68 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE cret, la grande masse des individus qui s’y étaient réunis subitement, vous pouviez vous montrer moins sévères à l’égard de ceux qui y viendraient à l’avenir. Quand le péril est imminent, le devoir du législateur est de tout faire pour le conjurer; et il faut alors que les mesures de police s’étendent même sur les hommes dont les intentions ne sont pas suspectes, parce que les recherches et les formes indispensables pour en constater la droiture consumeraient le temps nécessaire pour écarter les hommes dangereux. Mais, quand il ne s’agit que de précautions à prendre pour l’avenir, l’on peut et l’on doit y mettre toute la réserve qu’exige la justice, et que réclament les intérêts du corps social. Guidés par ce principe, nous avons cru qu’en maintenant quatre exceptions, renfermées dans vos décrets des troisième et quatrième jours des sans-culottides, il n’y aurait nul inconvénient de leur donner toute l’extension que pourraient permettre les circonstances et les individualités. Et comme il est impossible de faire une bonne loi sur un objet qui, par sa nature, est soumis à tant de variations, il nous a paru que le seul moyen de la régulariser était de le soumettre au jury politique qui existe auprès de vous, c’est-à-dire à votre comité de Sûreté générale. Ainsi, quand il se présentera à Paris des citoyens qui paraîtront évidemment n’y venir que dans de bonnes intentions, votre comité de Sûreté générale les autorisera à y rester pendant tout le temps que leur présence y sera nécessaire. Par là vous concilierez ce que vous devez à la tranquillité publique avec ce que vous ne pouvez refuser à la justice distributive, et vous comprimerez la malveillance sans violer les droits des individus (102). Il est fait, au nom des comités de Salut public et de Sûreté générale, un rapport énonciatif de plusieurs questions à résoudre, et auxquelles la loi, qui oblige les étrangers de sortir de Paris, a donné lieu; le rapporteur propose quelques articles additionnels à cette loi; ils sont décrétés comme il suit : La Convention nationale, après avoir entendu ses comités de Sûreté générale, de Salut public et de Législation, décrète : Article premier. - Ceux qui n’étant pas résidans à Paris à l’époque du premier messidor, y sont arrivés postérieurement à la publication de la loi du troisième jour des Sans-Culottides, seront tenus d’en sortir le troisième jour qui suivra la publication du présent décret. Art. IL - Seront également tenus de sortir de Paris, trois jours après leur arrivée, ceux qui s’y rendront à l’avenir, et ce, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. (102) Moniteur, XXII, 69-70. Bull., 4 vend. ; Débats, n° 734, 50-52; Mess. Soir, n” 769. Art. III. - Sont exceptés des dispositions des deux articles précédents, ceux qui sont compris dans les exceptions portées par les lois des troisième et quatrième jours des Sans-Culottides. Art. IV. - Le comité de Sûreté générale est autorisé à donner des permissions pour rester à Paris, à ceux qui y viendraient pour des causes d’une utilité ou justice reconnues, non comprises dans lesdites exceptions. Art. V. - L’insertion du présent décret au bulletin de correspondance, tiendra lieu de publication (103). La séance est levée à quatre heures. Signé, A. DUMONT, président ; LAPORTE, CORDIER, BORIE, L. LOUCHET, PELET, LOZEAU, secrétaires (104). AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 64 Motion d’ordre faite par Marc-François Bon-guyod, sur le commerce, dans la séance du 4 vendémiaire, et dont l’impression a été décrétée (105). La Convention nationale a appelé tous ses membres à lui indiquer les moyens propres à régénérer le commerce. Je sens qu’il est difficile de bien répondre à cet appel : le désir de coopérer à cette œuvre m’a déterminé à lui adresser quelques réflexions. De tous les états qui ont existé, deux seuls sont véritablement utiles, l’agriculture et l’in-dutrie : l’une nourrit l’homme; l’autre lui procure le vêtement et les autres choses nécessaires à son existence. C’est vers ces deux objets que doivent tourner les regards et la sollicitude du gouvernement républicain. Améliorer l’un, activer l’autre, est son devoir : telle doit être son unique occupation. Le comité d’ Agriculture a présenté un projet dont l’exécution élèvera cet état au degré de perfection qu’il doit atteindre pour dispenser la République de demander des blés à ses voisins. Il faut élever l’industrie au même degré. Il faut mettre la France dans le cas, non seulement de rivaliser avec les nations voisines, mais encore de les rendre tributaires de nos manufactures. (103) P.-V., XLVI, 97-98. C 320, pl. 1328, p. 14, minute de la main de Merlin (de Douai), rapporteur. Moniteur, XXII, 70; Bull., 4 vend.; Débats, n° 734, 52; (104) P.-V., XLVI, 98. (105) Les journaux placent cette intervention après le discours de Legendre (de la Nièvre). Moniteur, XXII, 92-93. Mention dans Débats, n° 734, 50; Ann. R. F., n° 4; C. Eg., n" 768; J. Paris, n° 5 ; Mess. Soir., n° 768. SÉANCE DU 4 VENDÉMIAIRE AN III (25 SEPTEMBRE 1794) - N° 64 69 L’entreprise est hardie, mais elle n’est pas impossible. Deux moyens très faciles à exécuter peuvent remplir ce but : l’un, de donner plus d’activité aux manufactures existantes ; et l’autre, d’en créer de nouvelles. Une emplette de soie, de laine et de coton, la concession de quelques maisons nationales, sont les seules dépenses qu’ait à faire la République. L’émulation et l’intérêt particulier opéreront le surplus. Qui faut-il pour une manufacture? et où doit-on la placer? Voilà ce qu’il convient d’examiner. Trois choses sont nécessaires à l’établissement d’une manufacture : 1° Une maison vaste et commode; 2° Des matières premières; 3° Des ustensiles propres à la fabrication des draps. La nation possède des maisons qui réunissent la solidité aux convenances d’une manufacture. La plupart de ces maisons sont trop vastes pour qu’un particuHer pût en faire l’acquisition. On n’en peut faire un meilleur usage que de les employer à des manufactures. Quoique les matières premières ne manquent pas en France, il ne sera pas inutile d’en acheter chez l’étranger. Il résultera de cet achat une rivalité, une concurrence infiniment salutaires aux manufactures ; elles reprendront leur activité. La qualité des draps améliorée, la quantité augmentée et leur prix diminué ; voilà les avantages inséparables du rétablissement et de l’augmentation des manufactures. Sans doute il viendra un temps, qui n’est pas éloigné, où l’on verra les laines abondantes en France. Ce sera lorsque l’agriculture aura acquis la perfection dont elle est susceptible ; lorsque les laboureurs pourront augmenter et perfectionner l’espèce des moutons. En attendant cet heureux moment, la Convention nationale ne peut faire un meilleur usage des ressources qui sont en son pouvoir, que d’en employer une partie à procurer aux manufactures des matières. La nature nous a donné cette année une abondante récolte. Ajoutons à ces denrées beaucoup de matières propres à la fabrication des draps, alors l’abondance sera parfaite, le peuple sera bien nourri, bien vêtu. voilà le terme et le but des travaux de la Convention nationale. Dans plusieurs manufactures on se sert de métiers économiques pour la filature du coton. Il faut perfectionner ces machines, et les rendre propres à la filature de la laine. Tous les autres instruments employés aux manufactures sont aussi susceptibles d’être perfectionnés. La Convention sentira la nécessité d’apppeler les gens de l’art à les perfectionner. Dans quelle partie de la République peut-on et doit-on établir des manufactures? Tous les districts n’offrent pas les mêmes avantages. Les uns sont propres à l’agriculture, les autres sont forcés de recourir à l’industrie. Il n’est personne qui ne sente le danger qu’il y aurait de détourner les agriculteurs d’un état qui exige un travail actif et constant. L’industrie est donc resserrée aux pays où l’agriculture est d’une faible ressource. Puisque la nature a été avare envers leurs habitants, il faut les consoler, les dédommager de l’ingratitude du sol qu’ils occupent, par l’établissement de manufactures qui leur procurent une occupation utile. Telles sont les premières idées qu’inspire l’amélioration de l’industrie. Elles ont besoin d’un plus grand développement et d’une plus grande méditation. Il est réservé aux comités d’Agriculture et de Commerce de s’occuper spécialement de cet important objet. C’est à la Convention nationale à prononcer sur les projets qui lui seront présentés ; elle peut effectuer dans ce moment une partie de celui que je lui présente. Dans les prises faites par la marine, il se trouve des laines, des cotons; eh bien, qu’elle en ordonne la répartition entre les principales manufactures. Voici quelques articles que je soumets à votre sagesse : Art. 1er. - L’industrie et le commerce sont mis dans le rang des états véritablement utiles à l’humanité. II. - Les principaux instruments de cet état seront placés dans le temple des lois, à côté de ceux de l’agriculture. III. - Le jour de la fete de l’industrie, il sera déhvré des prix dans les lieux où sont établies des manufactures : 1° A celui qui, dans le cours de l’année, aura fabriqué des draps de la plus belle et meilleure qualité. 2° A celui qui aura perfectionné les ustensiles nécessaires à cette fabrication. IV. - Le prix consistera dans une distribution de soie, laine et coton de la plus belle espèce. V. - Il sera établi des manufactures pour la fabrication des draps de soie, laine et coton. VI. - Ces nouvelles manufactures seront placées dans les districts où l’agriculture est d’une faible ressource. VII. - Pour favoriser leur établissement, on exceptera de la vente les maisons nationales qui seront reconnues les plus convenables à cet objet. VIII. - Le comité des Domaines et aliénations est autorisé à désigner ces maisons. IX. - Il sera mis à la disposition de la Commission de commerce une somme de... qui sera employée à acheter des matières premières et des ustensiles propres à la fabrication des draps. X. - Les matières premières seront réparties entre les manufactures existantes et celles à établir proportionnellement à leurs besoins. XI. - Les propriétaires des manufactures paieront les matières au prix du maximum. XII. - Il sera accordé aux citoyens qui se chargeront de la manutention des nouvelles manufactures : 1° Une maison nationale; 2° Des matières premières au prix du maximum; 3° Des ustensiles propres à la fabrication des draps. XIII. - Le détail des conditions relatives aux nouvelles manufactures entre la nation et leurs entrepreneurs sera réglé par la commission de commerce. 70 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE XTV. - Elle rendra compte tous les mois de l’état des manufactures existantes et de celles nouvellement établies. Elle remettra à la Trésorerie nationale le prix des matières premières au fur et à mesure qu’elle les recevra. XV. - Les laines et cotons qui sont actuellement dans les ports de la République seront incontinent cédés aux propriétaires des manufactures de Sedan, Louviers, Elbeuf. XVI. - Les soies et autres matières premières, séquestrées en exécution du décret du 25 pluviôse, seront incontinent remises en circulation. 65 [La société populaire régénérée de Laval à la Convention nationale, s. d.] (106). Citoyens Représentants, Une grande question relative à la liberté de la presse s’agite et se discute aujourd’hui. On craint qu’elle n’entraîne des suites funestes en ouvrant la barrière à toutes les plumes intéressées ou vendues aux arrière factions de la tyrannie. L’expérience est là et nous n’oublierons jamais que cette même faculté qui ne tend qu’à dispenser la lumière, qu’à dénoncer tous les abus, qu’à éveiller tous les esprits, fut proscrite dans tous les tems partout où régna le despotisme. En faudrait-il davantage pour prouver que dans un gouvernement libre il faut adopter la mesure contraire. Les tyrans n’existent qu’à la faveur des ténèbres, la liberté ne triomphe que par l’explosion de la vérité. Qu’on ne dise point que l’aristocratie, que le modérantisme en profitent pour insinuer leurs poisons liberticides, ce serait douter du caractère et de l’énergie d’un peuple qui a voué une haine étemelle à tout ce qui sent l’esclavage. Si chacun a le droit d’émettre son opinion, pourquoi n’aurait-il pas celui de l’écrire, quand sa tête est là pour répondre, si par ses écrits il a attenté à la souveraineté du peuple. C’est ainsi citoyens représentans que nous envisageons la liberté de la presse, elle est de droit naturel, elle est essentielle dans un gouvernement fibre et nous la demandons pour le salut de la république. Garot, président, Aubry l’aîné, François Huchée, secrétaires. (106) C 321, pl. 1349, p. 26. Bull., 6 vend, (suppl). ; C. Eg., n 772; J. Fr., n 731; M. U., XLIV, 73.