189 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1791.] mains du juré la fonction de tempérer, comme on l’a dit, la justice par l’équité, est une loi invariable, constitutionnelle, parce qu’elle estfondée dans la naiure même des choses. Ce que l’on a appelé l’équité, Messieurs, est une panie de la justice. Quoiqu’on ait séparé ces deux idées par deux expressions différentes, elles tiennent nécessairement aux mêmes principes, et il est vrai de dire que la loi n’est pas bien administrée dans une société quelconque, à moins que le juge ne pèse également et la loi et les circonstances. Deux choses constituent le crime ; le fait matériel et l’intention. Il faut donc que, pour rendre un jugement légitime, le juge pèse toujours les circonstances relatives à l’intention ; si l’intention n’existe pas du tout, il déclare qu’il n’y a point de délit *, si l’intention est légère, il déclare que le délit est moins grave. Toutes ces opérations entrent nécessairement dans le jugement de celui qui est chargé d’administrer la justice ; il est donc absurde de vouloir distinguer ces deux choses, et de supposer que le juge ne prononcera que sur le fait, et point du tout sur l’intention ; or, dès qu’un juge ne peut juger sans examiner ces deux points, puisque cela tient aux principes de la liberté et estfondée sur la nature des choses, il s’ensuit que cette règle ne peut jamais être changée dans l’administration delà justice. Il n’y a donc aucune raison de distinguer un autre pouvoir pour prononcer sur les raisons d’équité, et pour tempérer par elle les jugements rigoureux, ainsi l’on ne peut point supposer qu’il sera nécessaire de remettre au roi le droit de faire grâce. Il est évident que ce droit, d’après cet éclaircissement, ne peut être que le pouvoir arbitraire de dérober un citoyen à la juste punition qu’il a encourue par la loi. M. de Toulongeon. J’observe très brièvement que l’Assemblée peut s’apercevoir qu’un moyen sûr de gagner du temps ou plutôt de le faire perdre, c’est de répondre aux objections qu’on n’a pas faites et de tirer des conséquences de principes qu’on n’a pas posés. Le préopinant raisonne toujours comme s’il était question de donner au roi le droit de faire grâce. Il n’est pas question de cela, il est question surtout de laisser un moyen pour remplacer celui des jurés si celui-là ne suffit pas. La question est donc faussement posée. On ne laisse pas au roi le droit de faire grâce ; on dit seulement : si les jurés ne peuvent pas l’exercer, d’autres l’exerceront. Je demande donc qu’on laisse l’article. M. le Président. M. de La Fayette a demandé à répondre à M. Robespierre, il a la parole le cinquième. M. Duport demande à faire une observation au nom des comités. L’Assemblée veut-elle entendre M. Duport ? ( Oui ! oui !) (L’Assemblée, consultée, décide que M. Duport sera entendu.) M. Duport. Les faits ne sont pas tels que le préopinant vient de les exposer. Il ne s’agit pas de savoir si le roi aura ou n’aura pas le droit de faire grâce ; cela est décidé par vos decrets, et il n’est pas question d’y rien changer. Si vous voulez remplacer l’article négaiif inséré dans votre Code pénal par un article positif dans votre code constitutionnel, il se trouvera imparfait sous plusieurs rapports qui ne vous ont pas été présentés et que voici. Assurément si vous mettiez dans l’acte constitutionnel que le droit de faire grâce, qui n’est autre que le droit d’équité nécessaire à la justice, ne peut pas être donné au roi, il serait indispensable d’ajouter qu’il ne peut pas l’être non plus au Corps législatif. Eh bien, vous n’auriez encore rien fait. Je crois qu’il est facile de démontrer, jusqu’à l’évidence, qu’il faudrait dire que les juges ne pourront pas non plus avoir le droit de faire grâce. Le premier principe de l’administration de la justice, c’est que les juges soient astreints à une observation rigoureuse des luis ; ainsi, il n’y a pas d’institution sociale a qui le droit d’équité convienne moins qu’aux juges ; il est nécessaire dans un pays libre et où l’on veut que la loi seule ne soit exécutée que lorsqu’elle est rendue, que les juges soient tenus de l’appliquer rigoureusement, sans jamais l’interpréter. C’est dans cette exacte division des pouvoirs, d’après laquelle, le Corps législatif fait la loi avec le roi, le roi l’exécute, et le juge l’applique, que réside la liberté d’un pays. Si les juges interprétaient la loi ou pouvaient l’étendre, ils entreprendraient sur le Corps législatif ; récapitulons maintenant : parmi les quatre institutions auxquelles on pourrait attribuer le droit de faire grâce, il faudrait exclure le Corps législatif, le roi, les juges, il ne resterait donc plus que les jurés : dès lors vous auriez décrété constitutionnellement que le droit de faire grâce appartient aux jurés. Or, ni le comité de législation criminelle, ni l’Assemblée ne peuvent prendre sur eux de déclarer constitutionnel et inviolable un mode qui cootrarie le mode des jurés anglais et américains, un mode qu’aucune expérience ne confirme encore. ( Applaudissements .) Un grand nombre de membres: L’ordre du jour ! (L’Assemblée, consultée, décrète qu’elle passe à l’ordre du jour sur la proposition de M. de Saint-Martin.) M. Lanjuinafs. C’est ici, Messieurs, le moment de déclarer, conformément à la motion de M. Dupont, que la Constitution est terminée et qu’il ne pourra plus y être rien changé ; je demande que cette motion soit à l’instant décrétée dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, ayant entendu la lecture de l’acte constitutionnel et l’ayant de nouveau approuvé, déclare que la Constitution est terminée, et qu’elle ne peut y rien changer. » (Ce décret est adopté au milieu des applaudissements les plus vifs et plusieurs fois répétés de la partie gauche et des tribunes.) M. «T André. Nous demandons que la Constitution soit portée chez le roi aujourd’hui même. (Vifs applaudissements.) M. Lavie. Nous demandons que 60 députés soieut nommés par M. le président pour porter la Constitution au roi. (Oui! oui!) M. Rœderer. Je demande, au lieu de 60 membres, qu’il en soit nommé 83, un par département. (Murmures.) MM-Barnave, Le Chapelier et Alexandre de Lameth. Il n’y a pas de représentants de département ; Monsieur le président, nous nous opposons à cette motion. m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1791.1 Plusieurs membres : La question préalable ! M. Roederer. Je retire ma motion. M. le Président met aux voix les motions de MM. d’André et Lavie dans les termes suivants : « Il sera nommé à l’instant une députation de 60 membres pour offrir, dans le jour, l’acte constitutionnel au roi. » (Ce décret est adopté.) M. Pierre Dedelay (ci-devant Delley d’ A-eier). L' s applaudissements qui viennent de se Kiire entendre après le dernier article décrété sont le prix le plus doux de nos travaux ; mais ces travaux ne sont pas terminés. Quelques-uns de nous pourraient peut-être se croire dégagés du serment qui les attachait à l’As-emblée jusqu’à l’achèvement de la Constitution ; je pense qu’il nous reste encore un devoir impérieux à remplir, c’est de remettre en mas-e et en nombie suffisant nos fonctions législatives à nos successeurs. En conséquence, je demande : 1° Qu’aucun membre ne puisse s’absenter que par congé, comme cela s’est fait jusqu’à ce jour. (Marques d'assentiment)-, 2° Qu’avant de remettre enlre les mains de nos successeurs nos fonctions, nous nous constituions en Assemblée législative. (Non! non!) Je ne demande pas que vous le fassiez sur l’heure, mais seulement avant d’être remplacés. Au surplus, je me réduis à ma première proposition quant à présent. (L’Assemblé1, consultée, adopte la première proposition de M. Dedelay.) M. de Choîseul-Praslin fils. Je demande qu’il soit ordonné à l’imprimeur de l’Assemblée de faire promptement une édition de l’acte constitutionnel et de prendre toutes les précautions nécessaires pour empêcher toute espèce d’édition fautive. M. Prieur. Et moi, je demande qu’il soit donné les ordres nécessaires pour que l’impression soit terminée et l’envoi lait sans délai dans les 83 departements et pour que les maires soient chargés ne Jane, sur-le-champ, lecture de l’acte constitutionnel aux communes assemblées. (Murmures.) M. Rœderer. Je demande que la motion de M. Prieur, tendant à l’impression très hâtive de la Constitution et à l’envoi dans les départements, soit adopté à l’in.-iant, parce qu’il est naturel que ceux qui veulent la défendre contre ses détracteurs, la tiennent à la main. (Les motions de MM. de Choiseul-Praslin et Prieur sont mises aux voix et adoptées.) M. liavie. Je demande que la liste des députés qui doivt Qt composer la députation soit faite sur-le-champ, et qu’eDsuite, pour éviter tout trouble et toute aune moti> n, la séance soit levée immédiatement après qu’il en aura été donné connaissance. (Cette motion est adoptée.) M.Dionis du Séjour. Messieurs, en exigeant l’exécutiou des lois qui n’étaient pas abrogées par votre Constitution, vous vous êtes trop engagés ; il y a un code qui contient 2 ou 3 volumes in-folio, et sur lequel vous ne vous êtes pas expliqués. Prétendez-vous, par exemple, que ceux qui font gras les vendredis et samedis soient condamnés aux galères, sans que ladite peine puisse être regardée comme comminatoire? (Rires.) M. Roederer. J’observe que l’abrogation des lois présentes et anciennes, nécessaires sans doute, puisque vous avez unCode pénal nouveau, ne doit pas être prononcée par la Constitution; ce doit être le dernier article du Gode pénal nouveau. En conséquence, on peut décréter que cetie abrogation sera insérée à la fia du Code pénal nouveau. Plusieurs membres : Elle y est! elle y est! M. Manpassant. Messieurs, je demande que celui qui sera chargé de porter la parole au nom de la députation qui va se rendre chez le roi pour lui présenter l’acte constitutionnel soit tenu de communiquer préalablement son discours à l’Assemblée pour le lui faire connaître. Plusieurs membres : Non, non, point de discours. M. d’André. Un discours est inutile; il suffit que la députation dise simplement, au roi, l’objet de sa mission : « Sire, voilà la Constitution. » (Marques d'assentiment.) (L’Assemblée décrète qu’il ne sera pas fait de discours au roi.) M. le Président. Voici, Messieurs, les noms des membres de l’Assemblée, chargés d’offrir l’acte constitutionnel à l’acceptation du roi. Ce sont : MM. Thouret, Duport, Démeunier, Le Chapelier, Em. Sieyès, Pétion, l’évêque ne Paris, La Métherie, Grillon jeune, Merlin, Baney, Tretlbard, Arnoult, La Rochefoucauld, Schwendt, Blancard, d’André, PoUi-eard-du-Limb�rt, Ghâteaurenaud, G >uppé, Broglie, Lesterpt (de Beauvais), Barrère-Vieuzac, Gérard (de Bretagne ), Garat jeune, Lavie, l’évêque du Cantal, Malouet, Camus, Lapoule, Troncliet, Briois-B aumetz, Alexandie rie Lameth, Rabaud, Talleyrand, Target, Buzot, Barnave, Kervélégan, Monneron aîné, Mathieu-Rondeville, Brillat-Sa-varin, Ghrjstin, Boissonuot, Mollien, Chabroud, Liancourt, Long, Chaillon, Darche, l’évêque de la Meuse, Mougms-Ruquefort, Guillaume, Boutte-ville-Dumelz, l’évêque de Rouen, Go�in, Marchais,, Regnaud (de Saint-Jean-d'Angêly), Gour-dan, Prévost, Prieur, Darnaudat. J’informe les membres, dont je viens de donner les noms, quela dépmation se réunira ce soir, à 6 heures, dans la salie des séances. M. le Président lève la séance à deux heures.