ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 222 [Assemblée nationale.] férents bureaux ; ce premier essai de ma part engagera d’autres membres à présenter d’autres projets qui rempliront mieux les vœux de l’Assemblée, et que je m’empresserai de préférer au mien. On applaudit vivement. M. le marquis de Lafaycttc fait lecture du projet qui suit : « La nature a fait les hommes libres et égaux; les distinctions nécessaires à l’ordre social ne sont fondées que sur l’utilité générale. « Tout homme naît avec des droits inaliénables et imprescriptibles; telles sont la liberté de toutes ses opinions, le soin de son honneur et de sa vie; le droit de propriété, la disposition entière de sa personne, de son industrie, de toutes ses facultés; la communication de ses pensées ar tous les moyens possibles, la recherche du ien-être et la résistance à l’oppression. « L’exercice des droits naturels n’a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société. « Nul homme ne peut être soumis qu’à des lois consenties par lui ou ses représentants, antérieurement promulguées et légalement appliquées. « Le principe de toute souveraineté réside dans la nation. « Nul corps, nul individu ne peut avoir une autorité qui n’en émane expressément. * Tout gouvernement a pour unique but le bien commun. Cet intérêt exige que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, soient distincts et définis, et que leur organisation assure la représentation libre des citoyens, la responsabilité des agents et l’impartialité des juges. « Les lois doivent être claires, précises, uniformes pour tous les citoyens. « Les subsides doivent être librement consentis et proportionnellement répartis. « Et comme l’introduction des abus et le droit des générations qui se succèdent nécessitent la révision de tout établissement humain, il doit être possible à la nation d’avoir, dan3 certains cas, une convocation extraordinaire de députés, dont le seul objet soit d’examiner et corriger, s’il est nécessaire, les vices de la constitution. » M. le comte de Lally-Tollendal (1). Messieurs, j’appuie la motion qui vient de vous être soumise; je jouis des applaudissements qu’elle a mérités; à quelques lignes près, susceptibles de discussion, tous les principes m’en paraissent sacrés, tous les résultats précis, toutes les idées aussi simples que grandes : il appartenait à son auteur d’être le premier à vous l’ol'Irir; il parle de la liberté comme il Ta défendue. Que cette motion soit donc l’objet de nos méditations, qu’elle soit un des guides de notre travail; qu’elle en devienne môme une partie, la première partie, si l’Assemblée générale l’accueille ainsi que moi; mais qu’elle ne forme pas un tout à elle seule, et dès cet instant. L’alternative qu’elle présente à cet égard m’inquiète involontairement. Plus le fond de cette déclaration est séduisant, plus il faut nous garder des inconvénients de la forme : plus son objet a d’utilité, moins il faut le compromettre. Permettez, Messieurs, que j’insiste plus que (1) Le discours deM. de Lally-Tollendal est incomplet au Moniteur. [11 Juillet 1789.} jamais sur le danger qu’il y aurait à concevoir l’idée d’une pareille déclaration isolée du reste de la constitution. Permettez que, frappé depuis longtemps de ces dangers, je dépose mes alarmes dans le sein de votre sagesse et de votre patriotisme; que je rappelle encore votre attention sur ces grandes vérités dont vous avez dû être frappés avant-hier; que je vous prie de songer encore combien la différence est énorme, d’un peuple naissant qui s’annonce à l’univers, d’un peuple colonial qui rompt les liens d’un gouvernement éloigné, à un peuple antique, immense, l’un des premiers du monde, qui depuis quatorze cents ans s’est donné une forme de gouvernement, qui depuis huit siècles obéit à la même dvnastie, qui a chéri ce pouvoir, lorsqu’il n’était tempéré que par les mœurs et qui va l’idolâtrer lorsqu’il sera réglé par les lois. H est affreux de le dire, il est plus affreux de le penser; mais nous ne le savons tous que trop, la calomnie nous environne, elle épie nos actions pour les défigurer, nos discours pour les corrompre. Si, avec l’intention la plus pure, nous mettions en avant, dans un acte déclaratoire, les droits naturels, sans les joindre immédiatement aux droits positifs, songez quelles armes nous donnerions à nos calomniateurs; comme ils triompheraient; comme ils diraient que sur cette égalité primitive qui ne serait pour eux que la confusion de la société, que sur le droit de nature qui ne serait à les entendre, que le droit de la force, nous voulons établir la subvention de toute autorité. Que serait-ce, Messieurs, si quelques imaginations déréglées, comprenant mal nos principes, si quelques esprits pervers, voulant mal les comprendre, se laissaient aller à des désordres, se portaient volontairement à des excès, dopt certainement nous gémirions plus que ceux qui nous les reprocheraient, mais qu’on nous reprocherait enfin et que nous nous reprocherions nous-mêmes. Ne résultât-il enfin de cette déclaration isoléé, que des difficultés qui seraient surmontées, que des délais qui auraient un terme; le peuple souffre, et il nous demande des secours réels bien plus que des définitions abstraites. Lqs créanciers de l’Etat ont béni votre sauvegardé Ils se reposent sur elle, ils sont peut-être au moment de la réclamer, si la majorité d’entre nous est astreinte à n'accorder aucun subside, que les bases constitutionnelles ne soient établies : quel motif pour presser ce travail et pour le dégager de toutes les entraves qui pourraient l’arrêter! Car encore ne faudrait-il pas, et, vous le sentez bien, Messieurs, que deux fléaux épouvantables, la famine et la banqueroute, vinssent dévorer des milliers de Français, tandis que les représentants de la nation française sont là réunis, et que pour toute réponse, et aux plaintes des victimes et aux interpellations de l’Europe, ces représentants fussent réduits à dire: nous étions impuissants ; il ne nous était pas permis de rien accorder; il ne nous était pas permis de sauver la France. Ainsi, Messieurs, adoptons le projet précieux qui vient de nous être offert : remontons sans doute au droit naturel, puisqu’il est le principe de tous les autres ; mais parcourons rapidement la chaîne des intermédiaires, et hâtons-nous de redescendre au droit positif qui nous attache au gouvernement monarchique ; que la déclaration de nos droits soit la déclaration des droits de tous; que l’homme, le citoyen, le sujet, le mo> [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1789.] 2?>3 nargue, y trouvent chacun ce qui doit lui appartenir et que ce soit, pour ainsi dire, un pacte social, un contrat universel, qui, en distribuant la justice à toutes-les parties, force toutes les arties d’être justes, et qui, en leur procurant le onheur, les amène à l’union. Je ne doute pas que mes idées ne concourent avec celles de l’auteur de la motion, et j’espère que l’Assemblée me pardonnera de n’avoir pu me refuser à l’expression d’une crainte que je ressens vivement, sur un danger qui est incalculable. Pour me résumer, je rends à la motion tous les hommages qu’elle mérite. Je demande qu’elle soit envoyée à tous les bureaux; mais je demande en même temps qu’il soit bien arrêté par l’Assemblée de n’y délibérer que provisoirement, et de ne rien statuer en définitif sur cet objet, qu’en statuant sur tous les autres objets de la constitution. A la (in de ce discours, les applaudissements recommencent dans toutes les parties de la salle, et ils sont, longtemps prolongés. .L’opinion de M. Laily-Tollendal prévaut; l’Assemblée ne juge pas à propos de délibérer encore sur cet objet. La motion de M. de Lafayette est en conséquence renvoyée aux bureaux. . On a fait le' rapport de l’élection deM. Maujean, député direct de la ville de Metz. Cette députation est discutée contradictoirement. On va aux voix. L’appel fait, elle est unanimement déclarée nulle, sauf à la ville de Metz à recommencer une élection plus régulière. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMP1GNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du lundi 13 juillet 1789. On fait lecture d’une lettre écrite à l’Assemblée par un grand nombre de citoyens de la ville de Montpellier ; d’une autre écrite par les officiers municipaux de la ville de Saint-Marcellin en Dauphiné, et d’une délibération de la ville de Ta-rascon, qui toutes expriment leur satisfaction au sujet de la réunion de tous les députés, et leur adhésion aux arrêtés de l’Assemblée nationale. Un membre se lève pour annoncer à l’Assemblée le changement survenu dans le ministère, le renvoi de M. Necker, son exil hors du royaume, la disgrâce des autres ministres qui avaient mérité la confiance publique. 11 peint les troubles qui ont agité la ville de Paris, le désordre qui y règne encore. Il finit par inviter l’Assemblée à prendre à ce sujet une résolution telle que sa sa-sagesse la lui prescrira. M. Mounier. Messieurs, le Roi a convoqué les Etats généraux pour la régénération du royaume. On a prononcé les mots liberté, félicité publique. Ils ont réveillé le courage de ceux qui sont intéressés à maintenir le peuple Français dans la servitude. Ils se sont ligués pour protéger les abus. Us ont entouré le trône ; et nous avons déjà plusieurs fois éprouvé les funestes effets de leurs intrigues. Us sont parvenus à priver de la confiance du Roi de vertueux ministres, dignes de la vénération publique et de la faveur du prince, par leur zèle pour ses intérêts et pour le bonheur de la France. Afin de tromper le monarque avec plus de facilité, ils ont voulu éloigner de lui ceux qu’ils ne pouvaient espérer d’associer à leurs projets. Ils redoutaient leur amour pour le Roi, pour la justice et pour la vérité. Certainement le Roi a le droit de changer ses ministres ; mais dans ce moment de crise, les représentants de la nation ne trahiraient-ils pas tous leurs devoirs, s’ils n’avertissaient le monarque des dangers auxquels des conseillers imprudents ne craignent pas de livrer la France entière? Pourraient-ils être animés d’un désir ardent pour le bien de la patrie, et garder aujourd’hui le silence? Ignorent-ils combien les ministres qu’on vient d’éloigner sont chéris par le peuple ; que dans les circonstances actuelles le crédit public ne peut subsister sans eux; que nous sommes menacés de la plus affreuse banqueroute, dont le moindre inconvénient serait la honte éternelle du nom Français, et que le sang est près de couler ou coule peut-être en cet instant dans la capitale ? Ainsi, les ennemis du bien public ne craignent pas de flétrir le caractère national. Ils veulent braver le désespoir du peuple. Ils le provoquent par un appareil menaçant; ils l’environnent de troupes ; ils interceptent le passage sur les grandes routes ; ils attentent à la liberté publique et individuelle. Ils ont appris au Roi à redouter un peuple dont il est chéri, à prendre contre lui les mêmes précautions qu’exigent les approches de l’ennemi de l’Etat. L’Assemblée nationale doit éclairer le monarque; elle doit solliciter le rappel des ministres, victimes de leur dévouement aux intérêts du trône et à ceux de la patrie. Par reconnaissance, par amour de la justice, elle doit représenter au Roi les dangers auxquels on expose la France, et lui déclarer que l’Assemblée nationale ne peut accorder aucune confiance aux ministres qui, en restant en place, ou à ceux qui, en acceptant les fonctions de MM. Necker, de Montmorin, de la Luzerne et de Saint-Priest, ont manifesté des principes contraires au bien public. Par cette démarche vous prouverez que l’appareil militaire ne saurait vous en imposer, et qu’aucun obstacle ne peut enchaîner votre zèle. Mais permettez-moi de vous rappeler, Messieurs, que malgré l’importance que vous devez mettre à éclairer le Roi sur les desseins de ceux qui l’entourent, vous ne devez pas oublier un seul moment la constitution du royaume. Encore une fois, aucun malheur ne peut-être comparé à celui de ne pas établir une constitution heureuse et durable : aucun avantage ne saurait en tenir lieu. Les ennemis du bien public croiraient avoir atteint leur but, s’ils pouvaient vous détourner de cet. objet important, et vous exposer à perdre ainsi l’instant favorable. C’est la constitution qu’ils veulent empêcher; c’est elle qu’ils craignent, qu’ils attaquent indirectement, pour pouvoir l’attaquer bientôt à force ouverte ; mais tous leurs efforts seront vains. Les députés de tous les ordres resteront constamment réunis pour le soutien de la liberté : l’énergie et le pa-