser les justes motifs de nos réclamations. La perte de nos biens et la suppression de notre ordre n’entrent en aucune manière dans le plan de notre démarche actuelle. A l’école d’un Dieu auvre, nous avons appris à faire des sacrifices. ncore moins, voudrions-nous, par une espèce d’insurrection, chercher à soulever les peuples. Ministres-citoyens nous leur devons l’exemple autant que l’instruction, et nous ne manquerons jamais de leur inspirer le respect qu’ils doivent à toute puissance légitime. Cellequi vous a été confiée estgrande sans doute; mais c’est sa grandeur même qui fait le fondement de nos espérances, une religion sainte en est la base et peut en être l’unique appui ; or, c’est cette religion qui, par notre organe, vient en ce moment emprunter son secours, en revendiquant un de ses premiers droits. Respectable à vos pères, elle daigne aujourd’hui vous associer à ses intérêts et la postérité jugera de votre zèle à la servir. Daignez donc, Messieurs, jeter les yeux sur cette (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. mère désolée. Vous la verrez avilie dans la personne de ses ministres dont la liberté est évidemment compromise; comme si elle était faite pour être prêchée par des esclaves. Vous la verrez gênée dans son régime intérieur; comme si elle pouvaitêtre asservieà la volonté des hommes, elle qui tire son origine de la divinité même. Vous la verrez enfin exposée à être déshonorée par le mélange monstrueux des sectes qu’elle abhorre. Ecoutez cette voix perçante, elle demande le redressement des griefs qui la plongent dans la plus affligeante désolation. 1° Dignité du ministère compromise. Nous ne vous parlerons point, Messieurs, de ces libelles infâmes qui nous traduisent impunément au tribunal des simples, sous les plus odieuses dénominations, des expressions dignes de mépris comme lesauteurs ténébreux qui les exhalent ne méritent ni nos plaintes, ni votre attention; cependant des bruits désastreux se répandent ; le clergé est voué à l’anaîhème, et ce qu’il est important de ne pas vous laisser ignorer, c'est que, pour donner du poids à ces déclamations odieuses, on ose interposer le crédit de l’auguste Sénat, compromettre son autorité et s’étayer de l’appareil imposant de ses décrets mêmes. Rien de tout cela ne nous affecterait encore, s i ces menaces combinées ne pesaient que sur nos personnes : mais il n’est que trop visible que le culte y trouve le plus grand intérêt et en reçoit les plus vives atteintes ; il est en péril, et nous voyons avec douleur que les nouveaux décrets ne contribuent j)as peu à justifier nos craintes à son sujet. Il suffira désormais d’appartenir à l’ordre des curés pour être inepte aux fonctions publiques et aux places honorables. Cette incompatibilité dont on voudrait en vain nous cacher les motifs, si elle ne nous met pas au-dessous des derniers citoyens, nous assimile au moins à tout individu sans considération. Si elle était de notre. choix, elle ne pourrait que noos faire honneur; mais présentée avec tout l’appareil du mécontentement et delà défiance, elle ne peut laisser, dans les esprits déjà prévenus, qu’une idée déshonorante de peine et de soupçon. Les faveurs et les distinctions qu’on prodigue aux ministres d’un cuite proscrit, enchérissent encore sur ces idées humiliantes. On ajoute à tout cela des violences et des gênes inconnues à tout peuple libre. On nous impose des tâches que nous ne pouvons remplir qu'en les substituant aux instructions les plus nécessaires. On force enfin les opinions contre la déclaration des droits de l’homme, et on ne craint pas de nous mettre dans la terrible alternative ou de manquera notre conscience ou de mourir de faim. Nous ignorons les raisons d’un pareil traitement, mais nous ne pouvons nous en dissimuler les suites. Un pasteur aussi avili sera-t-il bien en état de remplir ses fonctions avec la dignité et les succès qui conviennent? On aura beau nous renvoyer au respect attaché à la vertu, nous répondrons toujours que les apôtres étaient vertueux, et que leur sainteté n’eut d’autres récompenses que les outrages, les fers, le glaive et les chevalets. G’est à des miracles frappants qu’est due la conversion de Punivers. Privés de ce dernier moyen, quelle que soit notre vertu, qu’avons-nou3 à attendre des peuples? Déchus de tout crédit parmi eux, quel service pourrons-nous rendre à la religion que nous avons à leur annoncer? Objets de leur