666 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j « ” Suit la lettre de la Société populaire des sans-culottes de Barbaste (1). La Société populaire des sans-culottes de Bar¬ baste, district de Nérac, département de Lot-et-Garonne, à la Convention nationale. « Barbaste, le 5 frimaire, an II de la Répu¬ blique une et indivisible. « Citoyen Président, « La Société régénérée des sans -culottes de Barbaste, ouvrit le 24 brumaire une souscrip¬ tion volontaire, pour améliorer le sort de ses frères d’armes. C’est pour t’apprendre les effets de son transport généreux, que nous sommes chargés de te tracer dans le langage de la vérité afin que tu puisses faire part à la Convention de notre dévouement à la chose publique; le républicain ne connaissant que la justice, n’em¬ ploie jamais dans ses phrases les termes dou-ceureux d’une .flatterie mensongère, aussi te disons -nous dans la simplicité du premier âge, que l’énergie que démontre la Convention dans cet instant critique, a généralement été approu¬ vée par notre Société, et que cette dernière, voulant arriver au même but, fait tous ses efforts pour mériter son approbation. Voici le récit succinct de ce qui se passe dans notre assemblée : Le désintéressement, depuis le 24 du dernier mois, est, dans notre Société,, à l’ordre du jour. Le pauvre et le riche, les pères et mères, l’artiste et le laboureur, depuis ce temps, dépo¬ sent journellement sur l’autel de la patrie leurs dons patriotiques et multipliés; c’est à l’envi les uns des autres que les ouvriers, harassés d’une journée fatigante, apportent avec gaité le produit de leurs peines et sueurs, et que le vieillard, accablé sous le poids de l’âge et des infirmités s’empresse de présenter, pour leurs petits enfants, l’offrande généreuse de quelques épargnes soustraites à leur pur nécessaire. Cette scène, autant attendrissante que majes¬ tueuse, se répète sans cesse à nos yeux depuis plus de huit jours, et sans relâche nous voyons avec admiration augmenter la masse d’une res¬ source aussi surprenante qu’extraordinaire; nous sommes grands en patriotisme, oui, c’est la seule chose dont nous osons nous flatter, mais sans rougir nous avouons encore que nous sommes très minces en facultés. Cependant le dépouillement est à son comble, et le citoyen tranquille dans son foyer, paye avec plaisir la sûreté dont il jouit de ce qu’il a de plus cher; l’or et l’argent, objet de la cupidité des hommes, se confond dans le détail immense des habits, souliers et chemises, l’autel de la patrie est sur¬ chargé et pour subvenir aux besoins les plus pressants de nos braves défenseurs nous pou¬ vons dire avec vérité que nous les mettons à leur aise. « Tel est, citoyen Président, l’exemple que la Convention nous donne, l’imiter est un devoir pour nous, et marcher sur ses traces nous méri¬ tera, dans la postérité la plus reculée le titre mérité de soutiens de la patrie. « L arn Aude, président ; Vidouze fils aîné, secrétaire ; Roussel fils, secrétaire. » Les administrateurs du département de la Loire-Inférieure envoient les discours prononcés par le citoyen Minée, évêque de ce département, lors de sa démission et de sa renonciation aux fonctions sacerdotales. Mention honorable, insertion au « Bulletin » (1). Suit la lettre des administrateurs du département de la Loire-Inférieure (2). « Nantes, 8 frimaire, l’an II de la Répu¬ blique une et indivisible. « Citoyens représentants, « Nous vous envoyons, dans les deux dis¬ cours ci-joints, les témoignages du patriotisme éclairé de notre président, ci-devant évêque de ce département. « Il justifie pleinement le choix qui avait été fait de lui, quoique membre d’une caste suspecte, pour un poste dont les circonstances actuelles augmentent beaucoup l’importance. Nous nous félicitons de pouvoir transmettre ces expres¬ sions d’une âme élevée au-dessus des préjugés qui, si longtemps, ont fait le malheur de l’hu¬ manité. « Ce feu qui anime cette belle âme, citoyens représentants, ne nous est point étranger, et s’il est pénétré d’admiration pour la Montagne célèbre que vous avez fondée, vers laquelle il marche à pas de géant, forts de nos principes sur lesquels nous mesurons notre élan, nous lui disputerons l’honneur d’arriver les premiers à la cime. » Les administrateurs du département de la Loire-Inférieure. « Brillaud; Picot; Haumont, Sainte; Kermen; L. J. Zimmermann, F. C. Cla¬ vier, procureur -syndic ; Gicquiau. » Département de la Loire-Inférieure. Extrait des registres du conseil du 27 brumaire, Van II de la République, une et indivisible (3). Séance publique du conseil. Présidait : Minée, et assistaient : Boulay, Gicquiau, Picot, Kermen, Brillaud, Haumont, Richard, Petit, Perron, Zimmerman, Colas, Elucre, Prudhomme, Saint, Bisson, Huet, Danghin, Duhoux, Hautbois, père, Guérin, Ringeard, Musset, Lavandaise et Donnet ayant avec eux Grelier, secrétaire général de l’administration. Présent : Clavier,- procureur -général syndic. (1) Archives nationales, carton C 285, dossier 833. (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 385. (2) Archives nationales, carton C 284, dossier 822. (3) Ibid. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. <§ �œmîfre'lÆ ' 667 Le procureur général syndic a dit : « Citoyens, « Depuis combien de temps la vertu était aux prises avec l’erreur ! Il était réservé au XVIIIe siècle de se faire jour au travers des pré¬ jugés monstrueux, enfants de la politique et de l’ignorance. Hier soir, à l’inauguration de Vincent la Montagne, au local de Sainte-Croix, nous la vîmes briller de tout son éclat dans la bouche de notre estimable chef, le citoyen Minée, ci-devant évêque du département de la Loire -Inférieure, Ce discours prononcé, vous vous en rappelez, citoyens, avec ce feu qui anime une belle âme, avec cet accent de la franchise qui fait son principal caractère, est marqué au coin de la plus saine philosophie. Propre à en propager les principes, à en faire sentir tous les avantages, ce discours, qui imprime le sceau de la la réprobation à toutes charlataneries sacer¬ dotales, ne peut avoir trop de publicité. Nous devons à la raison qui vient enfin habiter sous nos toits, de la faire lire sur tous nos murs. En conséquence, je requiers qu’il soit imprimé, affiché et envoyé à tous les districts et muni¬ cipalités du ressort. » * Le conseil, faisant droit au réquisitoire du procureur général syndic, a arrêté que le dis¬ cours prononcé par le président, à la séance de Vincent-la-Montagne, le 26 de ce mois, le lende¬ main de son abdication solennelle au départe¬ ment et du dépôt de tous ses titres, lettres de prêtrise et autres pièces qui constataient sa qualité de prêtre et d’évêque, sera imprimé, envoyé aux districts et municipalités du ressort, publié et affiché partout où besoin sera, afin que le peuple connaisse les motifs et les raisons du ci-devant évêque, et juge lui-même les supers¬ titions qui l’ont si longtemps avili. Fait en conseil, le 27 brumaire de l’an II de la République une et indivisible. Signé : Boulât, pour le président, et Pierre G-relier, secrétaire général. Minée, président du département de la Loire - Inférieure, à ses concitoyens. « Frères et amis, « Si, dans l’exercice du ministère auquel j’avais été appelé, j’eusse employé la fourberie, le manège hypocrite pour entretenir les erreurs d’un peuple crédule, nourrir ses idées supers¬ titieuses et perpétuer son ignorance, j’aurais à rougir, sans doute, en me présentant à cet autel de la vérité. « Mais j’y parais au contraire avec une tran¬ quille assurance et sans craindre de rencontrer les regards des citoyens qui se sont attachés à suivre mes instructions. « Ils ne me reprocheront pas de les avoir infectés de mystiques rêveries, de fanatiques maximes, de préceptes cénobitiques, de stupide idolâtrie. « Ils se ressouviendront d’y avoir trouvé presque partout le langage d’une saine philo¬ sophie accommodée, il est vrai, comme l’exi¬ geaient les circonstances, aux facultés com¬ primées, aux longues habitudes de ceux destinés à les entendre. « La nourriture de l’homme fait ne convient point à l’enfant sortant de la mamelle : il faut lui délayer avec le lait, que seul il a sucé encore, cette heureuse fécule qui, plus solidement éla¬ borée, deviendra par elle-même un jour le prin¬ cipal soutien de sa vie. « Je n’ai pas attendu, au reste, l’adolescence de mon auditoire pour lui distribuer le pain des forts. Après lui avoit fait d’abord goûter le charme des affections domestiques, de toutes les vertus sociales, j’ai su l’élever bientôt à la connaissance de ses droits politiques; l’amener à sentir sa dignité, son pouvoir, circonscrit uniquement par les bornes sacrées de la loi; et le prix inestimable de l’auguste liberté, seul digne objet de ses nobles hommages. « Je me suis efforcé de lui imprimer un grand caractère, de lui inspirer, en vrai montagnard, le mâle républicanisme; le rappelant sans cesse aux règles de cette aimable égalité distinctive des bons sans-culottes. « Le nom même n’en était pas encore inventé, et j’en pratiquais, j’en professais la morale : elle n’était pas du goût de tous, sans doute. Com¬ bien d’amères critiques, en effet, de misérables sarcasmes, de bénignes remontrances, de gros¬ sières injures, consignés en des lettres la plu¬ part anonymes; combien de calomnies, enfin, cette méthode peu -connue d’appliquer des fonctions religieuses à l’avantage de la Société ne m’a-t-elle pas attirées? « On a osé m’imputer de préconiser la guerre, en homme altéré de sang ! Ne vous étonnez pas, frères, c’est un échantillon de la dévote atro¬ cité. « Moi, du sang, malheureux ! Moi, qui ne respire que l’union, la douce concorde, la frater¬ nité universelle, moi, qui ne me console des mal¬ heurs qui nous assiègent que par l’idée, hélas ! trop chimérique de voir le genre humain entier ne former qu’une nation, une société, une même famille; jouissant des mêmes préroga¬ tives, participant au même bien-être, profes¬ sant le même culte, celui de la sainte liberté; car le Dieu de la nature n’a pas besoin d’autels : chaque honnête homme porte un cœur sur le¬ quel il sacrifie et lui présente en silence l’of¬ frande de ses vertus. « Je n’ai donc pas prêché la guerre, non; mais puisque des enfants dénaturés en font une horrible à leur mère, dont ils voulaient absorber tout l’héritage; puisqu’ils ont soulevé contre elle et leurs puinés qu’ils dépouillaient, tous les tyrans et leurs satellites, j’ai dû enflam¬ mer le courage de mes frères, les animer à la défense de la plus juste des causes, à consolider leur liberté et à conquérir la paix par la victoire, leur promettant au reste une gloire, une féli¬ cité immortelles, s’ils meurent combattant pour la patrie. « Si cette promesse était en partie vaine, si nos héros n’y trouvaient qu’une erreur, elle est trop douce, trop salutaire (je juge de leur âme par la mienne) pour qu’ils voulussent jamais me la faire rétracter. « J’en ai mêlé plusieurs sans doute à mes instructions civiques; je le confesse; elles n’é¬ taient pas épurées, telles qu’il m’est flatteur aujourd’hui de les pouvoir énoncer; mais (et je dois insister sur cette légitime excuse) eût-il été sage alors de les hasarder pures? Pouvais-je ainsi me promettre de les voir accueillies? Elles eussent révolté bien plutôt des esprits imprégnés de mille préjugés antiques. Il pa- 668 [Convention nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. \ rî fl1maii;e a“ “ î 5 décembre 1793 raissait indispensable d’en ménager quelques-uns pour combattre avantageusement les autres; et pouvoir successivement y substi¬ tuer les vérités dont l’ensemble ne devait pas manquer de les étouffer tous. « On blesserait grièvement des yeux faibles, longtemps retenus dans une obscurité pro¬ fonde en les exposant tout à coup à la face resplendissante du soleil; tandis qu’une douce lumière, peu à peu introduite, sait les accou¬ tumer à supporter sans danger la brillante clarté d’un beau jour. « J’ai dû ménager également les organes affai¬ blis d’un peuple enveloppé depuis tant de siè¬ cles des plus épaisses ténèbres; le préparer de loin à soutenir l’éclat du rayon étincelant que, pour illuminer à jamais, frères, votre société renommée a fait jaillir sur lui du sommet de la Sainte Montagne. « Qu’à la lueur bienfaisante de cet inextin¬ guible flambeau, il puisse toujours discerner la vérité du mensonge, écarter tous les noirs prestiges dont l’imposture et l’ignorance ten¬ teraient encore de l’entourer et marcher d’un pas ferme dans la route du bonheur que vous lui avez ouverte, appuyé sur les vertus solides que vous saurez lui faire connaître. « Nantes, le 27 brumaire, l’an II de la Répu¬ blique une et indivisible, « Minée. » Discours 'prononcé par Minée, président du département, à la fête civique célébrée en V hon¬ neur des martyrs de la liberté, le jour de la-3e décade de brumaire Van II de la Répu¬ blique française, une et indivisible (1). Républicains, Lorsqu’en 1789 nous jurâmes, pour la pre¬ mière fois, d’être libres, peu d’entre nous se doutaient où devait les conduire un tel engage¬ ment. On se sentait de toutes parts dans une position insupportable, on se retournait pour être mieux. Un mouvement général d’impa¬ tience commença la Révolution, et non cet élan magnanime d’âmes fières que le noble senti¬ ment de leur dignité soulève irrévocablement contre toute honteuse dépendance. Peu impor¬ tait à la presque totalité des Français le véri¬ table affranchissement de la patrie, et chacun ne tendait qu’à obtenir gratuitement, dans le nouvel ordre des choses, une situation plus commode. La Constitution de 1791 l’offrait très avan-geuse en effet aux riches, aux intrigants, à cette multitude d’êtres nuis, avides d’une domina¬ tion quelconque qui puisse les ériger en petits personnages. Us s’en saisirent avec empresse¬ ment, la vantèrent comme un chef-d’œuvre de sagesse, au peuple novice encore dans l’exer¬ cice de ses facultés intellectuelles, et se l’asser¬ virent légalement, en lui faisant embrasser le fantôme de liberté qu’elle lui présentait. Il ne devait pas tarder cependant à rompre ses nou¬ velles chaînes. Ses droits avaient été solennel¬ lement proclamés; do courageux amis s’appli¬ quaient infatigablement à lui en faire connaître (1) Archives nationales, carton G 284, dossier 822, l’étendue; ils n’avaient pas de peine à lui démontrer que la plupart des lois pour lesquelles on venait exciter son enthousiasme en étaient une violation manifeste; qu’un despotisme mitigé, mais consenti, qu’une aristocratie légale étaient infiniment plus dangereux que toutes les tyrannies anciennes appuyées uniquement sur de vieux préjugés, déjà très ébranlés par les puissants efforts de la philosophie. Le plus ardent, le plus intrépide de ces amis du peuple est celui que la Convention nationale, dérogeant à la loi sévère qu’elle s’était imposée, vient de proclamer grand homme, en lui décer¬ nant les honneurs de l’apothéose. Marat avait mérité cette distinction insigne, par l’iné¬ branlable constance, le courage indomptable avec lesquels il consuma sa vie à défendre la belle cause qu’il avait embrassée. Je ne vous retracerai point, frères, tous les travaux entrepris, les dangers affrontés pour les faire triompher de tant d’obstacles qu’oppo¬ saient à son zèle une multitude immense d’en¬ nemis cachés ou découverts : je dois m’occuper de la fête dont votre juste gratitude l’a fait le principal objet. Vous lui deviez cette réparation éclatante de tout ce que, spécialement en cette cité égarée, il reçut de sanglants outrages ; vous deviez venger son nom que la perfidie ou l’erreur vouèrent longtemps à l’opprobre, en le consa¬ crant solennellement à l’immortalité. Eh ! combien vous vous honorez, ô généreux sans -culottes, en vous ralliant à ce nom à jamais célèbre, comme à celui d’un fondateur, d’un chef, d’un patron vénérable. Vous lui en allierez cependant un autre, qui vous doit être bien précieux encore, puisqu’il vous retrace en grands caractères la sentence immuable prononcée contre les tyrans. Destructeur hardi des trônes, et l’un des principaux auteurs d’une constitution vrai¬ ment conforme aux droits de l’homme, Lepele-tier a mérité de partager avec Marat l’amour et le respect des républicains de tous les siècles, tous deux victimes de leur dévouement aux intérêts du peuple, leur mémoire lui doit être religieusement transmise d’âge en âge : il trouvera ainsi du moins, dans ces glorieux martyrs de la sainte liberté, des objets dignes enfin de ses profonds hommages. Trop longtemps il les prostitua à des vision¬ naires enthousiastes, à d’inutiles contempla¬ tifs, à des électeurs fanatiques; trop long¬ temps il divinisa la persécution, la fainéantise et l’ignorance. Le temps est arrivé où il ne saura plus honorer que les talents rehaussés par des vertus. La vérité, dévoilée par la philosophie, va rem¬ placer à ses yeux tant de pompeuses chimères, de rêveries mystiques, d’illusions vaines ou dan¬ gereuses qui les avaient fascinés. D’agréables solennités, juste délassement de ses travaux habituels, vont succéder à des fêtes lugubres et monotones. Des hymnes à la Patrie, à la gloire, à l’auguste liberté ranimeront, par leur vive et pénétrante mélodie, son cœur, qu’en¬ gourdissait le ton soporitif de ses cantiques langoureux ou ampoulés, et toujours bizarre¬ ment énigmatiques. Le doux langage .de la nature succédera dans sa bouche à ce jargon rebutant, que la rouille de l’ignorance monacale, a rendu rude et sauvage, et qu’un despote ultramontain le forçait de parler, sans l’enten¬ dre. L’intéressant éloge des libérateurs, des