o22 {Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.1 mieux mourir.. Nous avons eu toutes les peines du monde à déterminer ce brave homme, pour l’intérêt du corps, à signer, restant seul, pour éviter un malheur, lui assurant que nous certifierions que ce n’est qu’à notre considération qu’il a signé ; il mérite nos bontés et je le recommande aux vôtres, Monsieur le vicomte. M. de Chollet, à qui j’ai eu l’honneur de rendre compte, à dix heures du soir, en a été enchanté, et m’a promis que dans le compte qu’il rendra aujourd’hui au ministre de la protestation des bas-officiers de votre régiment, qu’il lui faisait pour eux, il y mettrait une note particulière pour Cheneaux. Trois grenadiers, dont deux des environs de Marseille, m’ont demandé un congé : je le leur ai accordé. J’espère que cette absence mettra la tranquillité. Le nommé Blois, grenadier, vint dimanche se jeter à mes genoux pour avoir une permission de s’absenter, que je lui ai accordée, disant que les grenadiers voulaient le pendre, parce qu’il avait reçu une bouteille pleine de tabac de M. d’Espe-nan, son capitaine. Cet officier, ayant aussi appris qu’il était menacé, a envoyé demander à M. de Chollet un passe-port qu’il lui a envoyé, et il est parti. MM. de Montalembert, de la Pèyrouse et d’Urre sont au Mont-Louis : ces officiers qui ont toujours servi avec distinction méritent les bontés de Sa Majesté et les vôtres, Monsieur le vicomte, je vous les recommande et vous demande en grâce de ne pas vous en rapporter à cette lettre que les bas-officiers de votre régiment ont été forcés de signer, car ils désirent beaucoup, ainsi que nous, leur rappel au corps ; ce sont des camarades que nous aimons. J’ai l’honneur de vous rendre compte que le sergent-major de Gourcv m’a rendu compte, ce matin, au rapport, qu’un soldat de sa compagnie, rentrant hier après midi à la chambre, dit : Ou assure que les bas-officiers ne veulent pas signer notre lettre, s’ils ne la signent pas : il faut les assassiner et nous les assassinerons. Ce misérable, en sortant, fut dans un cabaret, il y prit un crucifix, le mit à ses pieds, marcha dessus et y pissa ; si on le trouve, j’ai ordonné qu’on le mît au cachot : j’espère qu’il aura déserté, il n’a rien dans son sac. Il vient aussi de déserter trois mauvais sujets et séditieux des chasseurs : Joubert, Morel et d’Artois ; je viens de chasser avec des cartouchesjaunes, cinq mauvais sujets : Fontaine et Mardochée, des chasseurs ; Pilet, de Bonne, Batz et Boudart, de Chariot ; ce dernier voulait tuer, assassiner son capitaine ; il a dit devant témoin, qu’il voulait avoir la gloire de tuer ce vieux b ...... -là On m'a mandé du 16, de Paris, qu’on était fort inquietde votre régiment, qu’on savait qu’il avait été envoyé une grosse somme d’argent pour corrompre les soldats et demandé l’issue d’une insurrection qu’on craint qui arrivera. J’ai l’honneur d’être avec un respectueux attachement, Monsieur le vicomte, Votre, etc. Signé : le chevalier d’Iversay. Nota. — Toutes ces pièces sont déposées en original au comité des rapports ; quant aux faits relatés dans le compte rendu, ils sont tous constatés par le procès-verbal déjà imprimé et sigoé de la municipalité, des officiers de la garde nationale et de plusieurs citoyens. 2e annexe. Réponse du régiment de Touraine à la relation et au compte rendu par M. Riquetti le jeune ( ci devant vicomte de Mirabeau), à l'Assemblée nationale (1). Nous nous sommes fait un devoir, dans notre adresse à l’Assemblée nationale, de ne rien alléguer que de vrai et dont les preuves fussent irrécusables; c’est dans cet esprit que nous allons répondre aux assertions de xM. Riquetti le jeune. Il convient qu’à son arrivée à Perpignan, il n’eut qu’à se louer de l’accueil du régiment. Un colonel, dont le désir eût été de ramener l’ordre, si l’on s’en fût écarté, aurait profité de ces heureuses dispositions; mais examinons par sa conduite si c’était bien là son but. Nous avons dit dans la même adresse, et nous avons offert de prouver que trois officiers s’étaient armés contre nous, pour nous être unis à des citoyens dont nous recevions tous les jours des témoignages d’amitié et de patriotisme; mais quelque injuste que fut ce procédé, nous n’avons point exigé leur retraite, nous avons tout fait pour les conserver ; la preuve la plus légère de repentir nous eût fait oublier cet acte, tout violent qu’il était; c’est donc abuser des termes, que de qualifier leur départ d’insurrection de notre part. Mais, nous dit M. Riquetti le jeune, vous avez arraché les épaulettes d’adjudant au nommé Maréchal: voilà donc à quoi se borne toute notre insubordination prétendue; mais ce Maréchal, déjà abhorré par une suite d’actions outrageantes pour le régiment, venait en ce moment exécuter avec fureur des commissions qui étaient elles-mêmes une insurrection contre les décrets de l’Assemblée nationale ; il venait servir la rage aristocratique de trois individus qui faisaient un crime aux soldats d’avoir resserré les liens d’une fraternité qui fait la sûreté de l’empire ; niais de son aveu, ce Maréchal était le plus mauvais sujet du corps; nous avions fait le serment de n’en souffrir aucun; dansun mois, nous en avions rejeté cent. Son but était donc de rétablir un homme qu’il connaissait dangereux : qu’il ne nous dise pas que ce n’était point à nous à nous rendre justice(nous l’avions en vain demandée) que c’était un homme versé dans l’art militaire (pour être bon soldat, il faut être bon citoyen). M. Riquetti le jeune a reconnu depuis le danger de réintégrer cet homme, il y a renoncé, en sorte que sa présence à Perpignan devenait inutile, et que ses inconséquences et ses projets désastreux ont failli la rendre funeste. Mais comparons ce qu’il a fait à ce qu’il aurait dû faire; les ordres du ministre à la manière dont il les a présentés, ses procédés aux nôtres, et qu’on décide si ses vues étaient de rétablir l’ordre, ou de semer la sédition dans la ville de Perpignan. Voici les termes du ministre : « Il est sans « doute inutile de vous recommander, Monsieur, « d’apporter la plus grande prudence pour con-« naître, avant tout, les causes d’une insurrection « aussi extraordinaire, dans un corps distingué « autant par sa conduite que par sa valeur contre « les ennemis de la patrie, etc. » Il était inutile, (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.] 523 sans doute, de lui recommander la plus grande prudence, puisqu’il ne voulait employer que des moyens absolument opposés à sa mission. Si M. Riquetti le jeune eût voulu agir dans les vues du ministre, qu’elle était la marche qu’il devait suivre? C’était à la tête du corps armé qu’il devait intimer les ordresdu roi. Nous ne pouvions que nous y conformer, puisque nous n’avions point rejeté les officiers dont il demandait le retour; notre résistance ne pouvait tomber que sur Maréchal, et nous nous serions bornés à des représentations à cet égard. Le ministre lui avait-il ordonné de venir, l’épée à la main, escorté de six officiers, dont l’un était armé de pistolets, lorsque nous l’invitions respectueusement à se rendre au quartier, nous déclarer rebelles? Rebelles! à quoi? Est-ce aux ordres du ministre? Nous n’en étions point informés. Est-ce par une suite de ces mêmes ordres qu’il blesse trois hommes qui n’étaient point armés ? En vain il nie ce fait; il n’a plus de droit que nous à la confiance publique. Qu’il s’en réfère comme nous à la preuve que nous n’avons cessé d’offrir; mais elle est toute acquise, puisque les trois hommes blessés ont exhibé leurs blessures dans le moment au général, dont le témoignage ne peut être suspect. Mais il nous explique son motif; il tire son épée et la porte en l’air, comme pour faire un commandement. Un commandement! dans une rue, fà des hommes sans armes, lorsqu’ils offraient de les suivre. Est-ce pour faire un commandement qu’il blesse trois hommes; qu’il se fait accompagner de six officiers armés dont l’un est muni de pistolets : est-ce là l’appareil du commandement; est-ce-là la contenance d’un officier qui veut se faire obéir? A l’entendre, il était en danger; on l’avait averti que les soldats ramassaient des pierres. Un appointé de la compagnie de Vaubercey était sorti du rang et lui avait dit : « Nous savons que vous « voulez faire rentrer au régiment les gueux « qui ont voulu nous faire du mal, mais f . . . ils « n’y rentreront pas. » On l’avait averti que les soldats ramassaient des pierres. Si notre dessein eût été de nous venger de lui, avions-nous besoin de recourir à des pierres ? Nous étions 500 hommes : quoiqu’il se fût vanté d’avoir repoussé 700 hommes à Paris, pouvait-il croire qu’il aurait aussi bon parti de nous? Un appointé d e la compagnie deVaubercey l’avait insulté. Gomment! dans la rue la plus étroite de Perpignan,- obstruée de toutes parts, au milieu du trouble qu’il cause, il distingue la voix qui l’insulte ! Ou M. de Mirabeau est bien pénétrant, ou il est bien faux. Et dix témoins ont attesté ce fait ! mais la séduction est évidente. Par quelle fatalité dix hommes qui habitent un quartier éloigné, qui sont tous d’une compagnie de garde nationale qui affecte des principes anticonstitutionnels, ceux-mêmes qui portaient les flambeaux à la fête nocturne qu’on avait donnée à M. Riquetti, la veille, ont-ils pu se rencontrer, entendre et voir ce qu’ils attestent, lorsque la multitude des soldats qui se pressaient, se culbutaient, de l'aveu de notre adversaire, rendait la rue inabordable? Nous croyons qu’il suffit de leur opposer, sur ce fait, l’attestation de plus de cent citoyens de la société des amis de la Constitution, dont les signatures existent au comité des rapports. M. Riquetti nous transporte de ce fait, et toujours avec autant de vérité, à celui de l’enlèvement prétendu, fait par nous, des drapeaux dans la maison qu’il habitait alors à Perpignan. Nous ne ferons que rapporter les termes des deux actes qu’il a adressés à l’Assemblée nationale : les contradictions évidentes qu’on y rencontre de toutes parts ne pourront pas laisser de doute sur la fausseté de ses allégations. Dans sa relation en date du 11 du mois de juin, il dit, page 15 : « Les officiers municipaux déniante dèrent que les drapeaux et la caisse fussent « portés chez le maire, qui venait de me donner « un logement dans son hôtel. Gela fut exécuté, « et un détachement fort en ordre apporta les « drapeaux dans la chambre qui m’était desti-« née. » Comparons les termes de ce premier acte à ceux de son compte rendu à l’Assemblée ; on y lit, page 29 : « C’est ici le lieu de vous marquer mon étonne-« ment, Messieurs, de ce qu’en vous présen-« tant comme un crime atroce l’enlèvement des « cravates, on ne vous a pas parlé de ce premier « enlèvement, véritablement criminel, fait par « 800 hommes armés, qui ont enfoncé ma porte, « ont arraché de leur asile sacré, de la chambre « de leur colonel, les drapeaux et la caisse « militaire. » Aussi inconséquent dans ses raisonnements que dans ses actions, comment pourrait-il s’accorder avec la vérité ? Il ne peut se concilier avec lui-même. Nous ne l’imiterons point et nous nous ferons toujours un devoir de ramener les faits au point de vérité dont nous ne nous sommes jamais écartés. Nous n’étions pas sans défiance au sujet de nos drapeaux; les desseins de M. Riquetti n’avaient pas été environnés de tout le mystère possible; son projet de licenciennent nous était parvenu; en fallait-il davantage pour justifier nos craintes déjà réveillées par les voies de fait qu’il venait d’exercer contre nous? Sa retraite chez le maire nous offrait un prétexte plausible d’y transférer nos drapeaux, et nous le saisîmes avec d’autant plus de raison, que, sans dépouiller M. Riquetti le jeune du droit qu'il avait d’en être le dépositaire, ils se trouvaient placés dans un lieu de sauvegarde, dans un asile sacré qui eût été respecté par tout autre que notre adversaire. La responsion que nous avions exigée du maire était la suite naturelle de nos craintes : qu’on décide si elles étaient fondées. « Quelques-uns (dit M. Riquetti) enfoncèrent « des caisses à cartouches qu’ils prirent dans le « magasin de la citadelle. » Ce fait est vrai, les accessoires sont faux. Nous n’avons point enfoncé de caisse; la violence devenait inutile, puique nous n’avons point éprouvé de résistance et qu’on ne fit aucune difficulté de nous les donner. Les motifs de cette démarche n’étaient que trop fondés. M. Riquetti avait offert de se mettre à la tête des troupes nationales de Perpignan et du régiment de Vermandois pour marcher contre son régiment. G’est un fait dont il convient dans sa relation du 7 au 11 juin. (Et nous vous observons que cet officier avait été fêté, dès son arrivée à Perpignan, et avant qu'il ne ce décidât à insulter son régiment.) Ajoutons ce procédé à ses violences subséquentes : en fallait-il davantage pour exciter et nos précautions et nos craintes? Il fait plus, il demande et obtient deux cents hommes de Vermandois pour garder nos drapeaux, et l’on nous accuse d’insurrection ! N’avait-on pas tout fait pour nous y porter? Au milieu des affronts et des violences dont on nous accable de toutes parts, nous respectons encore ceux qui ne respectent rien. 524 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790. Vexés par trois officiers qui s’arment contre nous, frappés, blessés par notre colonel, nous voyons le lieu où reposent nos drapeaux investi par deux cents hommes d’un autre corps, dont on surprend la bonne foi. Nous n’igoorons pas l’offre inouïe que fait M. Riquetti de se mettre à la tête des gardes nationales et de nos frères de Vermandois pour nous égorger. La sédition se prépare de tous côtés; cependant ses vues meurtrières échouent, et nous faisons librement le sacrifice de notre injure à la tranquillité publique et à la sûreté de nos concitoyens, et on nous accuse d’insurrection ! Mais suivons M. Riquetti dans tous les membres de sa narration. Il dit, page 37 de son compte rendu, que les preuves relatives à la manière dont le régiment de Touraine a été travaillé, payé, soldé, serviront encore à compléter sa justification. Ici se présente une distinction fort simple; nous avons été soldés par les amis ou par les ennnemis de la Révolution. Dans le premier cas, si c’est par les amis de la Révolution, ce reproche ne pourrait tomber que sur nous, dont le patriotisme ne devait pas être stimulé par les motifs qu’on nous suppose; mais toujours est-il vrai que celui qui ferait le sacrifice de sa fortune pour une si belle cause mériterait la reconnaissance de sa patrie. Dans le deuxième cas, si c’est par les ennemis de la Révolution que nous avons été soldés, on conviendra que nous avons bien mal desservi leur argent. Nous avons été soldés, nous qui avions rejeté avec dédain l’offre que nous fit M. de Chollet, d’une somme considérable. A-t-on pu croire que notre dévouement, que notre patriotisme tenaient à des moyens aussi bas? Au reste, nous défions M. de Mirabeau de fournir les preuves de ce fait. Il est vrai qu’au départ de Maréchal nous nous sommes abandonnés à la joie, parce que la ruine des tyrans doit opérer naturellement la joie et la félicité publiques; mais cet argent fut pris sur notre compte : la preuve en est facile. M. Riquetti va nous donner bientôt le fil de la trame qui a fait éclore depuis Strasbourg jusqu’à Antibes, depuis Dunkerque jusqu’à Perpignan, des insurrections dans presque tous les régiments de P’armée; nous le tenons comme lui, ce fil. C’est que depuis Strasbourg jusqu’à Antibes, depuis Dunkerque jusqu’à Perpignan, il existe des aristocrates ; c’est que l’attachement des régiments à la Constitution les a toujours contrariés; c’est que ces régiments ont été constamment persécutés par les ennemis de la Révolution. M. Riquetti le jeune se récrie beaucoup sur la réponse du régiment à son ordre du 12 juin. L’analyse que nous allons faire de chaque membre de cette réponse doit en établir la justification. Les soldats de Touraine ont l’honneur de répondre à M. de Mirabeau que jamais le désordre n’a régné dans le régiment : En effet, il n’existait d’autre désordre que celui que les inconséquences avaient forcé. Les prisonniers qu’ils tiennent ne sortiront pas de leurs mains. Cette réponse était la conséquence naturelle de sa demande. En voici les termes : « Je demande que les prisonniers arrêtés « par ces soldats soient remis entre les mains de « la municipalité, pour être jugés par les tribunaux, » Tout le crime des soldats que nous tenions, était de s’être laissés séduire par M. Riquetti le jeune, et d’avoir accepté le licenciement qu’il n’avait pas eu le droit de leur offrir; ce n’était point à eux à les poursuivre, pourquoi les faire juger par les tribunaux? Leur délit était purement militaire, c’était à un tribunal militaire, c’était à un conseil de guerre à en connaître. Ils ne se désempareront point des cartouches dont ils sont munis. Cette précaution n’était que trop fondée. Fallait-il lui donner les moyens de nous égorger plus facilement? ne s’était-il pas armé? n’avait-il pas offert de marcher contre nous ? Les citoyens n’ont aucune crainte à cet égard; eh! que pouvaient-ils craindre? nous n’avons pas même employé les cartouches contre nos ennemis. Il n’appartenait qu’à M. de Mirabeau de soutenir qu’il n’avait blessé personne ; le témoignage public le démentira, trois hommes ont été blessés; ils le lui prouveront quand il le jugera à propos. Il s’est bien gardé d’accepter cette offre, il voulait éviter tout éclaircissement sur ce fait. Nous l’avons offert sur les lieux, et nous l’offrons encore. Ici se présente un nouvel ordre de choses; nous avions été éprouvés par tous les genres de vexations imaginables : victimes de l’inconsidé-ration d’un chef, qui, dans la dépravation de son esprit, s’était tout permis contre nous, il ne nous restait qu’un affront à essuyer, et il ne nous l’a point épargné. M. Riquetti nous fait avertir qu’il se rendra le dimanche 13 juin, à 7 heures du matin, dans les chambres; nous consentons encore à le voir; mais que nous étions loin de pénétrer ses vues! Aussi confiant qu’il était perfide, nous l’attendons, nous affectons de ne point nous écarter. A sept heures et demie nous sommes avertis qu’il était parti depuis cinq heures. Il était dans l’ordre de transporter nos drapeaux chez M. d’Iversay, qui, à son défaut, restait chargé du commandement du corps; nous prenons l’ordre pour dix heures. La compagnie des grenadiers se dispose à les accompagner et l’on se rend dans l’appartement où ils avaient été déposés; mais nos drapeaux n’existaient plus. Nous n’entreprendrons point de peindre notre désespoir, notre déchirement, à la vue des bâtons de nos drapeaux dépouillés de leurs cravates, de leurs cordons, quelques fragments qui restaient encore arrachés, la gaine qui les enveloppait lacérée ; les vieux soldats les cherchent en vain. Nous les avions longtemps garantis de la fureur des ennemis, mais nous ne pûmes les préserver de la rage des ennemis de la patrie. Nous les aurions perdus d’une manière moins cruelle dans un combat, c’était le droit de la guerre; nous serions morts en les défendant; mais quelles armes pouvions-nous opposer à la perfidie? Quel est l’auteur de ce crime? G’est un colonel, c’est un représentant de la nation, et il prétend justifier cet acte. Il voulait sauver le noyau d’un régiment coupable, et de quel crime? Si nous eussions répondu à ses vues, il ne nous accuserait pas. Il prive un régiment de ses bases, de ses fondements; il l’expose à toutes les horreurs de l’oisiveté, du déshonneur, et il voulait ramener l’ordre! Celui qui aurait conçu le projet d’incendier une ville, en eût-il fait davantage ? Il voulait, dit-il, nous licencier. Quel est l’homme qui 525 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1790.] pourrait s’arroger ce droit? Nous appartenons à la nation, il n’y a que la nation qui puisse nous licencier. Ajoutons le mode de cet enlèvement. Il n’ignorait pas que M. d’Aguilar, qui lui avait donné un asile, avait répondu de nos drapeaux; c’est un fait attesté par ce dernier. Sans respect pour les cheveux blancs, pour les vertus de celui qui le comble de bienfaits, il viole les droits de l’hospitalité : il s’éloigne furtivement de la maison de sou hôte et le laisse accablé du soupçon honteux d’avoir trempé dans ce larcin. M. Riquetti le jeune s’étonne : 1° que l’Assemblée ait admis à sa barre les députés du régiment de Touraine. Nous sommes citoyens, nous sommes patriotes, nous l’avons prouvé, et le temps est venu où tous les citoyens peuvent se faire entendre; 2° Que nos officiers se soient joints à nous. Nos drapeaux ne sont-ils pas les leurs? S’ils eussent mis moins de chaleur à les défendre, ils seraient indignes de nous commander. II ne peut pas se dissimuler qu’ils n’ont eu aucune part à ses démarches. Qu’il nous oppose une seule signature des anciens officiers du corps. S’il en a arraché à la faiblesse de quelques jeunes gens, c’est qu’ils sont imbus de ses principes. Tout se réduit à la preuve de tous les faits que nous avons allégués. Elle ne peut s’acquérir, cette preuve, que sur les lieux. Le directoire du département des Pyrénées-Orientales peut l’établir. Nous ne craignons pas de le dire : ou les drapeaux d’un corps sont des emblèmes vains et frivoles, dont on peut se jouer impunément, ou l’injure, dont nous demandons la réparation, ne peut demeurer impunie. Nous supplions donc l’Assemblée nationale d’ordonner que l’administration du département des Pyrénées-Orientales informe sur les lieux des faits dont nous venons de lui donner l’assurance; c’est d’après cette enquête que l’auguste Assemblée pourra prononcer sur une cause qui est enveloppée de contradictions, qu’il est essentiel d’éclaircir, et qui, en voilant la vérité des faits, en dérobe aussi l’importance ; c’est en recherchant tout le tissu d'un plan dont l’enlèvement des drapeaux ne fait partie que parce que ce plan n’a pas pu réussir : c’est, dis-je, en recherchant tout ce tissu, que l’auguste Assemblée se convaincra que la conduite du régiment de Touraine, loin d’être une insurrection, a été la sauvegarde d’une ville, d’une province, et peut-être de l’Empire. Signé : Sauveton, fourrier des chasseurs; About, fusilier. Observations de M. Vergés , officier municipal de la commune de Perpignan. Avant l’arrivée de M. Riquetti le jeune à Perpignan, cette ville était paisible et tranquille : le régiment de Touraine ne s’était permis jusque-là, que des mouvements de joie et d’allégresse, effet de la liberté naissante et de l’attachement à la nouvelle Constitution dont il n’était pas surprenant que des soldats français sentissent tout le prix. Mais M. Riquetti n’eut pas plutôt joint son régiment, que l’agitation des citoyens et l’inquiétude des soldats nous firent concevoir les plus vives alarmes : si au lieu de se borner à écrire aux officiers municipaux pour leur demander seulement l’instant où il pourrait prêter le serment civique en leur présence, il avait pris le parti tout à la fois sage et honnête de se rendre dans la maison commune, s’il leur avait dit : je veux prendre tous vos renseignements, concerter avec vous toutes mes démarches, profiter de tous les conseils que vos places et les localités vous mettent à même de me donner; au lieu de vouloir ramener les soldats, dès les premiers instants, par la force, l’autorité; s’il avait parlé à leur cœur, s’il leur avait dit : je suis votre chef, mais je suis votre ami, vous aviez à vous plaindre de l’adjudant, ma justice vous en fera raison ; sur tout le reste j’écouterai vos plaintes, et vous me trouverez toujours occupé de votre bonheur; S’il leur avait dit : Soldats, vous avez juré de maintenir la Constitution, je vais renouveler lè même serment en votre présence; mais cette Constitution ne peut s’affermir sans la discipline et la subordination; vous êtes Français, vous êtes citoyens, il y va de votre honneur, il y va de la patrie : si M. Riquetti eût tenu cette conduite, ahl qu’il nous eût épargné de soucis et de peines! M. Riquetti avait manqué son but; et on ne pouvait cependant pas lui faire abandonner ses projets : qu’on se représente la situation des officiers municipaux, l’obstiuation de M. Riquetti pouvait avoir les suites les plus funestes : pouvaient-ils balancer un instant, quand il s’agissait de la tranquillité publique et ne devaient-ils pas s’estimer heureux de la rétablir par une lettre qu’ils savaient devoir déterminer le départ de M. Riquetti? C’est parce qu’on regarda ce départ comme le signal de la paix qu’elle fut écrite : je l’ai ouï dire avant et après aux officiers municipaux qui l’ont signée. Il n’y a qu’à bien peser ces circonstances pour concilier les démarches de la municipalité de Perpignan depuis le départ de M. Riquetti avec celles qui l’ont précédée. Les espérances dont elle s’était flattée furent malheureusement déçues; M. Riquetti emporte les cravates des drapeaux; le soldat justement indigné s’en prend au maire qui en avait répondu sur sa tête : oui, répondu sur sa tête : c’est un fait public et notoire à Perpignan; comment M. Riquetti, qui y avait plus d’intérêt qu’un autre, a-t-il pu l’ignorer? Le régiment de Touraine n’a pas plus tôt vu ses cravates, que l’allégresse et la joie ont succédé à la tristesse et au deuil : cette ville, désolée depuis quelques jours, n’a présenté pendant une semaine entière que le spectacle attendrissant d’un peuple de frères, célébrant à l’envi, par des fêtes continuelles, leur union et leur bonheur; et elle a prouvé, par là, d’une manière non équivoque, qu’elle n’avait cédé ni à la force, ni à la terreur en me chargeant d’exprimer à l’Assemblée nationale le juste intérêt que le régiment de Touraine lui a inspiré à tant de titres. Signé : VERGÉS. Nous, députés de la garde nationale du district de Perpignan, département des Pyrénées-Orientales, au pacte fédératif du 14 juillet, ayant lu un imprimé justificatif de la conduite de M. de Mirabeau, colonel du régiment de Touraine, et nous étant assurés que cet imprimé ne contient que ce qui a été avancé par cet officier,