186 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mai 1791.] fiances établies de Dieu, chacune selon sa fin, pour le bonheur des hommes. On regrette et on nous oppose l’antiquité de cette Église et de cette autre; mais est-ce de murs ou de mœurs, de la lettre ou de l’esprit, qu’il s’agit dans la loi de grâce ?Ces murs mêmes déposent contre le relâchement qui les a fait abattre ; ils dénoncent eux-mêmes les abus d’une nouveauté, qui seule devait exciter le zèle de nos prélats, et non l’heureuse nouveauté de la Constitution, qui, en réduisant les diocèses et le clergé, ne fait que rétablir l’ancien ordre ; car les anciens canons défendaient de multiplier les évêchés, d’ordonner des prêtres au delà dubesoin. Ce dernier usage s’est même conservé jusqu’au douzième siècle, où commencèrent les ordinations vagues et sans titre, dont M. Fleury a fait l’une des principales causes de la décadence dans les mœurs et dans la discipline de l’Église. Les laïques, dit ce judicieux historien, s’empressaient de se faire clercs, pour jouir des privilèges sans nombre attachés à la cléricature, et les évêques les ordonnaient pour étendre leur juridiction; il en fut bientôt autant et plus des ordres religieux par rapport au pape et à son autorité ; tandis que, sous nos anciens rois, il fallait leur permission pour se faire ecclésiastique; ce qui est ici très remarquable, ainsi que l’origine et l’ancienneté de serment de fidélité que prêtaient ci-devant les évêques à nos monarques ; ces deux choses très constantes servent à prouver que l’Assemblée nationale n’a rien fait qu’elle n’ait pu et dû faire pour s’assurer que désormais le gouvernement ne trouvera, dans les ecclésiastiques, que de bons citoyens, et les peuples que de bons pasteurs: talis pastor, talispopulus( 1). DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MARDI 17 MAI 1791, AU SOIR. Rapport (2) sur l'affaire du sieur Talma, comédien français , par M. Durand -Nflaillane (3). — (Imprimé par ordre del’Assemblée nationale.) Messieurs, après ce que nous venons d’exposer dans le précédent rapport, sur les empêchements et les dispenses de mariage, les comédiens, que l’Assemblée nationale a déclaré citoyens actifs, pourraient se borner à la forme civile de leur mariage; mais s’ils veulent le revêtir de la bénédiction ecclésiastique qui en fait un sacrement, c’est alors une question qui serait bientôt décidée, si on ne la jugeait que par la règle générale éta-(1) Tout ceci, qui est un peu étranger au mariage, ne l’est pas dans ce moment à la défense de l’Assemblée nationale et de ses comités, qu’on calomnie plus encore que les décrets qu’ils font rendre ; en sorte qu’en répondant à des censures, nous avons moins à réfuter les mauvaises critiques que le mauvais esprit de ceux qui les font. (2) Nota. Ce rapport a une liaison si intime avec le rapport sur les empêchements et dispenses de mariage, qu’on ne doit pas le séparer dans l’impression, encore moins les lire séparément, parce que la conclusion sur le rapport de l’affaire du sieur Talma est entièrement fondée sur les principes établis et développés dans le précédent. (Note du rapporteur). (3) Ce document n’est pas publié au Moniteur. blie et reçue en France; savoir que nulle censure spirituelle ne peut extérieurement frapper un citoyen, quand elle n’est pas prononcée contre lui par un jugement dans les formes requises, et c’est ce qui ne saurait être opposé au sieur Talma, dont la réclamation a été portée à l’Assemblée nationale, et renvoyée par elle à ses deux comités réunis de Constitution et ecclésiastique, pour lui en faire le rapport. Le curé de Saint-Sulpice, qui a refusé de publier les bans du mariage du sieur Talma, se fonde, sans doute, sur les défenses portées par les lois de l’Eglise, d’admettre à la participation des sacrements ceux qui professent en général l’état de comédiens : il se fonde sur ce que le jugement particulier de chacun d’eux se trouve déjà prononcé par une loi commune àtous ceux qui se trouvent dans l’état qu’elle a désigné et prévu, c’est-à-dire qui exercent une profession dénommée dans la loi, où sont exclus de la participation aux sacrements, tous ceux qui l’exercent, ce qui, ajoutera-t-il, s’est toujours pratiqué et observé dans l’Eglise. Il faut convenir que, par une suite de la même distinction entre le contrat civil de mariage et la bénédiction ecclésiastique qui en fait un sacrement, la puissance spirituelle qu’on a admise dans l’Etat, et qu’on n’a pu admettre qu’avec l’indépendance de son exercice dans l’objet principal et divin de son institution, cette puissance doit être aussi libre dans la dispensation des sacrements pour le bien particulier et spirituel des fidèles, que la puissance temporelle dans les effets civils du contrat de mariage, pour le bien général et particulier des citoyens : sous ce double rapport, le curé de Saint-Sulpice n’aurait fait qu’user de son droit, n’aurait même fait que son devoir en refusant ae bénir le mariage du sieur Talma, comme comédien. Si celui-ci est citoyen actif, si son état est autorisé par la loi civile; par la protection et les faveurs mêmes du souverain, tout cela n’est que civil, et ne saurait lui donner l’aptitude qu’il n’a pas pour les sacrements de l’Eglise, dont ses ministressont les gardiens, et doivent être les dispensateurs fidèles. Sur ces principes les plus simples, et les seuls que l’on puisse mettre en avant pour ne pas s’engager dans une discussion théologique, la question du sieur Talma se réduit à ce seul point : s’il faut que la censure par laquelle le curé de Saint-Sulpice veut l’exclure de la participation aux sacrements, ait été prononcée contre lui par un jugement particulier; ou bien s’il suffit que, par sa profession, il se trouve évidemment dans le cas général de prohibition prévu et exprimé par la loi. Cette question de forme a besoin de quelques réflexions sur le fond. C’est bien une vérité de fait, et assez convenue, que les comédiens sur qui l’Eglise a fait tomber en général ses censures, et qu’elle n’a plus révoquées, ne sont pas ceux de notre Théâtre-Français ; ces derniers ne sont pas ces histrions, ces farceurs que les conciles d’Arles et d’Elvire, et d’autres après eux, ont excommuniés : car ceux-là ne donnaient sur leur théâtre que des scènes très funestes aux bonnes mœurs, et peut-être à la religion; tandis que sur notre Théâtre-Français, ce n’est, depuis longtemps, que, ou le triomphé de la vertu, ou le malheur des passions, ou enfin la honte ou la peine du ridicule; ce qui fait comme l’école du monde, où l’on va s’instruire agréablement, et rire quelquefois de soi sous l’image d’un autre. • [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mai 1791.] J87 On trouve encore assez extraordinaire, et peu conséquent, que l’on écarte des sacrements de l’Eglise le comédien qui joue la pièce, et que l'on y admette celui qui l’a composée. Il n’est pas, dit-on, à ce sujet, jusqu’à l’orchestre, jusqu’à l’auteur du ballet et à tous ceux qui s’emploient au service, à l’habillement des acteurs, il n’est pas même jusqu’au parterre et aux loges qui, complices du même délit, si délit peut y avoir, ne soient coupables ou dignes de la même peine; et cependant, tous ceux-là n’éprouveraient fias, comme le sieur Talma, le même refus dans eurs paroisses. Si c’est, ajoute-t-on à l’égard des comédiens, parce que, dans leur état, ils mènent une vie trop libre avec les comédiennes; raison de plus pour les tirer tous du libertinage par les liens et les secours du sacrement de mariage, surtout, depuis que leur profession a été comme légitimée par le gouvernement : car les censures de l’Eglise ont dîTnécessairement perdre de leur force dans l’opinion, par les lettres patentes du roi très chrétien, et bien plus, par les nouveaux décrets de l’Assemblée nationale, qui assimilent les comédiens à tous les citoyens actifs, sans distinction, pour tous les emplois dans la société. Or, établir vainement des peines, c’est avilir et le législateur et la loi. Il paraît, en effet, bien difficile à concevoir que, d’après nos décrets, les comédiens participant à tous les droits de citoyens actifs dans la société, et professant la même foi dans la religion, soient exclus de la participation aux sacrements de l'Eglise, uniquement parce qu’ils sont comédiens. Si c’est parce que nos spectacles, tout dégagés qu’ils sont de farces licencieuses, se trouvent encore fort dangereux à l’innocence, comme l’a très bien prouvé l’auteur même que l’on révère tant dans cette Révolution, il serait, à défaut, peu de sociétés d’hommes et de femmes dans le monde où il n’y eut autant et peut-être plus de dangers pour les mœurs. Les mauvais livres font plus de ravages encore; et cependant l’Eglise, tout en les condamnant, ne frappe pas des mêmes censures ni ceux qui les font, ni ceux qui les impriment, encore moins ceux qui les lisent. On finit par dire, en faveur des comédiens, que les sacrements sont un bien spirituel dont aucun fidèle ne doit être privé par la disposition. d’une loi générale qui, ne distinguant ni les cas ni les espèces, confond l’innocent avec le coupable. 11 est difficile que toutes ces raisons ne prennent pas de grands avantages sur notre jugement, dans la question dont il s’agit; cependant, Messieurs, il faut, sur toutes choses, être d’accord avec nous-mêmes, avec nos principes : nous les contrarions évidemment, si en admettant la religion catholique, en la professant hautement, nous méconnaissons son indépendance, si nous ne nous soumettons à ses lois clans tous les objets spirituels et sacrés de sa divine institution. L’Eglise elle-même est liée par les lois de l’évangile; et ses ministres, qui en sont comptables et à Dit u et aux hommes, seraient indignes de leur dépôt, s’ils en changeaient la destination, s’ils le profanaient. Chacun connaît ces grandes règles, et il est digue de l’Assemblée nationale d’en fixer sagement et invariablement les termes pour en prévenir l’abus. Dans les principes mêmes de notre Constitution, la loi civile ne doit rien voir dans le mariage au-delà du contrat ou du consentement public des parties qui le valide. La nation a prescrit une forme nouvelle dans le choix des ministres de l’Eglise; elle a fait, dans le clergé, dans ses possessions, toutes les réformes qu’elle a jugées convenables et nécessaires ; elle a voulu, enfin, rétablir le clergé tel qu’il était dans les beaux jours de l’Eglise; elle n’a fait en cela que le bien, elle a dû le faire, elle l’a pu : mais son pouvoir, si étendu qu’il soit, a ses bornes dans les matières religieuses. Nous pourrions citer une décision célèbre, qui, dans ces derniers temp3, les a posées très justement (l’arrêt du conseil d’Etat du roi, du 24 mai 1766] ; mais nous en poserons nous-mêmes, et de plus sûres, peut-être, sur l’objet particu-lierde notre question, en séparant, danslemariage, le contrat qui suffit aux yeux de la nation, d’avec le sacrement où la nation n’a rien à voir. Qui donc, d’entre les catholiques, veut le recevoir, ce sacrement, doit c-n être digne aux yeux de l’Eglise qui le confère. Quand la nation a réduit ses ministres aux saintes fonctions de leur ministère, elle n’a pas entendu leur en prescrire les devoirs ni l’exercice ; quand elle les a mis comme étaient les apôtres, la nation n’a pas entendu leur laisser moins de liberié dans la dispensation des sacrements, qui sont les canaux de la grâce et les grands moyens de notre salut; enfin, après une aussi heureuse réforme dans l’état du clergé, les fidèles ne sauraient eux-mêmes se soustraire aux plus pures lois de la religion qu’ils professent. D’accord avec nous, après avoir condamné les possessions agricoles et temporelles du clergé, nous lui assurerons tous ses droits spirituels, et leur libre usage dans l’indépendance de Pautorité sainte qui lui est confiée. Sans doute que l’Assemblée nationale pourvoira, dans sa sagesse, aux abus des théâtres populaires; qu’elle fera même des lois pour mettre les autres dans un tel état, qui les sauve des censures dont l’Eglise les frappe tous indistinctement; mais jusqu’alors, l’Assemblée nationale doit laisser la cause du sieur Talma aux termes des lois ecclésiastiques. Celles-ci ne confondent point, dans cette espèce, l’innocent avec le coupable; et le curé de Saint-Sulpice est en règle, dès que le sieur Talma ne se présente à lui, pour recevoir le sacrement de mariage, que dans l’aveu de la profession censurée par l’Eglise : alors cet aveu tient lieu de preuves, et vaut, à l’égard de la partie, un jugement particulier dont elle n’a pas à se plaindre, parce qu’elle s’en prend à la loi même qui subsiste, et que son exécuteur ne peut ni interpréter ni changer. Mon avis particulier est donc, sur la question présente : Que, abstraction de l’état du sieur Talma, ainsi que de toute autre profession dans la société, tout mariage soit valable aux yeux de la loi, par la seule déclaration qu’eu feront les parties dans la forme que la loi même leur prescrira; qu’en conséquent e, les empêchements de mariage relatifs aux causes purement civiles et politiques soient réglés par la loi elle-même, de manière que ni l’Eglise, ni la puissance civile n’en accordent de dispense à personne dans aucun cas; laissant au surfilas, pour tout ce qui ne regarde que l’administration religieuse du sacrement, les ministres de l’Eglise dans le droit et la liberté de la régler, comme ils trouvent meilleur pour le salut des âmes et la plus grande gloire de Dieu : Cæsaris Cœsari , Dei Deo. Partant, il n’y a lieu de délibérer sur l’affaire du sieur Talma.