441 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1789.] ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. Séance du mercredi 14 octobre 1789 au matin. M. le Président consulte l'Assemblée sur plusieurs passe-ports demandés: ils sont accordés. L’une de ces demandes était faite par M. le duc d’Orléans. Un billet de M. Saint-Priest au président annonce que les bureaux de ce ministre sont occupés à expédier à la hâte des instructions que M. le duc d’Orléans doit emporter en Angleterre pour y remplir une commission qui lui est confiée par le Roi. Le motif de la demande de M.le duc d’Orléans ainsi énoncé, le passe-port est accordé çan? difficulté. M. de Surade, curé de Poitou, demande un passe-port pour un mois. M. Goupilleau, député de la même province , demande que son suppléant le remplace, parce que la province a le plus grand intérêt à être représentée. L’Assemblée décide que l’absence du curé ne donnera pas lieu à l’admission d’un suppléant. On lit une requête de M. Marat, arrêté comme auteur d’une diatribe indécente contre l’Assemblée nationale et M. Necker, et qui demande la - liberté. M. Gaultierde Biauzat observe que la villede Paris, qui a fait emprisonner l’auteur, suit cette affaire, et qu’il est inutile de s’occuper de cette requête. L’Assemblée prononce un renvoi au comité des rapports. M. le Président rend compte d’une lettre écrite par deux Anglais qui se plaignent de ce que, dans un pays de liberté, il est impossible à des hommes libres de se transporter d’un lieu à un aulre, et même de savoir quels sont les motifs qui déterminent à leur refuser cette liberté. L’Assemblée charge M. le président d’écrire aux représentants de la commune de Paris, pour qn’ils aient à laisser partir ces deux Anglais, s’il n’y a pas de raisons particulières pour les . retenir. On allait passer à l’ordre du jour, lorsque M. Gaultier de Biauzat a observé que, quoiqu’il fût important de discuter le principe relatif à la propriété des biens du clergé, il devait paraître d’un intérêt bien plus pressant de s’occuper de l’établissement des municipalités. L’Assemblée adopte cette opinion, et l’ordre du � jour est ainsi changé. M. Aubry-du-Bochet, après avoir représenté que la division par carrés, proposée par le comité de Constitution, est impraticable; après avoir établi l’inutilité et le peu de justesse de la base de l’étendue, propose un travail dans lequel les départements sont inégaux et relatifs aux localités. Il donne le détail de cette - division , qui ne change rien aux limites actuelles des provinces ; il divise chaque provinces en petites parties; chaque petite division sera vérifiée par les députés de cette division, puis par ceux decinq divisions réunies; une nouvelle vérification se fera ensuite par les députés de vingt-cinq divisions, puis enfin par ceux de la province entière. Ainsi, dans un mois, vous pouvez avoir un premier cadastre plus parfait qu’il ne pourrait l’être après huit ans d’un travail ordinaire. M. Aubry demande qu’il soit nommé un comité pour faire la vérification du plan qu’il propose, et qu’un plan géographique sur lequel les divisions sont tracées soit imprimé. M. le baron de Jessé. Ce qu’il y a de plus instant, c’est d’établir les principes d’après lesquels les municipalités des villes et des campagnes se formeront; il faut donc examiner d’abord ceux des articles du comité de Constitution qui y ont rapport. M. Defermon pense que le premier principe à décréter dans cette vue est celui qui établira les qualités nécessaires pour être électeur ou éligible dans les municipalités. M-Dnport. Il est impossible de séparer les municipalités du plan général. Pour savoir dans chaque canton combien il y aura de municipalités, il faut savoir auparavant combien il y aura de cantons. Je me réfère, d’après ce motif, à l’avis de M. Defermont. M. l’abbé Gouttes établit la nécessité de former des municipalités, et propose un moyen très-prompt de déterminer le nombre des officiers municipaux; il faut pour cela connaître le nombre des habitants de chaque ville et village, et ce nombre est exactement déterminé par des états envoyés à M. Necker par tous les curés du royaume : il est très-possible de consulter sur-le-champ ces états. M. l’abbé Gouttes représente aussi la nécessité de conserver l’unité des provinces; la sienne a des dettes considérables, supportées par la province entière; d’autres par des diocèses, des sénéchaussées, des communautés, et la division de cette province jettera dans le plus grand embarras pour la liquidation de ces dettes. M. Target. Si l’on veut organiser un état provisoire d’administration qui puisse se mettre en activité, il faut donc examiner d’abord si l’on adoptera telle ou telle division établie sur des principes géométriques et subordonnés aux considérations qui seraient communiquées par les députés de chaque province. M. Bewbell. On ne pourrait sans doute établir les municipalités sans avoir déterminé les assemblées provinciales avec lesquelles elles correspondront ; il faut donc adopter d’abord une division générale quelconque. M. Perdry pense qu’il ne faut statuer sur aucun point que nous n’ayons consulté nos commettants et reçu leur réponse. M Gaultier de Biauzat. Le premier soin doit être de statuer sur la manière dont les éléments seront formés : les circonstances rendent cette détermination indispensable. On ne peut prévenir de grands maux que par l’établissement d’un corps légal dans chaque ville. Il serait donc à propos de déclarer d’abord par un décret de principes, que les villes ont le droit de nommer leurs chefs elles-mêmes. Cet article une fois décidé, vous aurez fait la plus grande besogne. 442 M. Troncbet appuie cette motion, en y mettant toutefois pour amendement gu’en attendant que l’Assemblée ait réglé l’organisation des assemblées municipales, chaque ville est autorisée à se former provisoirement une municipalité. M. de Volney fait plusieurs observations sur les changements survenus depuis quelque temps dans l’ordre du jour. Il développe les motifs qui rendraient nécessaire la discussion commencée hier, et qui devait être continuée aujourd’hui. Elle est essentiellement attachée à l’existence du crédit, et dès lors à celle de l’Assemblée et du royaume. Comment se peut-il qu’on statue maintenant sur les municipalités? Très-peu de membres pourraient opiner avec connaissance de cause. Ils ont à peine reçu les rapports du comité, et ils s’étaient préparés sur l’examen du principe exposé pour établir que le clergé n’est pas propriétaire. Est-il possible d’ailleurs de statuer séparément sur les municipalités? Tout se tient dans le plan proposé; les munipalités tiennent aux assemblées provinciales, celles-ci à notre Assemblée, notre Assemblée aux principes de la représentation nationale, qu’il s’agit de reconnaître et d’établir. M. Bouche croit que le plan du comité de Constitution est impraticable dans l’exécution et faux dans les calculs linéaires; il en annonce un très-simple, très-court, et qui pourrait être décrété dans la matinée. M. le comte de Crillon, après avoir réfuté les inculpations faites contre le plan proposé par le comité, pense qu’il faut ajourner à lundi la question présente. M. le comte de Mirabeau appuie cette opinion. Ceux qui veulent, dit-il. rejeter ce plan et en présenter un autre, ou le discuter autrement qu’article par article, ne l’ont pas entendu. M. Prieur. Chaque ville, bourg et village doit avoir une municipalité. Ce choix des officiers appartient aux habitants. Dans une ville de tel nombre d’habitants, il doit y avoir tant d’officiers municipaux, etc. Ces principes très-simples peuvent être décrétés sans contradiction, et formeraient une municipalité aussi parfaite qu’on puisse l'attendre d’une organisation provisoire-Ainsi la force publique renaîtrait, et le calme serait rétabli. M. Babaud de Saint-Etienne représente, au nom du comité de Constitution, "combien" il y aurait de danger à organiser isolément des municipalités qui pourraient se former en autant de petites républiques. M. Pellerin. Il faut organiser les municipalités et en meme temps les assemblées provinciales, afin que l’Assemblée nationale puisse consulter ces dernières pour former le plan général. M**’. lit un article de son cahier qui exige la suppression des intendants : il la demande formellement, mais il observe que les municipalités se trouveraient alors sans aucunes correspondances supérieures. M“*. Pour discuter un plan, il faut ordinairement suivre l’ordre des idées; mais ne faut-il pas dans une délibération telle que celle-ci suivre l’ordre des besoins? La division de la France tra-[14 octobre 1789.] cée sur la carte avec du crayon est fort brillante, mais l’organisation provisoire des municipalités est exigée par des circonstances trôs-émbarrassantes. Ne ressemblerions-nous pas, en nous écartant de cette marche, à des passagers qui discuteraient dans un vaisseau sur la construction du navire, tandis que le bâtiment s’entr’ouvrirait, et que tous les bras devraient être à la pompe. M. le cpmte Mirabeau. On a demandé l’ajournement, personne ne s’y est opposé, et je crois dès lors inutile de donner des raisons pour faire valoir cette proposition. Je rappelle qu’on m’avait indiqué, pour cette matinée, un travail sur les attroupements. La loi sur cet objet est une opération préalable, même pour la formation des municipalités; car les rassemblements d’hommes pour l’élection des officiers municipaux peuvent avoir des effets dangereux, s’il n’existe un ordre et une discipline établie par une loi. Je demande que l’Assemblée décide si elle veut organiser provisoirement les municipalités, ajourner la question, ou s’occuper de la loi sur les attroupements. L’Assemblée décrète l’ajournement à lundi. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, la loi que je vais avoir l’honneur de vous proposer est imitée, mais non pas copiée, de celle des Anglais. Ceux qui connaissent le riot-act en sentiront la différence. Je ne coniïe le pouvoir militaire qu’à des magistrats élus par le peuple; et dans la plus grande partie de l’Angleterre, dans toutes les villes qui n’ont pas des corporations, les magis-r trats sont nommés par le Roi. Je propose encore une autre précaution, bien adaptée à un gouvernement qui respecte le peuple et la liberté: c’est de donner aux mécontents attroupés un moyen légal de faire entendre leurs plaintes, et de demander le redressement de leurs griefs. Mais au lieu d’insister plus longtemps sur ce que j’ai mis dans ce projet de loi, je vais vous lire la loi même. On entend rarement un exordé, sans se rappeler le mot du Misanthrope à l’homme au sonnet : « Lisez toujours, nous verrons bier\. » Projet de loi concernant les attroupements. Du 14 octobre 1789. « LOUIS, PAR LA GRACE DE DlEU, etc. « Considérant que les désordres excités en divers endroits du royaume, notamment dans la ville de Paris, par les coupables suggestions des ennemis du bien public, peuvent non-seulement avoir les suites les plus funestes pour la liberté et la sûreté des citoyens, mais encore qu’en répandant les plus justes alarmes parmi les provinces, ils pourraient compromettre l’union et la stabi-bilité de la monarchie; « Considérant encore que la résolution prise par l’Assemblée nationale, de transférer ses séances dans la capitale, exige les précautions les plus exactes et Jes plus sages, à l’effet de maintenir autour d’elle le calme et la tranquillité, et de résister aux mouvements et aux entreprises des mal intentionnés pour ramener des désordres aussi affligeants et aussi propres à priver la nation des salutaires effets qu’elle a droit d’attendre des travaux de ses représentants ; « Considérant enfin que l’ordre établi provisoirement dans la ville de Paris et dans la plupart des villes et communautés qui l’avoisinent, par le libre concours et le vœu des citoyens, en as-[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES.