590 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 février 1790.] taquer la confiance si légitimement due à cette Assemblée, si l’on a le projet absurde et criminel d’armer le fanatisme pour défendre les abus ..... {une partie de l’Assemblée interrompt par des murmures et par des cris); si jamais cette intention a pu être conçue, si elle a pu n’être pas aperçue, je la dénonce à la patrie. Je suis forcé de prophétiser à son auteur qu’elle n’aura pas le succès qu’il s’en promet. On veut détruire par le fanatisme l’ouvrage de la raison et de la justice; ces efforts coupables seront inutiles ..... Cette question est trop embarrassante : elle ne le sera pas, si vous reconnaissez à chacun de nous des sentiments profonds de religion-Nous ne pouvons opposer à cet objet sacré îa question préalable ; mais il faut ajourner ..... La religion catholique ne court aucun danger, pas plus que n’en a couru la royauté. Ce n’est pas au moment où nous avons décrété des actions de grâce à l’Etre suprême, qu’on peut élever des doutes. Demain l'Assemblée nationale, en se rendant au pied des autels avec les sentiments de piété qui l’animent, donnera à la France et à l’Europe entière une preuve frappante de son amour et de son respect pour la religion, que l’on prétend être en péril. Une grande partie de l’Assemblée applaudit et demande à revenir à l’ordre du jour. M. le Président. L'Assemblée a décrété hier qu’elle délibérerait aujourd’hui, sans désemparer, sur la question proposée : je déclare que je ne sortirai pas d’ici que le décret ne soit exécuté. Les uns, par respect pour la religion, veulent qu’on déclare la religion catholique religion nationale; d’autres, par le même respect, regardent cette motion incidente comme injurieuse à la religion. Je n’ai qu’une manière de terminer cette contestation : c’est de consulter l’Assemblée. M. de Ylrieu. Je veux qu’on prononce sur les deux motions sans désemparer. M. de Menou. La motion de M. l’évêque de Nancy ne tend à rien moins qu’à renouveler les guerres de religion. L’Assemblée nationale ne doit jamais délibérer sur une question de cette nature. Je demande en conséquence qu’on revienne à l’ordre du jour. On va aux voix. — L’Assemblée décide de passer à l’ordre du jour. M. l’évêque de Nancy persiste à vouloir parler hors de cet ordre. On demande qu’il soit rappelé à l’ordre et inscrit sur le procès-verbal. M. Duval d’Eprémesnil. M. Garat doit être mis à l’ordre pour ses discours; j’en fais la proposition, et je demande qu’on la discute. L’Assemblée consultée décide qu’il n’y a pas lieu à mettre M. Garat à l’ordre. M. Dufrai*se-Ducl»ey. Je réclame pour l’Etat, our la religion, que la motion de M. l’évêque de ancy soit délibérée dans celte séance. MM. l’évêque de Clermont, l’évêque de Nancy et tous leurs voisins appuient cette proposition. Le désordre recommence. M. Guillaume. Il faut fermer la discussion, dès qu’on ne veut passe conformer au décret par lequel l’Assemblée a arrêté de revenir à l’ordre du jour. On fait silence. M. Garat l'aîné. J’ai dù être surpris des soulèvements qu’a occasionnés une partie de mon discours; je soutiens de nouveau les sentiments que j’ai exprimés, et je me déclare aussi bon chrétien catholique-apostolique que personne ..... J’applaudis avec transport aux vœux pour la suppression des ordres religieux’. M. l’abbé de Montesquiou paraît à la tribune et reçoit de grands applaudissements. Avant de traiter la question qui vous occupe, j’oserai vous parler de la reconnaissance que m’inspirent les bontés dont vous m’honorez. La tâche que je me suis imposée est embarrassante; je sollicite votre indulgence, et je vous rappelle un axiome qui doit influer sur votre délibération; il faut rendre à César ce qui appartient à César, à Dieu ce qui appartient à Dieu. Examinons d’abord quel est le pouvoir de la société sur les ordres monastiques, quel est son pouvoir sur les vœux. Qu’est-ce que c’est qu’un vœu ? Le vœu n’est autre chose que les promesses d’un homme à l’Eternel et à sa conscience, de vivre constamment dans l’ordre religieux qu’il a choisi. Jusque-lâ il n’y a rien que de spirituel dans cet engagement sacré; mais dans les Etats catholiques, la loi a cru devoir marcher à côté du vœu ; elle a voulu que la société renonçât à l’homme qui renonçait à elle. Maintenant il existe des vœux. Pouvait-on, a-t-on dû faire des vœux? On a pu faire des vœux, puisque la loi reconnaissait et autorisait les vœux. Peut-on empêcher les vœux ? Oui, sans doute, parce que la société peut ce qu’elle veut. La société peut-elle rompre les vœux déjà faits? Non, parce qu’ils ont été faits sous la sauvegarde de la loi. On ne peut pas rompre les vœux. Je dirai donc aux religieux : Si vous voulez sortir, sortez; si vous ne le voulez pas, demeurez; car votre vœu est un contrat, et je n’ai pas le droit de rompre un contrat. La loi et le religieux, le religieux et la loi, voilà ce que nous devons respecter. Vous êtes hommes, tout ce qui est humain vous appartient; vous êtes hommes, tout ce qui est spirituel n’est pas de vous. Doit-on ouvrir les cloîtres dès à présent? Non : vous ne pouvez les ouvrir qu’à ceux qui veulent en sortir; et ceux-là même qui voudront en sortir doivent se retirer pardevant les supérieurs ecclésiastiques, qui seuls et les premiers peuvent rompre les engagements contractés avec l’Eternel. Ces principes vous ramènent à examiner quelles sont les propositions que vous devez décréter en ce moment. Vous devez décréter que ceux qui voudront être libres obtiendront leur liberté, et recevront une pension convenable. Vous devez indiquer des maisons commodes à ceux qui voudront être fidèles à leurs vœux. Il me reste à appeler votre attention, votre justice et votre clémence sur une portion monastique plus heureuse que riche, par cela même qu’elle est heureuse sans richesses, je veux dire les religieuses. Je n’ai reçu jusqu’ici que des lettres et des adresses de religieuses qui veulent rester dans leurs cloîtres. Vous ne pouvez ni ne devez les forcer à renoncer à leurs habitudes ; car il ne faut pas oublier que les habitudes font le bonheur, et vous ne voulez pas faire des malheureux. Je demande donc que les religieuses soient exceptées de l’article de votre décret qui ordonnera la réunion de plusieurs maisons dans une seule. Gagneriez-vous d’ailleurs beaucoup à vendre les 591 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 février 1790.] établissements des religieuses? Non, sans doute; car s’il en est de riches, il en est aussi de très pauvres; et nous connaissons un grand nombre de maisons religieuses de femmes, dans lesquelles on ne peut compter que sur environ deux cent cinquante livres pour chaque individu; en vendant leurs propriétés, vous jetteriez, il est vrai, une plus grande partie d’effets dans le commerce; mais le trop grand nombre en ferait diminuer la valeur et le prix. Ces différentes réflexions me déterminent à vous proposer le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète : « 1° Que la loi ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels de l’un ni de l’autre sexe ; « 2° Qu’elle ne mettra aucun empêchement à la sortie des religieux ou religieuses existant aujourd’hui dans les cloîtres, et que la puissance ecclésiastique n’en connaîtra que pour le for intérieur ; « 3° Que tous ceux qui voudront rester dans les cloîtres seront libres d’y demeurer, en se retirant dans des maisons composées au moins de quinze personnes; « 4° Que les assemblées de département choisiront pour les religieux qui veulent rester dans leur état, les maisons les plus commodes ; » 5° Que les religieuses pourront rester dans les maisons où elles sont aujourd’hui, l’Assemblée les exceptant expressément de l’article qui oblige les religieux de réunir plusieurs maisons dans une seule. » Le discours de M. l’abbé de Montesquiou est suivi de nombreux applaudissements. L’Assembléedécrèteque la discussion est fermée. Un de MM. les secrétaires fait lecture d’un grand nombre de projets de décret. Ceux de MM. de Montesquiou et Barnave réunissent beaucoup de suffrages, et l’ont met en délibération la question de savoir auquel sera accordée la priorité. Celui de M. Barnave est conçu en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, que les ordres et congrégations de l’un et l’autre sexe, où l’on s’engage par des vœux solennels, sont et demeureront supprimés, sans qu’il puisse en être établi à l’avenir, l’Assemblée se réservant de statuer incessamment sur l’état et le traitement des religieux et des religieuses. Le projet de M. de Montesquiou obtient la priorité. M. le comte de Mirabeau. J’ai l’honneur de demander à M. l’abbé de Montesquiou s’il croit que le for intérieur puisse entrer pour quelque chose dans les décrets de l’Assemblée? M. l’abbé de Montesquiou. J’ai dit que la puissance ecclésiastique pouvait seule relever de eurs vœux les religieux disposés aies rompre. C’est ce motif qui m’a déterminé à me servir de cette expression dans l’article que j’ai proposé. On fait lecture du premier article. M. Le comte de Mirabeau. Je demande à M. l’abbe de Montesquiou ce que c’est que les vœux solennels de l’un et de l’autre sexe. Je demande si le mariage n’est pas un vœu solennel? M. l’abbé de Montesquiou. Les observations de M. le comte de Mirabeau me paraissent très justes, et pour y répondre, je consens à ce que le mot monastiques soit mis après celui solennels , à ce que ceux des personnes soient mis avant ceux-ci, de l’un et de l’autre sexe. M. Thouret propose d’ajouter à l’article : « Déclare en conséquence que les -ordres et congrégations religieuses de l’un et de l’autre sexe sont et demeureront supprimés en France, sans qu’on puisse à l’avenir en établir d’autres. » M. de Cazalès. L’amendement proposé par M. Thouret n’est autre chose que le projet de décret présenté par M. Barnave, et auquel l’Assemblée a refusé la priorité ; il ne peut donc pas être admis. Je demande qu’il soit rejeté, ou tout au moins ajourné. M. Thouret. Abolira-t-on les ordres religieux ? Telle est la question que l’Assemblée a décrété hier devoir être décidée aujourd’hui. Si M. l’abbé de Montesquiou a voulu remplir le vœu de l’Assemblée, je lui demande si l’article qu’il propose répond à cette question. Si, au contraire, M. l’abbé de Montesquiou n’a pas voulu, comme on pourrait le faire entendre, répondre à cette question, il faut bien que l’Assemblée entende que c’est là ce qu’on lui propose de décréter. M. Duval d’EprémesnîI. L’Assemblée a refusé la priorité à la motion de M. Barnave; l’amendement de M. Thouret est exactement la motion de M. Barnave; il doit donc être rejeté. Je demande ce que tout membre de l’Assemblée a le droit d’exiger, ce que l’Assemblée n’a pas le droit de me refuser, que la motion de M. Barnave et l’amendement de M. Thouret soient lus ( des murmures s’élèvent ); il vous sera plus possible de défendre et d’appuyer un article contraire aux principes, que de m’empêcher d’en attaquer un contraire à ma conscience. Je persiste dans ma demande. On fait la lecture demandée par M. Duval d’Eprémesnil. M. Delley d’Agier. J’observe que refuser la priorité à une motion, ce n’est pas décréter qu’elle ne pourra pas être représentée en amendement. M. l’abbé d’Eymar. Je suis chargé d’exprimer le vœu d’une province entière, de l’Alsace, qui demande la conservation de quelques maisons religieuses. M. Lavie. J’observe que je suis député d’Alsace, et que cette demande n’est consignée dans aucun article de mes cahiers. M. d’Estourinel demande, ainsi que plusieurs autres députés, à présenter des réclamations, et se dispose à les changer en amendements. L’Assemblée décide qu’elle n’entendra aucune réclamation de provinces. L’amendement de M. Thouret est mis aux voix et décrété. L’article entier est relu et décrété en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, que la loi ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels de personnes de l’un ni de l’autre sexe; déclare en conséquence que les ordres et congrégations réguliers, dans lesquels on fait de pareils vœux, sont et demeureront supprimés en France, sans qu’il puisse en être établi de semblables à l’avenir. »