ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 février 1790.] [Assemblée nationale.] 637 Mais cette autorité n’a-t-elle rien d’effrayant ? Peut-il suffire à ceux qui l’exercent d’être sûrs de leur» intentions ? Peuvent -ils répondre de même de leur opinion ? Sont-ils assurés de toujours se défendre de l’erreur ou de l’excès même dans le bien ? Et si cette autorité est véritablement effrayante , que serait-ce si elle n’avait pas de bornes, au moins dans sa durée, et si elle pouvait se prolonger ainsi à volonté? Après ces grands motifs appuyés sur l’expérience, et fondés sur l’intérêt de la tranquillité publique et de la liberté nationale, je rougirais presque de combattre les faibles raisons que l’on oppose. Il ne suffit pas, dit-on, que la constitution soit achevée, il faut encore que vous en voyez agir les ressorts. Mais si une fois vous croyez pouvoir prolonger vos pouvoirs au delà de leurs bornes naturelles, quelle raison aurez-vous de vous arrêter ? qui vous avertira de les déposer ? qu’est-ce enfin qu’une faible raison de convenance, auprès des principes éternels du droit public et de la liberté des nations ? Mais, d’ailleurs, ces raisons de convenance sont-elles donc si bien fondées ? 11 faut que vous voyiez agir la constitution que vous avez faite : mais pourquoi ? Si c’est pour la consolider, elle ne pourra jamais l’être tant qu’il existera une autorité qui peut la détruire avec la même facilité qu’elle l’a créée. Si c’est pour la réformer, je répondrai que, si elle renferme des vices, ce ne sera jamais de l’Assemblée qui elle-même en a posé les principes et en a tiré les conséquences que l’on pourra en espérer la réforme; je répondrai que les seules législatures qui suivront seront dans le véritable point de vue pour la juger. Enfin, si le principe de cette Assemblée n’était pas de réunir tous les pouvoirs, je répondrais que vous n’en avez pas le droit; que votre constitution appartient à la nation; que c’est maintenant à elle à la juger, et à vousà attendre, comme simples citoyens, ce qu’elle prononcera sur l’ouvrage que vous avez fait comme ses représentants. Et si cet immense pouvoir que vous exercez ne peut être utile, ni pour consolider votre ouvrage, ni pour le réformer, pourquoi le prolongeriez-vous au delà de ses bornes naturelles ? Si le pouvoir que vous avez attribué aux prochaines législatures vous a paru suffisant, tout ce que vous en avez de plus qu’elles doit vous paraître outré. Si vous avez cru faire assez pour la nation en donnant à Vos successeurs un pouvoir qui a des bornes, à qui pourrait être utile le pouvoir illimité que vous exercez ? Ce ne sera pas à la dation, sans doute; car la nation ne peut être regardée comme véritablement libre que du moment où elle sera entrée eu jouissance de la constitution par laquelle vous avez voulu assurer sa liberté ; elle ne sera pas libre tant qu’elle sera dominée par une Assemblée dont l’autorité est absolue, dont les pouvoirs seraient véritablement despotiques s’ils étaient prolongés ; dont l’autorité est telle qu’il pourrait dépendre d’elle de donner à la nation des chaînes qu’elle ne pourrait pas briser. J’ose dire enfin avec assurance que, du moment que votre autorité ne serait plus nécessaire, elle deviendrait dangereuse; que du moment où vous refuseriez de reconnaître le droit à la nation d’y mettre des bornes, vous empiéteriez sur ses droits; que du moment où, n’étant plus nécessaires, vous prolongeriez vos pouvoirs, la tyrannie commencerait. Le long parlement d’Angleterre devint tyran en abusant de ses pouvoirs, mais en perpétuant son autorité, il rendit sa tyrannie sans remède. Je ne comparerai pas cette Assemblée distinguée par son patriotisme au long parlement connu par ses crimes; je dirai seulement qu’il est de la nature de toute autorité absolue de tendre à abuser, et que les erreurs du patriotisme peuvent elles-mêmes avoir bien des dangers; qu’il n’y en a aucun à les prévoir pour s’en défendre, que c’est même un devoir de le faire, puisque vous n’avez aucun autre moyen de reconnaître les droits de la nation dont vous tenez les vôtres. Je ne me permettrai plus qu’une seule observation; mais elle me paraît déterminante pour des citoyens zélés et qui attachent du prix, non pas à l’autorité qu’ils exercent, mais au bien qu’ils peuvent faire. Jetez les yeux sur la France : voyez son commerce presque ruiné, ses ateliers déserts, une partie de ses habitants fugitifs, d’autres effrayés et poursuivis, en effet, jusque dans leurs foyers, la fermentation dans tous les esprits, chacun calculant ses forces pour les mettre, s’il le peut, à la place du droit et de la justice; les finances menacées; le déficit augmenté dans une proportion effrayante; une partie des impôts anéantis ou suspendus; le crédit absolument nul ; la circulation du numéraire interrompue; l’armée réduite à moitié par l’indiscipline et la désertion ; les frontières défendues par la seule faiblesse ou la division de nos voisins, et jugez si notre malheureuse patrie n’en a pas assez des secousses qu’elles a éprouvées. Jugez si elle pourrait soutenir les nouvelles convulsions auxquelles une autorité sans bornes l’expose à tous les instants. Voyez si vous auriez la force de remédier à tous les nouveaux malheurs qui l’accableraient, et d’acquitter cette responsabilité dont les obligations s’augmentent à tous les instants, et qui devient sans bornes comme vos pouvoirs ; ou si plutôt vous jugez que le seul remède à nos maux présents, et le seul moyen de prévenir ceux qui peuvent encore nous menacer, est dans un régime doux et tranquille; que la seule dictature vraiment utile n’est pas celle d’une autorité sans bornes, mais celle des lois et de la constitution; hâtez-vous donc de leur donner toute l’énergie qu’elles doivent avoir; dépouillez-vous, aussitôt qu’il sera possible, de l’autorité illimitée, et toujours dangereuse, que vous exercez ; et si vous croyez devoir la conserver encore, au moins faites à présent ce que vous pouvez faire à tous les instants; annoncez-en le terme; faites-vous un devoir de rendre aux droits de la nation un hommage qui peut seul lui en assurer l’exercice, et alors on n’accusera plus d’intentions perfides ceux à qui on ne peut reprocher que d’avoir défendu dans cette Assemblée des principes d’une éternelle vérité, qui sont sans doute gravés dans le cœur de la plupart de ses membres. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D’AUTUN. Séance du jeudi 18 février 1790, au matin (1). M. Gruîllotin, l'un de MM. les secrétaires , donne (1) Celle séance est incomplète au Moniteur. 638 [Assemblée naliouale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 février 1790.J lecture des procès-verbaux des deux séances du mardi 16 février. M. Belley-d’Agier. Je demande que, dans l’article 2 du décret général sur la division du royaume, on insère la clause suivante : « et lorsqu'il nest exprimé aucune exception particulière. » La proposition n’est pas appuyée Un membre fait remarquer; à propos du procès-verbal de la séance du soir, qu’on a poussé l’esprit d’économie beaucoup trop loin en décrétant qu’il ne serait pas fait de feu dans les bureaux de l’Assemblée. Il demande que ce décret soit retranché du procès-verbal. Cette motion est adoptée. M. le comte de Castellane, secrétaire , fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier, mercredi. M. Lucas, député de Moulins, fait la motion qu’au lieu de le désigner par cette expression : « un membre, » on indique nominativement qu’il a prêté le serment de ne pas quitter l’Assemblée que la constitution ne soit terminée. Ce serment est un devoir, dit-il; oc a inscrit sur une liste jointe au procès-verbal les noms de ceux qui ont prêté ce serment le 20 juin et les jours suivants. M. Camus. Un grand nombre de membres ont hier adhéré au serment de M. Lucas; ils doivent donner leur signature à la suite du procès-verbal. On ne délibère pas sur ces deux propositions. M. Boulouvard, député d'Arles , demande et obtient la permission de s’absenter. M. le Président fait lecture de la lettre suivante, écrite par M. le duc d’Orléans : « Monsieur le Président, « Absent de l’Assemblée nationale, d’après la permission qu’elle m’en a donnée le 14 octobre dernier, pour aller remplir la mission que le roi m’a fait l’honneur de me confier, j’ai dû, depuis ce moment, diriger sur d’autres objets les efforts du zèle qui m’anime pour l’avantage de la nation et la gloire du monarque; mais je n’en suis pas moins resté uni d’esprit et de cœur à l’auguste Assemblée dont j’ai l’honneur d’être membre; et qu’il me soit permis de le dire, j’ai suivi ses travaux avec d’autant plus d’intérêt, que j’ai eu le bonheur de trouver toujours mon vœu particulier conforme au vœu général, exprimé par ses décrets. « Je partage également les sentiments d’amour et de respect qu’a inspirés à l’Assemblée la démarche vraiment royale et paternelle de Sa Majesté, quand, sans autre cortège que ses vertus, sans autre motif que son amour pour son peuple, elle est venue se réunir aux représentants de la nation pour affermir et pour presser, s’il est possible, l’heureuse régénération qui assure à jamais la gloire et le bonheur de la France. « Il était naturel qu’en ce jour mémorable chacun des membres de l’Assemblée fût empressé de faire publiquement profession des principes qu’elle a si constamment praiiqués, et pour me consoler de ne m’être pas trouvé à portée de participer è ce grand et beau mouvement, j’ai eu besoin de me rappeler que je pouvais être ici de quelque utilité à la patrie. « Dans ces circonstances, je vous prie, Monsieur le Président, de supplier l’Assemblée, de ma part, de vouloir bien recevoir mon adhésion formelle au serment que ses membres ont prêté le 4 de ce mois, et de trouver bon que, comme eux : « Je jure d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale, et acceptée par le roi. Signé : L.-P.-J. d’Ou-LÉANS. « Par là, j’exécute, autant qu’il est en mon pouvoir, le décret porté le 4 de ce mois par l’Assemblée nationale, et je me trouverai heureux d’avoir été constamment uni à elle en sentiments comme en principes. « Je suis avec respect, « Monsieur le Président, « Votre très humble et très obéissant serviteur, t Signé : L.-P.-J. d’ÜRLÉANS, « député de l’Assemblée nationale, » L’Assemblée, applaudissant aux sentiments patriotiques exprimés daas cette lettre, décrète qu’elle sera insérée en entier dans le procès-verbal. M. Gnillotin. La dernière phrase du décret de mardi soir, qui autorise vos comités à prendre, dans les dépôts publics, les expéditions et même les minutes des pièces nécessaires à leurs travaux, présente les plus graves inconvénients. J’observe qu’aucun comité n’a de greffe en règle; que les membres sont changés tous les mois ; que les greffiers, tant des Chambres des comptes, que de la Cour des aides et autres, pourraient, s’ils avaient intérêt à le faire, soustraire certaines pièces, sur des récépissés revêtus de faux seings. Je demande donc la suppression des mots : « et remises, s’ils le jugent nécessaire, sur « le récépissé des secrétaires des comités, à la < charge d’être rétablies dans les dépôts d’où « elles auront été tirées, après qu’il en aura été « rendu compte à l’Assemblée. » Cette suppression est décrétée par l’Assemblée ; ce qui réduit son décret de mardi soir aux termes suivants : « L’Assemblée nationale décrète que les différents comités établis par elle seront autorisés à demander, dans les dépôts des départements, ceux des cours et autres dépôts publics, toutes les pièces qu’ils jugeront nécessaires à leurs travaux; desquelles pièces il leur sera délivré des copies certifiées, sur papier timbré ou non timbré, et sans frais; même que dans les cas où lesdits comités jugeront nécessaire de voir les minutes, elles seront représentées aux commissaires qu’ils nommeront à cet effet. » M. Bureaux de Pusy. Vos archives contiennent un amas déjà très considérable de pièces, mémoires, cartes et places dans lequel il devient indispensable de mettre de l’ordre. La difficulté de ce travail exige qu’il soit confié à un particulier qui ait l’habitude et le talent d’un semblable classement : je propose d’en charger M. Gottereau, qui a fait ses preuves. fe M. Camus. Je demande à l’Assemblée d’ajour-