[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 février 1790.] 439 M. le Président consulte l’Assemblée et prononce ensuite les deux décrets dont la teneur suit: Premier décret. « L’Assemblée nationale décrète que tous possesseurs de bénéfices ou de pensions sur bénéfices, sur les économats, sur le clergé général, sur celui des diocèses ou sur des biens ecclésiastiques quelconques, à quelque titre, que ce soit, même les chevaliers de Malte , de Saint -Lazare et autres, les chanoinesses , et toutes personnes enfin sans exception, seront tenus, dans le mois de la publication du présent décret, de déclarer devant les officiers municipaux de la ville où ils se trouveront, ou de la ville la plus prochaine, le nombre et le titre des bénéfices qu’ils possèdent, et le lieu de leur situation, ainsi que toutes les pensions dont ils peuvent jouir, soit sur d’autres bénéfices, soit sur les économats, soit sur le clergé, sinon et faute par eux de faire ladite déclaration, qu’ils seront déchus des bénéfices et pensions qu’ils auront omis de déclarer. « L’Assemblée nationale décrète, en outre, que les officiers municipaux, devant qui lesdites déclarations seront faites, seront tenus d’en tenir registre, et de les renvoyer à l’Assemblée nationale, dans la huitaine du jour où elles auront été reçues. « Décrète pareillement que les membres de l’Assemblée nationale, possesseurs de bénéfices ou pensions, pourront faire leurs déclarations au comité ecclésiastique, et qu’au surplus, elles seront toutes faites sur papier libre et sans frais. » Deuxième décret. « L’Assemblée nationale ajourne la motion du comité ecclésiastique, sur les religieux, à jeudi prochain, et néanmoins décrète, dès à présent, et en attendant des suppressions plus considérables, la suppression d’une maison de religieux de chaque ordre dans toute municipalité où il en existe deux, de deux maisons dans toute municipalité où il en existe trois, et de trois dans toute municipalité où il en existe quatre ; qu’en conséquence la municipalité de Paris indiquera dans la huitaine, et les assemblées de département indiqueront aussitôt après leur formation celles desdites maisons qu’elles préféreront de supprimer en vertu du présent décret, pour les emplacements en être aussitôt mis en vente, en exécution et conformément au décret du 19 décembre dernier. » Le surplus de la motion est ajourné à jeudi prochain. M. le Président lève la séance, et indique celle de demain à l’heure ordinaire. ANNEXE A LA SÉANCE de l'Assemblée nationale du 5 février 1790. MOTION DE M. MALOUET, SUR LE DISCOURS DU ROI, telle qu’elle devait être prononcée et telle qu’elle a été imprimée el distribuée. Trois objets principaux, Messieurs, m’ont frappé dans le discours du Roi. Sa Majesté s’est assoeiée d'une manière plus intime aux travaux de l’Assemblée nationale , à la constitution, c’est-à-dire que tous les pouvoirs, toutes les forces de la nation concourent aujourd’hui à la même fin, qui est la liberté, le bonheur de tous, l’empire unique de la loi. Dès lors, Messieurs, toutes les défiances sont désormais contraires au but que vous vous proposez, toutes les divisions, toutes les exagérations dangereuses. Quel doit donc être le premier et le plus salutaire effet de la déclaration du Roi ? C’est de rétablir la confiance dans tous les cœurs, comme elle doit y porter l’espérance. C’est d’étouffer tous les germes d’inimitié et de ressentiment; c’est d’effacer les soupçons, et de faire disparaître au milieu de nous les barrières qui nous séparent de la vraie liberté, de son esprit, de ses principes et de ses mœurs ; je veux parler de ces formes inquisitoriales qui alarment une partie des citoyens, sans faire le bonheur d’aucun, car aucun de nous ne s’intéresse au bonheur des méchants. Le second objet remarquable dans le discours du Roi, est la touchante exposition des désordres qui affligent le royaume, et la nécessité d’y pourvoir. Je sais que la liberté vaut la peine d’être achetée; mais vpus savez, Messieurs, que son illustre défenseur, Rousseau la croyait trop payée par le sang d’un seul citoyen. Sans doute la liberté commande des sacrifices ; mais ce n’est pas celui de l’ordre, des mœurs, des droits les plus sacrés de la société. Les sacrifices qu’elle exige, ceux qui lui sont utiles, participent au caractère auguste qui lui appartient : elle ne retranche de nos jouissances que pour y ajouter ; et ses bienfaits les plus précieux sont toujours à côté des privations qu’elle sollicite. Mais la licence, Messieurs, les violences de la cupidité, celles de l’orgueil, de la vengeance, la violation de tous les droits... Ah ! tous ces fléaux qui désolent plusieurs de nos provinces, ne sauraient être les précurseurs nécessaires de la liberté des Français... Et qu’il me soit permis de vous le dire, Messieurs, il n’entre ici que des hommages ; mais l’inquiétude est à la porte, et cette tribune doit être l’asile de toutes les vérités. Si le calme ne se rétablit promptement, si les lois éternelles de l’ordre et de la justice sont plus longtemps méconnues, en vain vous en feriez de nouvelles. Il me semble que nous sommes tous pénétrés à cet égard du même sentimentt et tenus aux mêmes degrés ; car en apercevant le mal, nous ne pouvons nous dissimuler que le remède est dans nos mains. Jamais l’autorité royale, dans sa pureté, et l’excellent prince qui en est dépositaire, ne vous ont été suspects. Ce sont les agents du pouvoir exécutif que vous avez redoutés; ce sont leurs anciennes habitudes, leurs prétentions, leurs usurpations que vous avez voulu effacer, et cela est fait aujourd’hui. Mais convient-il à la nation, à son 440 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] bonheur, à son repos, au succès de vos travaux, de prolonger cette nullité du pouvoir exécutif; et serions-nous excusables de le faire, lorsque le chef suprême de ce pouvoir se plaît à montrer des dispositions aussi conformes aux principes que vous avez consacrés? Non, Messieurs, je vous en conjure au nom de la liberté même, ne nous permettons pas de plus longs délais pour rétablir l’action de la force publique. Et si l’ordre du travail du comité de constitution ne met point encore en délibération les divers articles constitutionnels du pouvoir exécutif, hâtons-nous de livrer au Roi, qui se livre à nous avec tant de candeur, tous les moyens de mettre en action l’autorité pour le rétablissement de l’ordre et le maintien des lois. Ici, je cherche les difficultés, j’appelle les objections, je demande ce que la prudence nous conseille, ce que la nécessité des circonstances commande; j'examine enfin le vœu de nos commettants, leurs instances répétées pour obtenir une autorité protectrice; partout je vois le nom du Roi chéri et invoqué à côté de la liberté dont il est aujourd’hui le garant, comme il en fut le premier promoteur; partout je vois le besoin de cette autorité, et la liberté compromise, si elle ne se manifeste. La troisième partie du discours du Roi, qui m’a paru solliciter toute votre attention, est ce que le Roi vous dit et vous conseille sur l’état des finances. Si nous ne mettons la recette de niveau avec la dépense, point de crédit, point de circulation, moins d’activité dans les échanges, dans toutes les spéculations du commerce ; et de là tous les maux, tous les désordres qui tiennent à la disparition du numéraire, à la diminution du travail et des consommations, aux alarmes des capitalistes et des créanciers de l’Etat. Or, qu’avons-nous fait de réel jusqu’à présent pour rétablir les finances, et pourquoi différer de poser les bases d’un meilleur régime? Nous sommes accablés de mémoires et de projets sur les finances, il en est peu, il n’en est point peut-être qui présente un système complètement admissible; mais on trouve, dans plu-ïieurs, les notions et les principes qui peuvent nous conduire à en adopter un. Je sais que le comité des finances, livré à un travail infatigable, s’est constamment occupé de remplir la mission qui lui est confiée ; mais je ne peux dissimuler mon étonnement, qu’il ne nous ait pas encore présenté un état exact et précis de notre situation et de nos ressources. Nous avons la certitude d’un nouveau déficit dans la recette des impositions indirectes, telles que la gabelle, les aides et les traites. A combien se monte-t-il ? Quels moyens sont préparés pour y suppléer, sur quels calculs se fonde la recette de cette année? La solution de ces questions est indispensable pour fonder le crédit et rétablir la circulation, mais l’ordre dans les finances et le retour du crédit dépendent essentiellement, comme le Roi vous l’a dit, d’un gouvernement bien ordonné, d’une perception exacte des revenus, de la protection des propriétés, de la sûreté des personnes et d’une autorité active pour la surveillance et la conservation de l’intérêt général. C’est d’après ces considérations, Messieurs, que Je crois rendre hommage à nos principes, à nos devoirs, au vœu de nos commettants, à la bienfaisance et à la sollicitude du monarque, en soumettant à votre examen le projet de décret suivant : I. L’Assemblée nationale, croyant devoir à la nation l’exemple de la plus entière confiance dans les sentiments patriotiques que Sa Majesté lui a manifestés dans sa séance du 4; partageant les justes sollicitudes du Roi sur les désordres qui affligent le royaume, et ne voulant point attendre, pour y pourvoir, la discussion et la délibération des divers articles constitutionnels qui régleront toutes les parties du pouvoir exécutif, supplie le Roi de donner tous les ordres et de prendre les mesures les plus efficaces pour la protection des propriétés et la sûreté des citoyens. II. L’Assemblée nationale ordonne, en conséquence, que tous les corps administratifs et militaires exécutent ponctuellement les ordres qui leur seront adressés par Sa Majesté, contre-signés par un secrétaire d’Etat. III. L’Assemblée nationale déclare que toute résistance aux ordres du Roi, ou leur inexécution non motivée sur la violation constatée des décrets constitutionnels, seront punies comme forfaiture et que toute insubordination dans l’armée de terre et de mer doit être jugée et punie conformément aux ordonnances militaires. IV. L’Assemblée nationale, indissolublement unie à la Constitution et au Roi, par le serment que tous ses membres ont renouvelé, n’ayant plus rien à craindre pour la liberté publique, qui est désormais sous la garde du monarque et du peuple français, révoque et abolit son comité des recherches, et tous ceux qui pourraient être établis dans différentes villes du royaume. Je propose, par un décret particulier, l’article suivant : « La paix et la prospérité du royaume dépendant essentiellement du rétablissement du crédit public et d’un ordre constant dans les finances, l’Assemblée nationale ordonne à son comité des finances de lui rendre compte incessamment du déficit constaté dans la recette des impositions pendant les six derniers mois de 1789, et des moyens préparés pougussurer la balance des recettes et des dépenses. » 5 février 1790. Signé : MâLOUET. ASSEMBLEE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du samedi 6 février 1790, au matin (1). M. le Président annonce que la lecture du (1) Getle séance est incomplète au Moniteur.