437 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] M. Le Chapelier. Les traitements accordés aux chanoim sses ne peuvent s’éteindre que par la mort des personnes auxquelles elles sont accordées. {Applaudissements.) Je demande que la motion de M. Château-Renaud soit mise aux voix à l’instant même. Plusieurs membres ‘ Aux voix! aux voix! M. le Président met aux voix la motion ainsi rédigée : « L’Assemblée nationale, rapportant ses décrets des 4 octobre 1790 et 6 janvier 1791, qui privent de leurs traitements les chanoinesses qui se marieront, « Décrète que les chanoinesses qui se marieront conserveront leur traitement. » (Ce décret est adopté.) M. Martineau. Monsieur le Président, vous rendez des décrets avec trop de précipitation. (Murmures.) Ce décret-là grève le Trésor public ; j’en demande le renvoi. M. Emmery. Le décret est rendu ; il est juste. Je demande qu’on liasse à l’ordre du jour. (L’Assemblée décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. Prugnon, au nom du comité d'emplacement , fait un rapport dans lequel il expose la nécessité d’un établissement d'artillerie dans la partie occidentale du royaume , destiné particulièrement à la défense des côtes des ci-devant pro vinces du Poitou, de Bretagne et de Basse-Normandie. Les villes de la Rochelle, d’Angers et de Rennes se disputent la préférence. Le rapporteur conclut, d’après l’avis du ministre de la guerre, en faveur de la ville de Rennes, et propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète ce qui suit : « Art. 1er. Le régiment d’artillerie qui sera établi à Rennes sera placé dans les bâtiments et l'enclos formant actuellement l’hôpital général de ladite ville; il sera fait, en conséquence, auxdits bâtiments les augmentations et changements convenables, ainsi qu’ils sont portés aux plan et devis estimatif qui en ont été dressés par M. Ga-not, maréchal de camp de l’artillerie, le 6 janvier dernier. « Art. 2. Le commandant de l’artillerie, les écoles d’instruction et les 'professeurs de l’école seront placés dans la maison dite l’hôtel de la commission, place de la Monnaie; il sera fait à ladite maison les réparations qu’exigera cette nouvelle destination. «> Art. 3. Le polygone pour les exercices dans les dimensions déterminées par l’ordonnance, sera établi sur la lande de la Gourouze, et il sera fait acquisition des terrains nécessaires pour son entière formation. « Art. 4. L’hôpital général sera transféré et établi dans les bâtiments du grand séminaire et des minimes, dont la municipalité disposera en conséquence, et auxquels il sera fait les changements et réparations nécessaires. « Art. 5. Le séminaire du département d’Ille-et-Vilaine sera placé dans la maison et dépendances du ci-devant monastère de Sainte-Mélaine, près la maison épiscopale. « Art. 6. Il sera mis à la disposition du ministre de la guerre une somme de 154,402 livres pour les dépenses autorisées par le présent décret. » (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. Rewbell combat le projet en faisant considérer les dépenses énormes qu'une pareille translation allait occasionner sans utilité pour l’Etat. Il demande l’impression du plan donné par le ministre et du projet de décret présenté par le comité. M. Defermon soutient qu’il est inutile pour statuer d’attendre l’impression du travail; une telle motion équivaut à une demande de renvoi et d’ajournement. 11 s’attache à établir l’utilité du plan proposé, en citant l’état des dépen-es énormes que les transports d’artillerie ont occasionnées pendant la guerre dernière. Il ajoute que l’élablissHment projeté est réclamé depuis longtemps, qu’il n’y a point d’artillene dans la partie de la France où on propose de l’établir, et qu’actuellement, au moindre bruit d’hostilités commencées, on est forcé de faire venir les trains de guerre du fond de la Lorraine. Plusieurs membres demandent à aller aux voix sur le projet de décret du comité. MM. Hernoux et Arnoult défendent l’établissement actuel d’Auxonne ; ils font ressortir les frais qu’il a coûtés à l’Etat et les pertes énormes qu’occasionnerait son déplacement. M. Gaultier-Biauzat demande l’ajournement du projet de décret à la prochaine législature. MM. Pierre Dedelay ( ci-devant Delley d’A-gier) et Ee Chapelier combattent la demande de renvoi et d’ajo irnement. (L’Assemblée, consultée, décrète l’ajournement à la prochaine législature.) M. Emmery. Il est regrettable de voir consumer les moments de l’Assemblée à la discussion d’objets dont l’urgence n’est nullement reconnue. Dans l’une des dernières séances, l’Assemblée a donné à ses divers comités l’ordre de lui présenter aujourd’hui le tableau d s travaux qu'ils croient important de terminer avant sa séparation. Je demande que le comité central nous donne au plus tôt un état des travaux qui nous restent à faire pendant cette session, en plaçant de préférence à l’ordre du jour ceux qui sont évidemment les plus pressés, ceux dont on ne peut pas se passer. M. d’André. Comme le comité central se rassemblera ce soir, si les comités ont la bonté d’y envoyer leurs états, je puis assurer l’Assemblée que le comité central sera en mesure de présenter le résultat de son travail dès demain matin. En conséquence, je fais la motion que les présidents ou secrétaires des différents comités remettront dans le jour au comité central le tableau des rapports et des décrets qu’ils croient devoir être mis en délibération avant la clôture de la session. (La motion de M. d’André est mise aux voix et adoptée.) M. Rœdcrer demande que le comité de Constitution soit tenu de faire son rapport sur le complément de la loi des jurés, ou plutôt sur le moyen de mettre cette institution en activité. Il demande, en outre, que le comité soit tenu de donner le classement des articles qui sont 438 [Asaemblée national©.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembr 1791.] devenus réglementaires par suite du triage qui a été fait pour former l’acte constitutionnel. M. Démeunier répond, quant à la première partie de la demande de M. Rœderer, que le travail de M. Le Pelletier était prêt pour ce qui le concerne, et que M. Briois-Beaumetz faisait imprimer l’instruction qu’il avait été chargé de rédiger sur cet objet Quant à la seconde partie de la demande, il observe que l’Assemblée nationale devant céder sa place à la prochaine législature dans 15 jours ou 3 semaines au plus tard, le classement demandé par M. Rœderer était impossible. (L’Assemblée décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) MM. Le Scène des liaisons et Verninac-Saint-llaur, deux des commissaires médiateurs envoyés par le roi dans le pays d’Avignon et le Comtdt Venaissïn , sont introduits à la barre. M. lie Scène des liaisons a la parole et s’exprime ainsi : Messieurs, Députés par le roi, vers les peuples d’Avignon et du Gomtat, en exécution de vos lois des 25 mai et 4 juillet dernier, nous allons mettre sous vos yeux ce qui seul est digne de vous : la vérité attestée par le devoir et par l’honneur. Vous avez à prononcer sur une grande question, sur une question à laquelle tiennent le bonheur d’un peuple et la tranquillité de vos propres départements. Nous vous fournirons, pour éclairer votre décision, tout ce que vous avez droit d’exiger, des faits vrais, précis, constatés; et dans tout ce que je vais vous exposer, vous n’aurez à vous prémunir ni contre l’intérêt qui déguise, ni contre les préjugés et les passions qui dénaturent, Aujourd’hui, j’ose le dire, Messieurs, vous aurez de la révolution d’Avignon et du Gomtat le tableau le plus vrai, parce qu'il est dessiné sur les. lieux et d’après nature, et. qu’à l’abri de toute influence, hormis celle du devoir, je vous dévoilerai et les droits et les torts de tous les partis. La révolution opérée dans Avignon et dans le Gomtat Venaissin fut une suite naturelle, inévitable, de celle arrivée en France; ou plutôt elle fut la même, puisque, de tout temps, la nature, leg liaisons du sang, les habitudes et la politique, qui n’est constamment dirigée que par la loi impérieuse des besoins mutuels, avaient fait de ces deux petites peuplades drS portions de la grande famille dans le sein de laquelle elles étaient ençlq\ées. La nature plaça ce petit pays entre les départements du Gard, de la Drôme, des Basses-Aipes et des Bouches-du-Rhône. Ce territoire, portion naturelle du territoire français, en avait été distrait par l’ignorance, la superstition et la faiblesse; toujours réclamé, souvent ressaisi, mais de nouveau reconfié, à titre d’usufruit, par la condescendance si connue de nos rois pour le Saint-Siège, ce territoire resta le plus généralement isolé au milieu du royaume, formant un Etat dans un 'Etat,’ -et jouissant de cet avantage que le faible obtient du fort, parce qu’on s’occupe peu de ce qui n’excite ni crainte ni inquiétude. Mais à l’instant où la Révolution fit éprouver ses effets en France, comment, dans un pays d’une telle position géographique, où toutes les familles jouissaient de tous les droits des Français; où ces familles étaient dans nos tribunaux, dans nos armées, dans notre clergé ; où le commerce et tous les intérêts mercantiles étaient tellement confondus avec les provinces du royaume, que l’on voyait à Avignon les mêmes établissements français que dans les autres villes de l’Etat, fermes, postes, grenier à sel,, et tout cela au nom du roi ; dans un pays qui, enclavé dans le sein de la France, renfermait lui-même à son tour des territoires français, tels que la principauté d’Orange, Tulete, Suse, Mondragon, de manière qu’il était physiquement impossible d’exploiter et les uns et les autres sans emprunter un territoire étranger; dans un pays enfin qui offrait un partage de famille unie par les besoins, les intérêts et l’existence même; comment, dis-je, aurait-il pu se faire que les changements politiques arrivés eD France ne s’opérassent pas dans cette partie de la France, malgré sa désignation contre nature de pays étranger? Aussi, dès la fin d’août 1790, l’Etat d’Avignon présenta des doléances au vice-légat : la de mande fut rejetée, méprisée ; le peuple soutint son droit d’obtenir le redressement de ses griefs. Le déni de justice excita la plus grande fermentation, et, le 3 septembre, elle éclata par une insurrection. Gette première lutte d’un peuple opprimé par les agents d’un gouvernement paternel dans son chef, mais oppresseur dans l’exercice du pouvoir subalterne, n’eut pas un grand succès. Le vice-légat employa les moyens d’usage. Des potences furent dressées, et restèrent longtemps plantées pour jeter l’effroi dans les âmes. Nombre de citoyens furent décrétés, plusieurs emprisonnés, et c’était le bourreau que l’on avait placé à la prison pour les recevoir. Cependant il n’y eut point d’exécutions. Le peuple voyait avec regret et impatience dans les fers ceux qui avaient défendu ses intérêts, et en qui il avait confiance. Gette impatience devint insurrection, et, le 2 février, on força les prisons, on arracha les prisonniers, on brûla les procédures, et le peuple montra une volonté si déterminée d’obtenir le redressement de ses griefs et de marcher de front avec la grande famille à laquelle il sentait qu’il appartenait, que les gouvernants commencèrent à sentir eux-mêmes qu’il était impossible de lui résister. Les consuls donnèrent leur démission. Une administration provisoire fut établie. Elle était composée du comité militaire et de 15 députés des corporations, et ces corporations représentaient de 15 à 18,000 âmes. Le vice-légat lui-même s’aperçut qu’il n’était plus temps d’opposer des moyens de force ; il négocia : il accueillit enfin la demande d’assembler le3 Etats généraux. La convocation des assemblées primaires se fit sous son autorisation et d’après le règlement fait par lui-même. Le peuple se vit enfin rendu à l’exercice de ses droits de souveraineté par la sanction du gouvernement, et le premier usage libre et volontaire qu’il en fit fut d’adopter les décrets de l’Assemblée nationale. En conséquence, une municipalité se forme à Avignon (1), conformément à ces décrets, et elle est installée par le vice-légat. Sous cette première influence de la liberté, l’inquisition est abolie et disparaît. (1) 18 avril 1790.