13 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mars 1790.] jusqu’à ce jour. C’est donc moins pour prévenir une résolution déjà prise par vous, Messieurs, que pour soumettre à votre jugement mon opinion sur une matière dont j’ai fait longtemps une étude particulière, que j’ai l’honneur de vous proposer le décret suivant dans les dispositions duquel je crois que vous pouvez trouver les moyens de faire cesser les alarmes qui se sont manifestées et qu’il importe de dissiper sans retard. L’Assemblée nationale désirant pourvoir à la sûreté des opérations du commerce et à la tranquillité des colonies, décrète : 1° Qu’elle n’a point entendu et qu’elle n’entend point comprendre dans la constitution du royaume les objets relatifs à la constitution intérieure et au régime particulier des colonies ; 2° Que les colonies seront assemblées chacune dans leur territoire pour élire librement un corps de représentants qui travaillera immédiatement à leur constitution, c’est-à-dire à la forme de leur gouvernement et de leur administration intérieure; - 3° Que cette constitution sera soumise à l’examen du corps législatif de la métropole dans tout ce qui peut avoir rapport avec elle, et présentée ensuite à la sanction du roi ; 48 Que nulles branches du commerce soit direct soit indirect de France avec les colonies, particulièrement de celles qui intéressent leur culture seront supprimées et qu’elles continueront d’avoir lieu sous la protection des lois qui les ont garanties jusqu’à ce jour; 5° Qu’à l’égard de l’admission des pavillons étrangers, et de leurs cargaisons dans les colonies françaises, il sera nommé tant de la part des colonies que des négociants de France, des commissaires instruits qui conviendront entre eux des conditions respectives les plus avantageuses aux deux patries, et qui en communiqueront ensuite le résultat au corps législatif de France, pour qu’il statue définitivement ce qu’il appartiendra; 6° Que le roi sera supplié de prendre en considération la situation actuelle des colonies et dans le cas où cette mesure paraîtrait nécessaire à Sa Majesté pour la sûreté des colonies, d’y envoyer des forces protectrices capables de les préserver de tout dommage. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY, ANCIEN PRÉSIDENT. Séance du mercredi 3 mars 1790 (1). M. Bureaux de Pusy, ex-président , prévient l’Assemblée que la santé de M. l’abbé, de Montesquiou, actuellement président, et celle de M. de Talleyrand, évêque d’Autun, son prédécesseur, ne leur permettent pas de venir à la séance ; en conséquence, il occupe le fauteuil pour les suppléer l’un et l’autre dans la fonction de la présidence. M. Pélissier, député de la sénéchaussée d’Arles , absent de l’Assemblée à la séance du (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 4 février dernier, prête le serment qui lie tous les membres au maintien de la Constitution. M. l’abbé Guépin, député de Touraine , demande et obtient la permission de s’absenter. M. l’abbé Brignon, député de la sénéchaussée de Riom , demande et obtient également un congé. M. le baron de Bâcle de Mercey, député suppléant du bailliage d’ Amont en Franche-Comté, dont les pouvoirs ont été vérifiés et trouvés en règle, est admis à remplacer M. le marquis de Toulongeon , démissionnaire. M. Gaultier de Biauzat, l'un de MM. les secrétaires , fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. le comte de lia Villarmois, député de Coûtâmes, demande que la traite des noirs soit nominativement désignée dans les objets de travail dont s’occupera le comité des colonies. M. Dufraisse-Duchey dit que le procès-verbal n’indique pas d’une façon suffisamment explicite la motion de M. l’abbé Maury sur la nécessité de s’occuper sans délai de la traite des noirs, ce qui a été cause de la demande en division de la motion de M. Alexandre de Lameth. M. Gaultier de Biauzat, secrétaire et rédacteur du procès-verbal. L’honorable membre gui vient de parler, n’aurait pas fait sa réclamation s'il eût bien entendu la lecture du procès-verbal : Voici en quels termes il est conçu : « On a demandé la division de la motion, c’est-à-dire que l’on a proposé de discuter, dès à présent, les pétitions des négociants de Bordeaux et des députés des manufactures et commerce de France, sauf à établir un comilé qui s’occupera ensuite des affaires des colonies. » M. le Président met le procès-verbal aux voix. La rédaction est approuvée. M. Beferinon. J’ai vu entre les mains de l’imprimeur l’article 10 du titre 2 des droits féodaux, et j’ai remarqué que dans cette phrase : « sans avoir égard à l’ancienne qualité noble des biens et des personnes, on a supprimé le mot noble. » Ce changement est contraire au sens de l’article, et détruit entièrement son effet. Il se trouve également dans la minute du décret, signée par le président : tout le monde se rappelle que le décret a été rendu sans ce changement. Je demande que l’Assemblée décide que l’article 10 sera imprimé tel qu’il a été décrété. M. Dufraisse-Duchey . Quand un décret est rendu, le président le signe; quand il l’a signé, il ne peut plus être changé. M. Merlin, comme rapporteur du comité féodal, affirme que le décret a été rendu sans le changement dénoncé par M. Defermon. L’Assemblée décide que le mot noble sera rétabli dans l’article 10 qui sera ainsi rédigé : TITRE PREMIER. Art. 10. « Tous privilèges, toute féodalité et nobilité de biens étant détruits, les droits d’aînesse et de masculinité à l’égarddes fiefs, domaines 14 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mars 1790.] et aïeux nobles, et les partages inégaux, à raison de la qualité des personnes, sont abolis. « En conséquence, l’Assemblée ordonne que toutes les successions, tant directes que collatérales, tant mobilières qu’immobilières, qui écherront à compter du jour de la publication du présent décret, seront, sans égard à l’ancienne qualité noble des biens et des personnes, partagées entre les héritiers suivant les lois, statuts et coutumes qui règlent les partages entre tous les citoyens; abroge et détruit toutes les lois et coutumes à ce contraire. « Excepte du présent décret ceux qui sont actuellement mariés, ou veufs avant des enfants, lesquels partageront entre eux et leurs co-héritiers, conformément aux anciennes lois, les successions mobilières et immobilières, directes ou collatérales, qui pourront leur échoir. « Déclare, en outre, que les puînés et les filles, dans les coutumes où ils ont eu jusqu’à présent sur les biens tenus en fiefs plus d’avantages que surlesbiens non féodaux, continueront deprendre, dans les ci-devant fiefs, les parts à eux assignées par lesdites coutumes, jusqu’à ce qu’il ait été déterminé par l’Assemblée nationale un mode définitif et uniforme de succession pour tout le royaume ». M. le comte de Crécy propose de décréter qu’à l’avenir chaque individu ne portera plus que son nom de famille, accompagné d’un nom de baptême, pour le distinguer de tous les parents du même nom. M. Lanjainais observe que les principes de la déclaration des droits et la suppression de toute distinction d’ordres et de tous privilèges, qui ont depuis longtemps été décrétés, emportent la suppression absolue de la noblesse qui n’exista jamais qu’en raison de ses privilèges et de ses distinctions : il. rappelle ces mots de l’adresse de l’Assemblée nationale aux Français : Tout a disparu devant la qualité de citoyen. La motion de M. de Crécy est ajournée. M. le Président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet de décret du comité féodal. M. Merlin donne lecture de l’article IG. Art. 16. Lorsque les propriétaires des droits réservés par les articles 9, 10, 11 et 15 ne seront pas en état d’en représenter le titre primitif, ils pourront y suppléer par deux connaissances conformes, énonciatives d’une plus ancienne donnée par la communauté d’habitants pour un droit généra], ou par les individus intéressés lorsqu’elle concerne des droits particuliers, pourvu qu’elles soient soutenues par une possession de quarante ans, et qu’elles rappellent, soit les conventions, soit les concessions des droits mentionnés dans lesdits articles. M. Buzot A mon sens, il ne peut y avoir de reconnaissance qui supplée le titre primitif; je ne fais pas cette observation sur le décret, mais elle me conduira à l’amendement que j’ai l’intention de proposer. Je demande si ces reconnaissances ne seront pas détruites par deux reconnaissances antérieures dans lesquelles le droit ne serait point énoncé. Puisqu’on a été obligé de recourir à des . probabilités, cette non énonciation n’en est-elle pas une?... Je propose en amendement ces mots : « Excepté dans le cas où l’on représenterait des reconnaissances antérieures aux nouvelles reconnaissances et à la possession de quarante ans. » Après quelques contestations sur cet amendement, l’article est adopté dans les termes suivants : « Art. 16. Lorsque les possesseurs des droits réservés par les articles 9, 10, 11 et 15 ne seront pas en état d’en représenter le titre primitif, ils pourront y suppléer par deux reconnaissances conformes, énonciatives d’une plus ancienne et non contraires à une reconnaissance antérieure donnée par les individus intéressés lorsqu’elles concerneront des droits particuliers, pourvu qu’elles soient soutenues par une possession actuelle qui remonte sans interruption à quarante ans, et qu’elles rappellent, soit les conventions, soit les concessions mentionnées dans lesdits articles.» M. Merlin. Il n’y a qu’un devoir rigoureux et pressant qui ait pu déterminer votre comité À vous présenter l’article 17 : il est conforme aux principes; mais nous ne pouvons vous dissimuler, . et le comité m’a expressément chargé de vous représenter que cette disposition va anéantir la fortune de plusieurs familles, et notamment celle d’un membre de l’Assemblée nationale (T Assemblée désapprouve cette observation par un murmure général), qui, après s'être dévoué, dans le cours d’une longue carrière, au service de la patrie... (De nouveaux murmures ne permettent pas à l’opinant d’achever.) M. Populos. L’Assemblée demande à passer à l’article; de semblables réflexions ne doivent pas lui être présentées. " M. Merlin. C’est à la justice générale à nous absoudre des maux particuliers. — II fait lecture de l’article. Art. 17. Toute redevance ci-devant payée par les habitants, à titre d’abonnement des banalités, de la nature de celles ci-dessus supprimées sans indemnité, et qui n’étaient point dans le cas des exceptions portées par l’article 15, est abolie et supprimée sans indemnité. » (Cet article est adopté.) M. Merlin. Nous avons à vous présenter un article additionnel pour remédier à un abus qui s’est introduit dans diverses provinces et qu’on a dénoncé à votre comité. On fait croire aux paysans que la destruction, des banalités emporte, pour le seigneur, la perte des moulins, pressoirs et fours banaux: les paysans secroient propriétaires. Voici cet article, qui formerait l’article 18. Art. 18. L’Assemblée nationale fait défense aux ci-devant baniers d’attenter à la propriété des moulins, fours, pressoirs et autres objets de là banalité dont ils ont été affranchis par l’article 14; met cette propriété sous la sauvegarde de la loi, et enjoint aux municipalités de tenir la main .à ce qu’elles soient respectées. M. de Hefville des Essarts propose, en amendement, que les propriétaires de moulins,; fours et pressoirs banaux ne puissent les supprimer que six mois après la publication du présent décret. Pendant ce temps les baniers se soumettraient à la banalité aux mêmes conditions que ci-devant. " ~ . L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cet amendement. L’article est adopté.