SÉANCE DU 8 BRUMAIRE AN III (29 OCTOBRE 1794) - Nos 27-28 177 27 La Convention nationale, après avoir entendu [MENUAU, au nom de] son comité des Secours publics, décrète que, sur le vu du présent décret, il sera payé par la Trésorerie nationale, aux citoyens Nicolas Toussaint, Jean-Baptiste Toussaint et Jean-Louis Charlet, demeurant à Bethincourt, district de Clermont-Meuse [Clermont-en-Argonne, Meuse], acquittés par jugement du Tribunal révolutionnaire du 5 du présent mois et mis en liberté après cinq mois de détention, la somme de 500 L chacun à titre de secours et indemnités (68). 28 LECOINTE-PUYRAVEAU fait le rapport suivant : Je suis chargé par le comité des Secours publics d’intéresser votre humanité et de provoquer votre justice, pour la femme et le fils d’un homme mort sur l’échafaud. Les détails suivans vous mettront à même de juger si cette famille méritoit ses malheurs et si la loi deman-doit le sang qui a été versé. Le 13 frimaire de l’année dernière, le nommé Pierre Porcher, employé aux bureaux de la mairie, fut arrêté par ordre des administrateurs de police et traduit au Tribunal révolutionnaire : un acte d’accusation fut dressé contre lui et on l’y qualifia de domestique et secrétaire du ci-devant marquis de Bouthillier, en ajoutant qu’il étoit sorti avec lui du territoire de la République au mois d’octobre 1791 et qu’il n’étoit rentré qu’en juillet 1793. Porcher mis en jugement, interrogé, soutint qu’il n’avoit point été domestique ou secrétaire de ci-devant marquis de Bouthillier, il convint cependant qu’il avoit été à Aix-la-Chapelle avec le ci-devant marquis de Crussoles, au mois d’octobre 1791 ; mais il ajou-toit qu’il étoit rentré sur le territoire de la République aussitôt qu’il avoit pu connoître les lois sur les émigrés, qu’il s’étoit rendu à Lure, département de la Haute-Saône, et que là, mis en jugement, un jury militaire l’avoit acquitté, absous et mis en liberté, en audience publique, le 2 août 1793. Cette justification précise ne fut point admise, et, le 24 frimaire, le Tribunal révolutionnaire condamna Porcher à la peine de mort, et le même jour il fut exécuté. Le lendemain l’expédition du jury militaire dont avoit parlé Porcher, arriva; mais il étoit trop tard. Je tiens à la main cette expédition en forme qui prouve que Porcher n’avoit point émigré avec le ci-devant marquis de Bouthillier, et qu’il avoit été jugé et absous par un jury militaire, à sa rentrée sur le territoire de la République. Je m’interdis toute espèce de reflexions sur ce qui concerne l’homme qui n’est plus : je ne suis chargé de vous parler que de sa femme et (68) P.-V., XL VIII, 98-99. C 325, pl. 1365, p. 23, minute de la main de Menuau, rapporteur selon C* II 21, p. 19. de son fils, d’exciter votre humanité, et provoquer pour eux votre justice ; ils sont dans l’indigence, privés de toute ressource ; les faits que j’ai détaillés vous engageront sans doute à les secourir; ils n’ont pas mérité leur malheur. [PELET observe à cette occasion, que l’intention de l’Assemblée n’étant sûrement pas que les biens des condamnés injustement, ou par erreur, appartiennent à la nation, il convient que le comité de Législation propose une loi sur cet objet qui concilie l’intérêt national avec la justice due à tous les citoyens. Cette proposition est accueillie.] (69) [RAFFRON : Puisqu’il est reconnu que Porcher étoit innocent, je demande qu’il soit accordé à sa veuve une pension. GIROT-POUZOL pense que la consfication des biens de Porcher doit cesser. Le rapporteur du comité observe que la demande faite par Girot va être discutée dans la loi des émigrés.] (70) [Plusieurs membres se plaignent de la modicité de la somme; d’autres observent qu’il ne s’agit pas seulement d’un secours, mais de la réparation d’une erreur manifeste, puisque si le jugement de Porcher eut été reculé d’un jour, la condamnation n’eut pas eu lieu; en conséquence, la Convention renvoie au comité de Législation pour examiner si la confiscation des biens de ce citoyen doit être maintenue, et porte à 1 000 L le secours accordé à la femme et l’enfant qu’il laisse.] (71) Voici le projet de décret (72) : Après avoir entendu le rapport de [LECOINTE-PUYRAVEAU, au nom de] son comité des Secours publics, la Convention nationale décrète : La Trésorerie nationale payera à la citoyenne Dupars, veuve Porcher, pour elle et son enfant la somme de 1000 L, à titre de secours. Ce secours sera payé sur la présentation du présent décret (73). [L’Assemblée renvoie à son comité de Législation la proposition faite par Pelet, de charger ce comité de présenter une loi pour rendre à la circulation les marchandises de toutes espèces qui se trouvent sous le scellé dans les magasins, des déportés et condamnés, (69) J. Paris, n° 39. (70) J. Fr., n° 764. (71) Rép., n° 39. (72) Débats, n° 766, 550-551. Moniteur, XXII, 374; J. Mont., n° 16 ; J. Paris, n° 39 ; Rép., n° 39 ; Ann. Patr., n° 667 ; Ann. R. F., n° 38; C. Eg., n° 802; J. Fr., n° 764; Mess. Soir, n° 803, cette gazette attribue l’intervention de Lecointe-Puyraveau à Gossuin; J. Perlet, n° 767; F. de la Républ., n° 39; Gazette Fr., n° 1031; M. U., XLV, 137-138. (73) P.-V., XL VIII, 99. C 325, pl. 1365, p. 24, minute de la main de Le Cointre, rapporteur selon C* II 21, p. 19. Débats, n° 766, 551. Moniteur, XXII, 374. 178 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE et sur les moyens d’assurer les droits des femmes, des enfans et des créanciers. Elle renvoie au comité la proposition faite par un autre membre que la confiscation ne puisse avoir d’effet quand la teneur du jugement sera reconnue manifeste.] (74) 29 Après avoir entendu la lecture de la lettre du représentant du peuple Lacrampe, le décret suivant est rendu : La Convention nationale, après avoir entendu la lecture de la lettre de J. Lacrampe, représentant du peuple, par laquelle il annonce qu’il est trop foible encore pour se rendre dans le sein de la Convention, accorde une prolongation de congé de six décades au représentant du peuple J. Lacrampe, pour rétablir sa santé (75). [Le représentant du peuple Lacrampe, député du département des Hautes-Pyrénées, au président de la Convention nationale, Tarbes, le 29 vendémiaire an III ] (76) Citoyen Président Le congé que j’ai obtenu de la justice de la Convention nationale me rappelle à la vie. Trop faible encore pour me rendre dans son sein et forcé de faire deux cent lieües à petites journées, je lui demande instemment de m’accorder six décades. La députation est instruite de ma situation, elle l’attestera. Salut et fraternité. J. Lacrampe, député du département des Hautes-Pyrénées. 30 GRÉGOIRE, au nom du comité d’instruction publique (77) : Citoyens, vous avez mis sous la sauvegarde de la loi tous les monuments des sciences et des arts. Beaucoup de districts se sont empressés de concourir à l’exécution des mesures que vous avez prises pour arrêter les destructions; mais dans d’autres, nous venons vous le dire avec douleur, les destructions continuent. (74) Débats, n° 766, 551. (75) P.-V., XLVIII, 99. C 325, pl. 1365, p. 25, minute de la main de Goujon. Boissy, rapporteur selon C* II 21, p. 19. (76) C 323, pl. 1382, p. 23. (77) Moniteur, XXII, 379-382. Débats, n° 766, 551-558; J. Paris, n° 39; J. Mont., n° 16; Rép., n° 39; Bull., 11 brum (suppl.) et 12 brum. ; Ann. Patr., n° 667 ; Ann. R. F., n° 38 ; C. Eg., n° 802; J. Perlet, n° 766; J. Fr., n° 764; Mess. Soir, n° 803; F. de la Républ., n° 39; Gazette Fr., n° 1031; M. U., XLV, 138. Tandis que la sagesse de vos décrets atteste la sollicitude des législateurs pour étouffer l’ignorance et faire triompher les lumières ; tandis qu’à votre voix les hommes à talents sortent des cachots, et que le génie relève sa tête humiliée, la barbarie et l’esprit contre-révolutionnaire tiennent sans cesse le poignard levé pour assassiner les arts. Une horde de scélérats veut par ces moyens faire haïr la liberté, qu’en dépit de leurs efforts le peuple français ne cessera d’aimer qu’en cessant d’exister. La correspondance du comité d’instruction publique et de la commission temporaire des arts nous a fait connaître de nouvelles dégradations. Nous avons pensé qu’il fallait leur donner de la publicité, afin de signaler les coupables, de placarder l’opprobre sur leurs fronts, et de prémunir sans cesse les bons citoyens contre les erreurs de l’ignorance et les insinuations de la perfidie. A Ussel, à Saumur, à Lons-le-Saulnier, les livres, les tableaux et d’autres objets rares ont été vendus à très vil prix. A Mont-de-Marsan, deux belles statues par Mazetti ont été mutilées; d’autres ont failli subir le même sort. A Reims, on a mutilé un tombeau d’un beau travail, et précipité d’une hauteur de vingt pieds un tableau de Thadée Zucchero; le cadre a été brisé, la toile dégradée a été trouvée dernièrement sur les marches d’un escalier. A Melun, une belle statue de marbre blanc a été cassée. A Fontainebleau, un tableau magnifique est en cendres, et l’on a brisé une statue de Fleuve en bronze, qui avait été exécutée sous la direction de Léonard de Vinci. Au muséum des Plantes, on a outragé le buste de Linnée. A Bayeux, des commissaires instruits et patriotes ont sauvé la fameuse tapisserie dont la broderie, attribuée à Mathilde, femme de Guillaume-le-Bâtard, représente les expéditions de son mari dans la grande et la petite Bretagne. Pour la seconde fois ce monument échappe à la destruction ; car il faillit périr une première fois en 1562, dans le temps de guerres civiles, une seconde fois dans l’irruption vandalique qui vient d’avoir lieu; mais plusieurs statues d’un bon style et la presque totalité des tableaux qui se trouvaient à la cathédrale et dans les autres églises de Bayeux sont anéanties. A Douai, on avait donné l’ordre de brûler tous les livres concernant le culte, ce qui pouvait anéantir la moitié des bibliothèques; car la limite à cet égard n’étant pas tracée, à quel terme pouvait s’arrêter la fureur? A Étain, depuis les anciens inventaires, on a volé dans les bibliothèques des ci-devant Capucins et de la ci-devant abbaye de Châtillon. A Saint-Serge, près d’Angers, l’église des ci-devant Bénédictins contenait des groupes précieux; on les a brisés. Deux belles statues, le saint Jérôme et le saint Sébastien, avaient échappé à cette rage dévastatrice; elles viennent d’être détruites, et plus de cent beaux orangers ont péri faute de soins.