[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1791.] m M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély). Il ne faut pas que Yk? semblée nationale ail l’air de rendre des décrets qui ne servent que d’épouvantails aux nations étrangères; il faut, quand elle s’est portée à en rendre de sévères, qu’elle ait la bonne foi, la loyauté de les rétracter, si elle croit s’être trompée, ou la juste sévérité de les faire exécuter. Cest le seul caratère qui convienne à l’Assemblée nationale et j’ose dire que c’est le seul qui en imposera à ses ennemis ; c’est souvent en montrant de la faiblesse qu’on les encourage et, certes, nous avons trop de moyens, nous avons trop de motifs de ne pas les craindre pour ne pas déployer, à leur égard, la fermeté qui convient si bien à une nation libre. Nos ennemis nous menacent, eh bien ! menaçons-les à notre tour. Je demande donc que M. Fréteau veuille bien demander au comité diplomatique sa dernière opinion relativement à M. de Condé. Il est un autre point sur lequel le comité diplomatique nous doit un rapport, c’est relativement au traitement qu’a reçu M. Duveyrier chargé d’une mission spéciale du roi. Il me semble que, sous tous les rapports, les agents de la nation française ont droit au respect et aux égards de tous les individus et de toutes les nations voisines dont nous traitons bien les envoyés. Je demande que ces deux rapports soient faits demain matin. (Applaudissements.) M. Salle. J’avoue que je suis surpris de ce que vient d’exposer M. Fréteau. Je suis membre des comités ; j'ai assisté à la première des conférences, et je crois que c’est la seule que les comités aient eue. A cette conférence, Messieurs, il avait été convenu que la politique de la France devait être ia justice; que les voies détournées ne lui convenaient pas; il avait été convenu que le ministre nous ayant fait passer la pièce officielle qu’on lui avait demandée, et celte pièce confirmant ce que M. Duveyrier avait dit, on devait proposer à l’Assemblée de décider que M. de Condé avait encouru les peines portées dans ce décret. Je m’attendais à ce que cette proposition soit faite à l’Assemblée. Je n’ai pas assisté aux conférences tenues depuis au comité. Je dois donc déclarer que je n’ai point de part aux mesures molles qu’on parait avoir adoptées. M. Fréteau-Salnt-Just. Il ne faut pas qu’on croie qu’il y a de la mollesse dans les délibérations prises par le comité', mais c’est d’après les considérations les plus sûres qu’on s’est déterminé aux mesures à proposer à l’Assemblée; si l’Assemblée veut les prendre aujourd’hui, elle en est bien la maîtresse. J’observerai toutefois qu’il est impossible de mettre à exécution le décret dont il s’agit, sans suivre les formes établies en pareille matière. M. Delavigne. Il ne s’agit pas ici de menaces réciproques, de mollesse ni de conférences de vos comités. Les comités n’ont plus rien à faire. Je soutiens que tout est fait par votre décret du 13 juin; il porte avec lui son exécution en cas de désobéissance ; le délai est expiré, il ne reste plus qu’à faire exécuter, par le ministre de l’intérieur, les dispositions pénales contenues dans votre décret. Je demande qu’il en soit fait lecture. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély). Je vous prie, Monsieur le président, de mettre ma proposition aux voix. M. Delavigne. J’insiste sur la représentation du décret. (Oui! oui 1) (L’Assemblée ordonne qu’il lui sera fait lecture du décret du 15 juin concernaut M. de Condé.) (Voir ci-après page 134.) Un membre remet sur le bureau 1 eprotès-ver-bal de la prestation de serment de toute la garnison de Montreuil-sur-Mer par-devant les officiers municipaux autorisés à le recevoir par les commissaires envoyés dans le département du Nord. (L’Assemblée décrète qu’il sera fait mention honorable de ce document dans te procès-verbal.) M. le Président. Une députation composée de trois ou quatre citoyens de la ville de Paris , porteurs d’une pétition revêtue de trois à quatre cents signatures, demande à être admise à la barre. M. Salle. Cette pétition est relative à la distribution et à l'échange des petits assignats. Ces citoyens étaient à recueillir des signatures, lorsque apprenant que vous deviez vous occuper aujourd’hui des petites monnaies, ils sont venus pour se présenter à l’Assemblée. (L’Assemblée ordonne que la députation sera admise à la barre). (La députation est introduite.) L'orateur de la députation s’exprime ainsi : « Messieurs, nous venons dénoncer à votre sollicitude l’abus le plus criant, le désordre le plus propre à renverser la chose publique. Pour faciliter la circulation des assignats et déjouer l’agiotage, vous avez décrété des petits billets de 5 livres, et une monnaie en cuivre dans une proportion suffisante pour changer ces petits bi Jets. >• Votre intention a été de secourir le pauvre, de vivifier le commerce, d’alimenter les manufactures et d’éloigner la classe indigente des manœuvres des ennemis du bien public, qui u’attendent que le moment de la détresse pour en faire un moyeu de désordre et de contre-révolution. « Messieurs, vos vues bienfaisantes sont trompées; les petits assignats et la monnaie de cuivre sont devenus la pâture des sangsues de l’Etat. Tant que leur trafic mercenaire u’a porto que sur les gens aisés, le mal a été effrayant; mais quand il porte sur le nécessaire du pauvre, ui sait où ce désordre peut porter la patrie ? Il urera tant que le numéraire ne tombera pas à la fois par tous les canaux dans la circulation, comme une rosée salutaire ; tant que la distribution n’en sera pas confiée à des mains pures. « En effet, vous attribuez la distribution des assignats aux caisses publiques. Au milieu de vos immenses travaux, vous avez pu être induits en erreur. Sont-ils donc si purs ces hommes instruits dans les anciennes compagnies des finances, ces payeurs de rentes qui forment encore aujourd’hui une compagnie malgré vos salutaires décrets et quand bien même encore ils seraient aujourd’hui des gens aussi estimables qu’ils ont été justement détestés dans l’ancien régime, quand bien même ils mériteraient aujourd’hui la confiance de l’Assemblée nationale, nous répondront-ils que leurs commis, que leurs caissiers, que tous ces agents subalternes, nourris dans l’ancienne fiscalité, accoutumés à l’agiotage, ennemis nés de vos sages décrets, et toujours avides de richesses à quelque prix qu’elles s’acquièrent, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (3 août 1791.] 133 ne sacrifient à un sordide intérêt la fortune publique? « Les petits assignats se vendent dans leurs caisses; ils peuvent s’y vendre impunément; au lieu de passer directement entre les mains des consommateurs, des rentiers, des créanciers de l’Etat, ils sont trafiqués par des gens d’affaires, par des fondés