[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il décembre 1790.] Noailles répond très bien, quant au fond, aux différentes observations qui sont faites ; mais il ne prononce point sur un autre objet très délicat. Le ministre a fait punir des militaires sans jugement légal ; que les soldats soient coupables ou non, il faut écarter l’arbitraire. Je demande que les congés arbitrairement délivrés soient annulés, que les soldats soient rétablis dans leur état, et que, s’ils sont accusés, ils soient jugés. M. Bubois-Crancé. Ce n’est pas le ministre qui a donné les congés, puisqu’il faut tout dire et qu’on m’y force ; il lésa envoyés en blanc et ce sont les officiers qui les ont délivrés à ceux des soldats qui leur déplaisaient, même après le rapport des commissaires, où nul d’eux n’est chargé. Les officiers ont du reste déclaré que, si l’on faisait rentrer dans le corps les cavaliers congédiés, ils donneraient leur démission. Voilà une insubordination qu’il faut punir. M. Salle de Choux. Les commissaires envoyés à Hesdin ont fait une information de deux cents témoins. Cette information ne contient aucune accusation d’insubordination contre le détachement de Royal-Champagne. M. Bonite ville-Bnmetz . Le projet de décret de M. de Noailles, tendant à faire juger les cavaliers par une cour martiale, est bon ; mais il ne suffit pas. D’abord, le ministre est coupable d’avoir puni arbitrairement, puisqu’il reste encore à juger; 2° on ne peut ordonner la formation d’une cour martiale avant qu’il y ait une accusation précisément intentée ; 3° il faut faire juger les officiers qui, sur des motifs ignorés, ont fait congédier leurs soldats, etc.; 4° il faut improuver la municipalité qui a outrepassé ses pouvoirs. (Il présente un projet de décret dans ce sens.) L’Assemblée, délibérant sur le projet de décret de M. Dumetz, déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer, quant à présent, sur les dispositions tendant à improuver le ministre et la municipalité et décrète ce que suit : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités réunis, militaire, des rapports et des recherches, sur les événements arrivés à Hesdin dans le courant d’août dernier, <« Déclare nuis et non-avenus les cartouches délivrés aux cavaliers, sous-officiers du régiment de Royal-Champagne ; décrète en conséquence qu’il leur en sera délivré de nouveaux, sauf à faire le procès suivant les lois aux cavaliers et aux officiers devant une cour martiale, s’il y a contre eux quelques accusations pour des faits postérieurs à la proclamation des décrets des 6 et 7 août; ordonne que, provisoirement, les cavaliers congédiés recevront leur solde depuis leur absence du corps, jusqu’à ce qu’ils aient été jugés, ou, à défaut d’accusation, jusqu’à ce qu’ils soient replacés ». M. le Président donne lecture d’une lettre de M. Duportail, ministre de la guerre, qui rend compte des plaintes des administrateurs du département du Nord, relativement aux excès commis par quelques soldats licenciés de l’armée patriotique des Pays-bas autrichiens, qui vont même jusqu’à exiger des habitants des rançons à main armée. (L’Assemblée nationale ordonne le renvoi de cette adresse aux comités militaire et des rapports, réunis.) 897 M. le Président lève la séance à dix heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 11 DÉCEMBRE 1790. INSTRUCTION PASTORALE De son Altesse Eminentissime Monseigneur le Cardinal de Rohan, prince-êvêque de Strasbourg. Louis-René-Edouard de Rohan, par la grâce de Dieu et l’autorité du Saint-Siège apostolique, cardinal de la sainte Eglise romaine, prince-évêque de Strasbourg, Landgrave d’Alsace, prince-état du Saint-Empire, proviseur de la Sorbonne, etc... Au clergé séculier et régulier et à tous les fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction en notre Seigneur. 11 est consolant pour la religion, mes très chers frères, que déjà plusieurs évêques, dignes des premiers siècles de l’Eglise, se soient élevés contre des nouveautés que l’apôtre condamne (1), et qui portent la désolation dans le sanctuaire. Ces pasteurs, quoique dépouillés, poursuivis et persécutés, conservent néanmoins, au milieu des outrages, cette dignité modeste, qui convient si bien aux ministres de Jésus-Christ, et n’opposent aux vexations sourdes, que la patience et le courage de l’Evangile. Nous gémissons avec eux ; élevons la voix comme eux. Ne touchons-nous point, mes très chers frères, à ces temps dangereux prédits par l’apôtre (2), où des hommes plein d’amour-propre , ennemis de la paix, enflés d'orgueil, plus amateurs de la volupté que ae Dieu, corrompus dans l'esprit et pervertis dans la foi, travailleront, de concert, pour miner le trône et l’autel? Du moins avons-nous lieu de le craindre, en voyant les secousses données à la monarchie la plus brillante qui fût jamais, et les dangers de la religion dans le plus beau royaume, qui s’est toujours fait gloire de porter le nom de très chrétien. Le citoyen gémit sur les ruines de sa patrie, et le chrétien craint pour sa foi. Tous les liens de la subordination sont brisés. L’Eglise gallicane, cet antique édifice, fondé par les premiers successeurs des apôtres, arrosé du sang des martyrs, illustré par les lumières des plus grands docteurs, s’écroule sous nos yeux (3). La hiérarchie de l’Eglise est renversée; un schisme funeste peut en être la malheureuse suite. A la morale de l’Evangile on semble vouloir substituer les conseils et les préceptes d’une fausse sagesse. Dans ces jours de troubles et de peine, vous demandez de nous des paroles de force et de consolation. Nous vous parlerons : et malheur à nous, si la frayeur étouffait notre voix, au mo-(1) Devitans profanas vocum novitates. I. Tim., 6.20. (2) Erunt homines se ipsos amantes ..... sinepace... tumidi, et voluptatum amatores magis, quam Dei ..... homines corrupti mente, roprobi circa fidem. II. Tim., 3. (3) Les archevêchés de Vienne et d’Arles sont supprimés. II ne reste pas un seul des évêchés suffragauts de cette dernière Eglise si antique et si vénérable, qui fut le berceau du christianisme dans les Gaules, et qui compte dans ses annales un des premiers conciles de l’Eglise. 398 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1790.] ment où l’on ne craint pas de porter des mains audacieuses sur l’arche du Seigneur! la pourpre dont nous sommes revêtus, nous avertit que nous devons toujours être prêts, non seulement à parler, mais à verser notre sang pour la cause de Dieu et de son Eglise. Nous vous parlerons le langage de la religion : elle nous prêche dans les persécutions la patience et la résignation ; elle nous recommande la soumission aux puissances légitimes: elle nous fait envisager dans les chutes des empires cette main invisible de Dieu, qui se sert des passions des hommes pour punir leurs crimes. Si les changements que nous voyons ne renversaient que l’ordre civil, nous nous contenterions d’en gémir en secret, et nous laisserions la politique épuiser ses ressources; mais comme ils blessent les droits de l’Eglise et menacent même la foi, il est de notre devoir de parler. « Premièrement, nous rendons grâce à Dieu, par Jésus-Christ, pour vous tous, de ce que votre foi e�t inébranlable, comme on le publie partout. Dieu m’est témoin, que je pense sans cesse à vous, et que je désire vous voir, pour vous animer et consoler par les principes de notre sainte religion (1). Si les circonstances m’éloignent de vous encore ‘pour quelque temps, je ne suis pas moins avec vous et au milieu de vous par les sentiments de mon cœur (2). Vous gémissez, mes très chers frères, vous gémissez non sur les décrets qui vous dépouillent, vous seriez même au comble de vos vœux, si ce dépouillement guérissait les plaies de l’Etat. Mais vous gémissez sur les maux de l'Eglise, sur les entraves qu’on met à l’autorité de ses ministres, sur les coups mortels dont on frappe sa discipline. Vous voyez des personnes étrangères auministère saint, vouloir former l’organisation du clergé, créer ou borner des évêchés, relâcher les liens qui nous unissent au père commun des fidèles. Peut-être vous engagera-t-on d’y souscrire par un serment solennel, et vous désirez savoir la conduite que vous avez à tenir. Voici donc, mes très chers frères, les principes incontestables auxquels nous devons nous attacher : 1° Nous tenons et professons tous la foi catholique, apostolique et romaine; 2° Nous regardons le pape comme le chef visible et suprême de toute l’Eglise, tenant de Jésus-Christ même la primauté de juridiction qu’il exerce, et qu’il y a toujours exercée ; 3° L’Eglise a reçu de la main de Jésus-Christ le droit de faire ses lois et ses règles de discipline ; l’autorité civile peut bien les appuyer, mais elle ne peut les changer sans l’interventiou de l’Eglise; 4e Les évêques sont soumis de droit divin au pape; aucune puissance humaine n’est en droit de leur en interdire la communication dans les points qui regardent la religion; 5° Tous les chrétiens doivent être soumis, en tout ce qui concerne la religion, à leurs évêques unis au Saint-Siège, et ne peuvent reconnaître, pour pasteurs légitimes, que ceux que leur donne l’Eglise; (I) Primùm cuidem gratias ago Deo meo per Jesum Ghrislum pro omnibus vobisr, quia lides vestra annun-tiatur in universo mundo. Testis mihi est Deus. . . . quôd sine intermissione memoriam veslri facio ..... desidero videre vos ..... ad conûrmandos vos : idest, simul con-solari in vobis, per eam, quæ invicem est, fidem ves-tram atque meam. Ad Rom. I. (2) Etsi corpore absens sud, sed spiritu vobiscuttt sam Ad Coloss. 2. 6° L’ordre religieux est un ordre de sainteté, les vœux qu’on y fait sont fondés sur les conseils de la perfection évangélique ; 7® Tout chrétien est dans l’obligation la plus étroite de remplir les devoirs de bon et fidèle citoyen, et peut faire serment d’observer les lois de l’Etat, en tant qu’elles ne sont point contraires aux objets qui concernent essentiellement la religion, et l’autorité spirituelle que Dieu a confiée à son Eglise (1). De ces principes exacts, qui doivent vous guider dans la route incertaine, au milieu de la tempête, concluons, mes très chers frères, que le pouvoir spirituel qu’exercent les pasteurs vient radicalement de la mission de Jésus-Christ; que cette mission ne peut être donnée, fixée, déterminée, bornée, que par l’Eglise, seule héritière de l’autorité de Jésus-Christ : que ce n’est pas au nom des puissances du siècle que les pasteurs exercent le pouvoir de lier et de délier, quels que soient les décrets des hommes; qu’un nouvel évêque élu et tenant sa mission de la puissance laïque ne sera jamais qu’on fantôme d’évêque. « Le saint concile de Trente décide (2), que « ceux des évêques, prêtres, ou autres ministres « des auttds, qui, n’ayant reçu leur vocation et « institution que du peuple, ou du magistrat, et « d’une autorité laique, s’ingéreraient téméraire-« ment dans les fonctions saintes, doivent être << regardés, non comme des ministres de l’Eglise « mais comme des voleurs (des intrus), des lar-« rons, qui ne sont point entrés par la porte dans « le bercail.» Sess. 23, chap. 4. « Si quelqu’un dit que ceux qui ne sont ni « ordonnés ni envoyés parla puissance ecclésias-« tique et canonique, et qui viennent d’ailleurs, « sont de légitimes miuistres de la parole et des « sacrements, qu’il soit anathème.» Ibidem. Can. 7. En conséquence, je dirai aux fidèles qui sont d’un diocèse étranger, et qu’on voudrait réunir, sans suivre les règles prescrites par l’Eglise, au diocèse de Strasbourg : « Je ne vous tiens pas de « l’Eglise, je ne vous tiens pas de Jésus-Christ, « je ne suis pas votre pasteur, vous n’êtes pas mes « ouailles. » Je dirai à ceux qu’on détacherait de moi : « Arrêtez, mes chers enfants, où allez-vous? « L’Eglise vous a mis dans mon bercail, l’Eglise « seule peut vous mettre dans un autre, n’écoutez « pas la voix d’un étranger, ne le suivez pas. » Concluons encore, que l’Etat peut bien ne pas recevoir un ordre religieux dans son sein, mais que la puissance séculière ne peut pas annuler leurs vœux. On parle trop souvent des malheureuses victimes d’une vocation prématurée et d’un vœu téméraire, on en parle pour accuser leurétat,etnon pour plaindre leur destinée. Nous jouissons delà douce satisfaction de voir dans notre diocèse, que rien n’a pu séduire les personnes consacrées au Seigneur, et que les nouvelles espérances ne les ont point troublées. (1) Cette explication a été manifestée, sans réclamation, dans le sein même de l’Assemblée nationale, et autorisée par l’exemple des députés du clergé et de plusieurs autres représentants laïques. (2) Sacrosancla synodus.. decernit, eos, qui tantum-modo à populo, aut sæculari potestate, ac magistratu vocati, et instituti , ad hæc minisleria exercenda acce-dunt et qui ca propriâ temeritate sibi sumunt, omnes, non ecclesiæ ministros, sed fures et latrones, per ostium non ingressos, habendos esse. Sessione 23, cap 4. Si quis dixerit... eos, qui nec ab ecclesiastica et canonica potestate rilè ordinati, necmissi sunt, aliunde veniunt legitimos esse yerbi et sacramentorum ministros, anathema sit. Ibidem , cm. 7. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1790.| « Ces alarmes, vous dira-t-on, sont vaines; les « changements qu’on fait ne regardent que la « discipline, qni peut être changée; on ne rap-« pelle les choses qu’à leur première institution ; « on veut rendre le clergé tel qu’il doit être, et « qu’il a été dans les plus beaux jours de fE-« glise. » Oui, mes très chers frères, la discipline peut changer, souvent même le bien exige qu’on la change; mais ce changement doit se faire par l’autorité, ou au moins par le consentement de l’Eglise. Si l’on s’écarte de ce principe, il n’y aura plus rien de sacré, et bientôt chaque Eglise s’organisera elle-même sur les idées de sou chef politique, et nous ne verrons que la division et la contusion dans le royaume de Jésus-Christ. On vous dit qu’on ne rappelle les choses qu’à leur première institution... Mais quelle est cette institution primitive? Qœdleest l’influence des fidèles dans l’élection des evêques?... Consultez les livres saints, mes très chers frères, consultez la tradition de l’Eglise, et vous verrez à quel point la forme qu’on propose pour les élections est contraire aux régies anciennes. S’agit-il de remplacer le disciple prévaricateur dans l’apostolat? C’est le chef des apôtres, et non le représentant du peuple, qui annonce la vacation du siège, qui propose la manière dont l’eiection doit se faire; et les fidèles, dociles à la voix de leur premier pasteur, n’y auront d’autre part que d’adresser des prières ferventes au ciel. Saint-Paul parlant du choix d’un évêque, recommande à son disciple Timothee, non pas de recueillir les suffrages des fidèles, mais d’invoquer le témoignage de leur conscience ; et si le peuple concourait quelquefois aux élections, c’était toujours le clergé qui y présidait, comme dit Saint-Cyprien : il n’y a pas d’exemple d’une forme d’élection, sur laquelle le clergé n’ait pas eu la principale influence. Cette influence est anéantie : ii y a des départements dans lesquels on ne compte pas un seul ecclésiastique parmi les électeurs; disons plus, et ne vous dissimulons pas nos craintes, de voir un des objets les plus importants de la religion confiée en partie à nos frères, qui ne professent pas notre foi. On vous dit, qu’on veut rendre le clergé tel qu’il doit être, et qu’il a été dans les premiers siècles du christianisme... Oui, mes très chers frères, tels ont été de tous temps les vœux de ces assemblées saintes, composées de pasteurs si recommandables par leur science et leurs vertus, qui, en conservant le dépôt sacré delà foi, renouvelèrent sans cesse les plus sages règlements pour le maintien de l’ancienne discipline et la pureté des mœurs. Tels sont encore nos vœux les plus ardent�; mais, mes très durs frères, si vous déplorez avec nous les abus qui pur la faiblesse humaine se sont glissés dans l'état le plus saint; si vous en désirez, comme nous, la réforme salutaire, n’écoutez pas la voix trompeuse qui, sous prétexte de vous instruire, vous égare en renversant la base première sur laquelle Jésus-Christ établit sa sainte religion, qui est l’obéissance à son Eglise : à elle seule appartient de dicter le dogme, de fixer la discipline générale, et d’y former les changements que les circonstances peuvent exiger. Le plus grand abus est que des personnes sans mission, sans autorité légale, veuillent gouverner 1 Eglise. C’est le reproche que les Ambroise, les Basile, les Osius ont fait avec une fermeté épiscopale aux maîtres mêmes du monde, aux Césars, Ah ! mes très chers frères, ouvrons les annales 399 de l’Eglise; consultons les évêques de l’institution primitive, qui doivent être nos modèles et nos guides; consultons-les, tant pour votre instruction, que pour notre consolation. Avec quel courage et quelle intrépidité, Osius, évêque de Cordoue, ne s’opnosa-l-il pas à l’injuste demande rie l’empereur Constance, qui voulait faire déposer saint Athanase, parce que celui-ci s’opposait aux vues pernicieuses des Ariens? « Puissant monarque, lui écrivait-il, ne vous mêlez « point des affaires qui concernent t’administra-« tion des églises; vous n’avez point d’ordres à « nous donner en cette matière, c’est à nous de « régler votre croyance et votre conduite. Dieu « vous a commis les rênes de l’Empire, à nous le « gouvernail de l’Eglise : et comme on contrevient « à l’ordre de Dieu en entreprenant sur votrepuis-« sauce, ainsi vous ne pouvez sans crime vous « attribuer ce qui nous regarde : il écrit... « Ren-« dez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui « est à Dieu. » IL ne nous est donc pas permis de « nous arroger la domination dans l’Empire et « vous ne devez pas exercer le ministère du sa-« cerdoce; le désir qui; j’ai de votre salut me fait « écrire ainsi. » Tel fut le langage des évêques des premiers siècles de l’Eglise. Quand on craint Dieu, et qu’on ne craint que lui, on ne redoute pas de rappeler à leur devoir les monarques, qui s’écartent des limites que le souverain maître lui-même leur a fixées. C’est dans ces termes, que Saint-Hilaire et le grand Athanase, qui souffrit avec joie toutes les privations personnelles pour soutenir les intérêts de sou Eglise, reprochèrent à cet empereur sa témérité. C’est avec le même courage héroïque, inspiré sans doute par une force surnaturelle, que Sai ut-Ambroise répond à Valentinien le jeune, qui lui demandait plusieurs églises de Milan en faveur des Ariens: « Ne vous laissez jamais persuader, lui dit-il, que votre puissance s’étende jusque sur le sanctuaire; les droits de la religion sont bien élevés au-dessus des vôtres; vous êtes le maître de vos palais; c’est aux prêtres à disposer des églises. » C est avec la même force que les chefs de l’Eglise s’opposèrent aux empereurs Valenset Léon, qui, plus téméraires encore que leurs prédécesseurs, voulurent s’arroger un droit suprême sur ia religion, et s’emparer de ses possessions sacrées. C’était donc une vérité constante parmi les chrétiens, que le gouvernement des églises et les règles en matière de foi n’étaient point soumis au pouvoir temporel. Quelles solides objections pourrait-on faire à des témoignages aussi irréfragables? Dira-t-on que c’est un orgueil audacieux qui enfla ces saints évêques de ia primitive Eglise? Eh quoil ces respectables pasteurs, ces ornements de leurs siècles, ces prodiges de science et de sainteté, ces hommes apostoliques, qai dans toutes leurs décisions donnaient des marques si sensibles de la sainteté de l’esprit qui les animait; qui ne prêchaient que la doctrine reconnue et révérée par l’Eglise entière, mêlaient donc que les jouets d’une ambition démesurée? Ah! il n’y a que le défaut de raisons plausibles et solides, qui puisse forcer quelqu’un à recourir à des calomnies aussi révoltâmes. Si les Athanase, les Ambroise, les Hilaire eussent eu d’autres vues que celle d’obéir à Dieu, et de rendre hommage à lu vérité, ils auraient sans doute préféré de céder à la puissance des princes, qui de leur côté n’auraient pas manqué 400 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {ii décembre 1790.) de recommencer amplement leur lâche complaisance; mais puisqu’au contraire, ils ne cherchaient qu’à remplir avec fidélité les fonctions de leur auguste ministère, ils ne craignirent point de s’opposer avec force aux téméraires entreprises des princes de la terre, pour obéir au souverain maître de l’univers. Pour vous convaincre pleinement de ce que je viens d’avancer, je vous citerai, mes très chers frères, le propre aveu des premiers empereurs chrétiens, ou plutôt écoutez vous-mêmes le grand Constantin s’exprimant ainsi dans une nombreuse assemblée de pontifes: « Dieu lui-même, dit-il, nous a soumis à votre jugement. » Ecoutez le grand Théodose, qui, bien éloigné de s’arroger le moindre droit dans le gouvernement de l’Eglise, s’en avoue lui-même un sujet docile, et se fait un devoir de plier sous son autorité. Ecoutez les paroles de l’empereur Marcien, s’adressant au père du concile de Chalcédoine... « Je ne suis point venu dans cette assemblée pour y exercer ma puissance, mais pour appuyer de mon autorité les décrets que vous aurez portés, suivant en cela les sages maximes du pieux empereur Constantin, qui ne gêna jamais par aucune loi la liberté de vos suffrages. » C’est ainsi que s’exprima encore l’empereur Théodore II, par la bouche de son ambassadeur au concile d’Ephèse : tel fut aussi le langage de l’empereur Basile au concile de Constantinople. Tous les empereurs chrétiens avouèrent qu’il ne leur convenait point de s’ingérer dans les affaires ecclésiastiques, ou de s’attribuer la moindre part du pouvoir spirituel. Pourquoi, mes très chers frères, tous ces princes s’abstinrent-ils de toucher aux droits de l’Eglise, et parurent-ils toujours avoir à cœur de les soutenir et défendre plutôt que de les attaquer? Dira-t-on qu’ils connurent mal leurs propres droits? mais fut-il jamais souverains plus éclairés qu’eux sur leurs prérogatives ?... La force leur manqua-t-elle pour soutenir leurs prétentions? ils étaient tout-puissanls, l’univers entier tremblait devant leux... les accusera-t-on de timidité? Avec quel héroïsme ne s’exposaient-ils pas pour soutenir leurs droits religieux?... Ils ne furent donc retenus, ces princes généreux, que par la crainte de Dieu seul, qui leur avait défendu d’étendre leur pouvoir sur l’Eglise, et qui, suivant la doctrine de l’apôtre, en avait confié le soin exclusif à ses ministres. La foi la plus vive avait gravé cette vérité au fond de leur cœur; aussi distinguèrent-ils toujours dans l’Eglise un pouvoir surnaturel, auquel ils crurent devoir se soumettre. Mais demandera-t-on, les princes temporels ne doivent-ils donc influer en rien sur les matières religieuses? Sont-ils absolument sans pouvoir dans l’Eglise? Non. « Ils doivent, dit saint Augustin, protéger l’Eglise, et non pas la gouverner. » Le maintien de la foi et de la discipline générale est confié aux évêques seuls ; mais c’est aux princes à réprimer par la force ses ennemis. Le droit de juger appartient à l’Eglise, il est du devoir d'un monarque chrétien d’en exécuter les décisions. Dans toute controverse, en matière de foi, les princes de la terre doivent consulter les chefs de l’Eglise, et c’est d’après leurs décisions qu’ils doivent s’appliquer à maintenir leurs sujets dans la vraie croyance. Tel est le pouvoir des princes temporels dans l’Eglise; ils doivent le consacrer au bien de la religion : telles sont les bornes que Dieu lui-même leur a prescrites. C’est ainsi, mes très chers frères, que l’Eglise, cette colonne de vérité, appuyée sur la pierre fondamentale qui est Jésus-Christ, s’est toujours expliquée. Il ne me reste donc qu’à vous prier, au nom de Jésus-Christ, de n’avoir tous qu’un même langage, qu’un même sentiment et la même doctrine... Ne prévenons pas le jugement de l’Eglise : elle s’expliquera... Tenons-nous fortement attachés au centre de l’autorité; ne souffrons jamais qu’on nous en sépare, pour nous vaincre plus aisément. Notre union fait toute notre force. Le danger doit réunir tous les cœurs aux chefs dans l’ordre hiérarchique. La cause des évêques est aujourd’ui plus que jamais, la cause de l’Eglise, la cause de la religion. Le même sentiment, qui nous dicte cet attachement aux lois canoniques, nous inspire, par les mêmes principes , la soumission et l'obéissance aux changements que l’Eglise jugerait à propos de prononcer. Cette soumission et cette obéissance sont les seuls guides sûrs que la religion nous donne pour nous conduire. Si nous étions réservés à des temps encore plus orageux, nous aurions la consolation d’espérer que, si les ministres souffrent, l’autel est intact, la religion sainte conservée aux peuples. Je ne fais que vous rappeler les vérités dont vous êtes pénétrés, et tels seront les sentiments de nos cœurs. Pour les conserver dans toute leur intégrité, pour leur donner une nouvelle force, nous n’avons pas besoin de lois nouvelles, mais nous avons besoin d’une nouvelle ardeur pour le maintien de la discipline; nous avons besoin de cet esprit de ferveur qui anime les travaux apostoliques, de cet esprit de paix et de concorde qui attache les frères aux frères, n’ayant tous qu’un cœur et qu’une âme, ne formant qu’un même vœu, celui de travailler pour la gloire de l’Eglise et pour le salut des fidèles. Ah! mes très chers frères, souffrez que je vous adresse les paroles de l’apôtre : « Mon cœur s’étend par l’affection que je vous « porte; recevez les avis que je vous donne « comme venant d’un père qui vous aime. Nous « vous exhortons comme étant les coopérateurs « de Dieu afin que notre ministère ne soit point « déshonoré. Agissons en toutes choses comme « de fidèles ministres de Jésus-Christ. Bendons-« nous recommandables par une grande patience « dans les maux. Honorons notre vocation par « la parole de la vérité que nous annonçons, par « la force de Dieu dont nous sommes revêtus, par « les armes de la justice dont nous nous servons « pour soutenir les droits de notre divin Maître « et ceux de son Eglise; par une douceur persé-« vérame qui gagne les cœurs, par une charité « sincère qui nous lie à nos frères... Nous pa-« raissons comme n’ayant rien, et nous possé-« dons tout, parce que nous possédons Dieu, « qui est le maître de tout. Je vous parle avec « une grande confiance et une grande liberté, « parce que je suis persuadé que vous recevrez bien ce que je vous dis, de sorte que je suis « rempli de consolation parmi toutes mes souf-« frances. » Enfin, mes frères, aimez, consolez-vous les uns les autres, soyez unis d’esprit et de cœur, vivez dans la paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous. Ordonnons à MM. les curés, vicaires et prédicateurs, de lire la présente instruction pastorale au prône. I 401 JAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (12 décembre 1190.1 Donné à Ettenheim-Münster, le 28 novembre ?90. Signé : le cardinal de Rohan, Et plus bas : Par son A. E. Weinborn. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. PÉT1GN. Séance du dimanche 12 décembre 1790 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. Les procès-verbaux des deux séances d’hier sont lus et adoptés. M. de Sérrsit, député du département de la Nièvre, demande et obtient un congé de deux mois. M. Baron, rapporteur du comité des domaines, rend compte en ces termes d’un bail à vie fait à la dance de Coaslin, du cens du château de Dieuze, des domaines et étangs de Lindre : Messieurs, votre decret sur les domaines nous obligera de vous faire plusieurs rapports successifs sur cette matière. La dame de Coaslin avait obtenu du feu roi pour 25,000 livres de pensions, motivées la plupart pour indemnités. Lorsque les trois dixièmes furent imposés sur les pensions, elle trouva dans l’abbé Terray un protecteur qui sut bien l’en exempter. Ce déprédateur des linances présenta, au nom de cette dame, un mémoire au roi pour obtenir par bail à vie le domaine de Lindre et dépendances, situé en Lorraine et produisant 34,000 livres de revenu. Le roi mit son bon au pied du mémoire. La dame de Coaslin eut, en outre, la permission de passer des baux de neuf ans et d’en assurer la jouissance au fermier. Eile obtint des lettres patentes en conséquence et les fit enregistrer à la chambre des comptes Un nouveau bail doit commencer au mois de janvier prochain et par le pot-de-vin qu’elle a exigé, le revenu annuel s’élève à 30,654 livres; de sorte que son bénéfice est aujourd’hui de plus de 14,000 livres par an. Les réparations considérables dont ce domaine a besoin et qu’il ne pourrait obtenir de la dame de Coaslin, forcent i’a-modiateur lui-même à demander la cassation de ce bail. Déjà vous avez proscrit ces prétendus échanges de domaines contre des pensions, ces cessions à vie de domaines faites sans le consentement de la nation et qui sont de véritables aliénations. Le fermier, pourvu qu’il obtienne les réparations nécessaires et une indemnité pour la suppression des droits seigneuriaux, consent à prendre son nouveau bail aux conditions y portées et à en verser le prix dans la caisse nationale. Votre comité a cru que ces offres devaient être acceptées ; c’est pourquoi il vous propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait par son comité des domaines, décrète ce qui suit : (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. i™ Série, T. XXI. Art. 1er. « Conformément à l’article 29 du décret du mois de novembre dernier, sanctionné par le roi, sur la législation domaniale, le bail à vie fait à la dame de Coaslin, du cens du château de Dieuze, des domaines et étangs de Lindre, circonstances et dépendances, en vertu de l’arrêt du conseil du 6 août 1771, est et demeure révoqué : en conséquence, à compter du 1er janvier 1791, la dame de Coaslin cessera toute jôuis-sance desdits objets, lesquels demeurent réunis aux domaines nationaux. Art. 2. « Le sous-bail fait par la dame de Coaslin dans le cours de sa jouissance, le 8 mai 1789, au sieur Jean-Baptiste-Nicolas Vivanx, aura son exécution au prolit de la nation, tant contre ledit Vivaux que contre ses cautions, et ils seront tenus d’en pay