[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. f. J,!maire an 11 505 une arrière-garde pour en imposer à nos troupes; mais à peine le jour parut que les chasseurs des Francs et de Cassel, réunis à l’avant-garde de la colonne de Cherbourg, les chargent à la baïon¬ nette; tout ce qui était resté dans la ville tombe sous leurs coups. Des chefs, des marquises, des comtesses, des prêtres à foison, des canons, des caissons, des carrosses, des bagages de toute espèce, un nombre considérable de fusils, tout est tombé en notre pouvoir, et des monceaux de cadavres sont les seuls obstacles que l’ennemi opposait à la poursuite de nos troupes; les rues, les maisons, les places publiques, les routes en sont jonchées, et depuis quinze heures ce massacre dure encore. Toute l’armée court après cette horde; notre cavalerie est sur elle, déjà presque tous ses canoDS, caissons, sont pris depuis qu’elle est sortie du Mans. Leur trésor, leurs bagages, leurs effets, leurs malles, tout est entre les mains de nos soldats, jus¬ qu’aux croix d’argent, aux mitres, aux crosses, aux bannièies, aux reliques de toutes espèces, aux étendards, signes et instruments du fana¬ tisme dont ils enivraient leur tourbe insensée et féroce. Nous ramassons tous les signes de l’imposture pour vous les envoyer, parce que nous pensons qu’il serait utile de les faire con¬ naître au peuple, afin qu’il vît clairement avec quelle astucieuse perfidie les prêtres ont jusqu’à présent cherché à égarer la raison (1). « Enfin, citoyens collègues, voilà la plus belle journée que nous ayons eue depuis dix mois que nous combattons ces brigands. Tout nous présage que celles qui vont la suivre ne seront pas moins heureuses. « Il est bien des détails oubliés, et qui seraient intéressants; mais, au comble de la joie, excé¬ dés de fatigues, nous ne pouvons saisir l’en¬ semble de tous les faits, et vous en transmettre avec ordre les détails. Parmi ceux que nous ne vous tairons pas cependant, sont tous les traits de bravoure et de courage que nos troupes ont développés, et particulièrement les deux régi¬ ments, ci-devant Aunis et Armagnac; la gen¬ darmerie nationale à pied, attachée à la colonne de Cherbourg, a beaucoup ajouté à la réputa¬ tion que ce corps s’est acquise dans la Vendée. « Les bataillons de l’Aube, de la Dordogne et généralement tous ceux aux ordres du général Tilly, et dont nous n’avons encore pu nous pro¬ curer les noms, se sont disputés d’audace et d’intrépidité; chaque soldat était un héros dans ces légions républicaines. Marceau, général en chef; Tilly, commandant la division de Cher¬ bourg; Westermann, qui commande la cavale¬ rie depuis notre départ de Rennes, ont eu, par leur bravoure et leur valeur, grande part au succès de cette journée. Ce dernier a eu deux chevaux tués sous lui, a reçu deux blessures dans le combat; et n’a pas voulu pour cela quitter son poste. Dans cet instant même, il est encore à la poursuite des brigands, et son intrépide cavalerie jonche la terre de leurs cadavres. Ce qu’il y a de bien satisfaisant, c’est qu’une victoire aussi décisive n’a pas coûté 30 défenseurs à la République; nous avons environ 100 blessés , parmi lesquels se trouvent Vadeling et quelques autres officiers de l’état-major de la division de Cherbourg. Nos canon-(1) Voy. ci-dessus le posi-scriplum de la lettre de Turreau, Prieur et Bourbotte. niers ont continué de bien mériter de la patrie.1 « Vous trouverez ci -joint une croix de Malte, qui a été enlevée à un des chefs par les grena¬ diers de Marat, qui en font hommage à la Con¬ vention. « Le peuple du Mans a accueilli nos soldats comme des libérateurs. Vive mille fois la Répu¬ blique! le triomphe de ses armes a été complet dans cette journée. « Nous marchons à la poursuite des brigands; leur dernière heure est prête à sonner. « Signé : Bourbotte, Prieur (de la Marne), Turreait. » Citoyens, de pareilles troupes sont dignes de la belle cause qu’elles défendent. Vous décla¬ rerez donc aux Français que l’armée de l’Ouest et les troupes qui s’y sont réunies ont bien mérité de la patrie. Mais il est encore, dans la correspondance de cette journée, deux faits qui méritent d’être connus de la Convention. L’un regarde un jeune républicain de 13 ans, qui a mieux aimé mourir que de proférer le cri des royalistes avec les brigands ; l’autre fait ap¬ partient à un bataillon qui a pensé comme ce fameux grenadier revenant d’un grand danger, et à qui le général offrait sa bourse : « Mon géné¬ ral, on ne va pas là pour de l’argent. » Le Ier ba¬ taillon de l’Indre a refusé une récompense de .1,200 livres, et, en augmentant la somme par ses économies, l’a consacrée au soulagement des veuves et des orphelins des défenseurs de la patrie. Voici les lettres qui constatent ces faits : Lettre du général Pichegru, général en chef de l’armée du Rhin, au ministre de la guerre, datée du quartier général de Vandenheim, le 20 frimaire. « Avant-hier, citoyen ministre, j’ai fait atta¬ quer l’ennemi par la gauche et le centre de l’armée, tandis que la droite se mettait en évi¬ dence pour occuper les forces que l’ennemi avait devant elle, et l’èmpêcher de renforcer son centre ou sa droite. Les divisions de gauche et du centre, malgré leur ardeur, n’ont pu gagner que quelque peu de terrain. La division, com¬ mandée par Jacob, a enlevé deux drapeaux aux ennemis; j’ai fait bivouaquer la nuit les troupes sur le champ de bataille, afin de recom¬ mencer, à la pointe du jour, les attaques, et profiter des bonnes dispositions qu’elles mon¬ traient. En conséquence, hier matin, la Car¬ magnole a recommencé; nos attaques ont eu tout le succès que j’en attendais. Après une longue canonnade, les troupes, ne consultant plus que leur ardeur et leur impétuosité, char¬ gèrent à la baïonnette et emportèrent les re¬ doutes qui défendaient l’accès des hauteurs qu’occupait l’ennemi. Le feu terrible qui en sortait ne faisait qu’augmenter leur ardeur, et elles y répondaient par des cris de vive la Répu¬ blique ! « Nous nous sommes emparés, de la même manière, de plusieurs villages qu’ils occupaient. Le désordre étant alors dans les troupes enne¬ mies, elles fuyaient de toutes parts, et si le jour eut eu deux heures de plus, nous aurions pu nous emparer d’Haguenau sans éprouver une grande résistance. « Les troupes ont bivouaqué cette nuit sur la position qu’occupait hier l’ennemi, et aujour- 506 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j » ïi�em'bre 'l 793 d’hui nous continuons à le combattre. J’ai été informé cette nuit qu’il avait évacué plusieurs postes à la droite, et le général Desaix, qui m’eD informe, les a fait occuper de suite par les troupes de cette division. « Parmi les traits de bravoure qui se sont passés dans ces journées, il en est un surtout que je ne dois pas te laisser ignorer, parce qu’il réunit la générosité à la bravoure. « Le 1er bataillon de l’Indre ayant fait des prodiges de valeur dans la journée du 12, je lui adressai une somme de 1,200 livres pour lui en témoigner ma satisfaction. Les braves sans-culottes qui le composent me renvoyèrent cette somme, en y ajoutant celle de 640 liv. 10 s., qu’ils destinent au soulagement des veuves et des orphelins des défenseurs de la patrie. « Dans la journée du 1 8, ce bataillon a acquis de nouveaux droits à la reconnaissance natio¬ nale, en enlevant au pas de charge plusieurs redoutes. J’ai adressé ces sommes aux repré¬ sentants du peuple près cette armée, en les priant de les envoyer à la Convention nationale, pour lui faire connaître, et à la République en¬ tière, ces traits de bravoure et de générosité. « Signé : Pichegru. » Copie d’une lettre du citoyen Desmarres, com¬ mandant de la division de Bressuire, de Cholet, le 18 frimaire. « Les brigands commençaient, citoyen mi¬ nistre, un rassemblement considérable de ces côtés -ci de la Loire. Deux de nos détachements battus successivement, un troisième taillé en pièces, excitaient leur courage et augmentaient leurs prosélytes. Déjà au nombre de 4,000 hom¬ mes, ils menaçaient Cholet et Saint -Florent. J’ai été me poster à Jallais, d’où j’ai envoyé incendier leur repaire; ils ont fondu hier matin sur nous : quelques lâches et fuyards ont pensé mettre la déroute dans l’armée; mais la majeure partie s’est montrée ce qu’elle est. « Nous n’étions sûrement pas la moitié de la force des brigands et cependant, après trois heures de combat, nous les avons mis en pleine déroute, nous les avons poursuivis plus de trois quarts de lieue, la baïonnette dans les reins. « J’implore la justice du citoyen ministre, et celle de la Convention pour la famille de Joseph Barra. Trop jeune pour entrer dans les troupes de la République, mais brûlant de la servir, cet enfant m’a accompagné, depuis l’an¬ née dernière, monté et équipé en hussard : toute l’armée a vu avec étonnement un enfant de 13 ans affronter tous les dangers, charger toujours à la tête de la cavalerie; elle a vu une fois ce faible bras terrasser et amener deux brigands qui avaient osé l’attaquer. Ce généreux enfant, entouré hier par les brigands, a mieux aimé périr que de se rendre et leur livrer deux chevaux qu’il conduisait. Aussi vertueux que eourageux, se bornant à sa nourriture et à son habillement, il faisait passer à sa mère tout ce qu’il pouvait se procurer; il la laisse avec plu¬ sieurs filles, et son jeune frère infirme sans aucune espèce de secours. « Je supplie la Convention de ne pas laisser cette malheureuse mère dans l’horreur de l’in di-genee, elle demeure dans la commune de Palai¬ seau, district de Versailles. » Au milieu des maux inséparables de la guerre, jl ost consolant pour les représentants du peuple de pouvoir se reposer sur des actes de courage et de dévouement, de pouvoir récompenser le même jour, avec la monnaie de l’honneur, la conduite courageuse de l’armée de l’Ouest, le dévouement civique d’un jeune républicain, et la bienveillance patriotique d’un bataillon de l’armée du Rhin. Vous n’avez aujourd’hui que des récompenses à décerner; vous donnerez dans la même séance un encouragement aux armées de la République vous offrirez un modèle à la génération qui s’élève, et qui forme l’espérance de la patrie ; vous consacrerez la générosité mili¬ taire et le désintéressement républicain; vous proclamerez les triomphes de l’armée de l’Ouest. Voici les projets de décrets ; Premier décret. a La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport du comité de Salut public, décrète que les troupes réunies dans l’armée de l’Ouest, qui viennent de remporter une victoire signalée sur les brigands dans la ville du Mans, ont bien mérité de la patrie. « Elle appelle à leur entière destruction les braves républicains qui arrivent de l’armée du Nord, après avoir triomphé des troupes des tyrans coalisés à Dunkerque et à Maubeuge. » Second décret. « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu la lecture de la lettre du citoyen Des-marres, commandant de la division de Bres¬ suire, écrite de Cholet, le 18 frimaire, au ministre de la guerre, décrète que la lettre qui fait men¬ tion de la bravoure, du dévouement et de la piété filiale du jeune Joseph Barra de la com¬ mune de Palaiseau, district de Versailles, sera insérée dans le procès-verbal et au Bulletin. « Elle accorde à la citoyenne mère du jeune Barra une pension viagère de 1,000 livres, et une somme de 3,000 livres payable sur-le-champ. Troisième décret. « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu la lecture de Pichegru, général en chef de l’armée du Rhin, écrite du quartier général de Vandenheim, au ministre de la guerre, « Décrète qu’elle accepte le don patriotique de la somme de 1,840 livres, fait par le premier bataillon de l’Indre, dont la destination est pour le soulagement des veuves et des orphe¬ lins des défenseurs de la patrie. Il en sera fait mention honorable dans le procès-verbal et dans 1 e Bulletin, qui seront envoyés aux ar¬ mées. » Compte rendu du Moniteur universel (1). Barère, au nom du comité de Salut public, fait un rapport sur la situation actuelle de la nou¬ velle et de l’ancienne Vendée. Il en résulte qu’après avoir taillé en pièces les brigands, dans (1) Moniteur universel En0 86 du 26 frimaire an II (lundi 16 décembre 1793), p. 348, col. 3 et n° 87 et