572 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1790. le roi avait ressentie de sa valeur et de son intrépidité. Pendant quinze ans ce brave homme fat oublié ; mais aux approches d'une guerre nouvelle, M. de Pezay, inspecteur général des milices gardes-côtes, ayant eu le bonheur de le distinguer dans la foule de ses modestes et intrépides compatriotes, lui accorda, en 1777, une gratification de cent cinquante livres, réduite à cent livres en 1778, et convertie, le premier juillet 1779, en une pension annuelle de cent livres sur le Trésor royal. Ce brave homme me désavouerait à l’instant, Messieurs, si je sollicitais de votre générosité une récompense pécuniaire; sa grande âme ne cherche que l’honneur; mais celui qui peut le flatter davantage en ce moment, est de renouveler devant vous le serment civique, dont la formule était gravée dans son cœur, même avant la renaissance de la patrie : je vous supplie de vouloir bien le lui accorder. (Des applaudissements multipliés de toutes les parties de la salle accueillent ce brave homme.) M. le Président répond : Monsieur, les applaudissements que vous venez d’entendre vous prouvent assez que le courage et la vertu ne sont jamais mieux honorés que par une nation libre. Jouissez de ce premier avantage, en attendant les récompenses d’une autre nature qui vous sont dues. L’Assemblée nationale vous permet d’assister à sa séance. (L’Assemblée décrète, àp’unanimité, que la motion de M. de Gussy sera envoyée au comité des pensions, et qu’elle sera imprimée.) M. le Président fait prêter ensuite au brave Cabien le serment d’être fidèle à la loi, à la nation, au roi et de maintenir de toutes ses forces la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi. M. Dubois-Crancé . La position actuelle du régiment de Ghampagne, en garnison à Hesdin, pourrait donner quelques inquiétudes, relativement à l’exécution du décret que vous avez rendu au sujet de ce corps. On pourrait prévenir des événements fâcheux et rappeler aux soldats l’intention que l’Assemblée a toujours eue de leur faire rendre justice, en adoptant le projet de décret que j’ai l’honneur de vous présenter : « L’Assemblée nationale décrète que le décret qu’elle a rendu le 31 du mois d’août dernier aura son exécution entière pour l’examen des moyens qui ont été employés pour l’exécution de son décret, concernant le régiment de Royal-Champagne, en garnison à Hesdin, en date du 7 août dernier. « Eu conséquence, l’Assemblée nationale décrète que son Président se retirera sur-le-champ par-devers le roi , pour le prier d’envoyer deux commissaires civils à Hesdin, à l’effet de prendre connaissance de tous les faits qui ont suivi l’exécution de son décret susdit, et en rendre compte à l’Assemblée nationale dans le plus court délai. » M. de Folleville. Je demande l'ajournement de cette affaire . M. Briois-Beaumetz. Le projet de décret qui vous t st proposé est un véritable ajournement, puisqu’il ne tend qu’à obteuir des lumières avant de statuer. Il n’y a donc aucun inconvénient à adopter le décret. M. le Président consulte l’Assemblée. Le projet de décret est adopté. M. Gossin, rapporteur du comité de Constitution propose un projet de décret concernant la municipalité de Tonneins qui est adopté, sans discussion, ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Constitution, décrète que, conformément au vœu des deux municipalités dont est composée la ville de Tonneins, chef-lieu d’un des districts du département de Lot-et-Garonne, et d’après l’avis du directoire de ce département, ainsi que de celui du district, ces deux municipalités seront réunies en une seule, qui portera le nom de Tonneins; qu’en conséquence les dénominations de Tonneins dessus et Tonneins dessous sont et demeurent supprimées. L’Assemblée nationale décrète, en outre, qu’afin que la ville de Tonneins renouvelle son maire et le procureur de la commune à la même époque que les autres communes, le maire et le procureur de celle de Tonneins ne resteront en place que jusqu’à la Saint-Martin de 1791 ; mais ie substitut du procureur de la commune, si la population en comporte, remplira ses fonctions pendant deux ans; et à la même époque de la Saint-Martin 1791, la moitié des officiers municipaux et des notables sera renouvelée par le sort; et pour l'exécution du présent décret, à laquelle il sera procédé sans délai, l’Assemblée renvoie au directoire du département. » M. le Président. L’ordre du jour est la dis - cussion du projet de décret sur l'organisation des archives nationales. M. Gossin, rapporteur , donne lecture des articles. M. Begnaud (de Saint-Jean-d' Angêly). Il serait important de n’organiser les archives que lorsqu’on organisera les bureaux ; la raison de ma manière de voir me paraît des plus simples ; il doit exister une communication entre vos bureaux et le grand dépôt ; vos bureaux ne sont point organisés, vous n’avez point d’idée d’ensemble; ma motion a été adoptée, dans une autre circonstance, par M. Gamus qui jouit de votre confiance dans cette partie. Je conclus à l’ajournement. M. Goupil. Révoquer en doute si une grande nation doit avoir des archives me semble une dérision. Existe-t-il une loi qui ait fait des bureaux qui sont les actes de l’hôtel de ville, un dépôt national? Je rappelle à cette Assemblée que la place de grand archiviste de la couronne a été réunie à celle de procureur général du Parlement de Paris. En Angleterre, la Tour de Londres est un véritable dépôt dont Rickmer a extrait dix volumes in-folio, formant le recueil des actes de la nation. Quant à l’objection qui est faite d’organiser les bureaux, c’est une vraie chimère. Lorsque la nation aura décidé qu’il y aura des archives, elle déterminera ie service des bureaux. Le chancelier d’Aguesseau, qui, à tous les talents, joignait l’amour de l’exactitude, voulut former un recueil de toules les pièces qui composaient les lois sur les eaux et forêts de France; non seule-(11 Voyez le rapport de M. Gossin, du 29 juin 1790, Archives parlementaires, tome XVI, page 561. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1790.J $73 ment, il ne put trouver les originaux, mais toutes les éditions se sont trouvées différentes ; il en fit demander des copies dans toutes les provinces : le parlement de Rouen put seul lui fournir le recueil qu’il demandait; le parlement de Rouen avait perdu un manuscrit de la coutume de Normandie; on le cherchait depuis vingt ans, lorsqu’il fut retrouvé dans une cave. M. de Foucault. Mon avis ne serait point de déposer les archives à l’hôtel de ville, mais dans le lieu d'où elles sortent, à la chancellerie. Ce qui est arrivé sous Louis XIV ne peut plus arriver. Les municipalités forment 46,000 dépôts d’archives ; les districts en forment 547 et les départements 83 ; ce nombre est plus que suffisant pour rassurer sur l’altération des décrets. Je considère donc le projet comme inutile : j’ajoute que la valeur de l’emplacement qu’on veut affecter aux archives est de plusieurs millions; il fauty joindre 6,000 livres pour letraitemeat de l’archiviste ; ce sont des sommes qui valent la peine d’être économisées. M. Brlois-Beaumetz. Le décret qui est en discussion vous a été présenté par plusieurs de vos comités réunis ; la chose publique est en souffrance; j’ai été chargé de veiller à la sûreté des actes et par cela même à portée de reconnaître la nécessité d’organiser un établissement où les inférieurs et les supérieurs ne savent à qui ils doivent obéir, où les employés ne sont pas sûrs de leur subsistance; je m’oppose donc à l’ajournement. (L’ajournement est rejeté.) M. le Président met aux voix l’article 1er qui est décrété en ces termes : « Art. 1er. Les archives nationales sont le dépôt de tous les actes qui établissent la Constitution du royaume, son droit public, ses lois et sa distribution en départements. » M. de Lachèze. Afin de faire taire la malignité, je propose d’introduire dans l’article 2 une disposition portant qu’aucun membre de cette Assemblée ne sera éligible à la place d’archiviste. M. Lavie. Je propose le rejet de cet amendement et je demande qu’il soit voté des remerciements à M. Camus pour les soins qu’il donne aux archives nationales. L’amendement de M. de Lachèze est rejeté. La proposition de M. Lavie est adoptée. L’article 2 est adopté ainsi qu’il suit : « Art. 2. Tous les actes mentionnés dans l’article précédent seront réunis dans un dépôt unique, sous la garde de l’archiviste national, qui sera responsable des pièces confiées à ses soins. » M. Gossin, rapporteur , donne lecture de l’ar-ticlé 3 portant que l’archiviste sera perpétuel. M. de Folleville. La perpétuité me paraît si contraire à l’amovibilité rapide des administrateurs, des juges, de toutes les fonctions que vous avez créées, que je ne puis m’empêcher de vous signaler cette contradiction dans vos actes. Dans un gouvernement libre, les places d’élection ne doivent pas être perpétuelles, sans cela elles deviendraient l’objet de la cabale et de la corruption. M. Lanjulnals. Afin d’exciter l’émulation et de soutenir l’exactitude, je propose de décréter que l’archiviste sera élu tous les six ans et pourra être réélu. Cet amendement est adopté et l’article est décrété ainsi qu’il suit : « Art. 3. L’archiviste déjà nommé et ses successeurs, exerceront leurs fonctions pendant six ans; à l’expiration de ce terme, il sera procédé à une nouvelle élection, mais l’archiviste existant pourra être réélu. L’élection sera faite par le Corps législatif au scrutin, et il faudra, pour être nommé, réunir la majorité absolue des voix ; eu cas de plaintes graves, l’archiviste pourra être destitué par une délibération prise pareillement au scrutin et à la majorité des voix. »> L’article 4 est adopté, sans discussion , en ces termes : « Art. 4. Indépendamment de l’archiviste, l’Assemblée nationale nommera, pour le temps de ses séances, et chaque législature nommera également pour le temps de sa durée, deux commissaires pris dans son sein, lesquels prendront connaissance de l’état des archives, rendront compte à l’Assemblée de l’état dans lequel elles seront, et s’instruiront de l’ordre qui y sera gardé, de manière qu’ils puissent remplacer momentanément l’archiviste, en cas de maladie ou d’autre empêchement ; auquel cas ils signeront les expéditions des actes. » M. Gossin, rapporteur. Voici la teneur de l’article 5 : « Art. 5. Le roi pourra nommer un commissaire chargé de veiller, concurremment avec ceux de l’Assemblée nationale, à la sûreté et à la conservation des archives. » M. Lanjulnals demande la question préalable sur cet article. (La-question préalable est adoptée.) M. de Folleville. Je demande, par amendement à l’article 6, que l’archiviste soit tenu des réparations locatives de son logement personnel. Cet amendement est adopté et l’article est rendu en ces termes : « Art. 6. L’archiviste sera tenu d’habiter dans le lieu même où les archives seront établies; il ne pourra s’en absenter que pour cause importante, et après en avoir donné avis aux commissaires ; il ne pourra accepter aucun autre emploi ni place, la députation à l’Assemblée exceptée ; il sera tenu des réparations locatives de son logement personnel. » M. Gossin. Je donne lecture de l’article 7. « Art. 7. L’ingénieur qui a travaillé sous les yeux du comité de Constitution, pour la division du royaume, demeurera attaché aux archivés nationales ; à son défaut, il sera remplacé par un ingénieur nommé par l’Assemblée, pour faire tous les travaux relatifs aux plans et cartes qui seront déposés aux archives, en ce qui concerne la division du royaume et les projets du cadastre. » (Après quelques observations cet article est rejeté.) M. Gossin lit l’article 8. M. Lanjulnals propose de réduire à deux le nombre des commis. M. Lavie demande que la nomination et la ré- {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 374 vocation des commis appartienne à l’archiviste. M. de Foucault propose de donner annuellement à l’archiviste la somme de 6,000 livres, moyennant laquelle il sera tenu des frais de commis et de bureau. Plusieurs membres demandent à aller aux voix. L’article 8 est décrété comme suit : «Art. 8. Le nombre des commis aux archives sera, provisoirement, de quatre personnes nommées et révocables par l’archiviste. Ils auront le titre de secrétaires-commis. L’un des quatre sera employé à travailler avec l’archiviste à l’enregistrement, au classement et à la communication des actes déposés dans les archives. Les trois autres travailleront aux répertoires, et feront les expéditions des actes qui seront demandés par l’Assemblée ou par ses comités. « Dans le cas d’un travail extraordinaire, l’archiviste pourra, de concert avec les commissaires, prendre le nombre de copistes qui seront nécessaires, et qui se retireront aussitôt qu’un travail forcé n’exigera plus leur présence ». M. le President. J’ai reçu de M. l’abbé Ray-nal une lettre dont l’un de MM. les secrétaires va donner lecture. « Monsieur le Président, « Oserais-je vous supplier de porter les témoignages de mon respect et de ma reconnaissance à l’Assemblée nationale? Son décret finit mes infortunes et fera la consolation de mes derniers jours. « L’ami courageux, qui a bien voulu vous exposer mes peines, vous a dit à la tribune qu’il s’était glissé des erreurs dans mes écrits. Cet hommage rendu publiquement à la vérité était dans mon cœur, et je rétracte sincèrement ce qui pourrait m’être échappé de répréhensible. « J’ai voulu poser, autant que mes faibles talents le permettaient, les bases d’une société bien ordonnée. La souveraineté dans le corps collectif d’une nation, la soumission entière à l’autorité légitimement établie par elle, la répartition égale et proportionnelle des contributions aux dépenses publiques, l’obligation commune à tous les citoyens d’y satisfaire, la modération dans les lois*, l’égalité des peines et des récompenses, la tolérance universelle pour les opinions religieuses, tels sont les principes que j’ai toujours avoués et toujours soutenus. « 11 n’y a que des hommes trompés ou de mauvaise foi qui aient pu attribuer à des maximes aussi saines les désordres qui causent les malheurs publics et qui font le tourment de ma vieillesse. Ils n’ont pu naître que des mauvaises mœurs, et leur durée ne dépend peut-être que de l’insuffisance des moyens pour les réprimer. « J’aime à penser que les Français, quels que soient leurs préjugés, ne tarderont pas à se rallier au véritable intérêt de la patrie, à une Constitution vainement désirée depuis les premiers siècles de la monarchie. A cette époque finiront nos calamités, à cette époque commenceront notre bonheur et notre gloire. « La renaissance des systèmes oppresseurs ne sera plus à craindre, le progrès des lumières et les profondes combinaisons de nos législateurs [4 septembre 1790.] ôteront tout espoir d’un succès momentané à l’ambition la plus effrénée. Je suis avec un profond respect, Monsieur le Président, Votre très humble et très obéissant serviteur, Raynal. » L’Assemblée ordonne l’insertion dans son prdcès-verbal de la lettre de M. l’abbé Raynal. M. le Président lève la séance à dix heures du soir. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 4 SEPTEMBRE 1790. Motion par M. Gossin, député de Bar-le-Duc, sur la nécessité d'établir des écoles nationales (1). Messieurs, lorsque de grands législateurs voulurent réformer un peuple, ils ne se contentèrent point d’avoir donné et fait adopter une Constitution, ils pensèrent que leur édifice s’écroulerait bientôt, s’ils ne l’appuyaient sur un fondement solide, sur l’éducation des enfants qui devaient vivre et se conduire selon les principes nouvellement reçus; ils savaient qu’il faut de nouvelles mœurs pour de nouvelles lois; que c’est l’éducation qui forme les mœurs, qui prépare une génération d’hommes disposés à chérir et à respecter le nouveau régime. Les enfants furent arrachés des bras paternels pour recevoir dans des écoles publiques, sous les yeux de la patrie, une éducation commune. Là, tous les exercices du corps et de l’esprit tendaient à former des hommes sains et robustes, des hommes sincèrement attachés à la Constitution de l’Etat; on leur apprenait la justice par une pratique habituelle, plus que par d’importunes et ennuyeuses leçons. Voilà ce que pensaient, voilà ce que faisaient d’anciens législateurs : que ferons-nous, à leur exemple ? Arracherons-nous les enfants à leurs parents , pour les transporter dans des écoles publiques, où la patrie se charge de les instruire? Non ; mais nous créerons une éducation nationale, pour fixer les principes que nous a fait saisir avec avidité le généreux enthousiasme d’une liberté nouvelle. La simple aurore d’un plus parfait gouvernement, d’un gouvernement fondé sur la loi, semble déjà avoir changé nos mœurs: mais ces mœurs s’effaceraient bientôt, et les anciennes habitudes, reprenant leurempire, viendraient assaillir le gouvernement et parviendraient à le renverser, si nous ne changions irrévocablement les caractères par une éducation faite pour la nouvelle Constitution. Jusqu’à présent nous n’avons pas eu d’éducation nationale; une volonté arbitraire et absolue nous gouvernait tous : on ne parlait au peuple que de nouvelles impositions à supporter, que de nouveaux droits à payer, et jamais des vrais principes du gouvernement. Loin de procurer les moyens de s’intruire, on les interdisait même : se réunir avec d’autres hommes pour raisonner sur les opérations politiques, était un crime ; il était défendu de parier, à peine était-il permis dépenser. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.