SÉANCE DU 16 BRUMAIRE AN III (6 NOVEMBRE 1794) - N° 42 475 seront livrés à l’exécuteur et mis à mort dans les vingt-quatre heures. Art. IX. - Il en sera de même de tous étrangers qui, depuis le 14 juillet 1789, ont quitté le service de la République et se sont, après avoir abandonné leur poste, réunis aux émigrés. Art. X. - Les commissions militaires renverront les émigrés qui ne se trouveront pas dans les cas prévus par l’article VIII, devant les tribunaux criminels des départements de leur domicile respectif. Art. XI. - Les procès-verbaux d’exécution seront envoyés dans la huitaine à la commission chargée de l’organisation et du mouvement des armées de terre qui les fera passer à la Convention nationale. Art. XII. - Les émigrés ne pourront dans aucun cas être jugés par jury. Art. XIII. - Il n’est point dérogé par la présente loi, à la disposition de celle du 19 floréal, qui autorise le tribunal révolutionnaire à juger les émigrés concurremment avec les tribunaux criminels. Art. XIV. - Tous citoyens qui auront dénoncé, saisi et arrêté des émigrés recevront après l’exécution du jugement la somme de 100 L par chaque émigré. Section II. Jugement des complices des émigrés. Art. XV. - Les complices des émigrés seront jugés par le Tribunal révolutionnaire (132). 42 MAREC, au nom de la commission des Colonies et du comité de Sûreté générale : Citoyens, vous avez entendu à votre barre, le 10 de ce mois, une nouvelle réclamation en faveur des citoyens se disant commissaires des patriotes de Saint-Domingue. Vous avez renvoyé la demande de leur mise en liberté à votre commission des Colonies et à votre comité de Sûreté générale, en les chargeant de vous faire, sous trois jours, pour tout délai, un rapport qui vous mît à portée de juger s’il y a lieu ou non d’accorder ce qu’on vous demandait. Vos comités ont vu dans ce décret de renvoi l’impatience où vous paraissiez être de statuer enfin sur une réclamation tant de fois élevée dans cette enceinte, et ils se sont empressés de s’en occuper et de vous soumettre le résultat de leurs délibérations. Je suis dans ce moment leur organe; je serai le narrateur fidèle de la discussion à laquelle ils se sont livrés. Ils ont observé d’abord que, par le décret de renvoi dont je viens de parler, vous sembliez avoir retiré le droit que, par deux décrets anté-(132) P.-V., XLIX, 15-20. Moniteur, XXII, 472 (reproduction partielle). rieurs, vous aviez solennellement délégué à vos trois comités réunis de Salut public, de Sûreté générale, de Marine et des colonies, le droit de prononcer la mise en liberté des divers colons incarcérés en exécution de la loi du 19 ventôse dernier. Ils n’ont pu s’empêcher de remarquer aussi qu’aucun motif fondé de plainte sur le retard qu’éprouvent les opérations de votre commission des Colonies n’a dû amener une telle variation entre les décrets rendus à des époques si rapprochées. Quoiqu’il en soit, votre dernier décret était formel, et vos deux comités y ont vu l’expression d’une volonté à laquelle tout doit céder. C’est pour s’y conformer que votre commission des Colonies, du moment qu’elle a eu connaissance du décret du 10 de ce mois, a reporté ses regards sur un objet qui avait fait la matière de ses premières délibérations, c’est-à-dire la question de la mise en liberté des divers colons détenus. Mais je ne dois pas le dissimuler : votre commission, en se livrant aujourd’hui à un nouvel examen de cette question, ne s’est pas trouvée plus à portée de la décider par la connaissance des faits qu’elle ne l’était les premiers jours de sa création. Depuis plus d’un mois qu’elle est établie, elle n’a eu ni dû avoir d’autre soin que celui de recueillir des divers dépôts publics et autres, les papiers relatifs à l’importante affaire des colonies. Elle s’est constamment occupée de ce rassemblement. Tous ses membres ont, à cet égard, une destination et une tâche à remplir, et la remplissent avec tout le zèle dont ils sont capables; mais le volume des papiers à inventorier est tel, la nécessité de faire cette opération avec sagesse et précaution est telle, le nombre des dépôts est tel, enfin, que vous apprendrez, je pense, sans étonnement, que votre commission possède à peine en ce moment dans ses archives la centième partie des papiers qu’elle devra rassembler. J’ajoute que l’opération à laquelle se livrent en ce moment, dans les différents dépôts, les membres de la commission, est et doit être purement mécanique; qu’il ne s’agit, quant à présent, que d’inventorier les pièces, que d’en décrire la forme, la contexture matérielle; et que, lors même (ce qui ne peut manquer d’arriver) qu’il tomberait sous la main des membres chargés de cet inventaire des pièces de la plus haute importance, des pièces de conviction contre tel ou tel individu, il ne peut être question d’en faire sur le champ la base d’une accusation ou le fondement de toute autre mesure. Votre commission, convaincue que tout se tient dans cette grande affaire ; que les moindres faits se lient à des faits plus importants ; que toutes les pièces doivent s’expliquer, s’étayer les unes par les autres ; que les fils de la conjuration qui a existé dans les colonies sont disséminés, enveloppés dans un dédale jusqu’à présent inextricable ; qu’il faut tâcher de saisir l’ensemble des événements ; qu’il faut les voir d’abord par masses, pour pouvoir descendre ensuite dans les détails et y discerner la vérité à travers les nuages dont elle a été jusqu’à ce jour obscurcie ; votre commission, dis-je, pénétrée de la 476 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE nécessité de la plus sévère circonspection, s’est imposé la loi de rassembler d’abord autour d’elle tous les matériaux, tous les éléments de son travail; elle s’occupera ensuite de les classer, de les subdiviser dans l’ordre qu’elle jugera le plus convenable ; puis d’examiner à fond, de discuter chaque pièce, chaque point de fait ; de rapprocher tous les événements, d’entendre et de confronter tous les individus qui se trouveront à sa portée, et de poser enfin les bases et de projeter le plan du grand rapport qu’elle devra soumettre à la discussion de vos trois comités. Il était entré cependant dans ses vues de s’occuper le plus tôt possible du sort des divers colons incarcérés dès avant et depuis le 19 ventôse dernier; mais, conformément à un arrêté qu’elle prit dans les premiers jours de sa réunion, elle s’était aussi imposé la loi d’ajourner l’examen de toutes les pétitions faites à cet égard jusqu’à ce qu’elle eût entre ses mains des documents, des renseignements positifs. Elle craignait de compromettre, par un empressement mal entendu et par une trop grande facilité à céder à des réclamations instantes, mais dont elle ne pouvait encore se démontrer la légitimité; elle craignait, dis-je, de compromettre l’intérêt public, d’égarer votre justice, et d’altérer ou de perdre, par une fausse démarche, la confiance dont elle a tant besoin. Depuis qu’elle est en fonctions, l’opération longue et minutieuse de la levée des scellés et de la confection des inventaires n’est point assez avancée, malgré tous ses efforts, pour qu’elle puisse avoir une opinion prononcée en ce moment, ni sur aucun des colons, ni sur aucune circonstance des troubles qui ont agité vos colonies ; car vous ne penserez pas sans doute qu’elle ait dû en puiser la connaissance dans ces écrits multipliés qui, depuis quelque temps, sont sortis de tant de cerveaux plus ou moins exaltés, et où la vérité, si elle existe, ne se montre pas au moins avec le caractère qui semble lui appartenir. Dans cette position, dans la nécessité de répondre cependant au voeu manifesté par votre décret de renvoi du 10 de ce mois, votre commission a pensé que, relativement aux citoyens se disant commissaires des patriotes de Saint-Domingue, on ne pouvait s’appuyer, quant à présent, pour proposer leur mise en liberté, que sur une considération : c’est qu’étant pour tout le moins, vis à vis la Convention nationale, dans les mêmes termes que leurs principaux adversaires, je veux dire accusés et accusateurs à la fois ; c’est que n’étant pas, ce semble, plus inculpés par l’opinion publique ou en butte à de plus graves accusations que ces mêmes adversaires ; c’est qu’enfin, n’ayant pas encore été mis sous la main de la justice ou traduits devant les tribunaux par un acte d’accusation en forme, ils devaient être traités par vous de la même manière que ces adversaires, je veux dire encore jouir de la même liberté provisoire que vous avez accordée aux ex-commissaires civils Polverel et Sonthonax, en suspendant l’effet du décret d’accusation dont vous les aviez d’abord frappés. Telle a été l’opinion de votre commission des Colonies et de votre comité de Sûreté générale. L’un et l’autre ont pensé de plus que, quel que doive être le sort futur des principaux accusés et des principaux accusateurs dans cette affaire, il n’y avait aucun inconvénient, aucun danger à donner à ceux-ci la même liberté dont jouissent ceux-là, puisque l’intérêt réel des uns et des autres, leur intérêt le plus important, est de pouvoir résider à portée de la Convention nationale, sous les yeux même des comités chargés de l’instruction de ce grand procès ; puisque la surveillance du gouvernement est tellement active en ce moment, qu’on peut être parfaitement tranquille sur l’inutilité des tentatives de tout grand coupable qui essaierait de se soustraire à la justice nationale ; puisqu’enfin le droit d’exercer la police de sûreté réside toujours dans votre comité de Sûreté générale, et qu’au premier avis, à la première demande de votre commission des colonies, il peut s’assurer de la personne de tel ou tel individu prévenu. Vos deux comités n’ont pas manqué à cette occasion de prendre en considération les motifs qui ont fait rendre la loi du 19 ventôse, relative aux colons, et la manière dont elle a été exécutée. On se rappelle que certains d’entre eux furent accusés dans le temps d’avoir intrigué, avec quelques membres du comité révolutionnaire de Nantes, pour empêcher le départ du général Josuet, chargé d’aller porter aux Iles-du-Vent le décret d’éternelle mémoire sur l’abolition de l’esclavage. Dans la juste indignation que vous inspira cette machination contre-révolutionnaire, vous décrétâtes la mise en accusation de tous les colons connus pour avoir été membres de l’assemblée générale de Saint-Marc, de l’assemblée coloniale de Saint-Domingue et du club qui se tenait à l’hotel Massiac. Il parait que ce décret a été en général exécuté de la manière la plus arbitraire. D’une part, l’ancienne administration de police à Paris s’est abtenue de faire arrêter plusieurs membres du club Massiac; divers comités révolutionnaires ont mis de la négligence ou de la partialité dans l’exécution de la loi ; d’une autre part, les comités de surveillance du département soit par une fausse interprétation de la loi, soit en exécution d’un arrêté du comité de Salut public, antérieur au 9 thermidor, ont fait arrêter indistinctement tous les colons qui se sont trouvés sous leurs mains, soit qu’ils eussent été membres ou non de quelques-unes des assemblées dont on a parlé, soit même qu’ils provinssent ou non des Iles-sous-le-Vent ; de sorte qu’environ trois mille colons sont, suivant toute apparence, arrêtés en vertu d’une loi qui semblait n’avoir dû frapper que sur un nombre beaucoup moins considérable d’individus. Il est de votre justice et de votre humanité de faire cesser au plus tôt l’effet de toutes ces rigueurs arbitraires. Votre commission des Colonies n’attend que les listes et les renseignements qu’elle doit trouver dans les dépôts publics pour s’occuper activement du sort de tant d’infortunés et proposer aux trois comités réunis, conformément au décret du 9 vendé- SÉANCE DU 16 BRUMAIRE AN III (6 NOVEMBRE 1794) - N° 43 477 miaire, les mises en liberté d’une foule de malheureux indignement proscrits. En attendant, votre commission et le comité de Sûreté générale m’ont chargé de fixer un moment votre attention sur un personnage qui a figuré jusqu’à présent dans l’histoire des événements relatifs aux troubles des colonies, et qui est en arrestation depuis plus d’un an pour des motifs que la commission n’a pas été jusqu’à présent à portée d’apprécier. Ce personnage est le citoyen Raymond, se disant député extraordinaire des ci-devant hommes de couleur, en faveur duquel s’élève plus d’un témoignage honorable à côté des dénonciations dont il a pu être l’objet. Sans approfondir, quant à présent, les causes de sa longue détention, il semble qu’il doit être mis aujourd’hui sur la même ligne que les principaux accusés et les principaux accusateurs dont on a parlé, et que la justice et l’humanité réclament en sa faveur le même traitement. Voici le projet de décret (133). La Convention nationale après avoir entendu le rapport [de MAREC] fait au nom de sa commission des Colonies et de son comité de Sûreté générale, décrète ce qui suit : Article premier. - Les citoyens Page, Brulley, Thomas Millet, Clausson, Duny et Larchevêque-Thibauld, se disant commissaires des patriotes de Saint-Domingue, et Legrand, leur secrétaire, seront sur le champ mis provisoirement en liberté. Art. II. - Le citoyen Raymond, se disant député extraordinaire des ci-devant hommes de couleur, sera aussi mis sur le champ provisoirement en liberté. Art. III. - Les scellés apposés sur les papiers des uns et des autres, seront levés de la manière prescrite par les décrets des 9 vendémiaire et 13 du présent mois. Les citoyens mis en liberté ne pourront habiter la maison où les papiers dits archives coloniales, sont déposés sous les scellés, tant que l’opération de la levée des scellés ne sera point achevée. Art. IV. - La commission des Colonies se fera rendre compte de la manière dont la loi du 19 ventôse a reçu son exécution et proposera incessamment aux trois comités réunis, de Salut public, de Sûreté générale, de Marine et des Colonies, les mesures qu’elle jugera convenable pour faire cesser toute détention arbitraire résultant de la fausse application de cette loi (134). (133) Moniteur, XXII, 442-444_Aran. Patr., n° 675 ;Ann. R. F., n° 46; C. Eg„ n° 810; Mess. Soir, n° 811; J. Fr., n° 772; M. U., XLV, 271 ; F. de la Républ., n° 47 ; Rép., n° 47 ; Gazette Fr., n° 1039. (134) P.-V., XLIX, 20-22. C 322, pl. 1367, p. 45, minute de la main de Marée, rapporteur selon C’ II 21, p. 23. Moniteur, XXII, 444. M. U., XLV, 280-281. L’Assemblée avoit prononcé le décret lorsque plusieurs députés des colonies, le citoyen Dufay entr’autres ont vivement réclamé ; Dufay a répété ses éternelles accusations, de trahison, d’émigration contre des hommes qui ont tout perdu et qui se sont sauvés nuds pour n’être pas égorgés. On a demandé à Dufay s’il vouloit consentir que Sonthonax et Polverel fussent remis en arrestation. Dufay n’a rien dit et la Convention a maintenu son décret (135). La séance est levée à quatre heures (136). Signé, PRIEUR (de la Marne), président, ESCHASSERIAUX jeune, BOISSY [d’ANGLAS], Pierre GUYOMAR, GUIMBERTEAU, GOUJON, secrétaires. En vertu de la loi du 7 floréal, l’an troisième de la République française une et indivisible. Signé, GUILLEMARDET, C.A.A. BLAD, BALMAIN, J.- J. SERRES (137). AFFAIRE NON MENTIONNÉE AU PROCÈS-VERBAL 43 TALLIEN rappelle que la Convention avait ordonné que le comité de Sûreté générale lui ferait un rapport sur toute la compagnie de canonniers de la section des Droits de l’Homme, incarcérés comme prévenus d’être complices dans la trahison du 9 thermidor ; que ces pères de famille gémissent dans les fers à la Force depuis trois mois; qu’il est temps qu’on leur fasse justice, d’autant plus qu’ils peuvent n’être coupables que d’erreur. Il demande que le rapport soit fait dans trois jours. Léonard BOURDON veut que le rapport soit fait dans la même époque pour tous les autres individus incarcérés pour le même fait. La Convention décrète que dans trois jours, le comité lui fera un rapport général sur tous les détenus pour l’affaire du 9 thermidor (138). (135) Mess. Soir, n° 811. (136) P.-V., XLIX, 22. J. Fr., n° 772 et M. U., XLV, 271, indiquent 3 h; J. Perlet, n° 774 donne 3 h et demie. (137) P.-V., XLIX, 22. (138) J. Univ., n° 1807. J Perlet, n° 774; Rép., n° 47; J. Paris, n° 47; J. Mont., n° 24; Moniteur, XXII, 442.