m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1790.] quelques circonstances nous apportent de grandes lumières; nous avons appris, par de bons patriotes, qu’il existe un registre des décisions contenant jour par jour les sommes qui doivent se payer Nous avons demandé ce registre le 18 mars : le samedi saint, M. Necker nous a répondu que nous pouvions en prendre communication, sans déplacer, chez M. Dufresne de Saint-Léon, commis du Trésor royal. Lorsque vous aurez examiné le registre, disait M. Necker dans sa lettre, on vous donnera soit des notes, soit des copies des objets qu’il contient, après que j’aurai pris les ordres du roi. Nous devions aller le samedi suivant, à cinq heures, chez M. Dufresne de Saint-Léon ; le travail du comité nous retint jusqu’à sept heures. M. de Saint-Léon nousécrivit qu’il ne pouvait être chez lui, parce qu’il était obligé d’aller à un comité qui se tenait chez M. Necker. Nous nous rendîmes cependant chez M. de Saint-Léon; on nous dit qu’on ne savait où il était. Nous assurâmes qu’il devait être chez le ministre, et nous le fîmes demander. M. Necker nous� engagea à monter chez lui ; nous nous y rendîmes. Le ministre des finances nous répondit, sur l’exposé de la circonstance où nous nous trouvions: « C’est moi qui ai autorisé M. de Saint-Léon à ne pas se trouver chez lui ; vous avez imprimé le Livre rouge saus y avoir été autorisés par l’Assemblée ni parle roi. » L’un de nous observa que, quant à l’Assemblée, c’était à elle seule que nous devions rendre compte des motifs qui nous avaient fait agir; et que, quant au roi, nous ne sommes pas les représentants du roi, et nous ne lui devons aucun compte de la mission dont l’Assemblée nous a chargés. Après une assez longue conversation sur les entraves mises aux communications qui doivent être faites au comité ; après a voir rappelé les diverses circonstances dans lesquelles cette communication a été promise par le gouvernement et par le ministre lui-même, les commissaires ont observé à M. Necker qu’il avait fallu demander pendant trois mois le Livre rouge, et que l’on n’a encore obtenu que les originaux des bons des pensions qui existaient sous le ministère rie M. de Galonné... M. Necker est enfin convenu qu’il avait dit à M de Saint-Léon de sortir, parce qu’il espérait qu’ainsi nous ne prendrions pas communication du registre des décisions. Hier, sur une lettre du ministre, nous avons piis connaissance, chez M. de Saint-Léon, de deux registres et de plusieurs cahiers non reliés; nous y avons vu des choses assez singulières, entre autres la gratification accordée à M. de Vauvilliers; 6,000 livres par chaque mois données à M. de Duras pour la durée des Etats généraux; 30,000 livres au sénéchal de Rennes, pendant la tenue des Etats de Bretagne; une transaction relative à l’agiotage de 1788. Un de nos collègues copiait cette pièce. M. de Saint-Léon lui a observé que M. Necker nous avait écrit que nous ne pouvions prendre aucune note ni copie sans qu’il eût reçu sur cela les ordres du roi. Vous voyez, Messieurs, que, malgré vos décrets, les entraves mises à nos opérations augmentent au lieu de disparaître. Il serait à propos d’ordonner que les ministres seront tenus d’envoyer au comité des pensions, et à tous autres, les registres de l’administration, excepté les registres journaliers, pour en faire l’usage qui paraîtra convenable. M. Fréteau. 11 y a des objets très distincts dans la délibération actuelle. M. Necker demande, dans sa lettre, un crédit de 40 millions, au nom du roi. Ce nom sacré me rappelle au devoir de rendre publics l’équité, la sévérité et le désintéressement du monarque sur tout ce qui lui est personnel. Tandis que les ministres donnaient 30,000 livres par an à un intendant, sous prétexte qu’il lui fallait une table dans une petite ville voisine d’un port où l’on faisait des travaux, le roi refusait de consentir à une nouvelle taille de diamants de la couronne, qu’il s’agissait de mettre à l’usage de' Leurs Majestés. A chaque page vous venez de nouvelles preuves des sentiments et des vertus du monarque... J’adopte la motion de M. Camus. On demande 40 millions; on les demande pour tout à l’heure; il est sans doute important d’en connaître l’emploi, et j’adopte sur cet objet la motion de M. Biauzat. Il y a, Messieurs, des choses extraordinaires. Nous avons les motifs les plus forts de penser qu’on ne presse pas le recouvrement des impôts, tandis que, dans quelques provinces, depuis longtemps, les paiements sont prêts à faire... J’insiste, et je demande que vous vous lassiez donner l’état de l’actif et du passif des caisses qui renferment le numéraire; sans cela la plupart de vos opérations seront illusoires... Dans la lettre du ministre, la réputation et l’intégrité de votre comité sont attaquées. Nous prouverons l’injustice d’un tel reproche..... M. Necker vous avait écrit que l’état de 66 millions sur les loteries était acquitté depuis longtemps, tandis qu’une lettre, adressée le 12 mars à un pensionnaire, parM. Dufresne, annonçait que la totalité des fonds réservés sur les loteries était reversée au Trésor royal. Le 12 de décembre, une personne très considérable écrivait la même chose: ainsi, pendant trois mois, on a dit aux pensionnaires qu’ils n’avaient plus rien à recevoir, et l’on est venu vous dire ensuite qu’ils étaient payés depuis longtemps. Cette contradiction n’est pas la seule; nous pourrons vous en montrer beaucoup d’autres: le ministère que vous nous avez donné est sévère; nous le remplirons, et nous vous prions d’attendre que nous nous justilions... (Une grande partie de l’Assemblée applaudit, et plusieurs voix crient: Vous Vêtes!) Je reviens à l’objet de la délibération, et j’adopte les propositions faites par MM. Camus et Biauzat. M. Dupont. Je ne veux faire qu’une observation particulière. M. de Vauvillier3 dirige depuis un an l’approvisionnement de la ville de Paris. 11 n’a que 1,500 livres que lui produit une chaire au Collège royal, ü est possible qu’ayant quitté sa maison et ses affaires, il ait des besoins pour lesquels on lui avait accordé une gratification de 5 000 livres : cette gratification n’est point une déprédation. M. Fréteau. Vous avez décrété que nul don, nulle gratification ne seraient accordés .sans vous consulter; c’est ce mystère, contraire à vos décrets, que nous avons dénoncé, et non la gratification, qui est sans doute bien placée. M. de Vauvilliers a sacrifié ses intérêts et son repos, pour s’occuper de la subsistance du peuple. M. le Président consulte l’Assemblée et le décret suivant est rendu : L’Assemblée nationale décrète que la lettre du premier ministre des finances, contenant demande de 40 millions, sera renvoyée au comité des finances, pour lui en rendre compte incessamment; Oue le premier ministre des finances remettra, dans le plus bref délai, à l’Assemblée nationale, lip état détaillé des dépenses à faire dans le pré- 633 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1790.] sent mois et dans le mois prochain, qui nécessitent ce secoursextraordinaire, ainsique des fonds dont on doit présumer la rentrée ou craindre le déficit dans ces deux mois; ensemble l’état effectif des deniers existant dans les différentes caisses du Trésor public, et des impositions directes sur lesquelles il y aurait retard de paiement ou de remise, soit de la part des provinces, soit de la part des receveurs généraux. Décrète, en outre, qu’en conformité de ses précédents décrets, sanctionnés par le roi, lous les registres de recette et dépense relatifs à l’administration des finances, notamment ceux connus sous le nom de registres de décisions, ceux des ordonnances sur le Trésor public, et toutes autres pièces qui seront demandées par les comités, leur seront envoyées pour en prendre la communication libre et telle qu’ils aviseront, à l’exception des registres actuels et courants qui sont d’un besoin journalier pour le service des bureaux, et des feuilles originales qui ne sauraient être déplacées sans danger ou sans retard pour l’administration. M. Pison du Galand. Je fais la motion que le comité des linances soit spécialement chargé de prendre une connaissance détaillée des états annuels de recettes et de dépenses depuis et y compris l’année 1789, et d’en mettre le résultat sous les yeux de l’Assemblée. M. de JHontesquiou observe, à cet égard, que plusieurs décrets antérieurs ont pourvu suffisamment à l’objet de cette motion. Il demande l’ordre du jour qui est prononcé. M. Barrère de Vieuzac fait un rapport, au nom du comité des domaines, sur la vente et l'aliénation des domaines de la couronne { 1). Messieurs, l’Assemblée nationale a décrété, le 19 décembre 1789, qu’il serait aliéné jusqu’à concurrence dequatre cents millions des biens du domaine et du clergé, pour êire employés à l’amortissement de la dette publique et à la garantie des nou veaux engagemen ts de la caisse d’escom pte; ainsi, l’ancien principe de l’inaliénabilité du domaine paraît avoir été anéanti, sans avoir été discuté. Nous sommes loin de défendre aujourd’hui une maxime que l’on avait regardée dans d’autre temps comme utile pour la conservation des domaines, et qui peut être considérée, dans l’état actuel des choses, comme inutile. Mais nous avons cru qu’il n’aurait pas été conforme aux vues de sagesse qui président à vos décrets, de la révoquer sans l’avoir discutée, et de ne la décider que par le simple fait. Nous observerons donc qu’un principe, consacré par le vœu de plus de dix assemblées d’Etats généraux, méritait que l’on employât quelques instants à le discuter, parce qu’il était important d’en démontrer les inconvénients, et qu’il était essentiel de bien détruire l’opinion ancienne, pour bien fixer la confiance publique et pour rendre l’aliénation plus avantageuse. Quand il s’agit de détruire, même ce que l’on pourrait appeler ou une vieille erreur affermie par huit ou neuf cents ans d’habitude, par bien exprimé d’une foule d’Etats généraux et par un grand nombre de lois célèbres, il paraît nécessaire d’apporter de la réflexion et de la maturité dans la révoca-(1) Lt Moniteur ne donne qu’un sommaire du rapport. tion, afin que l’on ne craigne point de voir rétablir, par une législature postérieure, un préjugé que l’Assemblée actuelle n’aurait détruit qu’im-plicitement, sans abroger une foule de lois antérieures très solennelles. Nous ajouterons que le décret qui a été rendu exigeait plus de précision. En effet, il fallait révoquer formellement les anciennes lois, motiver cette révocation, et prononcer que les aliénations ordonnées seraient faites à titre incommutable et perpétuel. Il est certain que décider vaguement qu’il sera aliéné des domaines, ce n’est pas détruire le principe de l’inaliénabilité d’une manière exnresse, puisque, dans différents temps et par différentes lois, l’aliénation du domaine a été ordonnée, quelquefois même à perpétuité; mais toutes ces aliénations ont élé considérées comme toujours révocables : ainsi, le mot aliénation, simplement énoncé dans le décret de l’Assemblée nationale, n’est pas suffisant pour décider positivement que le domaine est aliénable. Examinons donc si la nation doit et peut aliéner. Pour y parvenir, nous discuterons d’abord les principes établis par les ordonnances du royaume sur les domaines, et nous espérons de démontrer la nécessité de changer la maxime de l’ina-liônabilité qui a été jusqu’à présent en vigueur. Nous vous présenterons ensuite le tableau des propriétés domaniales actuellement disponibles et aliénables. PREMIÈRE PARTIE. Sur la maxime de V inaliénabilité des domaines. C’est une vérité générale, fondée sur l’expérience dans l’administration des choses publiques, que les frais de régie absorbent presque toujours une grande partie du produit. L’administration des domaines corporels ou territoriaux doit réunir encore plus de vices et d’inconvénients que les autres administrations publiques. D’abord on répare peu et à grands frais ; ensuite des formes dispendieuses sont nécessaires pour constater, ordonner, vérifier et recevoir les réparations. Quant aux frais, le roi a cette préférence bien marquée, qu’ils sont plus considérables et plus chers pour lui qu’ils ne le seraient pour des particuliers. S’agit-il du revenu? tont concourt à l’atténuer. Les baux à ferme sont passés par des préposés qui n’ont jamais vu les biens qu’ils afferment, ou qui ne les connaissent que très superficiellement. Les baux sont à terme fixe. Le fermier, qui s’attend bientôt à voir expirer son bail, ou qui voit sans cela une éviction possible par don, échange, apanage ou engagement, cultive sans intérêt, n’améliore jamais et détruit prevue toujours. Tels sont, sans douie, les motifs qui ont atténué le revenu des biens domaniaux corporels, tandis que toutes les autres terres procurent des accroissements successifs dans le revenu et dans le prix ; les conserver dans cet état d’administration et d’inaliénabiiité, ce serait priver le Trésor public de toutes les augmentations de valeur dont cette portion de biens est susceptible dans la main des particuliers, au moyen des ventes. Un motif plus puissant encore est pris de l’insuffisance évidente des domaines, pour la dépense ordinaire de nos rois. Dans l’état actuel, le domaine et les bois doi-