238 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 août 1791.] citoyens qu’il est inutile de battre la générale; que si un chasseur insuite un citoyen, il doit être puni , et qu’on ne peut compter sur lui pour obtenir une éclatante justice. Les citoyens disent qu’ils ne demandent pas la punition du chasseur, mais qu’ils sollicitent le renvoi du détachement de Hainaut. Le maire résiste longtemps; les officiers municipaux ne veulent point céder à ces clameurs populaires; on environne l'hôtel de ville, on les couche en joue, on les menace, et ils ne durent peut-être leur sûreté qu’à quelques soldats de Flandre qui empêchaient que l’hôtel de ville ne fût forcé. Enfin, on se porte vers les chasseurs qui immobiles, sur place, ne répondirent rien aux injures ni aux menaces qu’on leur prodiguait, Le maire et Jes officiers municipaux craignant enfin que cette scène ne devînt funeste, cédèrent à la réquisition des citoyens, et donnèrent un ordre qui enjoignait au déiachement de Ilai-naut de partir sur-le-champ pour Melun. Ils obéirent aussitôt et se rendirent à Melun, où ils rendirent compte aux administrateurs de tous ces faits. Je dois ajouter que le détachement de Flandre s’était réuni aux gardes nationales et aux citoyens pour demander le renvoi du détachement du Hainaut. Cette circonstance est essentielle à vous proposer. Le directoire du département de S ine-et-Marne envoya des commissaires à Brie pour s’assurer de l’exactitude des faits; ils donnèrent des ordres, après en avoir communiqué avec le ministre, pour faire retirer le déiachement de Flandre qui y était, parce qu’une partie du détachement ayant désobéi à la loi, ayant manqué à la discipline et participé à une insurrection dans la ville, ils crurent qu’il était prudent de l’éloigner ; en même temps ils renvoyèrent le détachement de Hainaut, que la violence seule avait exclu, et ils l’augmentèrent jusqu’au nombre de 100 hommes ; ils chargèrent le procureur général syndic de dénoncer ces nouveaux troubles à l’accusateur public. La plainte fut rendue. Information prise, il en est résulté des décrets de prise de corps contre 7 ou 8 particuliers détenus. Vous devez penser, Messieurs, que d’après les détails que j’ai eu l’honneur de vous présenter, il n’était pas facile de mettre à exécution ces décrets de prise de corps contre les principaux auteurs des troubles, dans une ville où l’insurrection s’était si souvent manifestée. Le tribunal crut devoir prendre des précautions. Il requit les chasseurs du Hainaut de prêter main-forte à la justice; ils ont obéi. En conséquence, les individus ont été arrêtés chez eux, la nuit, et transférés à Melun. Ces prisonniers vous ont dit, Messieurs, qu’ils avaient été jetés dans des cachots, et que deux étaient déjà morts des mauvais traitements qu’ils avaient reçus. Ils ont ajouté que le département de Seine-et-Marne n’avait jamais pris aucune délibération pour assurer la salubrité des prisons. A cet égard, je dois assurer l’Assemblée que je suis muni de huit délibérations du département de Melun, dans lesquelles ils ont nommé des commissaires pour visiter les prisons. Ces commissaires ont pris des attestations des détenus, qui déclarent qu’ils n’ont qu’à se louer des soins et de la nourriture qui leur ont été donnés par le concierge, et n’ont à se plaindre que de la fraîcheur d> s lieux où ils sont renfermés. Tels sont, Messieurs, les faits qui résultent des pièces. Observez encore que ces personnes sont couchées sur des matelas, avec draps et couvertures. Vous êtes-vous sans doute étonnés, après la lecture que je viens de vous faire, de ne trouver aucune trace des attentats dont on vous a rendu plainte. Nous avons longtemps attendu les preuves, nous les avons cherchées, nous avons vu au contraire que les chasseurs du Hainaut n’avaient fait qu’obéir à des réquisitions, j’ose dire très justes; qu’insultés, menacés par des citoyens sans doute égarés, ces chasseurs n’ont pas repoussé les menaces. D’après ces considérations, votre comité a pensé que le patriotisme de notre collègue avait été égaré, en épousant la querelle des citoyens de Brie avec plus de chaleur que d’examen. Nous avons cru cependant, Messieurs, que nous ne devions pas vous présenter un projet de décret sévère contre ces citoyens qui vous ont fait des dénonciations dénuées de vérité ; mais comme cette dénonciation a été solennelle, et qu’elle a entravé la marche du département de Seine-et-Marne, nous avons pensé que vous lui deviez une sorte de réparation suffisante. En conséquence, nous vous proposons d’approuver la conduite du directoire du département de Seine-et-Marne, ainsi que celle du détachement des chasseurs, et de déclarer, au surplus, qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la dénonciation présentée. M. Président. M. Robespierre a la parole. (Murmures.) M. Robespierre. Je ne crois point faire une démarche qui puisse déplaire à l’Assemblée en venant proposer des observations contre le rapport du comité. Messieurs, un grand nombre de citoyens de la ville de Brie-Gomte-Robert, au nombre desquels je voyais le procureur de la commune et un officier municipal m’ont présenté un mémoire portant dénonciation d’une multitude de vexations faites, si elles étaient vraies, pour exciter l’indignation de tous les honnêtes gens. Ils m’ont prié de faire parvenir leurs plaintes à l’Assemblée nationale et d’accélérer la décision de cette affaire ; je l’ai fait. Lorsque j’ai présenté, de leur part, cette dénonciation à l’Assemblée, je me suis borné à en demander le renvoi au comité des rapports. Là a fini ma mission, et j’ose attester la bonne foi de tous ceux qui m’entendent, je n’ai fait que ce qui convenait au devoir d’un représentant de la nation. Je ne répondrai pas aux inculpations qu’on a faites à cette occasion contre mon caractère et mes principes. J’attends ma justification du temps et de la probité de l’Assemblée nationale. J’en viens à l’examen du rapport du comité. Le comité a d’abord pensé que l’Assemblée nationale devait faire plus que de prononcer sa propre opinion sur le fond de l’affaire ; qu’elle devait aller jusqu’à approuver formellement la conduite du directoire de Melun et des chasseurs de Hainaut; je présente une observation qui prouve, sans réplique, qu’il est impossible d’adopter ce système. Il suffit pour cela de se rappeler que la cause est pendante à un tribunal ; j’en conclus qu’il est impossible que l’Assemblée nationale préjuge elle-même, dès ce moment, le fond de cette affaire, en approuvant la conduite de l’une des parties. Un membre : Ce n’est pas là la question. M. Robespierre. On fait une objection à la* (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 août 1791-1 239 quelle je réponds. On médit : Vous avez demandé vous-même, au nom de Brie-Gomte-Robert, que l’Assemblée prononçât sur cette affaire ; par conséquent, vous ne pouvez point opposer que l’affaire est pendante dans un tribunal, si l’Assemblée veut prononcer elle-même sur le fond de l’affaire, je ne combattrai pas. ( Murmures ) ; si l’Assemblée, comme le suppose le comité des rapports, laisse l’affaire pendante et indécise dans un tribunal, il est évident qu’elle ne peut pas en préjuger le fond, et que si elle déclarait que le directoire et les chasseurs de Hainaut inculpés par les citoyens, sont exempts de tout reproche, il en résulterait un préjugé fatal contre les citoyens qui sont actuellement en procès avec ces particuliers. Je viens au fond de l’affaire et j’observe que le rapport passe sous silence tout ce qui a donné lieu aux divisions entre la garde nationale et la compagnie dite du Bon-Dieu. Selon lui, la cause des troubles est dans la désobéissance et la révolte de cette compagnie ; et moi je dis que c’est un fait qui mérite d’être éclairci ; que la garde nationale prétend, au contraire, que c’est elle qui a été forcée de résister aux attaques et aux hostilités de la compagnie qui se révoltait injustement contre le vœu des citoyens et contre le vœu de l’Assemblée nationale. J’observe que ces citoyens prétendent prouver que ce sont leurs adversaires qui ont employé la violence ; qu’on les a taxés d’insurrection, tandis qu’ils n’ont opposé que la résistance à l’insurrection et à la violence coupable de leurs adversaires. Voilà ce qu’on ne peut pas préjuger sans avoir approfondi la procédure, d’autant plus que ces citoyens se plaignent de ce que deux pièces importantes de la procédure n’ont pas été lues tout entières au comité des rapports; et je suis autorisé, par un écrit signé de l’avocat de ces citoyens, à dire qu’ils ont vainement employé leurs efforts pour obtenir que ces pièces fussent lues par M. le rapporteur. Ainsi, si l’Assemblée ne veut pas entendre ces nouvelles pièces, pour prononcer sur un fait semblable, elle doit laisser indécise la question. Je ne crois pas devoir me justifier contre les insinuations que l’on cherche à répandre depuis trop longtemps contre ceux qui servent de bonne foi la cause publique, et je me repose sur la probité de l’Assemblé nationale du sort de toutes ces coupables calomnies. Je demande la question préalable sur les propositions tendant à ce que l’ Assemblé nationale, par des marques d'approbation, préjuge cette cause qui doit rester pendante aux tribunaux dans toute son intégrité. M. Barnave. Je ne sais si M. Robespierre a tort ou raison sur les faits ; j’ignore absolument le fond de l’affaire ; mais je sais qu’il paraît oublier complètement, dans le moment actuel, les principes mêmes de la Constitution. Il n’est pas ici question d’une procédure entre le3 citoyens de Brie et l’administration du département. La procédure qui s’instruit au tribunal ne concerne et ne peut concerner que la question de savoir si les particuliers qui ont été décrétés de prise de corps sont effectivement les auteurs des troubles qui ont eu lieu dans cette ville. Quant à nous, nous n’avons à examiner que la conduite des administrateurs et des militaires qui ont agi sous les ordres des administrateurs. Ce qui concernait les administrateurs étaient uniquement de maintenir la tranquillité publique, d’empêcher qu’on sonnât le tocsin, d’empêcher qu’on ne battît la générale et de faire traduire devant la justice, par l’organe du procureur général syndic, ceux qui avaient été les auteurs de ces désordres. Les troupes n’avaient autre chose à faire que d’obéir aveuglément aux réquisitions des administrateurs et des juges, lorsque ceux-ci ont rendu des décrets de prise de corps. Or, les administrateurs ne sont pas justiciables des tribunaux dans leurs fonctions d’administrateurs. Ils ne peuvent être réprimés que par le pouvoir exécutif et par l’Assemblée nationale. C’est vous qui pourriez les réprimer, s’ils avaient mal fait ; c’est vous qui les approuvez, lorsqu’ils ont bien fait. Il en est de même, dans cè moment-ci, de la troupe de ligne, à laquelle, à la vérité, vous n’avez pas précisément de lois à dicter, mais qui, ayant été très mal à propos dénoncée dans cette Assemblée. . . . M. Robespierre. C’est là la question, Monsieur .... Plusieurs membres : A l’ordre I à l’ordre ! M. Barnave. La question est de savoir si les habitants de Brie sont coupables, oui ou non. Je n’établis point une querelle relativement aux faits, parce que je n’en ai aucune connaissance ; j’établis seulement le principe qui nous dirige. Or, je dis que la décision portée devant les tribunaux est uniquement de savoir si, oui ou non, quelques citoyens de Brie ont commis des troubles et doivent être punis ; mais de savoir si les troupes ont dû obéir à la réquisition des administrateurs et des juges, cela n’est pas ou ne peut pas être une question. Qu’en conséquence, puisqu’elles ont été dénoncées, quoique ayant agi d’après la réquisition légale, puisqu’il s’est établi un soupçon contre elle dans le sein de cette Assemblée et dans l’opinion publique, il faut que ce soupçon là soit détruit par l’approbation que l’Assemblée nationale donnera à leur conduite. En agissant ainsi, vous n’outrepassez pas votre compétence et vous laissez la question pendante aux tribunaux dans toute son intégrité. (Applaudissements.) Plusieurs membres : Aux voix! aux Voix! (La discussion est fermée.) M. Muguet de Nanthou, rapporteur. Voici notre projet de décret : « L’Assemblée nationale, après avoir oui son comité des rapports sur la dénonciationqui a été faite par quelques citoyens de Brie-Comte -Robert, décrète qu’elle approuve la conduite des membres composant le directoire du département de Seine-et-Marne, et du détachement de Hainaut, en quartier à Brie; déclare, au surplus, qu’il n’y a lieu à délibérer sur les pétitions des citoyens de Brie. » (Ce décret est mis aux voix et adopté.) M. Régnier, au nom 'du comité des rapports. Messieurs, vous vous rappelez, sans doute, qu’au mois de mai dernier, je vous fis le rapport d’une pétition présentée par M. Fournier, habitant de Saint-Domingue. Il se plaignait d’avoir essuyé des vexations aux colonies, et d’avoir été victime d’un déni de justice en France; il demandait la révocation de deux décisions du conseil rendues illégalement contre lui; enfin il vous suppliait de juger vous-mêmes cette affaire.