475 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 octobre 1789.] les gouverneurs favorisent l’exportation sur les frontières... Il faut entendre le comité des rapports; il faut entendre le comité des recherches, découvrir la conspiration, étouffer la conspiration. . . Alors nous ferons une Constitution digne de nous et de la nation qui l’attend. M. de Cazalès. Je demande que le préopinant donne les notions qu’il a sur la Constitution; sinon il est criminel envers le public et l’Assemblée. M. le comte de Mirabeau. On demande une loi martiale et un tribunal. Ces deux choses sont nécessaires; mais sont-elles les premières déterminations à prendre? Je ne sais rien de plus effrayant que des motions occasionnées par la disette; tout se tait et tout doit se taire, tout succombe et doit succomber contre un peuple qui a faim ; que serait alors une loi martiale, si le peuple attroupé s’écrie : Il n'y a pas de pain chez le boulanger? Quel monstre lui répondra par des coups de fusil? Un tribunal national connaîtrait sans doute de l’état du moment et des délits qui l’ont occasionné ; mais il n’existe pas ; mais il faut du temps pour l’établir ; mais le glaive irrésistible de la nécessité est prêt à fondre sur vos têtes. La première mesure n’est donc, ni une loi martiale, ni un tribunal. J’en connais une. Le pouvoir exécutif se prévaut de sa propre annihilation; demandons-lui qu’il dise de la manière la plus déterminée quels moyens, quelles ressources il lui faut pour assurer les subsistances de la capitale ; donnons-lui ces moyens, et qu’à l’instant il en soit responsable. M. Duport. Le tribunal ne peut être composé de membres de cette Assemblée; vous l’avez décidé, vous ne pouvez le former à demeure que quand vous aurez créé tous les tribunaux. Chargez provisoirement le Châtelet de juger les crimes de jèse-nation, avec les adjoints qui lui ont été donnés. Ce tribunal a déjà toute la dignité de la vertu, toute la force que donne la confiance du peuple. La loi martiale, publiée dans les provinces, influera sur les subsistances. Faites sanctionner ce soir et celte loi et l'attribution au Châtelet. M. le duc de la Rochefoucauld. J’adopte la loi martiale et la proposition de M. de Mirabeau. Je ne pense pas que les crimes de lèse-nation puissent être jugés par le Châtelet, à raison de son organisation. Le comité de Constitution rendra compte incessamment de son travail sur le tribunal demandé. M. Milseent. Avant de venger le peuple, il faut le faire subsister. Mandez tous les ministres pour qu’ils rendent compte de ce qu’ils ont fait pour prévenir la détresse de la capitale. M. le Président. Voici, Messieurs, un fait relatif à l’opinion de M. Milseent. Informé des inquiétudes de tous les citoyens, je me suis rendu chez M. Necker, et j’ai appris que le comité de police des représentants de la commune avait cessé toute communication avec le ministère. M. le Président met aux voix les articles. Voici le texte adopté : « L’Assemblée nationale, considérant que la liberté affermit-les empires, mais que la licence les détruit; que, loin d’être le droit de tout faire, la liberté n’existe que par l’obéissance aüx lois ; que si, dans les temps calmes* Gette obéissance est suffisamment assurée par l’autorité publique ordinaire, il peut survenir des époques difficiles, où les peuples, agités par des causes souvent criminelles, deviennent l’instrument d’intrigues qu’ils ignorent ; que ces temps de crise nécessitent momentanément des moyens extraordinaires pour maintenir la tranquillité publique et conserver les droits de tous, a décrété la présente loi martiale • « Art. 1er. Dans le cas où la tranquillité publique sera en péril, les officiers municipaux des lieux seront tenus, en vertu du pouvoir qu’ils ont reçu de la commune, de déclarer que la force militaire doit être déployée à l’instant, pour rétablir l’ordre public, à peine d’en répondre personnellement. « Art. 2. Gette déclaration se fera en exposant à la principale fenêtre de la Maison-de-Ville, et en portant dans toutes les rues et carrefours un drapeau rouge ; et en même temps les officiers municipaux requerront les chefs des gardes nationales, des troupes réglées et des maréchaussées, de prêter main-forte. « Art. 3. Au signal seul du drapeau, tous attroupements, avec ou sans armes, deviendront criminels, et devront être dissipés par la force. « Art. 4. Les gardes nationales, troupes réglées et maréchaussées requises par les officiers municipaux, seront tenues de marcher sur-le-champ, commandées par leurs officiers, précédées d’un drapeau rouge, et accompagnées d’un officier municipal au moins. « Art. 5. Il sera demandé par un des officiers municipaux aux personnes attroupées, quelle est la cause de leur réunion et le grief dont elles demandent le redressement; elles seront autorisées à nommer six d’entre elles pour exposer leur réclamation et présenter leur pétition, et tenues de se séparer sur-le-champ et de se retirer paisiblement. «Art. 6. Faute par les personnes attroupées de se retirer en ce momënt, il leur sera fait, à haute voix, par les officiers municipaux, ou l’Un d’eux, trois sommations de se retirer tranquillement dans leurs domiciles. La première sommation sera exprimée en ces termes : Avis est donné que la loi martiale est proclamée, que tous attroupements sont criminels ; on va faire feu : que les bons citoyens se retirent. A la deuxième et troisième sommation, il suffira de répéter ces mots : On va faire feu : que les bons citoyens se retirent. L’officier municipal annoncera à chaque sommation que c’est la première, la seconde ou la dernière. « Art. 7. Dans le cas où, soit avant, soit pendant le prononcé des sommations, l’attroupement commettrait quelques violences ; et pareillement, dans le cas où, après les sommations faites, les personnes ne se retireraient pas paisiblement, la force des armes sera à l’instant déployée contre les séditieux, sans que personne soit responsable des événements qui pourront en résulter. « Art. 8. Dans le cas où le peuple attroupé, n’avant fait aucune violence, se retirerait paisiblement, soit avant, soit immédiatement après la dernière sommation, les moteurs et instigateurs de la sédition, s'ils sont connus, pourront seuls être poursuivis extraordinairement, et condamnés, savoir : à une prison de trois ans, si l’attroupement n’était pas armé, et à la peine de mort, si l’attroupement était en armes. 11 ne sera fait aucune poursuite contre les autres. « Art. 9. Dans le cas où le peuple attroüpé ferait quelques violences, et ne se retirerait pas après la dernière sommation, ceux qui échapperont aux 476 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 octobre 1789.] coups de la force militaire, et qui poürront être arretés, seront punis d’un emprisonnement d’un an s’ils étaient sans armes, de trois ans s’ils étaient armés, et de la peine de mort s’ils étaient convaincus d’avoir commis des violences. Dans le cas du présent article, les moteurs et instigateurs de la sédition seront de même condamnés à mort. « Art. 10. Tous chefs, officiers et soldats de la garde nationale, des troupes et des maréchaussées, qui exciteront ou fomenteront des attroupements, émeutes et séditions, seront déclarés rebelles à la nation, au Roi et à la loi, et punis de mort ; et ceux qui refuseront le service à la réquisition des officiers municipaux seront dégradés et punis de trois ans de prison. & Art. 11. Il sera dressé, par les officiers municipaux, procès-verbal, qui contiendra le récit des faits. « Art. 12. Lorsque le calme sera rétabli, les officiers municipaux rendront un décret qui fera cesser la loi martiale , et le drapeau rouge sera retiré et remplacé, pendant huit jours, par un drapeau blanc. » L’Assemblée charge M. le Président de présenter incessamment et dans le jour le présent décret à la sanction royale. On passe ensuite à l’ordre du jour, louchant certains rapports déjà annoncés sur plusieurs affaires urgentes. M. Defermon, membre du comité des rapports , fait part à l’Assemblée des troubles et émeutes qui ont eu lieu dans la ville de Rouen, ainsi que des précautions que la municipalité de cette ville a prises, et qui étaient soumises à l’Assemblée, pour prévenir de semblables troubles. L’Assemblée ayant été aux voix sur le projet de décret proposé par le comité de rapport, décret# ce qui suit : « L’Assemblée nationale, considérant qu’il est important de pourvoir sans délai à la tranquillité de la ville de Rouen, que sa grande population, ses manufactures et son commerce exigent uae prompte réunion de toutes les volontés au maintien de l’ordre et de la paix, et qu’il devient urgent d’assurer aux approvisionnements de la capitale la plus efficace protection à leur passage dans celte ville, a décrété et décrète, que. par provision et seulement jusqu’à ce qu’elle ait organisé par une loi les milices nationales du royaume, l’assemblée municipale et électorale de Rouen fera exécuter le plan d’organisation par elle arrêté le 2 octobre, présent mois, à l’exception de l’article 5, qui demeurera supprimé, à la condition néanmoins que les officiers, élus en conformité de ce plan, ne pourront continuer leurs commandements après l’organisation générale des milices nationales, s’ils ne sont élus de nouveau ; a décrété aussi que le comité des recherches sera tenu de faire sur les événements passés à Rouen toutes les informations propres à parvenir à en connaître les auteurs. » M. Defermon fait le rapport d’une autre affaire concernant les municipalités. La continuation de cette affaire est, d’après le vœu de l’Assemblée, ajournéeà la séance de demain, à deux heures de l’après-midi. L’Assemblée également ajourne à la même séance et à la même heure, l’affaire du mandement de l’évêque de Tréguier. La députation des gens de couleur des colonies de France est aussi ajournée à la séance de de' main, sur les neuf heures et demie du matin. M. le Président lève la séance, et indique celle de demain à l’heure accoutumée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAÜ Séance du jeudi 22 octobre 1789. La séance a commencé par la lecture du procès-verbal du 21 octobre. M. le Président a annoncé qu’il avait présenté à la sanction royale le décret relatif aux attroupements, et que "le Roi lui avait donné hier sa sanction. Il a ajouté qu’il avait demandé la sanction sur le décret relatif à la juridiction souveraine que l’Assemblée venait d’accorder provisoirement au Châtelet pour juger les crimes de lèse-nation, et celui relatif à la municipalité de Rouen, et qu’il irait, ce soir, chercher la réponse sur la demande de la sanction à obtenir sur ces décrets. M. le Président a annoncé qu’un vieillard de cent vingt ans, natif de Mont-Jura, demandait la permission d’être introduit à la barre, pour remercier l’Assemblée de l’adoucissement du sort de ses habitants, qui ont été affrauchis par les décrets de l’Assemblée nationale ; en conséquence l’Assemblée a consenti que ce vieillard fût admis à la séance de demain. Une députation des citoyens, gens de couleur, propriétaires dans les colonies françaises, a été introduite à la barre, et a demandé à jouir de tous les avantages des citoyens. M. de Joly, an nom de la députation, a donné lecture de l’adresse suivante: « Nosseigneurs, les citoyens libres et propriétaires, de couleur, des îles "et colonies françaises, ont l’honneur de vous représenter : « Qu’il existe encore, dans une des contrées de cet empire, une espèce d’hommes avilis et dégradés, une classe de citoyens voués au mépris, à toutes les humiliations de l’esclavage, en un mot, des Français qui gémissent sous le joug de l’oppression . « Tel est le sort des infortunés colons américains, connus dans les îles sous le nom de mulâtres, quarterons, etc. « Nés citoyens et libres, ils vivent étrangers dans leur propre patrie. Exclus de toutes les places, de toutes les dignités, de toutes les professions, on leur interdit jusqu’à l’exercice d’une partie des arts mécaniques ; soumis aux distinctions les plus avilissantes, ils trouvent l’esclavage au sein même de la liberté. € Les Etats généraux ont été convoqués. « Dans toute la France on s’est empressé de seconder les vues bienfaisantes du monarque : les citoyens de toutes les classes ont été appelés au grand œuvre de la régénération publique; tous ont concouru à la formation des cahiers, et à la nomination des députés chargés de défendre leurs droits et de stipuler leurs intérêts. « Le cri de la liberté a retenti dans l’autre hémisphère.