410 [Assamblée naüonala.| ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1790.[ « Paris, le 29 août 1790. « Monsieur le Président, « J’ai eu l’honneur d’informer hier l’Assemblée nationale des nouvelles que je venais de recevoir sur l’état d’insurrection dans lequel le régiment suisse de Châteauvieux paraissait vouloir persister. En effet, cette insurrection n’a fait que se continuer de la manière la plus violente: et les efforts de M. de Malseigne, des officiers, de la municipalité réunis n’ont pu en arrêter les progrès. « M. de Malseigne est arrivé le 23 à Nancy, selon les ordres qu’il avait reçus, en exécution du décret de l’Assemblée nationale du 16 août, sanctionné par le roi. M. de Bouille s’est empressé de lui faire passer ses instructions pour i'entière exécution du décret en offrant aux soldats un pardon généreux. Le 24, les soldats du régiment du roi et ceux du mestre-de-camp-gé-néral cavalerie signèrent d’eux-mêmes un acte de repentir formel et de soumission aux décrets de l’Assemblée nationale. Au lieu de suivre la même marche, le régiment suisse a voulu soutenir par la force une réclamation de 200,000 livres. M. de Malseigne s’est vu obligé de songer à sa défense et de blesser deux hommes de son épée il a couru les plus grands dangers. « M. de Bouillé avait envoyé, le 25, un ordre pour le départ du régiment de Châteauvieux que MM. de Malseigne et de Noue n’ont pas jugé à propos de faire exécuter. Le 26, les dispositions du régiment du roi et de mestre-de-camp parurent changer et firent craindre une liaison entre les trois régiments de la garnison. Les Suisses continuèrent leurs mouvements séditieux. Ils voulurent enlever leurs capitaines et les garder dans leur quartier, sous prétexte qu’ils ne les voyaient plus ; mais, en effet, pour les avoir en ôtage et pour en tirer, de force, l’argent qu’ils demandaient. M. de Malseigne se décida alors à envoyer l’ordre pour le départ de ce régiment, qui a refusé de l’exécuter et a mis, par cette désobéissance, le comble à son insurrection. « D’après tant de fautes multipliées et aggravées les unes par les autres, M. de Bouillé s’est décidé à employer les moyens de force que les décrets de l’Assemblée nationale et les ordres du roi mettaient entre ses mains et à sa disposition ; il a fait requérir les gardes nationales des départements voisins et a ordonné à plusieurs régiments de se rendre à des cantonnements qui leur ont été fixés autour de Nancy ; les forces doivent y être réunies le 30 de ce mois. M. de Bouillé commencera le 31 ou le 1er septembre à en faire usage, pour assurer l'exécution des décrets de l’Assemblée nationale et des ordres du roi, et pour sévir, s’il y a lieu, contre les coupables et leurs fauteurs. « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble serviteur. Signé : LA ToUR-DU-PlN. (Un profond silence règne pendant quelque temps dans l’Assemblée après cette lecture.) M. l’abbé Gouttes. Dès queM. le général de Bouillé exécute vos décrets, il faut attendre l’exécution des dispositions qu’il a prises dans ce but et passer à l’ordre du jour. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) M. Heurtault de l�a Mervllle demande, au nom du comité d’agriculture et de commerce à faire un ‘premier rapport sur le code rural (1). (1) Çe rapport n’a pas été inséré au Moniteur. L’Assemblée, pressée par l’heure avancée, ordonne que le rapport sera imprimé, distribué et joint au procès-verbal de la séance. Il est ainsi conçu : Messieurs, vous ne pouvez dissimuler que si vous aviez eu un empire à créer, au lieu d’un royaume caduc à rajeunir, l’agriculture aurait été le principal objet de votre sollicitude ; car ce premier des arts utiles, conciliateur des éléments, est l’agent infatigable de nos subsistances ; il n’est point un mouvement etune idéedes cultivateurs, un arpent de terre, un rayon de soleil et une pluie d’un iour, qui n’influent sensiblement sur le sort dTun grand nombre de nos semblables, mais vous avez senti que vous marchiez sur un sol fécond dans sa plus grande étendue, sillonné par le soc, et fertilisé par les soins : mais vous avez été forcés de réparer, eu commençant par le comble, tout l’édifice politique, et descendant ensuite à l’aide des sous-œuvres, jusqu’aux fondements ébranlés, vous êtes parvenus à l’agriculture. Vous avez vu, Messieurs, dans le plan des travaux du comité d’agriculture et de commerce, que son ouvrage essentiel pour la partie de l’agriculture est le code rural. C’est ce recueil de lois dont le comité vient aujourd’hui vous entretenir. Il n’embrasse que les principaux objets sur lesquels reposent la prospérité de l’agriculture et la félicité de l’homme agreste, qu’il est si facile de rendre heureux, puisqu’il est le moins ambitieux, le moins corrompu des hommes et le plus rapproché des mœurs naturelles. Les lois du code rural ne seront point compli-uées ; elles ne doivent être, pour ainsi dire, que es principes immuables à la portée des hommes simples et intéressants pour qui elles seront faites. Elles ne seront pas nombreuses; elles n’ont à défendre que la racine du droit de propriété, et elles se multiplieront d’autant moins qu’étant claires, douces et vigilantes, le pouvoir arbitraire, l’astuce des commentateurs et l’injustice ne pourront jamais en falsifier l’esprit, ou en empêcher l’exécution. L’Assemblée nationale a fondé les grands destins du citoyen sur la liberté individuelle, fédérée avec la justice imprescriptible. Votre comité, pénétré de ces principes régénérateurs, ne vous roposera d’augmenter la fécondité du sol et le onheurde ceux qui le cultivent qu’en faisant de l’indépendance des propriétés une loi constitutionnelle, toutes les fois qu’elle ne deviendra point contraire au bien du peuple et à ses subsistances. Le comité vient donc, en dernière analyse, vous proposer d’ajouter ces derniers mots : la liberté des campagnes, à la mémorable Constitution qui a déjà pour épigraphe : la liberté du citoyen et la liberté de la pensée . Votre comité, Messieurs, bornera les travaux de son plan à ce que vous lui ordonnerez. Les objets que vous n’embrasserez point seront pris en considération par vos successeurs; l’avenir ne peut vous intimider ; vous savez que le temps, d’une main, tient une faux pour détruire les abus, et de l’autre des germes qu’il répand sans cesse, et qui tour à tour doivent éclore. Cependant vous ne voudriez pas négliger cette seule partie des lois. Vous voudrez sûrement imprimer un profond respect pour la charrue nourricière, pour les manufactures, ateliers des pauvres, pour le lien fraternel du commerce qui décuple indirectement le nombre des propriétaires en naturalisant l’industrie sur le territoire national. Ce n’est point vous, Messieurs, qui vous rebuterez au dernier pas, On fait aisémeqt la réflexion que 411 {Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1790.] lorsque les législateurs, au milieu des orages, se sont occupés durant dix-huit mois des sublimes lois de la Constitution et de la refonte générale d’un vasteempire, les modestes lois agricoles peuvent, au premier aperçu, leur inspirer un intérêt peu exprimé ; mais si l’on vous considère dans toute l’étendue de vos devoirs et dans l’habitude de vos travaux variés, on verra que le génie législateur se proportionne à la simplicité des idées et que votre cœur sensible doit trouver une jouissance à flatter sur les destinées particulières des cultivateurs, de ces hommes dans la classe desquels ont été nos pères à tous, puisque dous ne pouvons nous déguiser que le berceau de toutes les familles fut d’abord un feuillage et ensuite une chaumière. Quoi qu’on ait pu penser jusqu’ici, Messieurs, que beaucoup d’objets étaient les bases de l’agriculture et du commerce, et que sur eux leur prospérité mutuelle reposait, le seul titre qui ait paru vraiment constitutionnel à votre comité, c’est l'indépendance du sol. Quelques autres, il est vrai, doivent entrer successivement dans le code rural, mais ils ne feront tous que des exceptions du principe, et commandées par la nature du pacte social. Dans l’immensité de ses travaux obscurs, le comité s’est donc arrêté à l’idée de vous présenter tour à tour, lorsque vous l’ordonnerez, les quatre objets suivants : 1° L’indépendance du sol (article constitutioq-nel); 2° Le dessèchement et le défrichement des marais (première exception) ; 3° L’exploitation des mines et métaux (deuxième exception); 4° Les canaux, les grandes routes et les chemins vicinaux (troisième exception). Je vais, si vous le permettez, Messieurs, vous convaincre de la justesse de cette division, et revenir sur ces objets avec quelque développement. L’indépendance du sol est, selon nous, la seule loi constitutionnelle, la loi naturelle, de laquelle, chez un peuple libre il faut sans cesse tendre à se rapprocher; la loi qui fait sortir l’intérêt général de ia collection des intérêts particuliers ; la loi, enfin, sans laquelle il n’y aura jamais d’agriculture. Sous ce titre, le comité a cru devoir comprendre le libre choix du propriétaire dans les productions de la terre; la liberté inattaquable des moindres agents de l’agriculture dans leurs opérations habituelles; la liberté de vendre ses denrées, soit chez soi, soit dans les marchés publics ; le droit d’y mettre le prix que l’abondance et la concurrence seules fixeront. Vous avez senti, Messieurs, dans vos décrets sur la libre vente et sur la circulation libre des blés, que le législateur était le maître de borner ou non cette vente et cette circulation à l’intérieur du pays soumis à ses lois ; mais vous avez été convaincus que ia vente et la circulation devaient y jouir d’une liberté indéfinie. Rien n’est plus sage que ce principe, duquel, en nulle occasion, et dans le danger même, vous ne vous êtes jamais écartés. En effet, si, n’écoutant que votre sensibilité extrême pour le pauvre, vous eussiez jamais adopté l’idée d’approuver qu’on taxât les grains, vous eussiez donné aux fainéants et aux vagabonds le droit de taxer la main-d’œuvre des cultivateurs, et d’en profiter d’une manière abusive; vous eussiez amené les hommes laborieux à craindre le travail, à concevoir cette idée antisociale, qu’il ferait aussi malheureux de devenir riche que de rester pauvre; et vous eussiez préparé rabattement des colons, la disette du royaume, une diminution irrémédiable dans la population, et le bouleversement de toutes les fortunes. C’est par une culture libre, un commerce indépendant; c’est par les soins, l’activité, c’est par l’abondance née de vos sages lois rurales que vous parviendrez à maintenir les subsistances du peuple à un prix modéré, à lui ôter toute inquiétude déplacée, et à lui laisser cependant ce désir que tous les hommes ont d’améliorer leur sort : penchant précieux qui ranime le courage, éclaire l’industrie, et qui, lorsqu’il est accompagné de quelque espoir, est déjà le bonheur même. Sous ce même titre constitutionnel est comprise la vaine pâture, objet digue de fixer l’attention de l’Assemblée. La vaine pâture eut sans doute pour but, dans l’origine, le soulagement des pauvres colons; elle fut le glanage de l’herbe, ou elle fut encore une espèce d’extension des communaux; mais elle n’est que trop devenue une affaire importante de calcul pour les gros fermiers, et une source de dévastation au détriment des petits propriétaires, qui ne peuvent avoir qu’un troupeau peu nombreux. Sou bienfait s’est dénaturé, et ses vices, surtout dans les provinces pastorales, sont parvenus à leur comble. H en résulte des pertes inévitables, même pour le propriétaire soigneux. Les troupeaux étrangers les uns aux autres se communiquent souvent des maladies dangereuses, eu broutant l’herbe du même pâturage. Cet usage fait naître mille contestations; il prive le propriétaire et le colon des moyens de tirer tout l’avantage possible de l’exploitation de leurs terres, et de ceux de payer avec exactitude et facilité les impositions diverses. Il attaque en un mot dans son principe, sans nécessité et sans dédommagement, le droit naturel et constitutionnel de propriété, et il rend le subside injuste. La nation peut-elle avec équité, en effet, asseoir une imposition sur les terres, si elle ne délivre point le cultivateur de tous les obstacles qui arrêtaient l’industrie? Si vous croyez, Messieurs, devoir conserver la vaine pâturé en quelques parties, et avec de grandes modifications, ce ne sera sûrement que comme une loi de bienfaisance pour les pauvres seuls. La liberté du cours des eaux sera un autre article de l’indépendance du sol. La nature a créé les ruisseaux et les rivières pour vivifier le globe. Le cours des eaux est dans le grand corps de la terre, suivant la juste idée de l'auteur d’un mémoire qui a pour devise : Laissez couler Veau , le cours des eaux, dis-je, est dans l’univers terrestre, ce qu’est la circulation du sang dans le corps humain. Si vous arrêtez les fluides, vous détruisez dans l’homme le principe de la vie, et sur la terre vous causez des engorgements, vous faites extravaser les eaux, et vous créez des marais pestilentiels, fléaux de l’agriculture et de l’humanité. Le partage des communaux fait aussi une partie essentielle de l’indépendance du sol. Ces terrains appartenant à une multitude de citoyens qui ont les mêmes intérêts, et n’ont pas la même volonté, il s’ensuit que la liberté individuelle est gênée, et que le sol est enchaîné; il s’ensuit que l’industrie est exilée de ces cantons, et qu’ils sont condamnés à la stérilité, ou à uue très faible production. Une obligation de l’Assemblée nationale est de ne rien négliger de ce qui peut contribuer à l’augmentation des subsistances; ainsi elle doit faciliter et autoriser le partage des communaux, selon les règles de la justice, de la pru? 412 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 août 1790.J douce, et suivant les vues primitives de cette antique et fraternelle institution. Ce qui tient encore au même principe d’indépendance, sont les lois sur la police des campagnes, sur la durée des baux, sur toutes les clauses du contrat entre le propriétaire et son représentant, le fermier. Chaque propriétaire doit être incontestablement le maître de faire valoir son bien comme il l’entendra, et de se faire représenter par qui et comment il voudra. Ce qu’il importe au législateur, c’est que la convention entre eux soit juste, c’est que la culture soit bonne, c’est que les conditions du contrat n’empêchent point le représentant du propriétaire d’en remplir les devoirs. Ainsi, lorsque l’Assemblée nationale portera les regards sur l’agriculture, ce sera toujours pour briser quelques-uns de ses fers. Ainsi, lorsqu'elle diminuera les frais des baux, ou qu’elle permettra de les prolonger sans augmentation de frais, elle favorisera 1a liberté des campagnes ; ainsi, toutes les lois que vous ferez à cet égard, Messieurs, n’auront pour but que de consolider l’indépendance du sol. Après avoir donné une idée de la manière dont le principe sera traité, je dois expliquer comment le comité a envisagé les exceptions. Les entreprises immenses des dessèchements des marais rendront l’air de la France plus salubre, ouvriront des ateliers nationaux, tranquilliseront les ouvriers inactifs, et le défrichement de ces terres vierges produira une augmentation incalculable de subsistances. Ordonner ces améliorations si importantes en ces moments surtout, c’est, sous un aspect, rendre le terrain à sa véritable indépendance; car sa submersion fait son entrave. Mais obliger le propriétaire à faire des avances ou des sacrifices pour que les terrains soient mis en valeur, quoique l’intérêt public l’exige et que l’intérêt particulier lui soit subordonné, c’est réellement agir sur la liberté et sur la propriété, c’est une exception au principe constitutionnel, et le plus grand service que 1 Assemblée nationale puisse rendre à la France est de chercher à détruire cette exception. Une autre exception au principe est relative à l’extraction des mines et métaux. Le bien général l’exige. LVxploitation des mines de fer et les travaux des forges sont un des plus grands efforts de l’industrie de toute société perfectionnée. Arracher le fer des entrailles de la terre, lui créer des formes qui, variées à l’infini, doublent nos forces, protègent les lois et la société, agissent sur tous les arts et servent tous nos besoins : tels sont les heureux effets des mines de fer. Celles de charbon de terre viennent au secours des forêts dont la destruction accélérée par le luxe des villes et par les forges mêmes nous fait déjà redouter le moment où la marine et les édifices manqueront de bois de construction, où le pauvre citoyen sera dans l’impuissance de se procurer ce combustible. Les mines de cuivre sont aussi d’une extrême utilité, et celles d’or et argent ont, en outre de leur valeur véritable, un prix politique et conditionnel, encore plus important. Le bien général oblige donc que le propriétaire d’un champ où il se trouve de la mine, de quelque nature qu’elle soit, en souffre l’extraction et l’eDlèvement aux conditions prescrites par la loi. Les canaux, les grandes routes et les chemins vicinaux sont les communications des villes et des moindres hameaux. Sans elles, le «uperfiu d’un sol fécond ne serait que l’excès de l’abondance, et il n’y aurait point de correspondance entre le commerce et l’agriculture. Toute nation, sans communications faciles, est une nation barbare. Le jour où ces objets importants seront traités devant vous, Messieurs, la discussion s’étendra sur le corps des ponts et chaussées, sur la manière la plus économique de faire, d'entretenir et de planter les grandes routes, sur les ateliers patriotiques des chemins de bourg à bourg, de village à village, sur le régime de contribution que vous adopterez pour les canaux. Seront-ils payés par les seuls départements qu’ils fertiliseront, ou le seront-ils par les 83 départements? Mais ces questions sont prématurées; je dois me borner à vous prouver que tout propriétaire étant forcé, pour le bien général, de céder la partie de son terrain nécessaire à un canal, à une grande route ou à un chemin vicinal, malgré l’indemnité qu’il reçoit de la société de l’homme, la liberté et l’indé pendance du sol sont atteintes, et c’est encore une exception du principe. Les développements que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, Messieurs, ont paru suffisants à votre comité pour vous convaincre du principe et des conséquences; économe de vos moments, je n’ai plus que quelques raisons indispensables à ajouter. Vous êtes trop éclairés pour que ces exceptions affaiblissent le principe. Elles ne seront que conditionnelles, et disparaîtront en grande partie, si vous consacrez, dans le chapitre de l’indépendance du sol, que tout propriétaire aura de droit la préférence pour toutes les entreprises que le bien public exigera d’être faites sur tout son terrain. Je prie l’Assemblée nationale de remarquer comme le principe de l’indépendance du sol se trouve d’accord avec la liberté et l’égalité établies par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen; ainsi que cette liberté est bornée à tout ce qui nuit aux autres, ainsi que l’égalité est soumise aux diverses exceptions qui naissent de la force, de talents, des vertus, de la fortune, des places, de toutes les différences que la nature ou la société entraîne; de même l’indépendance du sol, dans ses productions, est modifiée par toutes les diverses exceptions d’utilité publique. Sans doute, un citoyen est égal à un autre, mais en chargeant la balance du cortège de ses vertus ; sans doute, un citoyen est libre, mais c’est pour être utile et pour faire le bien. Sans doute, un champ est indépendant, mais c’est pour produire. La société ne peut admettre aucune propriété protégée par les lois sans l'obligation tacite à la culture. La culture est le fondement inébranlable du pacte social : c’est sa première base physique, morale et politique. Cultiver sa propriété est de devoir rigoureux pour les propriétaires : c’est à ce prix qu’elle acquiert l’indépendance. Protéger, aider, récompenser le propriétaire et son représentant dans leurs découvertes utiles, c’est l’intérêt ou la reconnaissance de la patrie. Si un propriétaire ne fait pas toujours tout ce qu’il devrait pour la culture de sa propriété, il peut manquer de lumières ou de moyens ; le gouvernement pourrait souvent n’être pas à même de secourir ou d’éclairer les cultivateurs : il faut donc que la société se confie à l’intérêt particulier du propriétaire, et qu’elle le laisse agir sans perquisition et sans gêne. Pourvu qn’il agisse, il a rempli la condition sociale attachée à sa propriété. Son intelligence et ses moyens sont la mesure de ses devoirs. Vous-mêmes, Messieurs, vous avez tout fait pour inspirer à votre comité que l’indépendance du sol était le seul titre constitutionnel dans le code 413 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 août 1790.1 [Assemblée natioDale.1 rural, et le comité vous en doit l'idée. Tous vos principes, tous vos travaux, tous vos discours, tous vos projets nous ont paru marcher vers ce but. Par la suppression de la gabelle et ce la dîme, par l'anéantissement de mille privilèges oppresseurs, par le reculement des barrières aux frontières, par la suppression du régime vexatoire des droits d’aides, n’avez-vous pas, on n’aurez-vous pointconstammentbrisé quelques chaînes de l’agriculture et du commere-? Le comité n’a donc qu'adopté le principe que partout vous avez consacré, et il n’aura d’autre mérite que d’avoir gravé le dernier mot de l’inscription sur le monument qui est votre ouvrage. M. le Président. L’Assemblée va se retirer dans ses bureaux pour procéder à la nomination de son 'président. (La séance est levée à trois heures.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE JESSÉ. Séance du lundi 30 août 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. Gillet de La Jacqueminière, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. (Ce procès-verbal est adopté.) M. Malouet. Vous avez renvoyé hier à votre comité des colonies une adresse des habitants des Indes-Orientales, demeurant à Paris. Précédemment, vous aviez ordonné le renvoi à votre comité d’agriculture et de commerce de diverses pétitions relatives à l’évacuation de Pondichéry : je crois qu’il serait convenable que les deux comités s’occupassent ensemble de ces diverses réclamations. (Cette proposition est adoptée.) M. Dupont (de Nemours), président , fait connaître le résultat du second tour de scrutin pour la nomination du président de V Assemblée. M. de Jessé a réuni la majorité des suffrages pour la présidence. Il dit ensuite : « Messieurs, je n’avais eu l’honneur de vous promettre que du zèle, pour remplir les fonctions que vous m’avez confiées, et du courage pour maintenir votre dignité; je n’ai manqué ni de l’un, ni de l’autre; votre indulgence couvrira le reste. » M. de Jessé, nouveau président , prend le fauteuil et s’exprime en ces termes : « Messieurs, appelé par votre choix à l’hoDneur inestimable de prononcer vos déciets, d’être momentanément l’organe de la loi qui va régir l’Empire français, je vous prie de recevoir l’hommage de ma vive et respectueuse reconnaissance; je reconnais n’avoir point mérité ces boutés si flatteuses, et je me demande quelles qualités peuvent me les avoir obtenues, dans une Assemblée où tant de talents distingues, tant de vertus civiques appelaient votre préférence. Vous avez peut-être cru remarquer en moi, et vous avez récompensé avec munificence, quelque amour du bien et de la concorde, et une persuasion profonde que les révolutions commencées par le courage ne se consolident que par la modération. Ce sont vos sentiments; ils marquent déjà de leur empreinte la fia de vos travaux. C’est à vous qu’il appartient de montrer que, dans le champ de la victoire, le fort et le prudent s’arrêtent où le vainqueur ordinaire s’ensevelit sous son propre trophée. « Hâtez-vous, Messieurs, de faire parvenir à son achèvement cette Constitution si désirée; séparez-la de tout travail étranger; n’admettez même qu’avec la plus grande réserve celui qui ne serait qu’accessoire : ses ennemis seraient ceux qui voudraient l’étayer de toutes les parties qui peuvent la rendre parfaite; car, dans une époque où la nation française est affamée du bonheur qu’elle lui promet, tout ce qui n’est pas elle est contre elle : ni le temps présent, ni la postérité ne vous accuseront de n’avoir pas assez aimé la liberté, de n’avoir pas assez fait pour elle. Votre renommée est désormais hors du domaine des hommes et des événements. Vous avez posé des bases vastes comme le génie, immortelles comme le temps; vous laisserez dans votre Constitution un mode réparateur des défauts inséparables des conceptions humaines. Vous avez donc tout fait pour la France, vous avez tout fait pour le monde entier, qui attend avec une impatience avide le succès de votre sublime expérience. « Il serait ou compromis, ou détruit, si, par une marche rapide, vous ne parveniez à achever de démarquer les pouvoirs, l’ordre public, épouvanter les méchants dont l’espoir calomnie les temps de révolution, et rassurer les bons, seuls hommes avec qui les lois, ces tilles du ciel, aient voulu contracter alliance. Frappé de ces idées je payerai mon faible tribut à la chose publique, en essayant de hâter vos délibérations , autant que pourront le permettre l’importance de vos décisions et les principes de l’inflexible justice. Je succède à un homme dont les veilles ont de quoi nous instruire souvent et nous étonner toujours, et qui, dans plusieurs genres, a cherché à accélérer les progrès de l’ait social. La force de ses titres fait ressortir la faiblesse des miens, et sa richesse mon dénuement; mais si je ne me dissimule point combien la tâche que vous m’imposez est difficile, j’espère aussi que vos bontés, qui me l’ont prescrite, voudront m’aider à la remplir : je ferai sans doute des fautes; mais elles seront seulement d’esprit : mon cœur ne peut connaître que l’amour de la patrie, le désir de sa prospérité et i’abnégation de tout sentiment particulier devant l’irréfragable loi de la majorité de ses législateurs. (L’Assemblée vote des remerciements à M. Du-poni (de Nemours pour sa présidence). M. d’Estourmel fait lecture d'une lettre et d’une adresse des officiers, sous-officiers et cavaliers du régiment du commissaire-général de la cavalerie, portant adhésion à tous les décrets de l’Assemblée nationale, notamment à celui du 6 août dernier. L’Assemblée décrète que l’adresse sera honorablement mentionnée et que la lettre sera insérée au procès-verbal, ainsi qu’il suit : « Monsieur le Président, le régiment du commissaire-général de la cavalerie, au retour de ses députés à la fédération générale du 14 juillet (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.