[États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Libourne,! 507 cours souveraines seront chargées de l’enregistrement des lois rendues d’après la demande et le consentement exprès des Etats généraux, sans que lesdites cours puissent le différer ni apposer de modification à ces lois, ni en retarder l’exécution. Art. 12. Les Etats généraux statueront que les magistrats ne pourront à l’avenir être troublés dans l’exercice de leurs fonctions, et que les cours souveraines seront responsables du fait de leurs charges auxdits Etats généraux. Art. 13. Les Etats généraux statueront que la durée des impôts qui seront accordés par la nation sera limitée et strictement fixée à un an au plus tard au retour périodique de l’assemblée plus prochaine desdits Etats généraux, et que les parlements et autres cours souveraines seront chargés de poursuivre et punir comme concussionnaire quiconque aura la témérité d’asseoir, répartir et lever aucun subside non accordé par les Etats généraux ou dont le terme fixé par eux serait expiré. Art. 14. L’impôt ne sera accordé que proportionnellement au déficit et au besoin de l’Etat, rigoureusement prouvés , et qu’après la vérification exacte des titres de créance et leur réduction s’il y a lieu à ce qu’exige l’égalité commutative. L’ordre de la sénéchaussée de Libourne exige de M. Dupuch de Monbreton, son député, de ne délibérer sur aucun objet relatif à l’impôt, ni au déficit, ni à aucun impôt provisoire qu’il n’ait été délibéré et statué sur les objets expliqués dans les quatorze articles ci-dessus, et dans le cas qu’il lui fût fait refus de délibérer préalablement sur les-dits objets ou qu’il y fût statué d’une manière contraire à ce qui est expliqué auxdits articles, ledit ordre exige de sondit député qu’il en fasse sa ' protestation authentique au greffe ou secrétariat des trois ordres, ou du moins à celui de son ordre, et demander acte de sa protestation pour justifier de son zèle et de son exactitude, et ledit préalable rempli , l’ordre l’autorise à d élibérer sur les impôts, le déficit et l’emprunt, et cependant lui recommande fortement tous les objets du cahier des demandes, plaintes et doléances, de solliciter soit des Etats-généraux, soit de la bonté de Sa Majesté, le remède indiqué ou demandé dans les divers articles dudit cahier et de s’efforcer enfin de l’obtenir, s’en remettant cependant sur lesdits objets non exprimésdans les quatorze articles ci-dessus, à son zèle et suffisance, en promettant, de ratifier, approuver, comme il ratifie et approuve dès a présent toutes délibérations auxquelles il aura consenti. En foi de quoi ont signé, au nom de l’ordre entier et durant la séance du 14 mars 1789, le président et le secrétaire de l’ordre. Signé à la minute : Ghazal, président, et Barbe de la Barlhe, secrétaire de l’ordre. Signé Durand, greffier; secrétaire du tiers-état. CAHIER DES DOLÉANCES Plaintes , remontrances et demandes que présentent au Roi les membres du tiers-état de la sénéchaussée de Libourne. L’ordre du tiers-état de la sénéchaussée de Libourne charge ses députés de porter aux pieds du trône de Sa Majesté ses très-humbles et très-respectueuses doléances et de lui présenter le tableau des abus et des maux infinis pour lesquels gémissent ses fidèles communes, des impôts sans nombre aussi accablants par leurs poids que gênants et désastreux par leur nature, leur objet et la forme de leur perception. La France, couverte de bureaux, de douanes, de commis, d’employés, de préposés et de gardes armés pçur la perception de ces droits. Le traitant hérissé d’un million de lois et d’arrêts du conseil connus de lui seul ou dans le labyrinthe desquels il égare à son gré le malheureux redevable. Les abus de l’administration de la justice, les frais immenses qui en rendent l’accès impraticable, la multiplicité des degrés de juridiction et celle des tribunaux ordinaires et d’exception. Les campagnes couvertes de praticiens plus propres à y semer les procès qu’à les terminer. Une instruction criminelle qui livre un malheureux accusé à la discrétion de l’ignorance et de toutes les passions d’un juge. La volonté de l’homme presque toujours substituée à la loi par la multitude et l’incertitude des lois. Les richesses excessives du haut clergé, les dîmes qui, par leur nature, ne laissent voir dans les pasteurs qui sont nos amis et nos consolateurs, que des parties adverses, et les exposent à être confondus dans la classe de ces hommes qui pèsent le plus sur le peuple. Le fardeau des droits de la noblesse, de ceux du clergé et d’une foule de privilégiés de toute espèce, versé sur les classes les plus utiles et les plus malheureuses de la société. Des exclusions humiliantes pour le tiers-état qu’on repousse de droit ou de fait des charges de > judicature en cour souveraine, de tous les em-; plois militaires et du chemin de la gloire et des honneurs, quoiqu’on veuille bien s’entourer de lui dans les périls. Et pour remédier à tant de maux de demander : 1° Le retour périodique des Etats généraux à des époques fixes, et de proposer que ce retour soit déterminé à deux ans après ta prochaine assemblée, et ensuite de cinq ans en cinq ans au moins. 2° Que le nombre des députés du tiers-état aux Etats généraux à venir soit fixé proportionnellement à la population de chaque bailliage, suivant l’intention que le Roi a manifesté par son règlement, sans que, dans aucun cas, le nombre desdits députés du tiers-état aux Etats généraux puisse être moindre que celui des députés des deux ordres réunis et dont les voix seront toujours comptées par tête. 3° Qu’aucune loi ne puisse être faite qu’en l’assemblée et du consentement des Etats généraux, sauf des lois d’administration et de police que les circonstances pourraient déterminer Sa Majesté à promulguer, et qui seront exécutées provisoirement jusqu’à l’assemblée lors prochaine des Etats généraux. 4» Que la personne des députés aux Etats généraux soit déclarée inviolable et placée sous la sauvegarde spéciale du Roi et de la nation. 5° Qu’il soit établi dans chaque province des Etats particuliers organisés comme des Etats gé - néraux et dans lesquels le tiers-état de la province entrera en nombre égal à celui des deux ordres réunis du clergé et de la noblesse, dont les voix seront toujours comptées par tête, les-> quels Etats provinciaux ne pourront élire les députés aux Etats généraux, et lesdits Etats provinciaux auront deux syndics généraux dont l’un S08 [Etals gén. 1789. Cahiers.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Libourne. J sera pris alternativement dans l’ordre du clergé et de la noblesse, et l’autre dans le tiers-état. 6° Qu’aucun impôt direct ou indirect, aucun emprunt manifeste ou déguisé, aucun papier circulant, non plus qu’aucun office ou commission ne puissent être établis ou créés que dans les Etats généraux et de leur consentement. 7° Qu’aucun impôt ne puisse être octroyé que pour durer jusqu’à l’époque fixée par la prochaine convocation des Etals généraux ou six mois après au plus tard ; qu’en conséquence, il soit fait défense à tous collecteurs ou receveurs, de continuer la perception dudit impôt après le terme fixé pour sa durée. 8° Que les privilèges pécuniaires dont jouissent la noblesse, le clergé, les officiers de judicature, même les villes capitales ou autres, soient supprimés, et qu’à l’avenir les impôts soient répartis également entre tous les sujets du Roi. 9° Que l’usage des lettres closes de cachet, d’exil et d’évocation arbitraire soit aboli, sans préjudice , dans le cas qui pourrait intéresser le salut et la tranquillité de l’Etat et l’honneur de la personne du Roi ou de son auguste famille, de faire usage desdites lettres de cachet pour arrêter les prévenus, lesquels seront renvoyés sous huitaine à leurs juges naturels pour le procès leur être fait conformément aux lois du royaume. 10° Que tout citoyen ait la liberté de faire imprimer ses ouvrages, à la charge de les soumettre à la censure des Etats provinciaux du lieu de l’impression ou de leurs commissaires. 1 f° Que le pouvoir du pape sur le temporel du Roi et sur celui des revenus ecclésiastiques, soit déclaré abusif, et que les annates et autres droits pécuniaires exigés par la cour de Rome soient abolis. 12° Que tous préposés ou administrateurs des finances soient déclarés responsables envers les Etats généraux de leur administration, et qu’à cet effet ils soient tenus de préparer l’examen de leurs comptes de recette et de dépense par la voie de l’impression qu’ils seront chaque année tenus d’en faire. 13° Que les membres de l’ordre du tiers-état soient admis à tous les grades civils et militaires et à toutes les dignités ecclésiastiques. 14° Que la vénalité de la noblesse et celle de toutes les charges et de tous les offices publics soient abolis. 15° Que toutes les lois soient envoyées aux cours souveraines pour les faire transcrire sur leurs registres, les faire publier et en maintenir l’exécution sans qu’elles puissent y apposer aucune modification sous quelque prétexte que ce soit. 16° Que de tous les articles ci-dessus il soit fait une loi, laquelle sera déclarée fondamentale et constitutionnelle. Cette loi faite et arrêtée, le tiers-état de la sénéchaussée de Libourne autorise ses députés à octroyer les subsides nécessaires et indispensables pour les besoins de l’Etat, en observant de choisir ceux qui seront les plus simples, de la perception la plus facile et dont la répartition pourra se faire le plus également et de la manière la moins arbitraire, en observant encore que l’impôt soit tel qu’il porte également sur les richesses foncières et pécuniaires. Les députés du tiers-état de la sénéchaussée de Libourne demanderont aussi : 1° Que les tribunaux de justice soient rapprochés des justiciables; qu’en conséquence, les limites de chaque ressort soient fixées de nouveau, d’une manière invariable, et qu’il soit créé de nouveaux tribunaux dans les lieux où les arrondissements justement fixés embrasseraient une trop grande étendue. 2° Que les présidiaux puissent prononcer souverainement jusqu’à concurrence de 6,000 livres au moins. 3° Que le nombre des officiers de ces tribunaux soient fixés à vingt, y compris les gens du Roi. 4° Que les seigneurs soient tenus d’avoir des juges et procureurs d’office gradués, lesquels ne pourront être en même temps fermiers ou régisseurs desdits seigneurs, et seront tenus de résider dans le lieu où s’expédie la justice sans qu’ils puissent être destitués que pour forfaiture jugée, et faute par lesdits juges ou seigneurs de se conformer aux dispositions de cet article, les causes demeureront dévolues de droit aux sénéchaux. 5° Que deux ou plusieurs offices de judicature ne puissent être cumulés sur la tête du même sujet. 6° Que les tribunaux d’exception soient supprimés, et que les matières qui leur étaient dévolues soient attribuées aux juges sénéchaux, à l’exception de la voirie, qui demeurera réservée aux officiers municipaux ou juges ordinaires chargés de la police. 7° Que le nombre des cours consulaires soit augmenté. 8° Que les offices d’huissiers-priseurs soient supprimés. Les députés du tiers-état de la sénéchaussée de Libourne sont en outre spécialement chargés de représenter aux Etats généraux la nécessité de refondre nos codes civil, criminel et de police ; ils demanderont à cet effet qu’il soit formé par les Etats généraux, de concert avec le Roi, un conseil de législation composé de magistrats, de jurisconsultes et de citoyens éclairés de tous les ordres, lequel s’occupera de cette réforme et sera prié de la prendre en considération. Que l’arbitraire des audiences blesse également la justice et l’humanité; que pour y remédier il suffirait de faire placer dans l’auditoire un tableau sur lequel seraient inscrites, après une simple sommation faite au greffier, toutes les causes d’audience ou de rapport pour être jugées par rang d’ancienneté, sauf des causes privilégiées qui pourraient être portées à des audiences extraordinaires. Mais prévoyant bien que des réformes aussi importantes ne pourront recevoir de sanction qu’à la prochaine tenue des Etats généraux, le tiers-état de la sénéchaussée de Libourne charge ses députés de demander qu’il soit provisoirement arrêté : 1° Que les accusés auront la liberté de choisir un conseil. 2° Que l’instruction de la procédure criminelle sera publique. 3° Que nul citoyen domicilié ne pourra être décrété de prise dé corps , si ce n’est dans le cas où il doit échoir peine afflictive ou infamante, conformément à l’ordonnance de 1670, et ce, à peine de la prise à partie contre le juge qui aura décerné le décret. Lesdits députés demanderont aussi que provisoirement il soit ordonné : l°Que nui sujet ne puisse être reçu dans les présidiaux ou sénéchaux qu’aprôs avoir exercé pendant cinq ans au moins la profession d’avocat, duquel exercice il sera tenu de justifier mois par mois. 2° Que nul sujet ne puisse également être reçu [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Libourne.] §09 dans les cours souveraines du premier ordre qu’après dix ans d’exercice dans les présidiaux ou sénéchaux, ou quinze ans d’exercice effectif de la profession d’avocat, duquel exercice les uns et les autres seront tenus de justifier, les premiers par les certificats de leur compagnie, et les autres par une attestation de leur ordre, et ce, année par année. 3° Que les juges royaux et ordinaire» et les officiers municipaux des villes soient autorisés à juger sommairement et sans appel toutes les causes qui n’excéderont pas 100 livres. 4° Que les parties soient obligées de terminer par la voie de l’arbitrage certaines causes, comme comptes, reddition de comptes de tutelle, partages ae successions , règlement de limites et servitudes, et qu’il leur soit prohibé d’user de la voie criminelle pour les simples rixes et pour tous les cas où il n’y aura [pas d’excès réels, lesquels seront attribués à la police et jugés sans frais Enfin les députés du tiers-état de la sénéchaussée de Libourne demanderont : 1° Que toutes les douanes soient transportées aux frontières du royaume. 2° Que les droits de péage soient abolis ainsi que les pêcheries avec nasses et escaves et même les moulins, partout où la navigation en est totalement gênée. 3° Que la cessation du droit de prétation soit abolie, et que tout seigneur soit déclaré déchu du droit d’exercer lui-même le retrait un an après que des fermiers ou préposés auront reçu les lods et ventes. 4° Que les droits de banalité, de corvée, de guet et garde soient supprimés, ou que du moins le rachat en soit autorisé. 5° Que les pensions, dons et gratifications soient réduits d’une manière proportionnée à leur qualité et aux besoins de l’Etat. 6° Que la libre élection des officiers municipaux soit rendue aux villes, et que ces officiers soient tenus de rendre compte chaque année à leur communauté. 7° Que le tirage au sort pour la milice soit aboli, sauf à prendre des mesures pour procurer d’une manière moins injuste des défenseurs à l’Etat. 8°Queles parts aux prises, assurées aux matelots par l’ordonnance de la marine, leur soient fidèlement remises, et qu’à cet efiet, il soit prononcé des peines contre les commissaires qui ne se conformeraient pas à la disposition de la loi. 9° Que la quotité de la dîme soit fixée d’une manière uniforme pour toutes les provinces du royaume. 10° Que le casuel soit aboli dans les villes, sauf à pourvoir au sort des curés. 11° Que les congrues soient également abolies, et que les dîmes soient appliquées aux pasteurs qui desservent les paroisses, à la charge d’augmenter le nombre ae leurs vicaires proportionnellement à celui de leurs paroissiens. 12° Que les évêques ne puissent conférer les bénéfices que sur la présentation de la chambre diocésaine, laquelle choisira les trois sujets les plus anciens. 13° Qu’aucune résignation ne puisse être faite que sur l’approbation de la même chambre. 14° Qu’aucun ecclésiastique ne puisse posséder plus d’un bénéfice ; qu’il soit tenu de résider dans le lieu où ce bénéfice est situé. 15° Qu’il soit avisé aux moyens de supprimer le nombre des fêtes. 16° Qu’il soit ordonné qu’aucun sujet des deux sexes ne pourra être admis à faire ses vœux de religion avant vingt-cinq ans accomplis et entrer en noviciat avant dix-huit. 17° Que le nombre des collèges soit augmenté, en observant de les porter dans les petites villes, comme étant moins corrompues. 18° Que tous les privilèges exclusifs soient abolis, et qu’il ne puisse en être établi sous aucun prétexte. 19° Que les droits du contrôle et autres droits arbitraires et litigieux, tels que centième denier, mi-centième denier , dons gratuits et autres soient modérés et invariablement fixés. 20° Qu’aucun sujet ne puisse être reçu notaire sans une capacité bien connue et constatée par un examen public et par une enquête, et qu’en cas de mort, ses minutes soient déposées dans un dépôt public, dans le chef-lieu de la juridiction. Telles sont les doléances, remontrances, demandes et propositions que le tiers-état de la sénéchaussée de Libourne charge ses députés de porter aux Etats généraux et de mettre sous les yeux du plus juste et du meilleur des rois. Arrêté cejourd’hui, 14 mars 1789, en l’assemblée générale du tiers-état, par nous, président, secrétaire et commissaires dudit ordre. Signé Dupuy-Denest , Desbarrat, Joyeux, La Feuillade, Chaperon Descarps, Fougerolles, Gadet, Jouhanneau, Goste jeune, et Aymen, commissaires, et Durand, greffier en chef et secrétaire du tiers-état.