[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j L�vembrc 1793 10S celui qui conviendrait le mieux par la force et par l’habitude qu’il a de manier les affaires dans l’Assemblée. Nous désirons en conséquence, et exigeons du zèle de M. de la Fayette, qu’il se prête à se concerter avec Mirabeau sur les objets qui intéressent le bien de l’Etat, celui de J mon service et de ma personne. » C’est dans les premiers jours du mois de mars 1791 que le projet de corruption fut exécuté. Voyez la pièce cotée p° 7 ; elle est datée du 8 mars 1791, adressée au tyran, et signée Laporte. C’était l’intendant de la liste civile. En voici le précis : « Sire, lorsque j’ai rendu compte ce matin à Votre Majesté de la conversation que j’ai eue hier avec M. de Luchet, je ne croyais pas entendre parler aussi promptement de ce que j’avais jugé être le véritable sujet de la visite. Je vous envoie, Sire, ce que je viens de recevoir à deux heures. Les demandes sont bien claires. M. de Mirabeau veut avoir un revenu assuré pour l’avenir, soit én rentes viagères consti¬ tuées sur le Trésor public, soit en. immêubles. S’il était question de traiter ces objets dans ce moment, je proposerais à Votre Majesté de donner la préférence à des rentes viagères... Votre Majesté approuvera-t-elle que je voie M. de Mirabeau? Que me prescrira-t-elle de lui dire? Faudra-t-il le sonder sur ses projets? Quelle assurance de sa conduite devrai-je lui demander? Que puis-je lui promettre pour le moment? Quelle espérance pour l’avenir? Si, dans cette conduite, il est nécessaire de mettre de l’adresse, je crois, Sire, qu’il faut encore plus de franchise et de bonne foi; M. de Mira¬ beau a déjà été trompé; je suis sûr qu’il disait, il y a un an, que M. Necker lui avait manqué de parole deux fois. » Dans la pièce cotée n° 2, et datée du 13 mars, Laporte rend compte au tyran du long entre¬ tien qu’il a eu avec Mirabeau. Je ne rapporterai point ici cet entretien très monarchique ; et, pour ne point abuser du temps de la Conven¬ tion nationale, je termine ce dégoûtant extrait par quelques lignes de la pièce cotée n° 4, et datée du 20 avril 1791, 18 jours après la mort de Mirabeau. Il est dit dans cette pièce, en parlant d’une section qui s’élève : « Elle fait que Votre Majesté a répandu de l’argent qui a été partagé entre Mirabeau et quelques autres que l’on m’a nommés. » En voilà plus qu’il n’en faut pour déterminer le jugement de la Convention nationale. Vaine¬ ment objecterait-on que dans toutes ces pièces il n’existe point une ligne écrite de la main de Mirabeau lui-même. Qu’on pèse les circons¬ tances, l’esprit de ceux qui écrivaient, de ceux à qui les écrits étaient adressés, l’intérêt qu’ils avaient mutuellement à garder un profond se¬ cret sur ces mystères, et j’ose l’affirmer, il n’est point dé jury qui ne déclare unanimement que Mirabeau s’était vendu à la cour. Cicéron définissait l’orateur : « un homme de bien habile dans l’art de parler »; et, sans doute, une définition pareille pouvait convenir à cet illustre Romain, dont le cœur et les mains étaient purs; qui, dans la médiocrité de sa for¬ tune, content de l’estime publique et de la sienne, tonnait avec la même véhémence contre les déprédations de Verrès, et contre les mœurs infâmes de Clodius, et contre les fureurs de Cati¬ lina; qui, après avoir sauvé la patrie menacée par de hardis conspirateurs, périt sous le fer des assassins aux gages d’Antoine, et fut à la fois le martyr et le modèle de la philosophie, de l’élo¬ quence et du patriotisme. Mirabeau, doué d’une partie des mêmes talents, suivit une route différente. Il n’eut de l’orateur que l’éloquence; il en négligea la partie la plus essentielle, l’intégrité; et c’est pour cela qu’exhumé par vous, sortant de son tombeau triomphal, il paraît aujourd’hui à votre barre et vient y subir son jugement, le front dépouillé des lauriers de la tribune, et de la brillante au¬ réole qui, dans le Panthéon -Français, lui garan¬ tissait l’immortalité. Ceux de ses ouvrages qui portent l’empreinte d’un génie vigoureux et libre, son Traité sur les lettres de cachet, le livre adressé aux Bataves, sur le stathoudérat, celui qu’il composa sur l’ordre de Cincinnatus, resteront parce qu’ils peuvent éclairer les hommes ; ils resteront pour former à jamais un humiliant contraste entre sa conduite et ses pensées, entre l’homme et ses écrits : la postérité le divisera, pour ainsi dire. C’est ainsi qu’en lisant Bacon, génie encore plus sublime et plus étendu, elle sépare le fonc¬ tionnaire public infidèle, et le grand penseur; elle voit avec surprise, avec indignation, avec douleur, que l’homme qui avait reculé les fron¬ tières de l’esprit humain, qui avait embrassé le système entier des connaissances positives, et presque deviné les sciences futures, ne connais¬ sait pas cette morale usuelle qui fait les hommes irréprochables; qu’ après tant d’études et de tra¬ vaux il semblait ignorer encore qu’il ne peut jamais être utile d’abandonner la vertu, et que le véritable intérêt d’un individu, dans quel¬ que position qu’il se trouve, est de faire ce qui est juste et conforme à l’intérêt de tous. Citoyens, vous allez prononcer. Votre comité d’instruction publique a cru devoir peser, sans colère, mais sans indulgence, les talents et les vices de Mirabeau, les travaux civiques qui l’ont illustré et les délits qui l’ont flétri. Représentants d’un grand peuple, écoutez sa voix ; soyez grands et forts comme lui. Repré¬ sentants de la postérité, devancez son arrêt;' soyez justes et sévères comme elle; les éloges mêmes que nous accordons au génie de Mirabeau ne rendront que plus solennel et plus terrible l’exemple que vous allez donner. Votre comité vous propose d’exclure Mirabeau du Panthéon-Français, afin d’inspirer une ter¬ reur salutaire aux ambitieux et aux hommes vils dont la conscience est à prix ; ah ! que tout législateur, tout fonctionnaire public, tout ci¬ toyen sente la nécessité de s’unir étroitement, uniquement au peuple, et se persuade qu’il n’existe de liberté, de vertu, de bonheur, de gloire solide que par le peuple et avec lui. Voici le projet de décret que nous proposons : Art. 1er. « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport de son comité d’instruction pu¬ blique; considérant qu’il n’y a point de grand homme sans vertu, décrète que le corps d’ Honoré Gabriel-Riquetti Mirabeau sera retiré du Pan¬ théon-Français. Art. 2. « Le même jour que le corps de Mirabeau sera retiré du Panthéon-Français, celui de Marat y sera transféré. f 106 � [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j i5f�mbre '5 Art. 3, « La Convention nationale, le conseil exécutif provisoire, les autorités constituées de Paris et les Sociétés populaires assisteront en corps à cette cérémonie. Compte rendu du Moniteur universel (1). Chénier, au nom du Comité d'instruction \ publique . Citoyens, je viens, au nom de votre comité d’instruction publique, remplir un minis¬ tère de rigueur, etc. ( Suit le texte du rapport que nous avons inséré ci-dessus d'après le document imprimé.) Ce rapport est fréquemment interrompu par les plus vifs applaudissements. Le projet de décret est adopté à F unanimité. La Convention ordonne l’impression du dis¬ cours de Chénier et l’insertion au Bulletin. (1) Moniteur universel [n° 67 du 7 frimaire an II (mercredi 27 novembre 1793 , p. 270, coi. 1], D’autre part, l'Auditeur national [n° 430 du 6 frimaire an II (mardi 26 novembre 1793 , p. 3], le Journal de Perlel [n° 430 du 6 frimaire an II (mardi 26 no¬ vembre 1 793 , p. 450], et le Mercure universel [6 fri¬ maire an II (mardi 26 novembre 1793), p. 92, col 1] rendent compte du rapport de Marie-Joseph Chénier et de la discussion à laquelle il a donné lieu dans les termes suivants : I. Compte rendu de l'Auditeur national. Organe du comité d’instruction publique, Ché¬ nier a fait un rapport sur la mémoire de Gabriel Ri-quetti-Mirabeau. (Suit un extrait du rapport que nous avons inséré ùi-dessus d'après le document imprimé.) Le projet de décret qu’a proposé Chénier à la suite de ce rapport a été adopté au milieu de vifs applaudissements. Coupé (de l'Oise) demande que le jour où Marat sera porté au Panthéon soit un jour de fête pour toute la République et que le comité d’instruction soit chargé de présenter le mode d’exécution de cette fête, « et comme cela ne suffît pas, observe-t-il, de jeter hors du Panthéon le corps d’un homme qui l’a souillé, je demande que le même comité vous fasse un rapport sur la manière d’exécuter le jugement qui vient d’être rendu contre la mémoire de Mirabeau. » Un membre. Je pense que la mémoire de Pelletier est aussi chère à la patrie que celle de Marat. Je demande que le nom de ce martyr de la liberté soit mis après celui de Marat. La Convention décrète cette proposition, ainsi que celle de Coupé. Le comité d’instruction est aussi chargé de faire un rapport sur les moyens d’honorer la mémoire de Beauvais et de Baille, assassinés à Toulon. II. Compte rendu du Journal de Perlel Chénier, organe du comité d'instruction publi¬ que, après avoir rappelé les opinions monarchiques de Mirabeau, trop longtemps honoré de la confiance du peuple, les preuves de sa corruption trouvées au château des Tuileries et consignées dans le recueil Merlm. En vengeant ainsi la vertu des hon¬ neurs trop longtemps usurpés par le crime, n’oublions pas nos collègues lâchement assassi¬ nés par les Anglais. Je demande que le comité d’instruction publique soit chargé de faire un rapport sur les moyens d’honorer la mémoire de ces martyrs de la liberté. Le renvoi au comité d’instruction publique est décrété. Le citoyen Marant fils, employé au départe¬ ment de la justice, offre à la patrie une paire de boucles et un couvert d’argent. Mention honorable, insertion au « Bulletin » (1). ( Suit un extrait de l'adresse du citoyen Marant fils, d'après le Bulletin de la Convention (2). Le citoyen Marant fils, employé au dépar¬ tement de la justice, dépose sur l’autel de la patrie un couvert et une paire de boucles d’ar¬ gent et invite la Convention à rester à son poste. « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport de son comité de législation [Merlin {de Douai), rapporteur (3)] sur une péti¬ tion de l’accusateur public du tribunal criminel du département du Nord, tendant à savoir : 1° si la peine de la déportation pour un temps limité des pièces justificatives de l’acte d’accusation porté contre le tyran, propose de décréter : «1° Que le corps d’Honoré-Gabriel Riquetti-Mi-rabeau sera expulsé du Panthéon français; « 2° Que le même jour, celui de Marat y sera transféré ; « 3° Que la Convention nationale, le conseil exé¬ cutif provisoire, les autorités constituées de Paris, et les Sociétés populaires assisteront à cette céré¬ monie. » Ce projet est adopté. Coupé (de l'Oise). Je demande que le jour de cette translation soit; un jour de fête pour toute la République. (Décrété.) Merlin (de Thionville) s’étonne qu’on ne s’occupe aucunement de Beauvais et de Pierre Baille, mar¬ tyrs de la liberté à Toulon. Le comité d’instruction publique fera un rapport à cet égard. III. Compte rendu du Mercure universel. Chénier, au nom du comité d'instruction publique , présente un rapport sur les délits de Mirabeau. (Suit un extrait du rapport que nous avons inséré ci-dessus d'après le document imprimé.) Merlin ajoute que l’on s’est beaucoup occupé de Lepeletier et Marat, mais qu’on a beaucoup moins parlé de Beauvais et Pierre Baille, assassinés par les Anglais. Il demande le renvoi pour l’examen de ce qui concerne ces martyrs de la liberté au comité d’instruction publique. (Adopté.) (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 150. (2) Supplément au Bulletin de la Convention du 5e jour de la lre décade du 3e mois de l’an II (lundi 25 novembre 1793, . (3) D’après la minute du décret qui se trouve aux Archives nationales, carton C 282, dossier 787.