107 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [15 avril 1791.] si vite en besogne ; laissons subsister le droit dont j’ai i’honneur de vous parler; vous ne pouvez pas empêcher les hôpitaux et les municipalités de nommer leurs fonctionnaires publics. M. de La Rochefoucauld-Liancourt. J’appuie la motion de M. Bouche, elle est extrêmement raisonnable. Vous vous rappelez, Messieurs, que, dans le mois de novembre dernier, vous avez rendu un décret sur le rapport de votre comité ecclésiastique, par lequel vous avez déclaré que les hôpitaux continueraient d’étre administrés comme ils l’étaient au 1er octobre, qu’il est nécessaire de maintenir les municipalités dans le droit de nommer. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! (L'amendement de M, Bouche est décrété.) Un membre demande par sous-amendement que Je choix des municinalités et des administrateurs ne puisse tomber que sur des sujets qui auront prêté le serment. (Ce sous-amendemeut est décrété.) M. Le Chapelier, rapporteur. L’amendement de M. Bouche avec le sous-amendement que vous venez d’adopter pourrait former un quatrième article. Le projet de décret serait donc ainsi conçu : Art. 1er. « Toutes personnes chargées d’une fonction publique dans le déparlement de l’instruction, qui n’ont pas prêté le serment prescrit par les lois des 26 décembre et 22 mars derniers, sont déchues de leurs fonctions; et il doit être provisoirement pourvu, s’il est nécessaire, à leur remplacement, par les directoires de département. Art. 2. « Pour remplir les chaires de professeurs et toutes autres places vacantes ou qui viendront à vaquer dans le département de l’instruction publique, jusqu’au moment où l’Assemblée nationale en aura décrété la nouvelle organisation, les directoires de département ne sont pas astreints à ne choisir que parmi les agrégés des universités. Art. 3. « Les places purement ecclésiastiques, autres que celles dont l’existence et le traitement sont assurés par la constitution civile du clergé, et qui néanmoins n’ont pas été supprimées, "telles que les places de chapelains ou desservants d’hôpitaux, de prisons et autres, seront, en cas de vacance pour non-prestation de serment ou autrement, supprimées si elles sont superflues, ou remplies, provisoirement, si le service public l’exige, par les directoires de département, en attendant que l’Assemblée nationale ait régie, par ses décrets, ce genre de service public. Art. 4. « La faculté de nommer les ecclésiastiques desservant les hôpitaux, les collèges, en nombre jugé convenante par les directoires des déparie-ments, en vertu de l’article précédent, sera provisoirement maintenue aux municipalités ou ad-miuiîtrateurs d’hôpitaux qui les nommaient, en vertu des titres constatés ; aux conditions que ces ecclésiastiques auront prêté le serment, et qu'ils ne pourront pas être mis en fonction sans l’approbation du directoire du département, donnée sur l’avis du directoire du district. » (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'organisation de la marine (1). M. Lanjuinais. Vous avez décrété que les officiers de la marine, tant nationale que commerçante seront conservés. Votre comité vous a procomposé de déclarer que tous ceux qui seraient pris dans cette conscription maritime formeraient la marine française et la marine nationale. Comment est-il po.-sible qu’une proposition si raisonnable et si nécessaire ait éprouvé tant de contradiction. On a paru frappé surtout d’une comparaison que vous a faite M. Malouet. 11 vous a fait la comparaison de la mine que les ouvriers ont à défendre, et cependant, vous a-t-il dit, ces ouvriers ne sont pas les militaires, ne sont pas armés. Cette comparaison peut être très ingénieuse; mais elle est absolument fausse dans son application à la marine. Les marins conscrits ne sont pas auxiliairement appelés au service de l’Etat. Ils sont véritablement les troupes de ligne de la mer; sans eux, il ne s’armerait pas un seul vaisseau ni en temps de paix, ni en temps de guerre, et pour rétorquer la comparaison, si l’armée qui garde une mine était uniquement composée d’ouvriers mineurs, s’il fallait être essentiellement mineur pour être eu état de garder cette mine, si tous les ouvriers mineurs étaient obligés de faire à tour de rôle le service de la campagne, assurément les mineurs seraient tous militaires. Eh bien! Messieurs, il en est de même à Londres ; ce sont les marins qui sont les gardiens, disons mieux, les conservateurs de la marine nationale. Ils sont donc militaires par cela même qu’ils sont marins, et leur en refuser le titre est tout à la fois une injustice et un inconséquence. Je dis que tous les navigateurs sont conscrits, dès qu’un navigateur est obligé, par cela seul qu’il est navigateur, de servir l’Etat toutes les fois et autant de temps que les circonstances l’exigent; dès lors qu’on ne peut pas armer un seul vaisseau, sans que les navigateurs conscrits soient en partie obligés de servir; et je conclus à ce que l’article du comité soit adopté. M. Defermon (2). Messieurs, les armées navales sont une partie trop intéressante de la force publique pour ne nas mérita’ toute votre attention. Leur composition exige des vaisseaux et des hommes. Tout ce qui concerne les premiers jusqu’au moment où ils sont remis entre les mains des hommes de mer, est confié à l’administration dont vous ne vous occupez pas en ce moment; il ne s’agit aujourd’hui que de ces hommes qui doivent monter, faire mouvoir et diriger les vaisseaux. Supposons donc les vaisseaux construits; examinons à qui vous pouvez et devez les coufier, et quel doit être le meilleur mode d’organisation des hommes de mer. Je ne vous apporiepas, Me-sieurs, les lumières de l’expérience, mais la méditation, l’avantage d’être dégagé de toute prévention, comme de tout intérêt ; enfin, les comparaisons que j’ai pu faire (1) Voy. ci-dessus, séance du 14 avril 1791, p. 77. (2) Le Moniteur ne donne que des extraits de ce discours. 108 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1791.] chaque jour des diverses opinions discutées dans le comité, me persuadent que vous entendrez mes réflexions avec indulgence. Je ne redoute ni les sarcasmes avec lesquels on voudrait éloigner de prendre part à cette délibération tous ceux qui ne sont pas marins, ni le reproche du fanatisme de la popularité. J’ai cherché à saisir la vérité; je vais vous la présenter sans ornement, elle ne vous en sera que plus sensible. Les vaisseaux sont des forteresses flottantes, destinées à protéger, à défendre, à attaquer. Elles exigent, pour être mises en mouvement et en action, le concours d’un grand nombre d’individus. 11 faut que ces individus sachent également braver les dangers de la mer et ceux de la guerre ; il leur faut de l’expérience et les connaissances de l’art maritime; il faut qu’il y ait entre eux une correspondance parfaite, afin que tous les efforts soient faits de concert, et que tous les mouvements soient dirigés au même but ; il faut donc un chef ou capitaine sur chaque vaisseau, des officiers, pour le seconder et au besoin le remplacer, des officiers mariniers qui surveillent les matelots, et ceux-ci pour exécuter ce qu’on leur ordonne. Si le trésor national pouvait fournir les fonds nécessaires pour enrôler et payer annuellement Jes uns et les autres, les difficultés qui arrêtent votre délibération seraient bieutôt aplanies ; mais vous avez reconnu l’impossibilité d’entretenir annuellement tous les hommes de l’armée navale. Vous avez adopté les classes ou la conscription maritime comme une loi commandée par ia nécessité et l’intérêt public. Si votre décret qui admet la conscription ne nous a pas empêchés de nous occuper d’un plan d’organisation des états-majors de l’armée navale ; si nous avons tous été également convaincus qu’il serait trop dangereux délaisser au hasard l’éducation et le choix des officiers; si nous voulons tous qu’ils réunissent les connaissances théoriques à l’expérience, et que, par leurs talents et leurs vertus, ils acquièrent sur leurs équipages cette heureuse influence qui donne au chef le droit de tout commander et de faire oser les choses même qui paraissent impossibles, il est fâcheux que nous différions sur les moyens d’atteindre ce but. Votre comité vous | ropose de multiplier les formes d’instruction en multipliant les écoles, d’exciter l’émulation par des examens successifs, de faire acquérir de l’expérience par l’obligation indispensable de naviguer, et enfin de terminer les épreuves de ceux qui se destineront au service de l’état par un concours fixé entre l’âge de 18 à 30 ans. 11 vous propose de ne rien limiter pour le nombre des grades inférieurs, de laisser à tous les citoyens la carrière ouv rte jusqu’au concours qui appelle toujours ceux qui auront le plus de connaissances et de talents. Enfin, il vous demande que ceux qui auront été admis au concours soient constamment entretenus, et ne puissent s’occuper qu’à perfectionner leurs connaissances et uniquement du service public. Il croyait que tant de précautions réunies Sauraient pas laissé de doutes sur ses intentions, ni d’irtquiéludes sur les résultats de son [dan. On laisse bien à la marine du commerce le soiu de former les marins des dernières classes. On convient qu'elle doit être l’école de la marine militaire, que même elle doit la recruter; pourquoi donc craindrait-on de la voir former des aspirants et des hommes capables de disputer au concours l’honneur d’être préférés pour le service public? Pourquoi refu erait-on à ceux qui, par état, sont obligés de quitter tout, lorsqu’on les appelle, le droit de se présenter au concours lorsqu’ils auront acquis assez de connaissances et d’expérience pour y paraître avec avantage? On opposait hier au plan de votre comité, qu’il confond les deux marines militaire et de commerce; que c’est le moyen de les détruire i’une et l’autre-, que les examens sont trop multipliés; qu’il n’y aura que les (ils de famille riche qui puissent se destiner à des états si difficiles; que M. de Choiseul échoua, en 1 7 G 3 , dans Je projet qu’on vous présente. On vous disait que la dénomination d’enseigne de vaisseau donnerait aux capitaines des prétentions exagérées; que l’entretien , remis après le concours et l’admission au grade de lieutenant, laisserait sans espérances les jeunes gens�qui n’auraient pas réussi, et qui seraient trop âgés pour songer à d’autres états; qu’il faut fixer le concours au grade d’aspirant, à l’âge de 15 à 18 ans. M. Malouet vous rappelait beaucoup de vérités qui, parleurs généralités, peuvent être invoquées pour des plans souvent très différents. 11 finissait par 2 articles qui développaient ses intentions, une marine militaire et commandée par ceux qui, dès leur enfance, y auraient été destinés. Vous apercevez aisément en quoi diffèrent le pian de votre comité et les opinions qui l’ont combattu. Les différences se réduisent principalement aux points suivants ; 1° Par son premier article le comité vous propose de décréter que tous les citoyens, soumis à la conscription maritime, sont compris dans la marine française. On ne veut pas de cet article. 2° Le comité vous propose de ne point limiter le nombre des aspirants de la marine. On veut que vous Je limitiez. 3° Le comité vous propose de faire subir à tous ceux qui voudront commander des bâtiments au long cours l’examen d’enseigne, et de leur en dmmer le brevet. On ne veut pas de cette disposition. 4° Enfin, Je comité vous demande de fixer le concours au grade de lieutenant, et de n’y admettre que les marins reçus enseignes, ayant de 18 à 30 ans. On vous" demande, au contraire, de fixer le concours au grade d’aspirant de 15 à 18 ans. L’examen de ces diverses propositions vous mettra à même de prononcer entre le comité et ceux qui l’attaquent. 1° Est-il vrai que tous les citoyens, soumis à la conscription maritime, sont compris dans la marine française? Je dis que c’est une vérité de fait incontestable. La marine française est en effet composée des eff fs et des équipages des armées navales. On ne pourrait pas raisonnablement dire que ies chefs s mis la composent; et si, pour rendre crtie vérité plus sensible, il était besoin d’un exemple, je vous rappellerais celui que faisait hier M. Malouet; je vous dirais : Supposons une mine en exploitation sur la frontière, un camp toujours prêt pour la défendre de l’ennemi, et des officiers seulement entretenus par l’Etat dans le camp, pour commander tous les ouvriers de la mine qui, au premier signal,, se renflent au. camp [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (15 avril 1791.J où la conscription les appelle et assigne leurs places; leur pourrait-on contester que tous les ouvriers de la mine sont compris dans l’armée du camp? Non, sans doute; et ici c’est précisément la même chose. Laissez, nous a-t-on dit, aux militaires leur fierté ; ne les avilissez pas par une union qui n’est pas purement mililaire: il en résulterait des inconvénients incalculables. Ce langage, Messieurs, a excité votre improbation. M. Malouet. Je n’ai pas dit cela. M. Defermon. Non. La première partie c’est vous qui l’avez dite, et la seconde, c’est M. de La Coudray. M. Loyncs cle La Coudray. Je n’ai pas dit cela. (Murmures.) M. Malouet. Il est très essentiel dans cette discussion de ne point attribuer à une idée, à un principe, à une expression, la valeur d’un autre principe, d’une autre expression. J’ai ôté loin de présenter, comme avilissante, l’union du commerce et de la marine militaire. Je vousai montré, au contraire, combien il était inconséquent de faire dépendre la considération d’un état, de la considération d’un autre. Je m’élève avec plus d’intérêt pour le commerce contre les propositions qu’on vous présente, que ne vous le disent ceux qui me combattent. Certainement le commerce est une chose noble, utile. L’état militaire n’est que le protecteur, le serviteur du commerce. Pourquoi donc veut-on faire passer des innovations dangereuses, relativement au système politique, sur le compte des prétendues préventions eu faveur de l’état militaire? M. Defermon. Monsieur Malouet, cela est bien. Mais j’ai mon opinion, et ..... M Malouet. La mienne tend évidemment au but le plus sensé. M. Defermon. Je ne sais pas si vos moyens sont infaillibles, mais ..... (Murmures.) M. Malouet. Que M. Defermon ou tout autre fasse d’autres propositions que les miennes, qu’ils les réfutent, je ne m’y oppose pas; mais que l’on m’attaque sur ce que je veux soumettre un élat à un autre, en disant que je veux avilir le commerce pour exalter l’état militaire, je je repousserai très fort cette attaque-là, parce qu’elle n’est ni dans la raison, ni dans mes principes. M. Loynes de La Coudray. Jamais je n’ai dû, je n’ai pensé, jamais je ne dirai qu’il soit avilissant de joindre la marine mililaire à la marine de commerce. J’ai dit que ceia était dangereux; que je les regardais comme totalement differente l’une de l’autre'; que la marine militaire était une institution partielle et très grande; que la marine marchande par son état s éloigne de cette réunion. M. Defermon. Je suis bien aise de voir tout le monde rendre hommage à la marine marchande. J’ai peine à concevoir comment on s’est permis de proposer d’exciter la fierté des uns aux dépens 109 des autres. La fierté de l’âme libre n’est pas placée à humilier ses semblables, maisàs’eo faire estimer, à se les attacher. Les chefs de nos armées navales devront être plus fiers de commander à des marins qui s’honorent d’être compris dans la marine française qu’à des hommes qui n’iront à ce service que comme des esclaves. Nous ne sommes plus au temps où nos chefs des armées navales calculaient leur mérite sur le nombre d’années de leurs parchemins. Qu’ils acquièrent des talents et des vertus, ils auront une fierté qui ne blessera personne, et ils verront, avec plaisir et non avec envie, ceux qui partageront leurs travaux et leurs dangers, partager la gloire de se dire de la marine française. Je suis donc bien loin de voir des inconvénients dans l’admission du premier article du plan du comité; qu’on admette si l’on veut un autre rédaction; qu’on dise en termes plus précis; « La marine française sera composée de tous « les citoyens soumis à la conscription maritime.» Mais, qu’on ne craigne pas de le dire, qu’on ne refuse pas à des milliers de citoyens ce que pourrait leur envier la vanité de quelques chefs qui ne connaissent pas leur véritable gloire. Tous ceux qui vous ont parlé des marins français vous ont vanté leur courage, leur fermeté, leur loyauté, pourquoi donc ne pas leur donner une satisfaction que la vérité commande et qu’il serait injuste de leur refuser? 2° Je passe au second point de discussion. Convient-il ou non de limiter le nombre des aspirants de la marine ? On avoue, dans tous les systèmes, que les aspirants sont des jeunes gens qui souvent n’ont pas commencé à naviguer, et n’ont encore ni les lumières de l’expérience, ni une théorie bien complète. Personne n’ignore aussi que la profession de marin est celle dont se dégoûtent le plus aisément ceux qui n’ont pas eu, dès leur enfance, l’habitude de la mer. Les services des aspirants sont assez peu intéressants pour qu’on ne propose pas de les entretenir, mais seulement de les payer pendant leur service. Enfin, on est d’accord d’admettre les aspirants à l’âge de 15 ans. C’est d’après ces faits reconnus que l’Assemblée peut se décider sur la question. Je soutiens qu’un état qu’on peut acquérir à 15 ans, ne peut et ne doit pas mériter la faveur d’être limité au petit nombre qui a eu assez de mémoire ou d’étude pour l’obtenir. Supposez un aspirant de 15 ans, sûr de parvenir à son tour; vous le retiendrez dans l’état auquel ni la nature, ni son goût ne l’avaient destiné, et vous aurez un chef qui pourra être fort médiocre. Supposez au contraire que les aspirants ne soient pas limités, et que ceux qui en auront subi l’examen n’aient rien à attendre de la nation qn’après leur admission au concours pour le grade de lieutenant, vous verrez abandonner la profession maritime par ceux qui s’y étaient destinés sans réflexion, et qui ne se trouvent pas en état de la soutenir. Vous n’aurez au concours, pour le grade de lieutenant, que des jeunes gens habitués à la mer, et réunissant à une expérience consommée une théorie très complète. Les exemples de ce qui se fait pour le génie, pour l’artillerie, ne doivent pas vous induire en erreur. Les élèves, pour y être admis, doivent HO [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. subir des examens de théorie complète. On ne peut pas exiger d’eux d'expérience; ils n’ont pas d’occasion d’en acquérir. Dans la marine, au contraire, le concours ne doit pas seulement porter sur les connaissances théoriques; il doit porter encore sur l’expérience; les armements du commerce et même ceux faits par l’Etat, en temps de paix, leur fournissent des occasions assez faciles pour en acquérir. Et pourquoi , Messieurs , craindriez-vous de mettre le temps du concours entre 18 et 30 ans? La nation doit-elle faire les frais d’éducation de jeunes gens de 15 à 18 ans? Les écoles publiques, la solde des aspirants pendant qu’ils seront de service, ne font-ils pas d’assez grands sacrifices? Concluons donc que le nombre des aspirants ne doit pas être limité, que la limitation ne servirait qu’à écarter du concours grand nombre de marins dont les services peuvent être fort utiles. Je passe à la troisième question. Convient-il, ou non, que tous ceux qui voudront commander au long cours subissent l’examen d’enseigne et en obtiennent le brevet? L’importance qu'on attache à cette question demande encore, Messieurs, un moment de votre attention. Vous ne m’avez entendu rappeler ni les mots de Constitution ni ceux d’aristocratie: on vous a dit que ces grands mots étaient un épouvantail dont on se servait pour entraîner les esprits faibles. Ce n’est pas ainsi que je crois qu’on peut vous déterminer. Mais il ne faut pas aussi qu’on compte lixer votre opinion autrement que par des vérités incontestables : c’est à vous rappeler celles qui tiennent à la question, que je vais me borner. Il a fallu, dans tous les temps, pour être admis à commander au long cours, avoir fait preuve de capacité par un examen sur la théorie et la pratique de l’art maritime. Un capitaine de navire doit encore avoir un âge mûr; on n’a pas voulu exposer les hommes qu’il commande, à être victimes de son ignorance ou de sa jeunesse. Personne n’a contesté qu’il fallait cet examen à l’âge de 24 ans, et le comité ne vous propose rieu de nouveau que le nom qu’il donne à ceux qui l’auront subi. On les appelait capitaines de navire, et on convient qu’il n’est plus possible de les commander comme on le faisait autrefois pour être matelots. On dit même qu’on veut les traiter honorablement et;;convenablement et que, appelés au service, ils ne le doivent pas être dans une autre qualité que celle d’enseignes. Eh bien, Messieurs, c’est d’après ces vérités reconnues, que le comité vous propose de leur donner le nom qui peut et doit leur rappeler les fonctions qu’ils auraient à remplir au service public. L’utilité de cette disposition devient plus sensible en vous en faisant l’application par l’exemple de M. Malouet. Tous vos marins arrivent à bord comme les mineurs dans le camp; ici les maîtres mineurs sont placés à la tête de leurs ouvriers; là, les enseignes à la tête des matelots; les chefs, entretenus par l’Etat pour commander, sont placés au-dessus des uns et des autres; mais chacun est placé suivant son grade, chacun est à sa place. Et ici je dois vous rappeler que vous avez décrété que les marins seraient appelés au service public, chacun dans son grade; il faut donc fixer [15 avril 1791.] ces grades, afin que chacun sache comment il peut être appelé. Voyons maintenantles prétendus inconvénients de donner à des officiers de commerce le brevet d'enseigne. On vous a dit que ce serait en faire des militaires, et leurdonnerun esprit de prétentions qui nuirait infiniment au commerce. On vous a dit que ce grand nombre d’enseignes, dont tous les ports seraient inondés, nuirait également au bien du service militaire. Je réponds à ces deux objections, et d’abord je demande si c’est le nom d’enseigne qui fera un militaire de celui qui a subi l’examen prescrit à ceux qui veulent commander au long cours. Quoi, ce même individu serait appelé au service sous le nom de capitaine de navire comme sous celui d’enseigne; il aurait le même grade, les mêmes fouctions, et on veut lui refuser le nom d’enseigne de crainte d’en faire un militaire? Ne l’esi-il pas dès qu’il fait partie de l’armée navale par la conscription? Qu’on ne craigne pas que l’enseigne attache trop d’imporlance à son titre, et qu’il transporte dans les navires et ateliers du commerce l’esprit et les prétentions militaires. Les armateurs seront toujours les maîtres du choix de leurs équipages; tous ceux qui se destineront à la navigation du commerce auront donc besoin de la confiance des armateurs, et ils sauront bien que ce n’est pas par des prétentions qu’on gagne cette confiance. Enfin, le dernier point de difficulté est de savoir si le concours sera fixé au grade de lieutenant à l’âge de 18 à 30 ans, ou au grade d’aspirant à l’âge de 15 à 18 ans. Je ne me permettrai qu’une réflexion; il est impossible qu’un jeune homme de 15 ans, qui n’a point encore l’habitude de la mer, qui n’aura même souvent pas commencé à naviguer, puisse être assez utile pour que la nation doive lui promettre un état certain. Elle ne doit pas plus faire pour lui que pour tous les jeunes gens destinés aux autres professions de la société. C’est au moment où ils offrent une espérance légitime, qu’ils rendront des services utiles, qu’on peut leur assurer un état immuable. Or, ce moment, le comité vous propose de le fixer de 18 à 30 ans, et de joindre aux conditions de l’âge celles de l’instruction, tant théorique que pratique; de sorte que ceux qui obtiendraient la préférence à son concours, seraient vraimeut en état de rendre des services utiles, et mériteraient la place qu’il leur destine. Ainsi sur les quatre points de difficultés qui se sont élevés dans la discussion, je crois que le plan du comité demande la préférence, et je demande à l’Assemblée de lui accorder la priorité. Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. Defermon. (L’Assemblée décrète l’impression.) M. de Champagny. La question que l’on agite me paraît tenir à des principes simples, à des principes généraux que Ton peut facilement appuyer sans avoir aucune connaissance de la marine. Je n’attaquerai point le premier article du comité ; cet article n’a d’autre tort que d’être insignifiant, que de ne renfermer aucune disposition précise; mais s’il est vrai, comme l’annonce M. Defermon, que cet article est désirée par les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1791.] Davigateurs, je suis loin de m’opposer à l’adoption du projet. Ou a discuté la question de savoir s’il devait y avoir une marine militaire, ou si l’on devait absolument séparer la marine militaire de la marine du commerce; ceci n’est pas une question nouvelle, mais ce pourrait être une question mal posée, et dilficile à résoudre dans sa généralité. M. Defermon prétend que le service des bâtiments de commerce doit être entièrement assimilé au service des vaisseaux de guerre. Non, sans doute; il est facile de sentir qu’un service public fait pour l’Etat, et dirigé pour l’Etat, n'est pas le même qu’un service privé fait pour l’intérêt de quelques particuliers et par des particuliers; ainsi donc ces deux services ne peuvent être confondus. A-t-on voulu dire que les mêmes hommes pourraient être indifféremment employés à l’un et à l’autre service? Si les services sont distincts par leur objet, distincts par leur nature, n'est-ce pas déjà une prévemion que les mêmes hommes ne peuvent être indifféremment employés à l’un et à l’autre. Je ne répéterai pas ce qui a été dit, je me borne à deux observations. J’observe d’abord que si le commerce emploie, sous le titre d’officiers et capitaines, 8 ou 10,000 individus, et que le service de l’Etat n’en exigu que 2,000, sans doute il ne faut pas imposer à l’Etat l’obligation d’employer successivement cette inutile multitude. L’intérêt du service est de choisir ceux qui peuvent y être bons. J’observerai, en second lieu, que de donner à tous les hommes, n'exerçant par le fait aucune profession publique, un titre militaire, un caractère de fonctionnaire public, c’est peut-être une disposition contraire aux principes de la Constitution. Ce privilège, sans danger dans le moment actuel, parce qu’il serait accordé à une classe dont le patriotisme est bien connu, mais tendant à former dans l’Etat une corporation militaire, pourrait être dangereux pour l’avenir. Ainsi donc ni l’intérêt du service, ni l’esprit de la Constitution, ne permettent que les mêmes hommes soient indifféremment appliqués aux deux services. Mais, en m’opposant à la confusion absolue des deux mrrines, je ne suis pas non plus de l’avis de ceux qui, également injustes, veulent entre les deux une barrière insurmontable. Le corps militaire, de quelque manière qu’il soit composé, n’aura jamais le privilège exclusif des talents. La marine de commerce a fourni de très bons hommes de mer, d'habiles manœuvriers, de véritables grands hommes, dont la patrie réclame les services et à laquelle ils doivent le fruit de leurs talents. Ce qu’il y a de juste à dire sur cette matière me paraît se réduire à ceci: La navigation des bâtiments de commerce forme aussi des officiers de mer quand ils ont des talents. Dans quelque lieu, sur quelque espèce de bâtiment qu’ils aient fait leur apprentissage, soit à l’Etat, soit au commerce, ils n’en sont pas moins précieux. La manne commerçante cherche la fortune, et la marine militaire, l’honneur. Quel est alors l’intérêt de l’Etat? Le même que celui du négociant, c’est-à-dire de choisir les hommes les plus propres à son service, et non pas, comme on propose de le faire, à tour de rôle, ceux qui exercent la même profession. La marine militaire doit être l’élite de la marine marchande. ( Applaudissements .) Nous voilà donc arrivés à la nécessité de choisir parmi les navigateurs ceux qui doivent être 111 spécialement attachés au service de l’Etat. En organisant le corps, il faut avoir en vue, non pas l’utilité des officiers exerçant telle ou telle profession, mais l’uiilité publique. Il faut que le corps de la marine, pour être bien constitué, soit renfermé dans de justes limites, qu’il soit composé d’hommes qui pourront être raisonnablement présumés les plus habiles, et que ces hommes aient la certitude d’améliorer leur sort en prolongeant leur service. Le comité a limité le nombre dans les grades supérieurs, et sur ce point tout le monde est d’accord. Il n’en est pas de même en ce qui concerne les lieutenants et les enseignes. Suivant le plan du comité, tout aspirant, ayant un temps déterminé de navigation, subit un examen et devient enseigne, mais on ne parvient pas de la même manière au grade de lieutenant. Là, le nombre des lieutenants est fixé ; il y a un concours pour y parvenir, et les plus habiles seuls sont admis. Ainsi le comité établit deux concours différents, un examen au concours et un examen sans concours. 11 est assez inutile d’observer, parce que cela est généralement connu, qu’un examen sans concours, qu’un examen où il ne faut que bien répondre, et non pas répondre mieux qu’un autre, n’est qu’une forme communément illusoire, toujours facile à remplir ou facile à éluder. Un examen ne peut être une véritable épreuve des connaissances de celui qu’on y soumet, qu’autant qu’il a des concurrents qu’il a intérêt à surpasser, qu’autant qu’on peut juger les candidats par comparaison. Le mot examen seul ne peut avoir une détermination précise. Ainsi donc tous ceux qui n’ont qu’à subir un examen satisfaisant pour être aspirants seront aspirants, et nous aurons un très grand nombre d’aspirants. Ce nombre sera d’autant plus grand que presque tous ceux exerçant la profession maritime auront intérêt à se dérober au service plus pénible auxquels ils peuvent être assujettis en qualité de matelots et d’officiers maritimes. Il y aura aussi, par la même raison, un très grand nombre d’enseignes, et if est même nécessaire qu’il y en ait beaucoup, puisqu’ils sont aussi destinés seuls à conduire les bâtiments de commerce ; il y a une seconde épreuve, et cette épreuve est le choix du négociant qui doit l’employer. Mais si l’Etat le fait enseigne de vaisseau, il est obligé de l'employer sans choix, sans distinction, et l’Etat, dans cette hypothèse, se trouve dans une position beaucoup plus défavorable que les négociants. D’où il résulte, à mon avis, qu’en n’ayant point limité le nombre des enseignes, on se heurte à un inconvénient assez grave. Ainsi donc pour ce qui regarde les enseignes, le comité a violé les deux bases que j’ai établies. Il n’a point limité le nombre ; il n’y pas de choix dans l’admission. Voyous si la troisième condition, d’accorder toujours des encouragements à ceux qui servent, est également remplie. On parvient au grade de lieutenant par le concours. Si le concours a paru au comité propre à fournir de bons lieutenants, il aurait dû le juger également propre à fournir des enseignes habiles ; et la raison qui l’a déterminé à mettre le grade de lieutenant au concours, pouvait aussi le déterminer pour le grade d’enseigne, puisque le concours, dans sa nature, est établi pour juger ceux à qui les grades peuvent bien mieux convenir. Le concours, dit le comité, comprendra un 112 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1791.] examen sur la théorie et sur la pratique de l’art maritime. Un examen sur la pratique n’est que sur la règle de la pratique, ce qui est aussi facile à connaître que difficile à employer. Le talent d’un officier de marine est dans sa tête et dans ses yeux. Il faut le voir agir pour le juger. Je dis qu’il arrivera presque toujours que les talents pratiques auront le désavantage de se voir délaissés et de ne point parvenir. À la mer on apprend à agir beaucoup mieux qu’à parler ; et l’enseigne de vaisseau qui reviendra d’une campagne pénible, oùles services qu’il aura rendus ne lui auront pas permis de se livrer à des études qui, alors, pourraient lui paraître oisives, verra toujours un jeune enseigne nouvellement parvenu à ce grade, nouvellement sorti des études, sorti de dessus les bancs, exercé à l’art de parler, obtenir sur lui la préférence, et parvenir plutôt que lui au grade de lieutenant. Ainsi, par un renversement de tout principe, on verra la jeunesse et l’inexpérience conduire en chef des opérations qui seront exécutées en subalternes par l’âge et le talent. L’homme expérimenté, voyant mieux dire ce qu’il saura mieux faire, détestera un service qui ne lui offrira aucun espoir d’avancement, ne viendra au service public que quand il y sera forcé, ou bien on aura des hommes médiocres qui n’auront pas trouvé d’armateurs qui les aient jugés dignes de leur confiance. Le comité a donc trouvé le moyen de dévouer au service public les personnes qui y sont les moins propres. Autre difficulté et qui me paraît fort difficile à concilier. En temps de guerre, les enseignes de vaisseaux seront dispersés sur toute la surface du globe. Ils seront employés de la manière la plus active, la plus périlleuse, dans les Indes orientales, dans les Indes occidentales, au bout du monde. L’enseigne de ,raisseau se trouvant en France nouvellement arrivé à ce grade se présentera au concours, qui ne pourra avoir lieu qu’en France ; tandis que l’enseigne qui servira avec activité à l’autre extrémité nu monde sera dans l’impossibilité de s’y présenter. Le premier obtiendra seul le grade de lieutenant, qui sera toujours refusé ou inaccessible à ceux qui s’en seront rendus dignes d’une manière utile et active. Donc le concours sera impraticable pendant la guerre, ou bien deviendra la source la plus absurde des plus cruelles injustices. ( Applaudissments .) Revenons donc à des idées plus simples, plus naturelles. Les officiers voués au service public sont fonctionnaires publics. Ils doivent être choisis; ils doivent être les hommes les plus habiles; ils doivent l’être tous. Ainsi tout le corps militaire, tout le corps des officiers de mer voués au service public, en y comprenant tous les grades, doit être choisi sur la masse des navigateurs. Donc le dernier de ces grades, celui par lequel on commence, le grade d’enseigne doit être donné au concours auquel seront appelés tous les navigateurs et spécialement les capitaines de commerce. 11 faut établir des règles en vertu desquelles le capitaine de navire, qui n’aura pas pu parvenir par la voie du concours, puisse néanmoins parvenir, car il ne faut pas qu’un seul homme de talent dans la marine marchande puisse échapper à la marine militaire. ( Applaudissements .) Mais je ne pense pas pour cela que l’on doive préférer un capitaine de navire à un lieutenant de vaisseau, et je penserai toujours que 15 ans de service militaire équivalent au moins à 30 ans de service dans la marine marchande. Il me reste à parler des aspirants de la marine. Le comité de la marine a conservé les aspirants : donc il les a crus utiles. Mais; comment les aspirants ou élèves delà marine sont-ils utiles? Est-ce par les services qu’ils rendent d’abord ? Est-ce par l’éducation qu’ils y reçoivent? Dans un temps où d’orgueilleux préjugés faisaient supposer que le courage était le partage exclusif d’une classe d’hommes, et l’honneur la plus précieuse récompense, on était conséquent, sans doute, en supposant qu’une foule de jeunes gens, tirés de cette classe privilégiée, donneraient dans toutes les occasions les exemples d’une fermeté qui était son premier et presque sou unique devoir. Mais, maintenant que ces chimères de la vanité sont évanouies, il serait absurde de compter que cet exemple serait donné exclusivement. Ainsi donc les élèves de la marine qui n’ont ni la force, ni l’activité, ni les lumières des officiers, ne sont utiles sur un vaisseau qu’à eux-mêmes par l’éducation qu’ils reçoivent, et non pas par les services qu’ils rendent. Puisque l’Etat peut faire les frais de cette éducation, il faut qu’il la rende aussi utile qu’elle puisse être, et cette éducation deviendra nulle si elle s’étend sur un grand nombre de sujets. Si les aspirants par exemple, sont au nombre de 4,000, et il est probable qu’ils atteindront ce nombre-là, il se passera peut-être 7 ou 8 années avant que chacun d’eux ait pu, faire une seule campagne sur les vaisseaux de guerre, et le bénéfice de cette éducation deviendra nul pour être subdivisé entre un trop grand nombre d’individus. Pour avoir formé trop de sujets, l’Etat n’en aura élevé aucun. Ainsi donc, pour rendre l’éducation utile, il faut limiter le nombre des asjûrants au nombre de ceux qui peuvent être embarqués sur les vaisseaux de l’Etat. En un mot, Messieurs, ou il ne faut pas d’aspirants, ou il faut que Je nombre des aspirants soit limité. Je ne crois pas être dispensé de répondre à l’objection qui fut faite à cette tribune, que limiter le nombre des aspirants était une institution contraire à la Constitution. Sans doute, il est dans l’esprit de la Constitution de destiner aux services publics les hommes qui y sont les plus propres. Si l’esprit de la Constitution eût été d’établir cette égalité absolue dont on nous parle, elle n’aurait pas établi partout des choix populaires qui ont pour objet de porter aux places les hommes qui en sont les plus dignes. Elle aurait dit que tous les administrés eussent été à leur tour administrateurs. ( Applaudissements .) En limitant le nombre des aspirants, quels seront ceux qui seront admis dans cette classe à jouir de l’éducation dont l’Etat veut bien faire les frais? Ceux qui seront le plus dans le cas d’en profiter; ceux qui, par un examen préliminaire, auront annoncé plus de dispositions; et comme il n’est pas question ici d’officiers formés, mais de jeunes gens que l’ont veut former pour la mer, on ne peut exiger que des connaissances théoriques. Après cet examen, il en faut un autre pour avancer dans cette carrière, car je ne pense pas que les aspirants puissent devenir de droit enseignes de vaisseaux. Il faut pour parvenir à ce grade d’enseigne, qu’ils soient, comme tous les autres navigateurs, soumis au concours, et qu’ils n’obtiennent la préférence qu’autant qu’ils l’auront méritée. 11 ne faut pas qu’on puisse dire comme autrefois : « Quoique tu n’aies pas vu la [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1791. | 4 1 3 mer, tu deviendras vice-amiral, si tu vis assez pour atteindre ce grade. » Mais cette éducation ne peut pas être éternelle ; il faut qu’elle ait un terme fixé. Je proposerai donc que lorsqu’un aspirant aura joui pendant un temps déterminé de ce titre et de l’espèce d'éducation qui pourra y être attachée, s’il n’est pas fait enseigne, qu’il soit obligé de se retirer et de rentrer dans la foule des navigateurs. Il me reste à parler des capitaines de commerce. C’est avec satisfaction que je m’empresse de rendre une justice éclatante à cette classe de citoyens estimables par leur loyauté, par le patriotisme dont ils ont fait preuve, et qui sont si dignes de l’estime de la nation et de l’intérêt de l’Assemblée nationale. Je suis partisan de tous les encouragements qu’il est possible d’accorder à cette profession ; mais, lorsqu’il est question de commerce et d’agents de commerce, cet encouragement se trouve toujours dans ce mot que je ne puis trop répéter: Liberté! liberté! Vous favoriserez cette classe en lui laissant la liberté entière d’en exercer les fonctions, en la dérobant à la dépendance du corps militaire que l’on a quelquefois accusé d’avoir abusé de ses droits. Les capitaines de commerce ne sont pa3 fonctionnaires publics ; mais l’Etat, pour ne pas compromettre sa sûreté, doit les surveiller. C’est avec raison qu’on exige d’eux 6 ans de navigation. Mais je ne sais pourquoi on a étendu à 12 mois le temps qu’ils doivent passer sur les vaisseaux de guerre. 11 faut qu’un capitaine de commerce sache sur quel pied il servira. On ne peut lui donner moins que le grade d’enseigne. Voilà en quoi le plan du comité est oppresseur; c’est qu’à 24 ans un capitaine pourra être enseigne, et il pourra encore l’être à 60. N’est-ce pas faire injure à ceux qui exercent cette profession, de croire qu’ils ont besoin d’une école étrangère? Les professions les plus utiles sont maintenant les plus honorables. Celle-ci conduit à la fortune par le plus beau chemin, le travail et les dangers. Je vais maintenant vous faire lecture de mon projet de décret. « Art. 1er. L’Etat contiendra un corps d’officiers de mer de tous grades, pour être spécialement voués à son service. « Art. 2. Le nombre des aspirants sera limité. Ce titre sera donné au concours ; on ne pourra être aspirant plus de 6 années. « Art. 3. Le grade d’enseigne sera donné par un examen au concours sur la théorie et la pratique. Seront admis à ce concours tous les capitaines de commerce et les aspirants ayant un temps déterminé de navigation. Les enseignes et ceux qui parviendront à ce grade par celui de maître, seront constamment entretenus. « Art. 4. Les enseignes parviendront au grade de lieutenant par rang d’ancienneté de navigation faite en cette qualité sur les vaisseaux de l’Etat, pourvu qu’ils n’aient pas passé l’âge de... Cette ancienneté déterminera aussi le rang des enseignes entre eux. <« Art. 5. Il y aura un sixième des places de lieutenant laissé au choix du roi. Ce choix pourra porter sur les enseignes et sur les capitaines de commerce qui se seront distingués par leurs talents ou leurs services en commandant les bâtiments de commerce. « Art. 6. Les navigateurs pourront être reçus capitaines après six années de navigation, *un examen public, et un âge déterminé. « Les capitaines reçus ne pourront être appelés au service public dans une qualité inférieure lre Série. T. XXV. à celle d’enseigne, et seulement dans le cas déterminé ci-aprés. « A l’époque d’armements extraordinaires pour lesquels le corps des officiers de mer entretenus par l’Etat serait insuffisant, le Corps législatif décidera, sur la proposition du roi, s’il faut pourvoir aux besoins du service en augmentant par le concours le corps des entretenus et en appelant au service les capitaines du commerce. « Art. 7. Les capitaines appelés au service prendront rang avec les autres enseignes, suivant leur ancienneté respective, parviendront de même au grade de lieutenant. Ceux qui auront été employés deux ans de suite sur les vaisseaux de l’Etat seront de droit entretenus, sans être assujettis à la condition du concours. « Art. 8. Les capitaines de navire pourront être faits lieutenants, sans passer par le grade d’enseigne, dans les cas déterminés ci-devant. » J’ai parlé à l’Assemblée nationale avec toute la simplicité d’un homme qui dit ce qu’il croit vrai, ce qu’il croit utile, parce que c’est son devoir, et qui le dit ni avec passion ni par intérêt. {Vifs applaudissements.) Plusieurs membres : L’impression! l’impression ! (L’Assemblée ordonne l’impression du discours et du projet de décret.) M. le Président. Quoique j’aie fait part à l’Assemblée, dans une précédente séance, de la lettre de M. Deschamps (1), qui constate suffisamment que la municipalité de Lyon, à laquelle le décret de l’Assemblée avait été adressé, a faitpar-venir ce document à M. Deschamps, cependant je crois devoir faire part à l’Assemblée de la lettre des maires et officiers municipaux de Lyon, attendu qu’elle contient une réponse de M. ües-champs, dont il est peut être bon que l’Assemblée ait connaissance. « Lyon, le 11 avril 1791. « Monsieur le Président, « Nous nous sommes empressés d’exécuter les décrets de l’Assemblée nationale, et M. Deschamps a répondu : « Je soussigné déclare que MM. Chalier etCha-« puis, officiers municipaux, m’ont remisaujour-« d’hui à 8 heures du soir la lettre et le décret « y mentionné, et j’ai déclaré à ces messieurs, « que, prévenu de cette remise, j’ai eu l’honneur « d’écrire, par le courrier d’hier, à l’Assemblée na-« tionale, en la personne de M. son Président, « en annonçant que j’attendrais la réponse que « l’Assemblée daignerait me faire. « Ce 9 avril 1791. « Signé : Deschamps. » « Nous sommes avec respect, Monsieur le Président, etc... « Signé : Les Maires et officiers municipaux de la ville de Lyon. » Un membre : Il n’y a pas de réponse. M. Dubois. On ne peut laisser M. Descbamps revêtu de son inviolabilité lorsque les causes pour (1) Voir celte lettre, Archives parlementaires, t. XXIV, Séance du 12 avril 1791, p. 722. 8