SÉANCE DU 4 FRUCTIDOR AN II (21 AOÛT 1794) - N08 34-37 337 34 La Convention nationale, sur le rapport de [Ch. POTTIER, au nom de] son comité de Liquidation, décrète : En conformité des articles I et II du décret du 27 thermidor, il sera payé par la trésorerie nationale, à titre de pension annuelle et viagère, au citoyen Jacques-Gaspard Cheret, canonnier au 2 e régiment (1) d’artillerie, qui, lors de l’attaque du fort Vauban, le 12 septembre 1793 (vieux style), a eu la mâchoire inférieure emportée par un boulet, en pointant son canon, la somme de 1 200 liv., à compter du jour de sa blessure, sous la déduction des sommes qu’il peut avoir reçues à titre de secours provisoire, en se conformant aux lois rendues pour tous les pensionnaires de l’Etat. Le présent décret ne sera inséré que dans le bulletin de correspondance (2). 35 POULTIER : Les planches de la carte générale de la Belgique, par Ferrari, viennent d’être trouvées à Bruxelles dans un caveau où elles avaient été enterrées. Cette intéressante découverte procure à la République un ouvrage très précieux qui servira à la direction de nos armées et au maintien de nos succès. Il est de toute nécessité de prendre les plus grandes précautions pour la conservation de cette carte et assurer exactement son service. Un décret du 22 brumaire réunit au dépôt de la guerre la carte générale de France; la carte de la Belgique, par Ferrari, en est une suite nécessaire, puisqu’elle est construite sur la même échelle. Je demande en conséquence qu’elle soit mise au même dépôt, et que le directeur de ce dépôt prenne tous les soins nécessaires pour sa conservation (3). Sur la proposition d’un membre [POULTIER], la Convention nationale décrète que les planches de la carte générale de la Belgique, par Ferrari, trouvées dans un caveau à Bruxelles, seront remises au dépôt de la guerre, pour y être conservées par le directeur de ce dépôt (4). (1) Bataillon, au décret imprimé, mais la minute signée de Pottier porte régiment, tout comme le P.-V. et sa minute. (2) P.-V., XLIV, 47-48. Minute signée de Ch. Pottier (C 317, pl. 1278, p. 16). Décret n° 10 486. Reproduit au Bm , 5 fruct. (suppl1). (3) Moniteur (réimpr.), XXI, 550; Débats, n°700, 53-54; Gazette frçse , n° 964; M.U. , XLIII, 73; Ann. R.F. , n° 264; J. Fr. , n° 697. (4) P.-V. , XLIV, 48. Minute de la main de Poultier (C 317, pl. 1278, p. 17). Décret n° 10 490. 36 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [BEZARD, au nom de] son comité de Législation sur la pétition de la citoyenne veuve Serpette, cultivatrice à Quiry-le-Verd, commune de La Neuville-sur-Avre, district de Montdidier (1); Déclare nul et comme non avenu le jugement du 11 germinal dernier rendu contre elle par le juge de paix du canton de Moreuil, ordonne que l’amende prononcée, chevaux, voiture et grains confisqués, seront restitués à la pétitionnaire. Le présent décret ne sera pas imprimé; il sera inséré au bulletin de correspondance (2). 37 Sur la proposition d’un membre [CAMBACÉRÈS], La Convention nationale décrète que le comité de Législation lui présentera incessamment un projet de décret pour déterminer et assurer les effets de la garantie sociale, notamment ceux de la liberté de la presse, en les conciliant avec la force et l’activité du gouvernement révolutionnaire. Le comité de législation est encore chargé de déterminer les caractères de la calomnie et les peines à infliger aux calomniateurs (3). DURAND-MAILLANE obtient la parole pour une motion d’ordre. Citoyens, dit-il, je suis pressé d’un devoir dont il faut que je m’acquitte : il faut que, sans consulter ni la faveur ni la défaveur de ma parole dans cette enceinte, je fasse entendre la voix de ma députation, chargée, comme toutes les autres, de vous dire et de publier toutes les vérités utiles à la patrie. Citoyens, ce début peut vous surprendre, mais qu’il ne vous alarme pas; je viens vous entretenir de la seule chose qui, dans ce moment, peut faire tout à la fois et le bonheur des peuples et la gloire de la Convention; je viens vous parler du concert et de l’union parmi tous ses membres; et prenez-y bien garde car le salut de la République en dépend, et vous en êtes chargés ! Nous voulons tous la liberté, l’égalité; nous sommes tous d’accord sur les grands principes qui doivent servir de base à notre gouvernement républicain. Nous avons renversé le trône, et avant lui le régime féodal, la noblessse, les parlements, les prélatures, etc.; tous ces colosses sont tombés; nos armées ont toujours fait trembler les rois qui ont voulu les rétablir. Rien (1) Somme. (2) P.-V. , XLIV, 48. Minute signée de Bezard (C 317, pl. 1278, p. 18). Décret n° 10 489. Reproduit au B‘n , 5 fruct. (suppl1). (3) P.-V., XLIV, 48. Minute signée de Cambacérès (C 317, pl. 1278, p. 19). Décret n° 10 501. 22 338 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE donc dans ce moment, ni au dedans ni au dehors, ne doit nous inspirer de crainte; tout, au contraire, a de quoi nous rassurer, a de quoi nous réjouir, nous unir même. Et pourquoi donc jusqu’ici cette Assemblée n’a-t-elle cessé de donner au monde le spectacle étrange d’une continuelle division ? Je prends le moment le plus favorable pour vous en représenter tout le danger, pour vous inspirer l’horreur qu’elle mérite. Le génie protecteur de notre révolution vient de frapper les derniers ambitieux qui, comme les précédents, n’étaient bons qu’à entretenir cette fatale discorde; favorisés de quelques talents, ils eussent pu s’en faire honneur en ne les faisant servir qu’au bien public; mais le bien public n’est qu’un moyen de plus pour tous ceux qui n’ont en vue que leur intérêt personnel; c’est dans une république le talisman le plus heureux pour les fourbes; c’est la religion de l’hypocrite. Instruisons-nous donc par l’expérience, et que désormais aucun de nous ne puisse être la dupe des charlatans. Après avoir exposé ensuite combien l’union entre tous les membres est nécessaire, Du-rand-Maillane repousse les soupçons injustes, les défiances qui pèsent, dit-il, sur une partie de l’Assemblée; tous veulent faire triompher la liberté et la République; tous veulent la perte des tyrans et des traîtres; tous veulent le bonheur du peuple; ils doivent donc s’estimer et s’entendre; il faut que chacun puisse remplir la mission dont il est chargé, dire librement, hardiment, franchement, ce qu’il croit utile au bien de la patrie. Il faut que la liberté d’opinions la plus illimitée règne dans l’assemblée. L’opinant conclut à ce que la Convention charge son comité de Législation de lui proposer un projet de dispositions pénales contre ceux qui tenteraient, de quelque manière que ce soit, de s’opposer à la liberté des opinions. BOURDON (de l’Oise) : Notre collègue vient de dire une vérité dont toute l’Assemblée est pénétrée. Il n’y a qu’une idée, qu’une opinion parmi nous; tous les représentants du peuple français sont réunis pour consolider la République ( Applaudissements ). Quant à la liberté des opinions qu’il a réclamée, ce qui vient de se passer prouve qu’elle existe réellement. Mais il est des maux plus essentiels dont nous devons nous occuper, et auxquels nous devons nous hâter de porter remède. Nous avons été divisés lorsqu’il s’est agi de juger Louis Capet, mais nous ne l’avons pas été quand il s’est agi de Robespierre. L’unanimité la plus belle, la plus touchante, a prouvé quels sentiments nous animent, et n’a pas laissé le moindre soupçon sur nos intentions. Cependant il est des intrigants, des monstres, qui ne s’occupent qu’à tâcher de semer la division parmi nous. Ils viennent rapporter à la Montagne des propos qu’ils disent avoir été tenus contre elle par une autre partie des membres de la Convention; ils vont après redire à ceux-ci d’autres propos qu’ils prétendent avoir été entendus à la Montagne. C’est ainsi que, 4 jours avant la chute de Robespierre, ils répandaient que nous ne voulions abattre ce tyran que pour en mettre un autre à sa place. D’autres bruits circulent encore; on a dit à nos collègues que les membres qui siègent à la Montagne s’étaient assemblés particulièrement, qu’ils avaient signé un acte par lequel ils s’étaient engagés de conduire à l’échafaud les 60 députés arrêtés seulement comme suspects pour avoir signé la protestation du 6 juin; et par un retour infernal qui ne peut être imaginé que par ces misérables intrigants, ils sont venus nous dire que nos collègues vouloient faire rentrer ces 60 membres dans la Convention, tandis que nous convenons tous qu’ils sont suspects pour avoir signé cette protestation. Nous avons des remèdes à opposer à ces maux, il faut les employer. Depuis trop longtemps aussi les soupçons planent sur les individus. On élève des doutes sur la conduite des représentants du peuple qui ont été chargés de missions; on dit de celui-là : il l’a mal remplie; de celui-ci : il a fait des dépenses exorbitantes. Il faut nous épurer, et mettre notre pureté au grand jour. Déjouons les projets de ces esprits infernaux en ordonnant que tous ceux d’entre nous qui ont été chargés de missions rendront au comité des inspecteurs qui le fera imprimer, le compte de leurs dépenses, et que, pour celles qui doivent être secrètes, ce seront les comités de Sûreté générale et de Salut public qui en recevront le compte. Ajoutons à cela une autre mesure également salutaire; détruisons le fatal décret qui accorde 40 sous pour assister aux assemblées des sections, ce décret qui fut proposé par Danton et autres conspirateurs. Souvenons-nous que lorsqu’à Athènes Périclès était enfermé pour rendre ses comptes, son fripon de neveu, qui n’avait alors que 16 ans, mais qui avait bien l’expérience de 30 années de crimes, suscita la guerre du Péloponèse pour éviter la reddition de ce compte. Il ne faut pas que les représentants du peuple français marchent sur de pareilles traces, et cela n’est point dans l’esprit d’aucun de nous. (Non, non ! s’écrie-t-on de toutes parts). Que le peuple sache enfin qu’il est représenté par des hommes probes; nous lui devons cette consolation ( Vifs applaudissements). Rendons-lui aussi la liberté de voter dans ses assemblées en rapportant le décret fatal des 40 sous, décret semblable en tout à celui qui fut rendu à Athènes lorsqu’Alcibiade eut allumé la guerre du Péloponèse. Alors on ne vit plus les citoyens d’Athènes voter pour la liberté, mais pour Périclès, mais pour la somme qu’il leur faisait donner ( Vifs applaudissements). Voilà, je le dis avec satisfaction, les seuls maux qui nous désolaient, les seules causes de notre division. Que nos collègues soient sincères, et ils diront qu’on leur a rapporté qu’au jourd’hui était le jour marqué par la Montagne pour faire chasser une partie des membres de la Convention, parce qu’autrefois ils n’avaient pas voté comme nous. ( Quelques voix : C’est vrai). Vous le voyez, c’est ainsi qu’on voulait nous désunir pour perdre la patrie; les faits sont expliqués, la malveillance, la calomnie sont reconnues; serrons-nous pour sauver la République ( Vifs applaudissements). SÉANCE DU 4 FRUCTIDOR AN II (21 AOÛT 1794) - N° 37 339 Je me résume à 3 points : reddition devant le comité des inspecteurs des comptes des représentants du peuple envoyés en mission, et leur impression dans le délai d’une décade; reddition devant les comités de salut public et de sûreté générale des comptes des dépenses secrètes, et leur impression dans le délai de 2 décades; enfin le rapport du décret des 40 sous. J’ajoute à ce sujet une dernière considération : s’il y a jamais une cabale ici, elle se réunira aux hommes qu’elle fera payer, et quelle aura dès lors pour point d’appui. Qui est-ce qui a déterminé le mouvement pour la Convention, dans la nuit du 9 au 10 thermidor ? Ne nous le dissimulons pas, c’est la classe intermédiaire, c’est à dire depuis l’homme qui vit de son revenu jusqu’à celui qui vit du travail de sa journée. Tous les citoyens sont égaux; tous doivent de même exercer leurs droits. Le bien de la patrie nous fait une loi de rapporter sur-le-champ ce décret, et je suis assuré qu’ensuite nous verrons régner la paix dans la cité et parmi nous ( Applaudissements ). CAMBON : J’observe, sur la première proposition de BOURDON (de l’Oise), qu’il est d’usage que les représentants du peuple qui ont été en mission rendent le compte de leurs dépenses au comité des inspecteurs, qui l’arrête et le signe, et cet arrêté devient dès lors une pièce de comptabilité. On a fait une distinction entre les dépenses ordinaires et les dépenses secrètes. Je ne crois pas que celles-ci doivent être jugées par les comités de gouvernement; je pense que l’on doit se borner à ordonner l’exécution du décret rendu hier, qui charge les inspecteurs de vérifier et d’arrêter les comptes des représentants du peuple; et si, dans ces comptes, ils trouvent des dépenses secrètes, des dépenses qu’ils croient ne pas devoir allouer, ils en feront le rapport à la Convention nationale, qui, à mon avis, doit seule être juge de ce qui regarde les représentants. Je crois aussi qu’avant de rapporter le décret qui accorde 40 sous à quelques citoyens pour droit de présence aux assemblées de sections il faut éclairer le peuple sur les abus et les dangers de ce décret. Le comité des finances a vu que, depuis la suppression de la municipalité, des personnes qui se sont couvertes du masque de la popularité ont profité de ce décret pour se faire un revenu considérable. Il s’était établi entre les sections et le trésor public des commissaires intermédiaires qui recevaient le sou pour livre à chaque séance. ( L’Assemblée témoigne la plus grande indignation). Nous avons des pièces qui prouvent tous les abus qui ont lieu dans les sections. Vous y verrez que, depuis 3 mois, on apporte à la trésorerie des rôles de présents qui se montent tantôt à 1 203, tantôt à 1 204, tantôt à 1 205 liv.; il n’y a jamais d’autre variation que d’un ou deux individus, et tous les renseignements que nous avons pris nous prouvent qu’il n’y a jamais plus de 300 personnes présentes aux assemblées de sections, et encore toutes ne sont-elles pas payées ( Nouveaux murmures d’indignation ). Savez-vous quels sont ceux qui reçoivent ces sommes ? Des gens qui peuvent s’en passer; des gens qui gagnent jusqu’à 20 francs par jour dans les ateliers de la République; on n’a oublié sur ces rôles que les vrais nécessiteux. C’est une liste civile que se sont faite beaucoup d’intrigants pour avoir les places auxquelles ils aspirent; ils se font des créatures; ils inscrivent sur le rôle des présents aux assemblées des gens qui n’y étaient pas et auxquels cependant ils font toucher les 40 sous (On applaudit). Je crois qu’il serait très impolitique de laisser subsister ce décret; mais en le rapportant il faut donner aux citoyens pauvres les secours dont ils ont besoin, et déjà la Convention y a pourvu en mettant des fonds à la disposition du comité des secours publics. Je la prie, en rapportant aujourd’hui cette loi fatale, de permettre au comité des finances de lui mettre sous les yeux tous les abus auxquels elle a donné lieu (Oui, oui ! s’écrie-t-on de toutes parts). Il est important de connaître combien tout cela se rattache aux opérations criminelles de la municipalité que la loi a frappée, et les détails des dilapidations qui se commettent dans les sections vous désigneront les intrigants qui volent tous les jours les fonds de la République (On applaudit). THURIOT : Je crois, comme Bourdon, que, toutes les fois qu’on présente une idée qui doit faire régner l’union, il faut se hâter de l’adopter. Peut-être eût-il été nécessaire que la dernière qu’il vous a soumise fût mûrie pendant quelques jours; les comités de salut public et de sûreté générale s’en étaient déjà occupés, et ils avaient en quelque sorte fixé le jour où il serait bon de vous en parler; mais puisque la question est agitée dans cette assemblée, il faut la traiter sur-le-champ. Le décret du 5 septembre, dont on vous a parlé, est contraire à la dignité d’un peuple; c’est pour la liberté, c’est pour la conservation de ses droits, que tout citoyen doit aller dans les assemblées; on n’aime point, on ne sert point la patrie pour de l’argent (Applaudissements). Lorsqu’on vous présenta cette loi funeste, on vous dit, pour colorer la perfidie qui la proposait, que les citoyens pauvres, obligés d’assister à deux assemblées par décade, perdaient un temps précieux pour les besoins de leurs familles, et qu’il était nécessaire de les en indemniser. Qu’est-il arrivé de la fréquence de ces assemblées ? Qu’on s’y est livré à des diffamations continuelles, à des dénonciations journalières contre les gens qui étaient chargés de quelques fonctions, afin de les leur ôter et de se mettre à leur place (Applaudissements). C’est ainsi qu’on a assuré des déchirements continuels dans les sections; c’est ainsi qu’on a aigri les citoyens les uns contre les autres; c’est ainsi que les intrigants sont parvenus à faire persécuter et emprisonner les meilleurs patriotes (Applaudissements). Ils se concertaient ensemble, se réunissaient dans la salle d’assemblée avant tous les autres citoyens, et, au moment où ceux-ci arrivaient pour assister à la séance, ils trouvaient qu’on avait déjà pris une 340 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE délibération sous le nom de la majorité. Cette délibération était portée dans les autres sections, auxquelles on assurait souvent qu’elle avait été prise à l’unanimité; celles-ci se laissaient entraîner, et l’on venait ensuite nous rapporter, comme le vœu de la commune de Paris entière, l’ouvrage de quelques fripons qui n’avaient d’autre but que de servir le parti auquel ils s’étaient dévoués, et de perdre la République (Vifs applaudissements). Ramenons aujourd’hui l’homme à sa dignité naturelle; évitons l’inconvénient de la multiplicité des séances des sections. L’opinion de Paris fut une, pour ainsi dire, lorsqu’il s’agit de renverser Robespierre; personne ne regrettera sa chute, excepté quelques hommes couverts de crimes, qui, le poignard à la main, comptaient sur le pillage qu’on leur avait promis pour récompense ( Vifs applaudissements). Suivons la ligne que nous trace la vertu, et nous sommes sûrs que toute la France se rangera du côté de la Convention ( Vifs applaudissements). Ne dévions jamais des principes : qu’eux seuls nous guident, qu’eux seuls nous réunissent. Pénétrons-nous bien tous de cette vérité, que nous ne sommes pas ici pour notre compte personnel, mais pour assurer le bien commun de tous les Français. Persuadons-nous qu’en abandonnant toutes personnalités, nous nous chérirons tous, et nous arriverons enfin à la consommation de la révolution, qui est le terme de tous nos vœux ( Vifs applaudissements). Je ne mets pas de restriction à ma pensée : je crois que tous les membres de la Convention sont purs; je crois que tous veulent le triomphe de la liberté et de l’égalité (Oui, oui, s’écrient tous les membres en se levant et en agitant leurs chapeaux. — Les spectateurs applaudissent vivement). On a demandé que les représentants du peuple qui ont été envoyés en mission rendissent compte des dépenses qu’ils ont faites; je pense aussi qu’il est naturel que ceux qui ont touché des deniers rendent compte de leur emploi. Mais comme il y a au moins 4 ou 500 représentants qui ont été chargés de missions, je crois qu’il faut accorder le délai d’un mois pour rendre les comptes ordinaires; les autres exigent plus de détails, car les représentants du peuple ont souvent été obligés, pour les dépenses extraordinaires, de prendre dans les caisses des receveurs de districts; cela a occasionné des revirements dont on a envoyé les pièces à la trésorerie nationale. Or, comme le comité des Inspecteurs n’a pas la surveillance de la trésorerie, je crois que c’est au comité des Finances qu’il faut donner cette attribution; il conférera, pour les dépenses secrètes, avec les comités qui ont donné les pouvoirs et qui connaissent mieux que personne à combien les dépenses peuvent se monter, à raison de l’étendue des pouvoirs qu’ils ont donnés. Je demande donc que l’on adopte les deux premières propositions de BOURDON, avec ces modifications; qu’on rapporte le décret qui accorde 40 sous pour droit de présence aux assemblées de sections, et qu’elles ne tiennent de séances que les décadis (Applaudissements). Ces propositions sont décrétées en ces termes (1). BENTABOLE : Parmi les opinions qui ont été émises à cette tribune, je remarque celle de DURAND-MAILLANE, sur laquelle je demande qu’il soit fait un rapport. Tout homme honnête doit désirer qu’on ne gêne point la liberté des représentants du peuple par des inculpations sourdes et par des invectives. Ce n’est pas en injuriant des hommes que l’on regarde comme des êtres faibles que l’on doit enchaîner les opinions qu’ils ne veulent émettre que pour le bien du peuple. Je demande que toutes les fois qu’un député croira avoir à faire à un de ses collègues des reproches graves, des reproches capables d’attirer sur lui la justice nationale, il articule des faits au lieu de lui adresser des injures, et que celui qui aura été inculpé soit entendu. Il ne faut pas essayer de faire trembler personne par des invectives, il n’y a que les conspirateurs qui doivent trembler (Applaudissements). CHARLIER : Je suis étonné qu’on demande à l’Assemblée de décréter la liberté des opinions, comme si, depuis que nous existons, nous n’en avions pas joui. (Non, non ! s’écrient plusieurs membres). Les murmures qui m’interrompent m’étonnent encore davantage; il est vrai que cette liberté a resté quelque temps comprimée dans l’âme des êtres faibles, mais je n’admets pas le principe de la faiblesse de la Convention qui représente le peuple français. On ne doit pas faire consacrer par un décret la liberté d’opinion des représentants du peuple; elle appartient essentiellement à tous ceux qui, sentant la dignité de leur mission, forts de leur conscience, se sont élevés contre les propositions désastreuses faites ici, ont combattu l’idole du jour, et dont la Convention a fait justice. Nous ne devons point consacrer la faiblesse de certains êtres qui n’ont pas eu le courage de heurter l’idole qui est tombée sous le glaive de la loi, et j’ajoute que les véritables amis du peuple ont toujours joui, dans tous les temps, dans tous les lieux, de la liberté d’opinion, qu’ils en ont toujours l’exercice (On applaudit). BREARD : Nous avons tous juré solennellement de sauver la chose publique et d’anéantir les ennemis intérieurs et extérieurs; c’est un serment que nous tiendrons, et nous sommes tous disposés à périr pour les remplir (Oui, oui ! s’écrie-t-on de toutes parts). La liberté des opinions existe, nous n’avons pas besoin de le déclarer; nous n’avons pas besoin de faire notre profession de foi à cet égard; la nuit du 9 au 10 thermidor a prouvé (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 554-557. Toutes les gazettes placent ici les décrets relatifs aux comptes des représentants en mission et à l’octroi des 40 sols (ci-dessous n os 39 et 42) avant celui ayant trait à la liberté des opinions et au délit de calomnie. SÉANCE DU 4 FRUCTIDOR AN II (21 AOÛT 1794) - N° 37 341 qu’aucun danger ne pouvait nous empêcher d’émettre la pensée de nos cœurs. Dans l’instant où les satellites des conspirateurs nous environnaient, dans le moment où leurs canons étaient braqués sur la Convention nationale, nous n’avons pas craint de les mettre hors de la loi ( Applaudissements ). Nous avons montré à la France que nous la sauverions; nous avons justifié la confiance qu’elle avait mise en nous. Aujourd’hui le peuple est uni à ses représentants; toutes les craintes ont cessé; il n’y a plus que des hommes purs dans la Convention nationale. Marchons donc ensemble vers le grand but du bien public. Disons ici notre opinion sans nous arrêter aux expressions hasardées qui échappent à quelques hommes ardents. Ne faisons point le procès au cœur de personne; les expressions de contre-révolutionnaires sont les seules qui doivent choquer un homme libre; elles doivent être bannies de cette enceinte, parce qu’elles ne conviennent qu’aux aristocrates. Il faut examiner la conduite d’un homme avant de l’accuser, et ne pas lui imputer une erreur à crime; il ne faut pas créer des fantômes pour les combattre. On parle de faction; je déclare que je n’en connais pas dans la Convention nationale : s’il en existe, il faut que le glaive de la loi les atteigne ( Applaudissements ). Rattachons-nous aux principes; c’est ici qu’est le thermomètre de l’opinion publique : quand il règne ici quelque division, les aristocrates se serrent. On est venu me dire que j’étais soupçonné d’être l’ami et l’espion de Robespierre, de lui rendre compte de tout ce qui se passait; d’autres m’accusaient d’être dévoué à Danton et opposé à Robespierre; eh bien, je déclare que je ne fus jamais l’ami d’aucun d’eux, mais que je le fus toujours de la chose publique (Applaudissements). Ce qui m’est arrivé est arrivé à plusieurs de mes collègues; j’ai vu les hommes les plus purs, des hommes qui n’avaient jamais choqué aucune passion, des hommes qui n’avaient jamais parlé à cette tribune, qu’on a cherché à rendre suspects. Toutes les fois qu’on vient nous faire un rapport de cette nature, examinons ce qu’un homme était avant la révolution, ce qu’il a dû être depuis, ce qu’il a été en effet; sachons comment une maison dans laquelle on voyait naguère à peine une chaise et un lit présente aujourd’hui le spectacle de l’opulence la plus fastueuse ( Vifs applaudissements). Sachons pourquoi des hommes qui ne jouissaient d’aucune considération ont eu besoin d’abandonner le nom de leur père pour prendre un nom célèbre dans l’antiquité ( Vifs applaudissements). THIBAULT : Couthon avait pris le nom d’Aristide. BREARD : Croyez-vous que ceux qui ont pris les noms de Socrate et de Brutus en avaient les vertus? Non ( Applaudissements ). La plupart d’entre eux s’étaient déshonorés par des bassesses dans leurs départements, et ils avaient besoin de ces nouveaux noms et d’affecter les dehors du patriotisme pour venir à Paris escroquer des places et voler la République ( Vifs applaudissements). Croyez-vous que ces gens qui sont venus à votre barre en se parant du nom de Socrate eussent bu la ciguë si on la leur eût présentée ? Non, non ! Ils l’eussent rejetée bien loin, et vous n’auriez plus aperçu en eux que l’intrigant et l’imposteur. Ce n’est pas les noms des hommes illustres de l’antiquité qu’il faut usurper; ce sont leurs vertus qu’il faut imiter, qu’il faut surpasser, s’il est possible. Misérable intrigant, n’envie pas le nom d’un homme vertueux; mais rends le tien aussi célèbre que le sien ( Vifs applaudissements). Je demande que l’on décrète qu’aucun homme ne pourra porter d’autre nom que celui de son père, et que le comité de législation soit chargé de la rédaction. L’Assemblée décrète la proposition de Bréard (1). On rappelle la proposition de Durand-Mail-LANE. LECOINTE-PUYRAVEAU : Si la liberté d’opinion existe dans la Convention, le règlement qu’on vous propose est inutile; si elle n’existe pas, il peut être dangereux; car, en supposant que vous adoptiez ce règlement, il s’élèvera des avis divers; on discutera, les passions s’exaspéreront; et de là les maux les plus terribles. C’est l’unanimité des cœurs et non l’unanimité des mots que nous devons rechercher, ce sont les passions qu’il faut extirper. Le règlement que vous feriez n’empêcherait pas que les soupçons ne restassent, et que le trait envenimé ne blessât le cœur. Je demande l’ordre du jour. CAMBACÉRÈS : Citoyens, les mesures salutaires qui vous ont été proposées dans cette séance, et la touchante unanimité avec laquelle elles ont été accueillies, sont un témoignage certain que nous voulons le bien, et qu’on ne parviendra point à nous détourner de la route de la vertu. Néanmoins, il vous reste encore des précautions à prendre; je ne mets dans ce nombre ni le projet de consacrer la liberté des opinions, ni celui d’une loi pénale contre ceux qui lui porteraient atteinte : tout consiste à vivifier, à restaurer les garanties des droits naturels et sans lesquels il n’y a point de société. Ainsi, du même coup nous rétablirons l’harmonie sociale, et nous assurerons notre liberté individuelle; le grand peuple que nous représentons applaudira à notre ouvrage, et la représentation nationale ajoutera encore à la haute considération dont elle est environnée. Il est plusieurs mesures propres à nous faire atteindre le but que j’indique; il en est une qui a paru obtenir votre suffrage; je ne le rappellerai point, je n’énoncerai pas même celles qui s’offrent à ma pensée, car j’ai fort à cœur de voir les décrets être toujours l’ouvrage de la réflexion. (1) Décret n° 10 479. Rapporteur Bréard (voir C*II 20, p. 260. 342 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE L’engouement et l’enthousiasme sont nos plus grands ennemis. Je propose, en conséquence, de charger une commission, composée de 5 membres, de revoir tous les décrets dont il importe d’anéantir ou de modifier l’effet, et de présenter un projet de décret tendant à assurer l’effet des garanties qui doivent exister dans l’ordre social, en les conciliant avec la force et l’activité du gouvernement révolutionnaire. THURIOT : Jamais la liberté publique n’eût été en danger si la liberté de la presse eût été protégée : c’est là le principe de tous nos maux. Il faut, non seulement qu’un homme puisse penser, mais aussi qu’il puisse exprimer sa pensée, même au milieu des orages publics. Je sais que le gouvernement révolutionnaire exige que tout soit en harmonie avec lui; mais ce n’est point une raison pour ne pas conserver la liberté de la presse; car alors l’homme sage indique les défauts du gouvernement, et aussitôt ils sont réprimés; l’innocence opprimée trouve un appui, un refuge, un défenseur dans chaque ami du peuple; la justice frappe les coupables, mais aucune victime n’est sacrifiée. Loin de nous l’idée de favoriser la calomnie; elle n’est que l’abus de la liberté de la presse. Tout homme qui diffame, qui, par des dénonciations fausses, entrave la marche des autorités, fait planer le soupçon sur les fonctionnaires publics, doit être enchaîné; c’est une peste dans la société. Je demande que le comité de Législation soit chargé de vous présenter des institutions propres à garantir la liberté de la presse et à réprimer la calomnie (On applaudit ). CHARLIER : J’appuie la motion de THURIOT; la calomnie est un monstre qui désole la société. J’avais déjà demandé, il y a 15 jours, avant la chute du plus fameux des calomniateurs, Robespierre, des mesures qui arrêtassent leur funeste influence. MERLIN (de Douai) : Le comité de législation s’est occupé, il y a plus de 6 mois, d’un projet de loi contre les calomniateurs; mais comme le comité de salut public avait été chargé d’y concourir avec lui, il lui a communiqué son projet, et probablement Robespierre et Couthon s’en sont emparés, car on ne l’a pas revu. Il y a 3 décades que, sur la motion de CHARLIER, vous nous chargeâtes d’un nouveau travail à cet égard, et il est prêt. Mais ce qui nous a empêchés de vous le soumettre, c’est que nous avons reconnu qu’il fallait en même temps s’occuper d’une loi sur la liberté de la presse. TALLIEN : Il a été fait dans cette séance 2 propositions qui me semblent devoir être réunies, parce qu’elles tendent à l’affermissement de la liberté publique : c’est la liberté des opinions au sein de la Convention, et la liberté de la presse. Nous devons nous rallier autour de ces principes, car nous ne pouvons pas nous dissimuler que la liberté des opinions a été longtemps étouffée dans cette enceinte. Elle a repris naissance le 10 thermidor, et ne doit plus périr. Consacrons-la à jamais; que la terreur n’entre plus ici! ( Vifs applaudissements). Que les représentants du peuple soient toujours eux-mêmes; qu’ils disent toute leur pensée; démasquons tous les traîtres, tous les scélérats, tous les conjurés, tous les fripons, tous les continuateurs de Robespierre ( Vifs applaudissements). Depuis le 10 thermidor, il n’est pas besoin d’un décret pour m’engager à émettre mon opinion : que m’importe la calomnie de quelques hommes que l’opinion publique a notés, les sifflements de quelques aristocrates déguisés, de quelques hommes qui rugissent de voir l’autorité s’échapper de leurs mains ? Le peuple nous a imposé le devoir de le sauver; il n’y a pas besoin de décret pour cela ( Applaudissements ). Ce décret serait injurieux pour nous et pour la nation. Montrons que nous sommes déterminés à assurer le bonheur public, à fonder le règne de la probité, de la justice et de la vertu, mais de la vertu véritable, et non pas de celle que Robespierre avait mise à l’ordre du jour (Vifs applaudissements ) . Oui, la liberté de la presse fut longtemps entravée, et depuis que cette question a été agitée récemment on a émis différentes opinions sur cet objet. On a craint qu’elle ne pût se concilier avec le gouvernement révolutionnaire que le peuple veut, que nous voulons tous pour arriver au but désiré, le bonheur des bons citoyens et l’anéantissement des mauvais. Mais on vous a démontré combien ces craintes sont vaines, quels avantages la République en retirerait au contraire. Je pense que la Convention doit passer à l’ordre du jour, parce que, si la liberté de la presse fut un instant étouffée, on ne put jamais y porter atteinte (Applaudissements). DUBOIS-CRANCÉ : L’Assemblée n’a jamais pu mettre en question si la liberté de la presse serait permise; elle est dans la Déclaration des droits. Il ne suffit pas de l’avoir dans les livres, il faut qu’on puisse en profiter; il faut qu’elle soit au-dessus des atteintes des hommes. La loi contre les calomniateurs sera la garantie de la liberté de la presse. Je demande le renvoi au comité pour vous la présenter (Applaudissements) (1).[ Voir décret au P.-V. ci-dessus] 38 BEZARD, au nom du comité de Législation : L’intention de la Convention nationale, en frappant les ennemis du peuple, n’a jamais été d’atteindre les bons citoyens. Le salut public vous a fait un devoir de chasser du territoire français les prêtres fanatiques, les ecclésiastiques de tous grades, qui, loin de se soumettre aux lois de l’Etat, ont cherché (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 557-559; Débats, nos700, 59-60; 701, 61-69; J. Fr., n° 696 (qui note Le Cointre (de Versailles) parmi les intervenants); Ann. R.F., nos262, 263; Rép. , n° 245; M.U. , XLIII, 73-74, 92; J. Paris, n° 559; J. Perlet, n° 698; J. univ. , nos 1732, 1733; Ann. patr. , n° DXCVIII; C. Eg., n° 733; F. de la Républ., n° 413; J.S. -Culottes, n° 554; Gazette fr(se , n° 694; J. Mont., n° 114.