342 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE L’engouement et l’enthousiasme sont nos plus grands ennemis. Je propose, en conséquence, de charger une commission, composée de 5 membres, de revoir tous les décrets dont il importe d’anéantir ou de modifier l’effet, et de présenter un projet de décret tendant à assurer l’effet des garanties qui doivent exister dans l’ordre social, en les conciliant avec la force et l’activité du gouvernement révolutionnaire. THURIOT : Jamais la liberté publique n’eût été en danger si la liberté de la presse eût été protégée : c’est là le principe de tous nos maux. Il faut, non seulement qu’un homme puisse penser, mais aussi qu’il puisse exprimer sa pensée, même au milieu des orages publics. Je sais que le gouvernement révolutionnaire exige que tout soit en harmonie avec lui; mais ce n’est point une raison pour ne pas conserver la liberté de la presse; car alors l’homme sage indique les défauts du gouvernement, et aussitôt ils sont réprimés; l’innocence opprimée trouve un appui, un refuge, un défenseur dans chaque ami du peuple; la justice frappe les coupables, mais aucune victime n’est sacrifiée. Loin de nous l’idée de favoriser la calomnie; elle n’est que l’abus de la liberté de la presse. Tout homme qui diffame, qui, par des dénonciations fausses, entrave la marche des autorités, fait planer le soupçon sur les fonctionnaires publics, doit être enchaîné; c’est une peste dans la société. Je demande que le comité de Législation soit chargé de vous présenter des institutions propres à garantir la liberté de la presse et à réprimer la calomnie (On applaudit ). CHARLIER : J’appuie la motion de THURIOT; la calomnie est un monstre qui désole la société. J’avais déjà demandé, il y a 15 jours, avant la chute du plus fameux des calomniateurs, Robespierre, des mesures qui arrêtassent leur funeste influence. MERLIN (de Douai) : Le comité de législation s’est occupé, il y a plus de 6 mois, d’un projet de loi contre les calomniateurs; mais comme le comité de salut public avait été chargé d’y concourir avec lui, il lui a communiqué son projet, et probablement Robespierre et Couthon s’en sont emparés, car on ne l’a pas revu. Il y a 3 décades que, sur la motion de CHARLIER, vous nous chargeâtes d’un nouveau travail à cet égard, et il est prêt. Mais ce qui nous a empêchés de vous le soumettre, c’est que nous avons reconnu qu’il fallait en même temps s’occuper d’une loi sur la liberté de la presse. TALLIEN : Il a été fait dans cette séance 2 propositions qui me semblent devoir être réunies, parce qu’elles tendent à l’affermissement de la liberté publique : c’est la liberté des opinions au sein de la Convention, et la liberté de la presse. Nous devons nous rallier autour de ces principes, car nous ne pouvons pas nous dissimuler que la liberté des opinions a été longtemps étouffée dans cette enceinte. Elle a repris naissance le 10 thermidor, et ne doit plus périr. Consacrons-la à jamais; que la terreur n’entre plus ici! ( Vifs applaudissements). Que les représentants du peuple soient toujours eux-mêmes; qu’ils disent toute leur pensée; démasquons tous les traîtres, tous les scélérats, tous les conjurés, tous les fripons, tous les continuateurs de Robespierre ( Vifs applaudissements). Depuis le 10 thermidor, il n’est pas besoin d’un décret pour m’engager à émettre mon opinion : que m’importe la calomnie de quelques hommes que l’opinion publique a notés, les sifflements de quelques aristocrates déguisés, de quelques hommes qui rugissent de voir l’autorité s’échapper de leurs mains ? Le peuple nous a imposé le devoir de le sauver; il n’y a pas besoin de décret pour cela ( Applaudissements ). Ce décret serait injurieux pour nous et pour la nation. Montrons que nous sommes déterminés à assurer le bonheur public, à fonder le règne de la probité, de la justice et de la vertu, mais de la vertu véritable, et non pas de celle que Robespierre avait mise à l’ordre du jour (Vifs applaudissements ) . Oui, la liberté de la presse fut longtemps entravée, et depuis que cette question a été agitée récemment on a émis différentes opinions sur cet objet. On a craint qu’elle ne pût se concilier avec le gouvernement révolutionnaire que le peuple veut, que nous voulons tous pour arriver au but désiré, le bonheur des bons citoyens et l’anéantissement des mauvais. Mais on vous a démontré combien ces craintes sont vaines, quels avantages la République en retirerait au contraire. Je pense que la Convention doit passer à l’ordre du jour, parce que, si la liberté de la presse fut un instant étouffée, on ne put jamais y porter atteinte (Applaudissements). DUBOIS-CRANCÉ : L’Assemblée n’a jamais pu mettre en question si la liberté de la presse serait permise; elle est dans la Déclaration des droits. Il ne suffit pas de l’avoir dans les livres, il faut qu’on puisse en profiter; il faut qu’elle soit au-dessus des atteintes des hommes. La loi contre les calomniateurs sera la garantie de la liberté de la presse. Je demande le renvoi au comité pour vous la présenter (Applaudissements) (1).[ Voir décret au P.-V. ci-dessus] 38 BEZARD, au nom du comité de Législation : L’intention de la Convention nationale, en frappant les ennemis du peuple, n’a jamais été d’atteindre les bons citoyens. Le salut public vous a fait un devoir de chasser du territoire français les prêtres fanatiques, les ecclésiastiques de tous grades, qui, loin de se soumettre aux lois de l’Etat, ont cherché (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 557-559; Débats, nos700, 59-60; 701, 61-69; J. Fr., n° 696 (qui note Le Cointre (de Versailles) parmi les intervenants); Ann. R.F., nos262, 263; Rép. , n° 245; M.U. , XLIII, 73-74, 92; J. Paris, n° 559; J. Perlet, n° 698; J. univ. , nos 1732, 1733; Ann. patr. , n° DXCVIII; C. Eg., n° 733; F. de la Républ., n° 413; J.S. -Culottes, n° 554; Gazette fr(se , n° 694; J. Mont., n° 114. SÉANCE DU 4 FRUCTIDOR AN II (21 AOÛT 1794) - N° 38 343 partout à armer les citoyens les uns contre les autres, à déchirer la patrie et opérer la contre-révolution. Des crimes de cette nature devaient emporter la confiscation des biens des coupables, et vous l’avez décrétée en déclarant, le 17 septembre dernier, que les lois contre les émigrés étaient en tous points applicables aux déportés. Ce décret avait besoin d’être expliqué, et le 22 ventôse vous avez déterminé le mode de confiscation des biens des écclésiastiques sujets à la déportation ou à la réclusion. Le décret du 17 septembre qui en principe rendait applicables aux déportés les lois contre les émigrés, fut entendu de diverses manières, et les administrations de district furent embarrassées pour concilier les lois des 13 septembre (vieux style), 30 vendémiaire, 9 et 22 ventôse derniers. Le zèle des administrations pour mettre sous la main de la nation les biens des ecclésiastiques déportés ou reclus a souvent prévenu la fraude et la collusion. Toutes les fois que leur sévérité n’a porté que sur les prêtres, le vœu du législateur a été rempli, mais lorsque l’on a donné à la loi trop d’extension, on a frappé de bons citoyens, et même des défenseurs de la patrie. Les pétitions multipliées que vous renvoyez à votre comité de législation nous ont appris que quelques districts ont appliqué aux copropriétaires des déportés ou des reclus les articles VIII et IX de la loi du 13 septembre dernier (vieux style). L’erreur de ces administrations a été sentie au comité; mais il est loin de leur faire des reproches; il n’appartient qu’à la Convention d’interpréter ses décrets. Nous vous proposons de le faire, dans cette matière surtout, où les lois ont été très multipliées. Pour éclairer la discussion et mettre la Convention nationale en état de délibérer, nous allons présenter les faits contenus dans une des pétitions que nous avons examinées, celle des frères Lafoy, citoyens de Dijon. L’un de ces citoyens est venu à notre barre, au nom de 2 de ses frères qui sont en présence de l’ennemi, vous exposer qu’un prêtre rebelle à la loi était près d’entraîner dans sa ruine celle des pétitionnaires, qui jouissaient indivisément avec lui de quelques pièces d’héritage, avec le revenu desquelles ils soutiennent la vieillesse de leur père. Ces biens indivis ont été frappés du séquestre et de la confiscation; les pétitionnaires se sont pourvus auprès du directoire du district de Chalon-sur-Saône, et ensuite au département de Saône-et-Loire, pour empêcher que leur portion indivise ne fût vendue avec celle du prêtre insermenté. Le directoire du district de Chalon-sur-Saône, ayant reconnu que les pétitionnaires avaient suffisamment établi leurs droits, arrêta que, pour procéder au partage des biens réclamés, les arbitres seraient nommés et feraient leurs opérations dans le délai de 15 jours; mais le directoire du département de Saône-et-Loire rejeta cet arrêté par la question préalable. Voici ses motifs : L’article IX de la loi du 13 septembre (vieux style) porte que « les biens, même partageables, possédés par indivis avec les émigrés, dont les propriétaires n’auront pas produit au district les titres qui assurent la quotité qui leur appartient dans le délai d’un mois, seront vendus en totalité, et l’acquéreur paiera au propriétaire le prix relatif à la quotité pour laquelle il aura fait reconnaître ses droits par le directoire de district ». Le département de Saône-et-Loire crut qu’il devait appliquer cet article aux frères Lafoy, en vertu du décret du 17 septembre (vieux style), qui rend communes aux déportés les lois contre les émigrés. Les pétitionnaires disaient que le mode de la confiscation des biens des déportés ou reclus n’avait été déterminé que par la loi du 22 ventôse; que c’était cette loi-là même qui avait textuellement décidé que les biens des vieillards et infirmes sujets à la réclusion, étaient acquis à la République; qu’aussitôt qu’ils en ont eu connaissance ils ont déposé leurs titres de copropriété; qu’ainsi ils ont rempli toutes les conditions prescrites pour jouir du bénéfice de l’article X du décret du 13 septembre. Votre comité de législation a trouvé les moyens employés par les pétitionnaires fondés en justice et en raison. Il n’est pas possible que la Convention nationale ait eu l’intention de faire entendre, par la loi du 22 ventôse, que les copropriétaires de biens partageables, possédés par indivis avec les ecclésiastiques déportés ou reclus, verraient vendre leurs propres héritages s’ils ne se conformaient pas aux dispositions de l’article IX que nous avons déjà rapportées. La loi aurait ordonné une chose impossible, puisque le délai prescrit par cet article, qui est d’un mois, était expiré depuis longtemps à l’époque du 22 ventôse. Il était plus juste d’entendre que ce délai ne courait que de la publication de la loi du 22 ventôse; et votre comité vous le proposerait aujourd’hui par un article interprétatif, s’il ne trouvait dans le décret du 9 ventôse une interprétation vraie, applicable à tous les citoyens qui se trouvent dans la position des pétitionnaires. Les articles VII et VIII de ce décret prouvent évidemment que la Convention n’a pas voulu qu’en vertu de la loi du 17 septembre (vieux style) on appliquât rigoureusement celle du 13 aux copopriétaires ou cohéritiers des déportés. Voici ce que portent ces articles : « Les créanciers des déportés, des prêtres reclus, etc, sont assujettis aux mêmes déclarations et dépôt de titres que les créanciers des émigrés. Ces déclarations et dépôt seront faits dans les 4 mois, à compter du jour de la publication, aux chefs-lieux de district de leurs domiciles; des listes générales, etc. Ce délai passé, ils seront déchus ». Il est bien constant qu’en accordant un délai de 4 mois, ainsi que le portent les articles VII et VIII du décret du 9 ventôse, aux créanciers des déportés et des prêtres reclus, il n’a pu être dans l’esprit des législateurs de ne point accorder les mêmes délais aux citoyens, aux 344 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE défenseurs de la patrie, lorsqu’ils sont propriétaires de biens indivis avec les déportés et les prêtres reclus; la même mesure doit être employée pour les uns comme pour les autres. Le cohéritier, comme le créancier d’un curé réfractaire, ne sont pas moins de bons citoyens; la loi ne peut les confondre avec les rebelles; elle leur doit protection. Notre législation serait bien imparfaite si une famille de patriotes qui aurait eu le malheur de compter parmi ses membres un prêtre fanatique était encore obligée de partager sa punition en voyant vendre ses propres héritages parce qu’ils n’auraient pas été jusqu’alors partagés, et que l’effet rétroactif d’une loi aurait mis cette famille dans l’impossibilité de faire le dépôt de ses titres dans un temps utile. Le comité vous propose de déclarer communes aux propriétaires qui possèdent par indivis des biens avec les écclésiastiques déportés ou reclus les dispositions des articles VII et VIII de la loi du 9 ventôse. Cette simple déclaration ne serait pas suffisante; il faut annuler les arrêtés des administrations de district et de département qui auraient rejeté les titres de copropriété par le motif qu’ils n’auraient pas été déposés dans le mois de la publication de la loi du 13 septembre, pourvu que les dépôts aient été effectués dans les 4 mois prescrits. Le comité croit que vous devez maintenir les ventes faites en vertu de ces arrêtés, parce que l’adjudicataire a traité en bonne foi, et que les aristocrates ne manqueraient pas d’en profiter pour attaquer le crédit national (1). Voici le projet de décret que votre comité vous propose : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Législation, décrète : article Ier. Les dispositions des articles VII et VIII de la loi du 9 ventôse sont déclarées communes aux citoyens qui ont des propriétés indivises avec les écclésiastiques déportés ou reclus. article ii. Sont déclarés nuis et comme non avenus les arrêtés des administrations de district ou de département qui ont rejeté le dépôt des titres des copropriétaires indivis, quoique fait dans le temps prescrit par les articles précités. article ni. Néanmoins les adjudications faites jusqu’à ce jour, en vertu de ces arrêtés, sont maintenues, et l’adjudicataire paiera au copropriétaire le prix relatif à la quotité pour laquelle il aura fait ou fera reconnaître ses droits par le directoire de district. Plusieurs membres combattent ce dernier article, en ce qu’il semble légitimer des arrêtés contraires aux lois. L’article est rejeté. Les deux premiers sont décrétés (2). (1) Rapport imprimé signé de Bezard (C 317, pl. 1278, p. 20); Moniteur (réimpr.), XXI, 553-554. Le dernier paragraphe a été supprimé au rapport imprimé ainsi que l’art. III du projet de décret. (2) Moniteur (réimpr.), XXI, 554. Un membre [BEZARD], au nom du comité de Législation, fait un rapport et présente un projet de décret qui est adopté en ces termes : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Législation, décrète : ARTICLE Ier. Les dispositions des articles VII et VIII de la loi du 9 ventôse dernier sont déclarées communes aux citoyens qui ont des propriétés indivises avec les ecclésiastiques déportés ou reclus. ARTICLE IL Sont déclarés nuis et comme non avenus les arrêtés des administrations de district ou de département qui ont rejeté le dépôt des titres des copropriétaires indivis, quoique fait dans le temps prescrit par les articles précités. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (1). 39 Sur la proposition d’un membre [THU-RIOT], la Convention nationale décrète : ARTICLE Ier. Le comité des Inspecteurs de la salle fera imprimer dans le mois les résultats des comptes des représentans du peuple qui ont été chargés de mission. ART. IL Le comité des Finances recevra le compte des dépenses secrètes et extraordinaires des représentans du peuple chargés de mission, et en fera imprimer également les résultats dans le délai d’un mois (2). 40 Le citoyen Debugny, écrivain au bureau de l’ingénieur en chef à Saint-Omer (3), demeurant à Saint-Momelin, district de Bergues, département du Nord, fait hommage d’un mémoire avec les dessins relatifs à l’invention d’une nouvelle espèce de voiles et agrès, au moyen desquels on pourroit diriger des bateaux plats contre les vents et la marée, au point déterminé. (1) P.-V. , XLIV, 48-49. Minute signée Bezard (C 317, pl. 1278, p. 20.). Décret n° 10 502. Reproduit au Bm , 5 fruct. (suppI l). M.U. , XLIII, 92; J. Fr. , n° 697; Rép. , n° 246; J. Perlel, n° 699. (2) P.-V., XLIV, 49. Minute signée de Thuriot (C 317, pl. 1278, p. 21). C*II 20, p. 261 indique Bourdon (de l’Oise) rapporteur. Décret n° 10 499. Moniteur (réimpr.), XXI, 557 (se reporter au n° 37 pour le compte rendu des débats à ce sujet); Débats , n° 700,60, n° 701,69; M.U., XLIII, 93; Gazette fr(se, n° 965; Rép., n° 245; J. Paris, n° 599; Ann. R.F., n°263; J. S. -Culottes , n° 553 (les gazettes citent, outre Thuriot, Cambon et Lecointre). (3) Pas-de-Calais.