lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791. | 377 M. le Président. M. de Laporte, appelé à l’Assemblée par vos ordres, demande l’entrée de la séance. (Oui! oui!) M. de Laporte est admis à la barre. M. le Président ( s'adressant à M. de Laporte). Monsieur, je vais vous donner connaissance du décret qui a été rendu ce matin à votre sujet par l’ Assemblée, le voici : « L’ Assemblée nationale décrète que M. de Laporte, intendant de la liste civile, sera appelé sur-le-champ à l’Assemblée nationale pour lui rendre compte des faits dont il a connaissance relativement aux circonstances actuelles, et lui remettre les pièces qu’il pourrait avoir sur le même objet, notamment le mémoire qu’il a communiqué de la part du roi au ministre de la justice. » Vous avez la parole. M. de Laporte. Ce matin, à 8 heures, on m’a apporté un paquet de la part du roi. J’ai ouvert le paquet; j’y ai trouvé un billet du roi et un mémoire assez long écrit de la main de Sa Majesté. J'en ai lu la première et la dernière page; j’ai cru devoir sur-le-champ me rendre chez M. le ministre de la justice et lui dire la position dans laquelle je me trouvais. M. le ministre m’a conseillé de passer chez vous, monsieur le Président; j’ai cru que vous demeuriez rue Neuve-des-Mathurins. Je me suis trompé : on m’a dit que vous n’y étiez pas et que vous demeuriez rue des Petits-Augustins. Je m’y suis rendu sur-le-champ, je m’y suis inscrit, et votre portier m’a dit que vous en étiez sorti à 8 heures et demie. Je l’ai écrit depuis à M. le ministre de la justice en lui marquant que j’étais rentré chez moi et que je n’en sortirais point. M. le Président. Etes-vous porteur du mémoire? M. de Laporte. Il n’est pas sorti de ma poche. M. le Président. Par qui vous a-t-il été remis? M. de Laporte. A 8 heures, ce matin, par un domestique qui est attaché à l’appartement du premier valet de chambre du roi. M. le Président. Quelques membres de l’Assemblée ont-ils d’autres questions à faire? Plusieurs membres : Lisez le mémoire. M. le Président. Connaissez-vous le nom du domestique qui vous a remis le paquet ? M. de Laporte. Je l’ignore, mais il serait facile de le savoir si l’Assemblée en donnait l’ordre. M. le Président. Avez-vous le billet du roi? M. de Laporte. Oui, monsieur le Président. M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angèly). Je propose une mesure préalable. Avant que l’Assemblée prenne lecture du mémoire, je demande que M. de Laporte soit tenu d’écrire, de signer et de déposer sur le bureau le compte qu’il vient de nous rendre (Oui! oui! Non! non!) M. Charles de Lameth. II faut lire le mémoire. [L’Assemblée adopte la motion de M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély).] M. de Laporte écrit, en conséquence, et remet au Président la déclaration dont la teneur suit : « Je soussigné déclare qu’à 8 heures un domestique, attaché au premier valet de chambre du roi, m’a apporté un paquet cacheté, sur lequel mon nom était écrit de la main de Sa Majesté. Ce paquet renfermait un mémoire écrit de la main du roi, et signé. Je ne l’ai point lu, mais ayant vu un post-scripium, portant un ordre aux ministres, je me suis sur-le-champ transporté chez M. Duport-Dutertre, ministre de la justice. Ce ministre m’a conseillé d’aller sur-le-champ chez M. le Président de l’Assemblée nationale. Ne l’ayant point trouvé, je suis rentré chez moi, d’où je ne suis sorti que pour me rendre aux ordres de l’Assemblée nationale, qui m’a prescrit de remettre le mémoire sur le bureau, et de signer la présente déclaration. « A Paris, le 21 juin 1791. « Signé : DE LAPORTE. » M. Defermon. Je demande que, conformément à votre décret qui renvoie aux comités des rapports et des recherches réunis tout ce qui a trait à l’événement fâcheux qui nous occupe, l’Assemblée ordonne que le dépôt qui va être fait sur son bureau par M. de Laporte soit à l’instant renvoyé à ces deux comités. Un grand nombre de membres à gauche : La question préalable! M. Iloreau. J’observe, Messieurs, qu’il a été décrété expressément que M. de Laporte serait appelé à l’Assemblée pour lui rendre compte des faits dont il pourrait avoir connaissance et donner communication du mémoire dont a parlé M. le ministre de la justice. Il est extrêmement urgent que l’Assemblée entière entende la lecture de ce document. Voix diverses : La lecture! Non! non! M. Charles de Lameth. Le mémoire que M. De Laporte a entre les mains n’est pas une lettre cachetée; il est à sa disposition; son patriotisme l’a déterminé à l’apporter à l’Assemblée nationale. Il est possible que ce mémoire, écrit de la main du roi, contienne des choses très importantes-, je crois qu’il doit être lu dans l’Assemblée nationale. (Oui! oui! — Applaudissements.) M. le Président. Quelqu’un s’oppose-t-il à la lecture? (Non! non!) Voulez-vous bien, Monsieur de Laporte, remettre sur le bureau le mémoire du roi? M. de Laporte (en remettant sur le bureau le mémoire et le billet du roi). Je désirerais, Monsieur le Président, que ce billet que le roi m’a écrit personnellement ne soit pas I11 publiquement, mais seulement par quelques membres, si l’Assemblée le juge nécessaire. M. le Président. M. de Laporte désirerait que le billet du roi ne soit pas lu publiquement. Plusieurs membres : Pourquoi ? 378 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791.] M. Briois -Beaumetz. Ce billet est sa propriété. Un membre : Il n’y a rien de secret quand il s’agit de l’intérêt de la nation. M. Begnaud (de Saint-Jean-d'Angély.) Ce billet est sa propriété, il a le droit de refuser de le communiquer. M. d’Aubergeon-Murinais. Je demande que ce billet soit rendu à M. de Laporte. (Oui! oui !) M. le Président. Quelqu’un s’oppose-t-il à ce que le billet du roi soit rendu à M. de Laporte ? (Non ! non /) (Il lui remet le billet). M. Régnier, l'un des secrétaires, donnelecture du mémoire qui est conçu en ces termes : « Déclaration du roi adressée à tous les Français à sa sortie de Paris. » (Bruit.) M. Ganltier-Biauzat. Permettez, ce mémoire est-il signé de la main du roi ? M. Bégnier, secrétaire. Oui ! M. Gaultier-Biauzat. C’est un piège que l’on vous tend. Vous tombez de piège en piège. (Murmures.) M. Régnier, secrétaire, (reprenant la lecture.) « Déclaration du roi adressée à tous les Français à sa sortie de Paris (i). « Tant que le roi a pu espérer voir renaître l’ordre et le bonheur du royaume par les moyens employés par l’Assemblée nationale, et par sa résidence auprès de cette Assemblée dans la capitale du royaume, aucun sacrifice personnel ne lui a coûté; il n’aurait pas même argué de la nullité dont le défaut absolu de liberté entache toutes les démarches qu’il a faites depuis le mois d’octobre 1789, si cet espoir eût été rempli : mais aujourd’hui que la seule récompense de tant de sacrifices est de voir la destruction de la royauté, de voir tous les pouvoirs méconnus, les propriétés violées, la sûreté des personnes mise partout en danger, les crimes rester impunis, et une anarchie complète s’établir au-dessus des lois, sans que l’apparence d’autorité que lui donne la nouvelle Constitution soit suffisante pour réparer un seul des maux qui affligent le royaume : le roi, après avoir solennellement protesté contre tous les actes émanés de lui. pendant sa captivité, croit devoir mettre sous les yeux des Français et de tout l’univers le tableau de sa conduite, et celui du gouvernement qui s’est établi dans le royaume. On a vu Sa Majesté, au mois dé juillet 1789, pour écarter tout sujet de défiance, renvoyer les troupes qu’elle n’avait appelées auprès de sa personne, qu’après que les étincelles de révolte s’étaient déjà manifestées dans Paris et dans le régiment même de ses gardes; le roi, fort de sa conscience et de la droiture de ses intentions, (1) Le Moniteur ne donne que des extraits de ce document. n’a pas craint de venir seul parmi les citoyens de la capitale. Au mois d’octobre de la même année, le roi, prévenu depuis longtemps des mouvements que les factieux cherchaient à exciter dans la journée du 5, fut averti assez à temps pour pouvoir se retirer où il l’eût voulu ; mais il craignit qu’on ne se servît de cette démarche pour allumer la guerre civile, et il aima mieux se sacrifier personnellement, et, ce qui était plus déchirant pour son cœur, mettre en danger la vie des personnes qui lui sont les plus chères. Tout le monde sait les événements de la nuit du 6 octobre, et l’impunité qui les couvre depuis près de deux ans. Dieu seul a empêché l’exécution des plus grands crimes, et a détourné de la nation française une tache qui aurait été ineffaçable. « Le roi, cédant au vœu manifesté par l’armée des Parisiens, vint s’établir avec sa famille au château des Tuileries. Il y avait plus de cent ans que les rois n’y avaient fait de résidence habituelle, excepté pendant la minorité de Louis XV. Rien n’était prêt pour recevoir le roi, et la disposition des appartements est bien loin de procurer les commodités auxquelles Sa Majesté était accoutumée dans les autres maisons royales, et dont tout particulier qui a de l’aisance peut jouir. Malgré la contrainte qui avait été apportée, et les incommodités de tout genre qui suivirent le changement de séjour du roi, fidèle au système de sacrifices que Sa Majesté s’était fait pour procurer la tranquillité publique, elle crut, dès le lendemain do son arrivée à Paris, devoir rassurer les provinces sur son séjour dans la capitale, et inviter l’Assemblée nationale à se rapprocher de lui, en venant continuer ses travaux dans la même ville. « Mais un sacrifice plus pénible était réservé au cœur de Sa Majesté ; il fallut qu’elle éloignât d’elle ses gardes du corps, de la fidélité desquels elle venait d’avoir une preuve bien éclatante dans la funeste matinée du 6. Deux avaient péri victimes de leur attachement pour le roi et pour sa famille et plusieurs autres avaient été blessés grièvement en exécutant strictement les ordres du roi, qui leur avait défendu de tirer sur la multilude égarée. L’art des factieux a été bien grand pour faire envisager sous des couleurs si noires une troupe aussi fidèle, et qui venait de mettre le comble à la bonne conduite qu’elle avait toujours tenue. Maisce n’était pas tant contre les gardés du corps que leurs intentions étaient dirigées, que contre le roi lui-même : on voulait l’isoler entièrement, en le privant du service de ses gardes du corps, dont on n’avait pas pu égarer les esprits comme on avait réussi auprès de ceux du régimentdes gardes françaises, qui, peu de temps auparavant, étaient le modèle de l’armée. « C’est aux soldats de ce même régiment, devenus troupe soldée par la ville de Paris, et aux gardes nationaux volontaires de cette même ville, que la garde du roi a été confiée. Ces troupes sont entièrement sous les ordres de la municipalité de Paris, dont le commandant général relève. Le roi, gardé ainsi, s’est vu par là prisonnier dans ses propres Etats; car comment peut-on appeler autrement l’état d’un roi qui ne commande que pour les choses de parade à sa garde, qui ne nomme à aucune des places, et qui est obligé de se voir entouré de plusieurs personnes dont il connaît les mauvaises intentions pour lui et pour sa famille? Ce n’est pas pour inculper la garde nationale parisienne et ses troupes du centre que