324 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juillet 1790.] foule de faits accumulés qui la constatent. Jean Thierry tint toutes ses richesses du legs universel porté au testament de Stipaldy, son coassocié dans le commerce, lequel l’avait adopté pour son frère. Ce testament est reconnu : il contient un détail énonciatif de propriétés foncières et de titres de créances ; deux certificats d’ambassadeurs de France à Venise attestent l’existence de Thierry et de son hérédité. Quels sont les biens qui composent cette succession? Ce sont des capitaux sur l’hôtel des monnaies de Venise, sur l’hôtel de ville de Paris, et trois maisons-situées à Corfou. Quel est l’intérêt de l’Etat à l’examen de cette succession ? C’est de donner, d’une part, des juges aux parties contendantes, afin que la justice soit rendue ; et, de l’autre part, d’approprierauTrésor public une succession opulente qui lui serait dévolue à titre de déshérence. Qui peut statuer sur cette question ? L’Assemblée nationale. En l’année 1781, il a été établi une commission du conseil pour la juger ; les prétendants, éconduits par d’anciens arrêts, demandent un nouveau tribunal, deux seuls restent en litige, et, en consentant à la prorogation d’une commission qui ne réunit pas la confiance, ilsdésirent qu’elle ne juge qu’à la charge de l’appel. Voici le projet de décret que vous propose votre comité des rapports : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, désirant faire jouir les prétendants droit à la succession de Jean Thierry, décédé à Venise en 1676, dans une affaire qui présente un grand intérêt, des droits dont jouissent tous les citoyens dans des causes de bien moindre importance, proroge provisoirement, à la commission ci-devant nommée par le roi pour juger ces contestations nées et à naître entre les prétendants droit à la même succession, l’attribution de juridiction qui lui a été accordée à cet effet, à la charge que les jugements, par elle rendus ou à rendre, ne seront censés l’être qu’à la condition de l’appel ; en conséquence, l’Assemblée nationale accorde aux prétendants droit, actuellement en instance, et à ceux qui out été précédemment jugés, le droit de se pourvoir par appel contre les jugements de la commission, rendus ou à rendre, par-devant celui des tribunaux qui vont être incessamment organisés, qui leur sera désigné pour tribunal d’appel ; et pour venir au secours de ceux des prétendants droit à cette succession, qui ne se sont pas mis en état, dans les delais successivement fixés par les arrêts du conseil précédemment rendus, l’Assemblée nationale leur accorde un nouveau délai de six mois, à compter de la publication de son présent décret, pour servir à ladite commission leurs titres, papiers, documents, généalogies et mémoires, dans les formes déterminées par les mêmes arrêts. « L’Assemblée nationale charge son Président de se retirer par-devers le roi pour le supplier de donner sa sanction au présent décret. » M. Bouchotte. Je demande qu’il soit fait des informations auprès de la république de Venise pour connaître les sommes qu’elle a payées aux ministres ou aux prétendants à l’hérédité. M. Goupil. La succession de Jean Thierry me paraît ressembler à la dent d'or de l’enfant de la Silésie. Les savants se disputèrent, se dirent force injures, pour combattre ou prouver l’existence et la possibilité de ce prétendu* phénomène. Voilà l’histoire de la conduite de tous les contendauts à cet héritage imaginaire. Si cette succession existe, les héritiers doivent aller à Venise, demander l’exécution du testament créé sous les lois de cette république. Je crois donc qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. BouttevilIe-Dumetz.Ce n’estpas une commission dans l’acceptation ordinaire de ce terme, qui a été établie pour cette affaire, mais un tribunal institué par un pouvoir légitime, lorsqu’il n’y en avait point d’autres qui pussent en être légalement saisis. D’après ces principes.on ne doit pas raisonnablement accorder aux contendants déjà jugés la faculté d’appeler des jugements déjà rendus. M. Prieur. Vous ne pouvez détruire, par un appel facultatif, des jugem< nts rendus en dernier ressort, et auxquels les parties ont aquiescé en renonçant aux voies de requête civile ou de cassation. (L’Assemblée renvoie cette affaire au comité pour proposer un nouveau projet de décret.) (La séance est levée à dix heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 24 JUILLET 1790. OPINION de M. l’abbé llanry, député de Picardie, SUR LES FINANCES ET SUR LA DETTE PUBLIQUE ; dont l'état a été présenté et discuté par lui au comité des finances , le 23 et le juillet 1790 (1). Messieurs, en ma qualité de membre de votre comité des finances, j’ai été député au nouveau bureau institué pour régler les aliénations des biens nationaux. Nous n’avons eu encore qu’une seule séance dans laquelle nous n’ayons approfondi le plan proposé par M. l’evêque d’Autun. Ce prélat était présent à notre discussion préparatoire. Nous avons été convoqués et contremandés trois fois depuis cette première assemblée, où nous n’avions rien arrêté. Urne semble cependant que le premier article du projet de décret dont on vient de vous faire lecture, préjuge définitivement la question que vous nous avez ordonné d’examiner. Nous sommes ajournés pour la traiter à fond, lundi prochain; mais elle ne serait plus entière, et vous l’auriez décidée d’avance, si vous adoptiez, dès ce moment, le décret présenté par M. le duc de La Rochefoucauld. Il s’agit d’examiner s’il est avantageux à la nation d’aliéner tous les biens du domaine et du clergé, et de recevoir, en payement de ces ventes, les créances sur l’Etat, en évaluant les capitaux, à raison de 5 0/0 de leur intérêt annuel. Avant d’entrer dans cette discussion, j'insiste d’abord sur la demande que j’ai si souvent et si inutilement réitérée dans l’Assemblée nationale. Je ne cesse, depuis dix mois, de faire les motions les plus expresses pour vous engager à vous élever, dans vos délibérations sur les finances, au-dessus des aperçus vagues, des moyens partiels, des ressources provisoires, des palliatifs du moment, enfin des petits expédients plus propres à débarrasser l’administration qu’à régénérer l’Etat. J’insiste particulièrement sur cette importante (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur .